15/10/2017
tondeuse
« Nous autres, enfants du quatorzième arrondissement, on peut dire qu’on a été libéré avant tous les autres de la capitale, cela en raison d’une position géographique privilégiée. On n’a même pas de mérite. Les Ricains sont arrivés par la porte d’Orléans, on est allé au-devant d’eux sur la route de la Croix-de-Berny, à côté de chez nous. On était bien content qu’ils arrivent, oui, oui, mais pas tant, remarquez bien, pour que décanillent les ultimes fridolins, que pour mettre fin à l’enthousiasme des « résistants » qui commençaient à avoir le coup de tondeuse un peu facile, lequel pouvait – à mon avis – préfigurer le coup de flingue.
Cette équipe de coiffeurs exaltés me faisait, en vérité, assez peur. La mode avait démarré d’un coup. Plusieurs dames du quartier avaient été tondues le matin même, des personnes plutôt gentilles qu’on connaissait bien, avec qui on bavardait souvent sur le pas de la porte les soirs d’été, et voilà qu’on apprenait – dites-donc – qu’elles avaient couché avec des soldats allemands ! Rien que ça !
On a peine à croire des choses pareilles ! Des mères de famille, des épouses de prisonnier, qui forniquaient avec des boches pour une tablette de chocolat ou un litre de lait. En somme pour de la nourriture, même pas pour le plaisir. Faut vraiment être salopes ! Alors comme ça, pour rire, les patriotes leur peinturluraient des croix gammées sur les seins et leurs rasaient les tifs. Si vous n’étiez pas de leur avis vous aviez intérêt à ne pas trop le faire savoir, sous peine de vous retrouver devant un tribunal populaire comme il en siégeait sous les préaux d’école, qui vous envoyait devant un peloton également populaire. C’est alors qu’il présidait un tribunal de ce genre que l’on a arrêté l’illustre docteur Petiot – en uniforme de capitaine – qui avait, comme l’on sait, passé une soixantaine de personnes à la casserole. Entre parenthèses, puisqu’on parle toubib, je ne connais que deux médecins ayant à proprement parler du génie, mais ni l’un ni l’autre dans la pratique de la médecine : Petiot et Céline. Le premier appartient au panthéon de la criminologie, le second trône sur la plus haute marche de la littérature.
Mais revenons z’au jour de gloire ! Je conserve un souvenir assez particulier de la libération de mon quartier, souvenir lié à une image enténébrante : celle d’une fillette martyrisée le jour même de l’entrée de l’armée Patton dans Paris. Depuis l’aube les blindés s’engouffraient dans la ville. Terrorisé par ce serpent d’acier lui passant au ras des pattes, le lion de Denfert-Rochereau tremblait sur son socle. Édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, la fillette avait été abandonnée en travers d’un tas de cailloux au carrefour du boulevard Edgard-Quinet et de la rue de la Gaité, tout près d’où j’habitais alors. Il n’y avait déjà plus personne autour d’elle, comme sur les places de village quand le cirque est parti. Ce n’est qu’un peu plus tard que nous avons appris, par les commerçants du coin, comment s’était passée la fiesta : un escadron de farouches résistants, frais du jour, à la coque, descendus des maquis de Barbès, avaient surpris un feldwebel caché chez la jeune personne. Ils avaient – natürlich ! – flingué le chleu. Rien à redire. Après quoi ils avaient férocement tatané la gamine avant de la tirer par les cheveux jusqu’à la petite place où ils l’avaient attachée au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils l’avaient tuée. Oh ! Pas méchant. Plutôt, voyez-vous, à la rigolade, comme on dégringole des boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés. Quand ils l’ont détachée, elle était morte depuis longtemps déjà aux dires des gens. Après l’avoir balancée sur le tas de cailloux, ils avaient pissé dessus puis s’en étaient allés par les rues pavoisées, sous les ampoules multicolores festonnant les terrasses où s’agitaient des petits drapeaux et où les accordéons apprivoisaient les airs nouveaux de Glen Miller. C’était le début de la fête. Je l’avais imaginée un peu autrement.
Après ça je suis rentré chez moi, pour suivre à la T.S.F la suite du feuilleton. Ainsi, devais-je apprendre, entre autres choses gaies, que les forces françaises de l’intérieur avaient à elles seules mis l’armée allemande en déroute. Le Général De Gaulle devait, par la suite, accréditer ce fait d’armes. On ne l’en remerciera jamais assez. La France venait de passer de la défaite à la victoire, sans passer par la guerre. C’était génial. »
Michel Audiard, Le Figaro-Magazine, 21 juillet 1984. Rivarol 08/09.
http://esprit-europeen.fr/lectures_ldv.html
10:01 | Lien permanent | Commentaires (13)
Commentaires
Petiot avait reussi a se faire passer pour resistant...
