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25/08/2009

kurtz

Dans cet «opéra filmique» qu’est Apocalypse now (selon Coppola lui-même) le capitaine Willard (Martin Sheen, autrement crédible que son crétin de fils et qui remplaça Harvey Keitel après quelques jours de tournage) remonte le fleuve à la recherche du colonel Kurtz. Pour le tuer. Pour ses méthodes malsaines… Le personnage de Kurtz, directement inspiré du Cœur des ténèbres, de Joseph Conrad (il porte du reste le nom même que le romancier avait donné à son héros), échappe d’emblée à la dimension historique du récit et se revêt d’une grandeur surnaturelle, nietzschéenne.

Sa démence n’a rien à voir avec les misérables obsessions, l’hubris purple haze des autres militaires du film. Elle est chargée d’un sens positif : c’est celle d’un inspiré, d’un initié. Celle de l’ange exterminateur, du prophète. Kurtz a vu l’horreur –les petits bras coupés, les civils assassinés, abandonnés, le meurtre gratuit, la barbarie, plus encore l’horreur de l’engagement total, du don de soi qui lui fait dire que quelques centaines de ses hommes suffiraient à changer le sort du conflit- l’horreur qui est peut-être la vérité de notre époque, comme le langage de la folie est peut-être le langage même de cette vérité.

L’itinéraire du capitaine Willard est typiquement conradien, marqué d’un pessimisme qui appartient bien en propre à l’auteur de Lord Jim (et jusque dans la métaphore existentielle du bateau), et évoque cette impossibilité du retour à la pureté originelle, au travers de la remontée du fleuve, thème qui est aussi celui de Délivrance, de John Boorman, dont le scénario n’est pas sans analogie avec celui d’Apocalypse Now.

Comme chez Boorman, la remontée du fleuve est une remontée dans le temps, et l’état sauvage, l’état de nature font progressivement retour à mesure que le bateau approche du terme de sa course (flèches, javelots, peintures du visage, puis du corps entier). Mais, toujours comme dans Délivrance, c’est le visage de l’horreur qui se découvre derrière celui de la nature originelle. Et le meurtre du père dans celui de Kurtz au cours d’une scène dont la signification de mise à mort rituelle est suffisamment soulignée par le montage (sacrifice d’un buffle).

Kurtz a revêtu le costume des bonzes, il a le crâne rasé, il est devenu partie intégrante de cette réalité ancestrale, qui nous ramène à l’aube de l’humanité. Un Père pour lequel l’amour, après l’admiration, n’a cessé, à mesure qu’il le connaissait mieux, de grandir chez Willard. Celui-ci avait le devoir de tuer. Devoir d’autant plus impérieux que le Père appelait, désirait la mort de cette main filiale.