02/03/2009
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Ce nom, bien qu’il soit moderne, même modernissime, est emprunté au latin. En latin, discriminatio était en usage dans la grammaire et dans la rhétorique où il signifie « séparation ». Le nom français discrimination est attesté pour la première fois chez le psychologue Ribot dans la seconde moitié du XIXe siècle : Littré le relève dans le supplément (1877) de son Dictionnaire de la Langue française. En revanche, le mot anglais discrimination, lui aussi emprunté au latin, est plus ancien, puisqu’il est attesté en 1646 dans le New English Dictionary.
Selon Littré, c’est un terme de psychologie qui désigne une des plus hautes facultés humaines, celle-là même qui définit l’intelligence : la « faculté de discerner, de distinguer », écrit Littré, qui cite Robot : « ce changement d’état par lequel la conscience passe d’une modification à une autre, c’est la discrimination, et c’est le fondement de notre intelligence ». Ce nom est relevé dans la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1932-35) avec le seul sens de « action de distinguer avec précision ». Le sens est positif, comme cela apparaît dans les exemples : « faire la discrimination de telles ou telles choses mêlées », « il y a là une discrimination difficile à opérer ».
Un second sens se développe dans les années 1960 sous l’influence du nom anglais discrimination et du verbe anglais to discriminate qui ont l’un et l’autre deux sens, l’un positif, l’autre négatif (between good and bad books : make a difference between good and bad books ; against someone : treat differently somebody). Ce sens défavorable est étranger à l’histoire et à la civilisation de la France. Cela n’a pas dissuadé les Académiciens de le relever dans la neuvième édition (en cours de publication) du Dictionnaire de l’Académie. A « action de distinguer deux ou plusieurs éléments d’après les caractères distinctifs » (« discrimination entre le vrai et le faux »), ils ont ajouté « action de distinguer une personne, une catégorie de personnes ou un groupe humain en vue d’un traitement différent d’après des critères variables ». Le premier exemple reformule l’article 2 de la Constitution (« la loi s’applique à tous sans discrimination ») ; les deux autres exemples sont, le premier, métaphorique (« la discrimination sociale »), le second, propre aux Etats-Unis ou à l’Afrique du Sud ou à tout pays régi par l’apartheid (« la discrimination raciale »).
Dans le Trésor de la Langue française (1972-1994), ce qui discrimine (id est distingue) les deux sens, c’est l’absence ou la présence d’un « traitement inégal ». S’il n’y a pas de « traitement inégal », le sens est positif, comme dans « il est nécessaire de faire une discrimination entre des documents de valeur inégale » ; sinon, il est défavorable, quand des personnes en sont la cible : « souvent péjoratif : traitement différencié, inégalitaire, appliqué à des personnes sur la base de critères variables », comme dans les exemples « on a pu reprocher aux syndicats d’exercer à leur tour une discrimination devant les demandes du personnel, selon qu’il est syndiqué ou non » et « le gouvernement australien établit une discrimination raciale en n’acceptant que des blancs ». Les auteurs de ce Trésor n’ont pas trouvé dans la loi d’exemples qui pourraient illustrer ce sens : seulement au sujet de l’Australie ou des habitudes un peu mafieuses des syndicats. Le succès de ce nom en France, pays où les discriminations n’ont pas d’existence et où discrimination devrait avoir conservé le seul sens qu’il avait en 1877, tient à l’extension de termes de droit (ce qu’est en anglais une discrimination) à des « faits » - c’est-à-dire à des constructions sociologiques a posteriori dont la seule vertu est de diaboliser ce sur quoi elles s’appliquent.
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