Sans un incendie dans son cabinet des horreurs il aurait pu s´en sortir.
Comme quoi le brassart de la resistance s´obtient sans brevet, c´est un etat d´esprit...
C´est une question de timing sans doute.
Écrit par : JÖ | 17/10/2017
Répondre à ce commentaireDe timing et de zèle, zèle dont les récents convertis font toujours étalage...
Le défunt Jean Rochefort je crois était intervenu une fois à la télé, et racontait la façon dont un résistant de la 11ème heure tenait, au lendemain de la "victoire", le bébé d'une de ces femmes par les pieds, "comme un poulet"...
Écrit par : Calliclès | 18/10/2017
https://www.youtube.com/watch?v=TpdsKcMU6p0
Écrit par : JÖ | 19/10/2017
Merci JÖ :)
Écrit par : Calliclès | 21/10/2017
Merci pour ce texte Hoplite.
De sacrés résistants en effet.....
Écrit par : Malko | 18/10/2017
Répondre à ce commentaireMaurice Thorez a passé toute la deuxième guerre mondiale à Moscou. Un grand patriote donc.
"Thorez va revenir pour mettre les FTP au pas. De Gaulle amnistie le secrétaire général du PC en échange du désarmement des milices patriotiques ou de leur incorporation chez de Lattre de Tassigny. Maurice, il était resté en isba près de Moscou pendant la tourmente. Bien sûr, il ne pouvait pas faire autrement, probable que le Petit Père des Peuples avait besoin de ses conseils mais enfin, eux, tous les combattants des Glières, du Limousin, du Cantal, les rescapés du Vercors, les Bretons du maquis de Kersaint, les fidèles de Tillon, les évadés des taules allemandes, les saboteurs du rail, les exécuteurs de traîtres, ce qu’ils avaient risqué tous plus ou moins : les baignoires de Bony Laffont, les fers à souder de la Gestape, les petits matins blêmes au mont Valérien. La discipline, certes, camarades, ils vont vaille que burne s’y plier. La cause prolétariat vaut bien une messe à Maurice Thorez. Il va l’avoir à son retour, le somptueux meeting au Vel d’’Hiv’ où l’Internationale va copuler avec la Marseillaise. Ils vont en becter des couleuvres, les héros de l’ombre, les guenilleux superbes à brassard. Avec le désarmement des milices patriotiques, ça ne fait que commencer..."
Alphonse Boudard – Le corbillard de Jules -
Écrit par : Noone | 20/10/2017
Répondre à ce commentaire"les exécuteurs de traîtres" Mais de quels traîtres s'agissait-il ? Qui était traître à cette époque mouvante ? En fait, on pouvait passer pour traître la veille et devenir héros le lendemain, et vice versa. Alors toutes ces discussions sur la traîtrise à cette époque-là sont vaines.
" Ils vont en becter des couleuvres, les héros de l’ombre, les guenilleux superbes à brassard. Avec le désarmement des milices patriotiques, ça ne fait que commencer..."
Un passage assez comique, "héros de l'ombre", rien que ça pour des individus souvent plus proches du terrorisme de bas étage (tonte de femmes, attaques contre un soldat isolé, etc.) que de ce que l'on pourrait appeler l’héroïsme.
Et comment appeler les bandes communistes "milices patriotiques" ? Est-ce de l'antiphrase ?
Écrit par : Horpor | 21/10/2017
"Après ça je suis rentré chez moi, pour suivre à la T.S.F la suite du feuilleton. Ainsi, devais-je apprendre, entre autres choses gaies, que les forces françaises de l’intérieur avaient à elles seules mis l’armée allemande en déroute. Le Général De Gaulle devait, par la suite, accréditer ce fait d’armes. On ne l’en remerciera jamais assez. La France venait de passer de la défaite à la victoire, sans passer par la guerre. C’était génial."
Ici nous avons, à mon avis, un témoignage clé sur le malheur français après 1945 et qui continue jusqu'aujourd'hui. Parce que le colonel De Gaulle et ses acolytes mentirent à ce sujet, oh combien crucial, ils empêchèrent une discussion honnête sur la guerre que la France venait de perdre et sur les causes de cette défaite.
Ce mensonge, resté longtemps refoulé, a éclaté dans les années soixante-dix et a permis un dénigrement continuel des Français qui dure jusqu'aujourd'hui.
Merci, mon colonel.
