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16/06/2008

Prolétarisation

"Donnez-moi vos enfants, dis le système aux parents de tous les milieux. Peu importe qu’ils soient riches ou pauvres, que vous-mêmes soyez cultivés ou incultes : j’en ferai des petits bourgeois prolétarisés comme tout le monde, ignorants, sans usage, sans syntaxe, bien-pensants, anti racistes et bien intégrés."

 

"Qu’entre les riches et les pauvres la seule différence soit désormais l’argent entraîne, parmi plusieurs autres conséquences inattendues, une précarité sociale considérablement accrue des classes privilégiées elles-mêmes qui, de ce fait, n’ont plus le temps d’être des classes, justement, ni, partant, de remplir leur rôle social et culturel. Jadis, une famille qui avait appartenu un certain  temps à la classe privilégiée pouvait maintenir ce statut sur plusieurs générations même après l’effondrement de son niveau économique. La ruine, au temps de la noblesse, mais encore à l’époque bourgeoise, c’est-à-dire jusqu’au dernier tiers du siècle dernier, n’entraînait pas le déclassement social, ou seulement très lentement, parce que l’appartenance de classe n’était pas uniquement déterminée par le niveau de revenus mais aussi par le niveau culturel et la maîtrise plus ou moins grande de certains codes portant sur l’attitude, le vêtement et, au premier chef, sur le langage. En société déculturée, en revanche, ou post culturelle, ou néo culturelle –si l’on peut désigner par cette expression une société ou le mot culture a totalement changé de sens et ne désigne plus que les habitudes des uns et des autres, et tout spécialement les habitudes liées au loisir et au divertissement- , en société néo culturelle, donc, l’effondrement économique d’une famille entraîne ipso facto son effondrement social immédiat, ou du moins d’une génération à l’autre. Le rejeton d’une famille « distinguée » et cultivée peut très bien, s’il ne s’est pas intéressé à ses études, s’il n’était pas doué pour elles et s’il n’y a pas réussi, envisager très sérieusement, et même avec impatience et envie, d’être vendeur dans un magasin de chaussures ou chef de rang dans un restaurant ; et réclamer, s’il vient à mourir, qu’à son enterrement on fasse entendre un enregistrement de Sheila ou Dalida."

 

"(…) La prolétarisation ambiante, si sensible culturellement en tous les quartiers et toutes les sous-sections de l’énorme petite bourgeoisie centrale, fait de spectaculaires apparitions, à titre d’emblème, jusqu’au sein du pouvoir, par le biais du langage des ministres, dont plusieurs s’affranchissent délibérément de la contrainte, jusqu’alors à peu prés observée, au moins dans l’exercice de leurs fonctions, de l’usage d’un langage tiers, et affichent leur soi mêmisme enthousiaste en donnant expressément leur unique souci d’être et de rester eux-mêmes (qu’on aurait pu croire, sinon tout à fait contraire à la dignité ministérielle, du moins parfaitement secondaire par rapport à elle) comme le motif ou la justification de leurs phrases relâchées ou de leurs mots orduriers. Sous sa forme culturelle (au sens si volontiers contre culturel du terme) elle se manifeste même au plus haut niveau de l’Etat, non seulement dans les amitiés affichées du président de la République avec les acteurs les plus en vue du cinéma populaire et commercial, dans son intimité chaleureuse avec le milieu qu’on eut appelé jadis de la télévision du samedi soir (mais c’est désormais samedi soir tous les soirs, à la télévision, et toute la journée), mais mêmes dans ses allocutions les plus solennelles, comme celle ou sous la coupole du Capitole, à Washington, il invoque Elvis Presley ou Marilyn Monroe afin de souligner les liens de sa génération (entraînée toute entière à sa suite en un mouvement rhétorique typique de l’impérialisme culturel petit-bourgeois) avec les Etats-Unis d’Amérique. Le tropisme culturel prolétarisant est ici d’autant plus manifeste qu’il se donne à voir et à entendre dans la bouche du chef d’Etat d’une vieille nation de haute et grande culture, bien sur, mais aussi d’un personnage dont on nous rappelle volontiers l’origine aristocratique, il est vrai peu frappante."

 

"(...) Que, de façon générale, et avec toutes les exceptions inviduelles qu'on voudra, au premier rang desquelles celles du génie, il faille deux ou trois générations pour faire un individu tout à fait accompli culturellement, voila bien, quoique c'ait été la conviction tranquille de presque tous les siècles avant les nötres et de la plupart des civilisations, le genre d'opinions qui ne sauraient en aucune façon être reçue parmi nous. S'il était avéré qu'hérédité et culture fussent étroitement liées, on préférerait encore sacrifier la culture, par horreur de l'hérédité, antidémocratique par excellence dés lors qu'elle revêt la forme d'un privilège. Or, c'est à peu prés ce qui est arrivé, car le lien est bel et bien attesté, comme en atteste à l'envie tout le vocabulaire métaphorique gravitant autour du mot culture: héritage, patrimoine, transmission, etc.a La culture est la culture des morts, des parents, des grands-parents, des aieux, des ancêtres, du peuple, de la nation.; et même de cela qu'on ne peut même plus nommer, d'autant qu'il est convenu qu'elle n'existe pas,  la race. Celle-là, il est significatif qu'elle soit interdite de séjour. Mais, à travers elle, entraîné dans sa chute et dans sa proscription, c'est tout ce qui relève de la lignée, de l'héritage, du patrimoine qui est visé; et la culture, par voie de conséquence, qui est atteinte."

