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10/09/2008

Homère ou Harry Potter?

Les rares discussions que je peux avoir avec quelques amis –choisis et alcoolisés comme il se doit- ou les échanges –plus virtuels et moins alcoolisés ceux-là- avec des internautes sur quelques forums ou blogs, comme celui de Rocard, me laissent régulièrement perplexe.

Au fond c’est toujours une approche culturelle, civilisationnelle, qui me permet de trancher et de me déterminer, quel que soit l’objet de la discussion. Par exemple à l’égard de l’intégration de la Turquie à l’union européenne (qui n’est plus une communauté, vous l’aurez noté…). Or je m’aperçois que la plupart de mes contemporains n’ont pas cette approche identitaire, voire même qu’elle parait suspecte au plus grand nombre.

vigneronfk1.jpgAlors je me dis que cette vision des choses, du monde, est peut être obsolète, simplement désormais inopérante au regard de cette globalisation uniformisatrice, de cet univers réifié et régi par l’idéologie du même…Que ce concept de plurivers qu’évoquaient Carl Schmidt et Julien Freund est mort.

Quel sens peut-il y avoir à parler d’Homère à des personnes dont l’univers culturel se borne à Harry Potter et au dernier blockbuster américain et dont l’activité essentielle se résume à travailler plus pour gagner plus ? Est-il encore pertinent de parler de différenciation culturelle à des masses toujours plus aliénées, anomiques et incultes, noyées dans une conception anthropologique toujours plus utilitariste et régies par le culte de l’avoir?

Je me demande si cette évolution anomique, ce refus de toute considération identitaire n’est pas simplement le propre de la pensée occidentale post moderne et notamment européenne, traumatisée par un siècle de massacres sans précédents, de guerres civiles atroces, de totalitarismes progressistes… Si le reste du monde n’a pas justement conservé cette vision civilisationnelle, communautaire, traditionnelle de son existence. Probablement.

Je place le monde anglo saxon à part. Les USA ne sont pas atteint par cette évolution vers l’indifférencié. Au fond les américains qui se sont toujours construits et pensés contre la vieille europe (cette anti-europe dont parlait Jacques Rupnik), restent convaincus d’être le peuple élu, chargé d’établir la nouvelle Jérusalem, susceptible de régénérer l’humanité entière. Une conviction messianique forte de représenter la société parfaite et de devoir la faire partager –de gré ou de force- au reste du monde. Ce qui est bon pour l’Amérique est forcément bon pour le reste du monde. « Comment peut-on nous haïr », se demandait G Bush jr ? Oui, comment est-ce possible d’être haï lorsque l’on a le sentiment d’incarner la perfection ?

La question que peut se poser l’européen, et le reste du monde d’ailleurs, est de savoir s’il finira en avatar de l’américain moyen, sorte d’homo économicus ou en bon indien.

Et cela n'est pas de l'anti américanisme primaire. J'anticipe..

(photo: lever le coude, une vieille tradition communautaire Française...)

Commentaires

On peut peut-être interpréter la modernité européenne comme une tentative de supprimer les considérations identitaires au profit, disons, du Capital ou de la Technique. Dans un chapitre (trop court) du Palais de Cristal, mais édifiant pour un jeune idéaliste/conservateur, Sloterdijk débusque la naissance de la logique de l'assurance derrière les premiers voyages inter-continentaux. Une façon de placer notre déploiement mondial sous le signe du capitalisme avec toutes ses conséquences psycho-politiques, bien sur.

Cela fait longtemps, quoiqu'il en soit, que nous ne raisonnons plus depuis une terre ou même depuis une tradition comprise comme telle (au sens de Arendt disons). Je ne pense pas que notre jeunesse soit lassée des massacres: elle est simplement le stade évolutionnaire annoncé jusque dans le national-socialisme. Elle n'est pas le fruit d'une mémoire, mais d'un processus plus profond qui traversait déjà le Bauhaus et les grands centres berlinois de la Marchandise - l'information de notre monde par la Raison extirpée de l'homme et recomposée comme son environnement.

Le traumatisme est venu après le nouvel homme européen, et non l'inverse, à mon sens. Des discussions, lors des repas de famille, me donnent aussi de bonnes raisons de le penser. Ma grand-mère, qui a vu les trains revenir d'Allemagne, n'en a pas développé de névroses particulières (et dès Freud, le trauma n'est pas lié à l'horreur rationnelle des évènements). Au contraire, cela semble être tout à fait insupportable (de principe) pour mon neveu... justement parce qu'il en est contesté dans son essence. C'est son époque qui est attaquée, non par la 'barbarie' passée, mais par l'Idée de la dernière guerre mondiale: une humanité solide, un culte de la Volonté, une métaphysique absolue - quand il aspire à la liquéfaction généralisée et à la dépolitisation.

Industrie contre Finance, en fait.

Écrit par : Metanoïa | 11/09/2008

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