Écrit par : Horpor | 21/10/2017
Répondre à ce commentairePffff, vous n'avez pas entravé que Boudard donne dans l'ironie sagace et cynique sur la fin de la guerre et les résistants de la 25ème heure. Voici la suite du bouquin de Boudard :
"Il se réglait de drôles de comptes un peu partout, des personnels, des politiques, patriotiques et trous du cul aussi bien sûr. Ceux qui n’ont pas vécu ces événements, même à travers les livres les plus sérieux, n’y reconnaîtront jamais les leurs. Etaient déclarés collabos, bien souvent, des gens dont on voulait prendre la place, l’appartement, le buffet Henri II, le cosy-corner convoité. Par contre, de fieffés malfrats, auxiliaires de la Gestapo, se pavanaient patriotes couverts de galons, de brassards, de médailles. Au sein de la Résistance, il y avait des conflits sournois, surtout entre les gaullistes et les communistes. Dans notre unité, la colonne « tactique Lorraine », c’était en majorité des FTP, presque tous les cadres membres du Parti, un embryon d’Armée Rouge française. On s’y croyait déjà qu’on était les maîtres ! On avait perdu notion qu’à Paris de Gaulle avait tout de même pris les rênes vaille que vaille, qu’il contrôlait petit à petit la situasse. Tout ça explique un peu la suite, le modus vivendi, les arrangements provisoires entre le PC et le Général. Toutefois, la plupart des petits lascars à mitraillette, tous les vrais champions de la Sten … eux, ils se voyaient déjà justiciers à Paris. Ils piaffaient tous du Grand Soir !
Y’avait tout le reste, les petites affaires épuratives, des équipes spécialisées dans la chasse aux collabos, la chasse aux maréchalistes, sur tout le territoire ça s’en donnait qui mieux mieux la délation, des lynchages, toutes les mémères suceuses de bites teutonnes, ou prétendues telles, tondues, les fusillades au coin de la rue, à l’orée des bois de justice expéditive, ça se bégalait de la mitraillette. Cette période, j’ai gardé pour tout le restant de mes jours l’évidence que les hommes tout leur est bon pour se déchaîner leurs instincts sanguinaires. Les idéaux ne sont que des prétextes, l’essentiel c’est de poser des bombes, de violer la petite fille du voisin, pirater la commode Louis XV, humilier son semblable. Ce qui est le plus difficile à traverser, ces sortes de parenthèses de paix, d’abstinence, on s’y ennuie ferme et on fermente. Mais l’homme a des ressources utopiques, philanthropiques, des petites doctrines qui vont vous faire le bonheur universel, il finit toujours par se trouver une nouvelle bonne cause pour laquelle tuer, faire sauter la bombe sur le paillasson, brûler les panards des récalcitrants. En plus il se sent héroïque, il a le frisson, il défend les opprimés, il se sent généreux, il plane......."
Écrit par : Noone | 21/10/2017
Merci pour ce complément de texte. Fort intéressant et, oserai-je dire, fort drôle : "l'armée soviétique française", rien que ça ! Alors que les Américains les auraient écrasés comme des blattes, si cela leur devait être nécessaire.
Et aujourd'hui, la plupart des braves descendants de ces soldats 'franco-soviétiques' sont en train de vivre un enfer éternel dans leurs cités communistes de la couronne parisienne. Que j'en ris, oh mon Dieu, que j'en ris. J'espère au moins que certains ont encore gardé la commode Louis XV que papy communiste a expropriée à quelque méchant adversaire.
Écrit par : Horpor | 21/10/2017
"De Gaulle et ses acolytes mentirent à ce sujet, oh combien crucial"
Au final on a cumulé tous les inconvénients de la défaite et de la victoire réunis, mais sans pouvoir profiter d'aucun de leurs avantages. Impossible de capitaliser sur l'un ou l'autre pour aller de l'avant. Position merdique propice aux névroses.
Et la légende de la "vraie France à Londres" déplace simplement la honte de la défaite sur Vichy, rend 4 ans de collaboration, l'attitude des français à cette époque, incompréhensible. Au final vos grands parents perdirent ET furent des traitres. Super
Ce serait peut être malgré tout gérable car à leur décharge ce coup de bluff était aussi motivé par la volonté de bloquer les plans des "alliés" de profiter de la libération pour démonter la France en 4. Au fond comme ce fut le cas pour l'armistice 4 ans plus tôt. Mais pour le dire il faudrait sortir du manichéisme sur le 2ème GM. Et là ça en prend pas du tout le chemin.
« s'il y avait eu plus de Darnand en 1940, il n'y aurait pas eu de miliciens en 1944 »
Plus de Darnand en 40 = pas de milice en 44.
Écrit par : Cotuatos | 23/10/2017
https://www.youtube.com/watch?v=CQw3KSYD3ns
Écrit par : Mistersmith | 22/10/2017
Répondre à ce commentairepour avoir une vue plus large du problème ... (cliquez sur les flèches en bas de page pour aller à la suite) essayer de comprendre n' est pas adhérer au "gaullisme" .
https://www.theatrum-belli.com/geopolitique-de-lami-americain-jean-francois-fiorina-sentretient-avec-eric-branca/
Écrit par : EQUALIZER | 29/10/2017
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