Renaud Camus, La grande déculturation, Fayard 2008, p.146.

Commentaires

Très bon passage.

De nos jours, même si le père a réussi intellectuellement, professionnellement et socialement, ses enfants sont souvent paumés, vulgaires, paresseux, incompétents, mal élevés, drogués, voire même carrément stupides. Cette incapacité à transmettre les valeurs de base de l'ancienne génération à la nouvelle me semble relié au phénomène de déculturation dénoncé par Renaud Camus.

Si a contrario on reconnaît que la culture est importante, et qu'on conçoit les institutions d'éducation principalement pour la transmettre, alors même les enfants qui n'ont pas la bosse des affaires ou des maths ne seront pas des paumés.

Écrit par : Gaston Phébus | 16/06/2008

@gaston P, c'est vrai. et ce quelque soit, en principe, le milieu social.
tout dépend en fait de l'importance que l'on accorde à l'éducation des enfants et à leur instruction.

Écrit par : hoplite | 16/06/2008

Bonjour,

d'où l'importance de faire comprendre que l'éducation relève du devoir parental avant toute chose : les professeurs sont là pour instruire les enfants, pas pour les éduquer.
Que l'on passe ensuite son temps à corriger certaines "idées" venues de "l'Instruction publique" est presque secondaire et prouve au moins que l'on parle à ses enfants.

Écrit par : Sartoris | 17/06/2008

@sartoris, je crois, hélas, que c'est foutu pour qques générations. puis ça reviendra..

Écrit par : hoplite | 17/06/2008

Je suis d'accord que l'éducation relève du devoir parental avant toute chose. De toute façon, si l'éducation d'un gosse est loupée, dans vingt ans ça n'est pas le prof qui va en subir les conséquences. Lui, ça fait longtemps qu'il est parti. Ce sont les pauvres parents qui vont se faire du mauvais sang pour leur grand fils qui a mal tourné.

Déléguer une partie de l'instruction à un enseignant professionnel dans le cadre de la division du travail, je veux bien, mais si les parents abdiquent toute responsabilité, tôt ou tard ça leur reviendra dans la figure, il faut bien qu'ils le comprennent.

Écrit par : Gaston Phébus | 17/06/2008

Pardonnez-moi, cher ami, mais vos guillemets, tels qu'ils sont disposés, donnent l'impression que seul le premier paragraphe est une citation et que le reste est de vous. (Le lisant, je me disais : il est gonflé, tout de même, de repomper Renaud Camus à ce point !)

Pour le reste, je n'ai pas, je crois, besoin de dire que j'adhère totalement à ce texte, comme à l'ensemble du livre dont il est tiré.

Je suis moins d'accord avec le concept camusien de "dictature de la petite-bourgeoisie". J'en ai déjà parlé avec lui et il avait fini par me dire que mes objections étaient similaires à celles que lui faisait Finkielkraut. Je n'étais pas peu fier...

Écrit par : Didier Goux | 17/06/2008

salut didier. l'ensemble est bien sur de renaud camus et les guillemets sont de lui aussi
mais je vais corriger cette apparence trompeuse.
parlez nous de cette controverse avec Camus au sujet de la dictature de la petite bourgeoisie?
à+

Écrit par : hoplite | 17/06/2008

Cher ami,

la "controverse" s'est en partie déroulée sur le site de la SLRC, mais j'ai la flemme de rechercher dans les archives du forum, pour se poursuivre (brièvement) au cours d'un dîner que nous fîmes à Lectoure. Si cela vous amuse, le récit de mes différentes rencontres avec Renaud Camus se trouve ici :

http://didiergouxter.blogspot.com/search/label/Chemins%20de%20Travers

Écrit par : Didier Goux | 18/06/2008

passionnant cher didier
félicitations pour ces belles fréquentations!
je suis loin d'avoir lu toute l'oeuvre de ce grand écrivain, hélas. ça viendra!

Écrit par : hoplite | 18/06/2008

Bonjour,
Renaud Camus est cohérent dans son discours. Il évoque la suprématie "culturelle" de la petite bourgeoisie dans son livre "Du Sens" paru en 2002.

Écrit par : Proton | 20/06/2008

salut proton
oui, mais si j'ai bien compris camus, il s'agit d'une nouvelle classe bourgeoise, prolétarisée (culturellement et socialement), pétrie d'inculture heureuse et ayant renonçé à transmettre un quelconque "héritage".

Écrit par : hoplite | 20/06/2008

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