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20/12/2008

Freund

180px-Freund3.JPG(…) Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie !

(…) Comme je l'ai souligné dans ma Sociologie du conflit, il y a deux conditions pour qu'une crise dégénère en conflit. D'abord que s'affirme une bipolarisation radicale ; enfin, que le tiers s'efface. Tant que le tiers subsiste et parvient à affirmer son autorité, il n'y a guère de risque que la crise ne débouche sur un affrontement. Dans la société, la crise est une occurrence banale tant qu'il y a inclusion du tiers ; le conflit n'intervient qu'avec son exclusion. C'est cette exclusion qui est polémogène. Dans la situation présente du pays, le tiers est constitué par l'Etat et les différentes institutions qu'il patronne, comme l'école par exemple dont nous avons parlé, or non seulement l'Etat est frappé par la déshérence du politique, ce qui signifie qu'il se déleste de sa fonction cardinale qui est de pourvoir à la sûreté de chacun, mais les institutions subissent une sorte de pourrissement qui les rend de plus en plus inaptes à manifester leur vocation spécifique... Une distance culturelle qu'on ne parvient pas à combler entre l'immigration musulmane et le milieu d'accueil avec un danger de surchauffe violente, et un tiers en voie de dissolution ; cela, voyez-vous, me fait craindre le pire pour les années à venir.

(…) Le seul communiste que j'ai connu dans la Résistance ; ce fut après mon évasion de la forteresse de Sisteron. Il dirigeait un maquis F.T.P. de la Drome. C'était un alcoolique doublé d'un assassin. A Nyons, il a flanché dans les combats contre les S.S. et je me suis retrouvé seul au feu avec quelques Italiens. Il fut néanmoins décoré d'abondance, et c'est pourquoi j'ai refusé toutes les médailles... à l'exception d'une médaille allemande !

(…) Il y a une confusion fallacieuse entre capitalisme et libéralisme. Une confusion récente, puisque à la fin du XIXème siècle encore, Leroy-Beaulieu s'élevait contre cet amalgame. Je réfléchis à cela pour mon prochain livre sur l'essence de l'économique.Je vous ai souvent cité ces passages de Marx dans lesquels il glorifie les capacités révolutionnaires du développement capitaliste...la profanation du vieux monde à laquelle il se livre. La logique du capitalisme est en effet destructrice et créatrice. Comme Marx le souligne toujours, il bouscule les structures sociales et les mentalités qui font obstacle à son déploiement. Marx se réjouissait de ce maelström continuel, car il y voyait les prémisses de la révolution à venir, mais il ne soupçonnait pas l'aptitude du système à triompher de ses contradictions en se renouvelant au gré des oppositions rencontrées. Cette aptitude à la régénération plaide d'ailleurs pour lui ; mieux que les systèmes rivaux, il a su capter certaines constantes de la nature humaine afin de s'en fortifier. Ceci étant dit, on voit bien que l'économie, aujourd'hui, excède sa vocation et tend à annexer ou à dissoudre des activités dont l'existence et l'autonomie sont nécessaires à l'équilibre de la cité. De toute évidence, les soubassements de la vie collective, à commencer par l'identité culturelle, sont mis en péril par les tourbillons que provoque son déchaînement contemporain. Il y a là une violence économique qui infirme le préjugé de Montesquieu et de sa descendance libérale sur les vertus pacifiantes du doux commerce.

Entretien avec Julien Freund, février 2004.

Commentaires

Je vous remerciais pour un petit joyau il y a quelques jours, mais aujourd'hui ce que vous nous faites partager est un vrai trésor !

Je ne vous saurai jamais assez gré de m'avoir fait ouvrir les yeux sur ce Freund.

Écrit par : Jean-Pierre | 20/12/2008

de rien jean pierre
j'ai moi même découvert freund récemment grâce à alain de benoist et au GRECE
il faut dire que l'intelligentsia française ne fait grand chose pour le populariser...
et freund dont les écrits sur l'essence du politique sont révolutionnaires, m'a permis de découvrir carl schmitt, autre penseur pénétrant que je n'ai fait qu'efleurer jusqu'ici.

je vous conseille ces entretiens avec freund sur le site du GRECE, mais aussi les articles d'alain de benoist sur freund (sur le site des amis d'alain de benoist)qui permettent de se faire rapidement une idée du personnage
à +

Écrit par : hoplite | 20/12/2008

Je connaissais pas Freund et, bien entendu, sa vision de l'importance de l'État comme tiers parti dans la vie publique. Ni sa vision sur l'entendement du capitalisme et sa capacité monstrueuse à se renouveler elle-même à partir de "constantes humaines" et à occuper des terreaux qui ne lui appartiennent pas naturellement par son bras économique.

J'aime bien son commentaire sur BHL dont je me suis toujours méfié sans pouvoir y mettre les mots que lui sait si bien dire, je parle de Freund, évidemmment. "Cette élite bien-pensante folle de l'humanité mais qui n'a rien à foutre de son voisin de palier"...

En effet.

Écrit par : Inuk | 21/12/2008

inuk, c'est un personnage vraiment singulier, imprégné de la philosophie d'Aristote et de Machiavel. son travail principal porte sur l'essence du politique. passionnant
particuliérement diabolisé en France car non consensuel, non marxiste et surtout pour avoir fait connaitre l'ouvre de carl schmitt qui fit l'erreur de s'engager temporairement dans la mouvance nationale socialiste entre les deux guerres, mais dont l'oeuvre immense n'est bien sur pas réductible à cet accident de parcours. par ailleurs nos élites germano pratines s'accomdèrent fort bien de philosophes dont l'engagement totalitaire pro communiste...

Écrit par : hoplite | 21/12/2008

Totalement inconnu de moi, je l'avoue avec honte... Avez-vous un ou deux titres à me conseiller en priorité ? Une de ses oeuvres pouvant, à votre avis, servir d'introduction ?

Écrit par : Didier Goux | 21/12/2008

didier
j'ai découvert freund grâce à PA Taguieff et son essai sur freund: "freund, au coeur du politique", qui donne une bonne idée du personnage (oh combien pittoresque) et de son oeuvre..

aprés il faut lire son "essence du politique" qui synthétise l'essentiel de sa réflexion philosophique, (semble-t-il, pour le béotien que je suis)

Écrit par : hoplite | 21/12/2008

Je viens d'aller sur Amazon et je m'étais à peu près arrêté sur ces deux titres. Donc, plus d'hésitation : faisons chauffer la carte dorée !

Écrit par : Didier Goux | 21/12/2008

ach!! magie du web

Écrit par : hoplite | 21/12/2008

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