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17/12/2013

Anatomie du chaos n+1: qui est Ruth Elkrief?

Les chaînes d’information en continu sont le pendant « mainstream » de l’Internet dans le bouleversement du rapport à l’information qui s’est opéré en France ces quinze dernières années. Venu des États-Unis, ce format a vu en France l’émergence d’un visage, celui de Ruth Elkrief. Officiant d’abord sur LCI, puis BFM TV, elle occupe sur la « première chaîne d’info de France » la tranche stratégique, celle de 19h, à l’heure où les Français rentrent du travail. Le Nouvel Observateur (mai 1996) écrivait : « Ruth Elkrief appartient à cette catégorie de journalistes dont Michèle Cotta fut la pionnière. Un subtil dosage de féminité et d’opiniâtreté, un sourire qui, bien mieux que le rictus crispé de ces messieurs les baroudeurs, dissimule le goût de la précision et la passion de l’investigation. À ce profil impeccable correspond un parcours sans fautes. » Retour sur le « profil » d’un « parcours sans fautes ».

La très pieuse communauté juive de Méknés

Ruth Elkrief est née le 1er décembre 1960 à Meknès (Maroc). Dans un entretien méconnu au journal communautaire Alternances (24 juillet 1991), elle avouait son désir lorsqu’elle avait dix ans : « Être espionne. » Elle a finalement choisi le journalisme parce que c’était « une profession assez proche ». Elle est la fille de Marie-Louise (née Rouach) et de Joseph Elkrief (décédé en juillet 2009), directeur d’agence de vente d’automobiles. Elle a un frère (Guy) et une sœur (Danielle). La famille s’est installée en métropole, à Saint-Cloud, lorsque Ruth avait quatorze ans.

« Fière de ses origines, indique Tribune juive (7 janvier 1993), elle est issue de l’importante communauté de Meknès, au Maroc. Elle reste attachée en toutes circonstances à la tradition, et pour cause ! Son grand-oncle n’est autre que le rabbin séfarade de Jérusalem, Chalom Messas. Une bénédiction merveilleuse pour son mariage avec un juif ashkénaze d’origine polonaise, dont elle tait le nom. » Elle a confié à Alternances (24 juillet 1991) ses préférences :

« Je suis juive marocaine, installée en France depuis une vingtaine d’années. Il est évident que j’assume très clairement mon identité. J’appartiens à un groupe, à une communauté, mais aussi à un pays, la France. »

Elle est donc la nièce au second degré de David Messas (né le 15 juillet 1934 et décédé le 20 novembre 2011), ancien Grand Rabbin de Genève, et Grand Rabbin de Paris de juin 1994 jusqu’à son décès. Succédant à Alain Goldman, il était lui aussi né à Meknès, n’étant autre que le propre fils du Rav Rya Chalom Messas (13 février 1909-12 avril 2003), qui fut Grand Rabbin de Jérusalem à partir de 1978.

La famille Messas, précise L’Arche (mai 1995), « a donné au judaïsme tant de rabbins et d’érudits de la Torah, ses ancêtres servirent les communautés d’Espagne et d’Afrique du Nord ». Élève au Maroc, David Messas fut « le disciple de yeshivot (écoles religieuses israélites) installées en France même [NDA : à Aix-les-Bains], où il a recueilli l’enseignement de rabbins ashkénazes » (L’Arche, mai 1995). Il a exercé des fonctions de responsabilité ou dirigé le lycée israélite de Tanger, la yeshiva de Casablanca, puis, appelé à Paris en 1967 par le président du Consistoire Alain de Rothschild, il devient directeur du Centre Edmond Fleg, de l’École Maïmonide et du Toit familial.

Ce n’est que sur le tard qu’il décide de se consacrer entièrement au rabbinat, obtenant son diplôme de séminaire en 1983. Il fut alors le responsable de la synagogue Brith Shalom de la rue Saint-Lazare avant d’être appelé à Genève en 1989. Son élection fut un tournant dans la communauté juive française puisque pour la première fois, avec le maintien comme Grand Rabbin de France de Joseph Sitruk, aucun ashkénaze n’était aux commandes d’un des deux principaux postes du culte israélite en France. Conséquence logique du fort apport des juifs d’Afrique du Nord au début des années soixante et de la radicalisation intégriste de la communauté séfarade.

