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09/10/2007

Guevara, l'enfer du mythe.

 

Chacun pourra le constater, les vingts ans de la mort du révolutionnaire Guevara sont l'occasion d'un nouvel éloge panégyrique de ce personnage sombre et torturé aux mains rouges du sang des Cubains (entre autres).

Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).

C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..

J'ai écrit ce post il y a quelques mois, il est toujours d'actualité; c'est donc mon hommage personnel au criminel Guevara.

La jeunesse et les voyages.. qui la forment.

Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. Les témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros ; Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie.

Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse chaotique.

Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).

Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.

La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)

Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.

Guérilla et révolution

Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prés à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).

Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. Nommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes au combat exceptionnelles, à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous/ et les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.

A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Il est surnommé "carnicerito" (le petit boucher) pour son implication drecte dans la torture et le meurtres de nombreux cubains, le cigare au bec.

Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir

Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.

Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers !

Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.

 

Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.

Fin d’un révolutionnaire

Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la  Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans continue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) ! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa bonté et sa générosité…

Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.

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(1)   La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.

(2)   Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.

(3)   Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.

(4)   Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.

(5)   Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.

(6)   E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.

(7)   E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.