01/02/2012
nostalgie
Finalement c’est le silence. Le matin, quelques coups sur la porte, discrets, pour moi seul, pas réveiller les autres ; Je m’habille en silence, engourdi de fatigue et à peine réveillé, maudissant ces réveils matinaux. Café, pain, beurre, recafé, tic tac de la pendule et glou du café qui passe encore, des cris d’animaux dans la nuit et la fraîcheur de l’aube. Parfois une indication ou une interrogation brève si le lieu n’a pas été arrêté la veille au soir. Sinon on parle pas. Chacun vérifie son sac, ses lignes, ses appâts, sauterelles ou teignes et de quoi grignoter à dix heures, en rentrant. Le froid, il est quatre heures et demi, le brouillard au fond de la vallée, bien souvent, l’herbe mouillée, le bruit de la rivière tout prés. Voiture, les phares jaunes de la CX, les virages, les panneaux qui luisent dans la nuit : Nieudan, Saint Victor, Ayrens. Pas grand monde sur la route, personne souvent, quelques étables éclairées, une buse qui s’envole à notre passage. On marche dans les bois, seuls, il fait nuit, les premières lueurs du jour ; il faut arriver tôt, être le premier au bord. L’odeur de l’eau qui court, de terre et d’herbe mouillée, quelques chevaux serrés à la lisière de la forêt, indifférents. Un regard amusé dans ses yeux : « Tu prends quoi ? » C’est un jeu, je prends l’amont, bien sûr. Lui préfère marcher un peu avant de mouiller sa ligne, il est vieux aussi. Moi non, je connais la rivière, chaque courbe, chaque trou, chaque pêche, chaque prise ratée, chaque éclair entrevu, effrayé et perdu. Silence, pas de loup, regarder, sentir l’endroit exact ou elle attend. S’il faut, mettre un pied dans l’eau mais c’est mieux pas, on dérange un ordre silencieux, mystérieux. Je jette, un peu en amont, sans bruit, juste le petit cloc de l’appât qui touche l’eau, la ligne tendue, pas trop, pas de geste brusque, une tension douce qui suit le courant, l’attente du toc de la morsure puis la ligne qui court à contre courant ou sous une souche. Je ferre, un éclair doré prés de la surface, silence toujours, les genoux dans les galets ou sur le sable. Vers dix heures on se retrouve, pas besoin de portable ou d’horaire. « Alors ? » « Ca va, regarde. » On s’assoit et on mange. Ce goût de fruit et de poisson, le sang sur l’opinel, je l'ai encore…Souvent on croise un ravi, un touriste qui débarque, il ne sait pas. Pas besoin de se regarder, on a le même sourire. S’il veut savoir, c’était pas bon aujourd’hui. Jamais d'ailleurs. Le jour est levé depuis plusieurs heures, le soleil est chaud, même, on rentre. On passe en lisière du bois, petite source avec un gobelet en plastique, là où on a trouvé des cèpes l’année dernière. Puis la route, la campagne qui s’éveille, on est fatigué.
11:24 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Merci de nous aider un peu à nous ressourcer... Nous portons tous en nous, planqués dans les recoins de la conscience, de ces "lieux de mémoire". Pour moi ce fut la pêche au maquereau, à l'aube, sur la côte bretonne.
Écrit par : iskander | 01/02/2012
de rien, iskander, il n'y a pas de meilleur refuge qu'en nous-même..
"On se cherche des retraites à la campagne. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d'isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion puisque tu peux, à l'heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part en effet, l'homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s'il possède, dans son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n'entends rien autre qu'un ordre parfait.
(...) Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans ce petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas; mais soit libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, compte ces deux: l'une, que les choses n'atteignent point l'âme, mais qu'elles restent confinées au dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu'elle s'en fait. L'autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t'ont déjà eu pour témoin! Songes-y constamment: le monde est changement, la vie remplacement."
Marc-aurèle (121-180 ap JC), Pensées pour moi-même.
Écrit par : hoplite | 01/02/2012
Oui, ça fait du bien des textes comme ça, sauvages, bucoliques, sonnant comme un jeune ruisseau en fleur d'eau, entre deux autopsies sociétales...
Mais bon Hoplite, user d'un Opinel en plein Cantal, c'est vraiment se foutre le couteau sous la gorge,voire les indigènes sur le dos, non ?
Il y a à Aurillac une belle maison nommée Destannes qui vend de superbes couteaux "d'Aurillac" et d'autres lieux, si vous êtes lassé du Laguiole. (Rassurez-vous, j'ai les trois !) Bien à vous.
Écrit par : Martin Lothar | 03/02/2012
salut martin lothar, je connais bien Aurillac, son café Mary, ses parapluies, sa brulerie de café, ses troquets, ses fromagers..mais pas ce coutelier. il faut dire que les couteaux de toutes sortes m'accompagnent depuis mon jeune âge et pour cause. j'aime bien l'opinel: simple et efficace. j'essayerai de trouver ce coutelier lors de mon prochain passage (à travers échasses et artistes de rue estivaux...)
Écrit par : hoplite | 03/02/2012
Hoplite : j'avoue que j'ai toujours eu un faible pour l'Opinel (même s'il n'a pas de tire-bouchon) : non seulement il est jouissif à tenir (sa rondeur ?) ; bien aiguisée, sa lame est d'une grave efficacité (pour tout oeuvre) ; il est rigolo à regarder et en plus, il est de toute taille. Trop fort ! Bien à vous
Écrit par : Martin Lothar | 03/02/2012
Les commentaires sont fermés.