Avant même son élection, il annonçait sa volonté de « ne pas transiger avec les exigences de la halakha (loi juive) ». Et lors de son installation solennelle, en avril 1995, il dégagea les cinq points de son programme (Actualité juive, 13 avril 1995) :

« Garantir le respect des préceptes de la Torah, renforcer la vie communautaire, réfléchir à l’attitude de la Torah vis-à-vis de la Communauté, soutenir Israël et, enfin, perpétuer la mémoire. »

Pour comprendre très exactement ce qu’il entend, il faut écouter son étonnant avis (L’Humanité, 22 août 1997) sur les Journées mondiales de la jeunesse à Paris en 1997, où la dernière messe fut célébrée par le pape Jean-Paul II, au bois de Boulogne :

« Nous restons, il est vrai, très vigilants. Tout ce qui est populiste peut être quelquefois dangereux… Quand on réunit des milliers de personnes pour faire passer des idées, on oublie ce qui est logique, et on se fonde sur ce qui est affectif. D’où le danger de mobiliser autant de personnes autour de certains thèmes suspects qui ne répondent pas toujours aux exigences de l’éthique et de la morale. Tous les despotes qui veulent faire passer un message ne le font pas à travers la critique et la raison […] D’où la responsabilité formidable dans cette manifestation des leaders religieux. Ils se doivent d’être d’une objectivité exemplaire, face à une multitude mue par l’enthousiasme. »

L’Arche, à son élection, précisait que « la France – et singulièrement la région parisienne – est devenue le creuset où s’élabore le portrait et la physionomie du Juif nouveau, épanoui, conscient de ses traditions ancestrales et enraciné dans un judaïsme authentique et fidèle à ses origines »

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(De g. à d.) David Messas, Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë et Roger Cukierman au dîner du CRIF en 2003

Une journaliste communautaire…

Un portrait qui correspond parfaitement à Ruth Elkrief, qualifiée de « journaliste impeccable » par le supplément télévision du Nouvel Observateur (mai 1996) et qui a pris pour modèle Anne Sinclair.

Par ses origines et ses études, elle parle couramment l’anglais, l’espagnol, l’arabe, le français et l’hébreu. Proche du Bétar lorsqu’elle était étudiante, elle est titulaire d’un diplôme d’études approfondies de sciences politiques (1983, étude sur l’élection municipale de Sèvres) et est également diplômée du Centre de formation des journalistes de Paris et de l’Institut d’études politiques de Paris (promotion 1984, PES 1981). Plus tard, elle enseignera le journalisme à l’IEP de Paris (2004).

Elle a épousé Claude Czechowski, rencontré en 1991, dont elle a eu deux filles. Ce dernier était jusqu’en février 2013 responsable du conseil et de l’intégration des systèmes pour la région EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique du Sud) et dirigeant des activités internationales de l’entreprise américaine Computer Sciences Corporation, un des leaders mondiaux des services informatiques. Très liée à la CIA (services secrets américains), cette société est notamment accusée « d’avoir aidé à organiser des vols secrets du gouvernement américain de personnes suspectes de terrorisme » vers des bases secrètes américaines situées principalement en Europe [1]. En juillet 2013, il a crée une nouvelle société CC Consulting, spécialisée dans le conseil en stratégie, l’organisation et le développement d’entreprises. Depuis septembre 2013, il est senior advisor de Bain Consulting et du groupe Steria.

Ruth Elkrief a quant à elle débuté sa carrière (avant même d’être diplômée du CFJ) au mensuel officiel de la communauté juive de France, L’Arche, avant de collaborer étroitement à Radio Chalom (aujourd’hui sur la même fréquence que Radio J, Judaïques FM et RCJ) lancée en juin 1981 par Serge Hajdenberg (aux côtés de Claude Askolovitch, Sylvain Attal, Daniela Lumbroso ou encore Frédéric Haziza, cf. Les Guerriers d’Israël, Emmanuel Ratier, 1995), ce qui suppose un net engagement communautaire.

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