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14/07/2009

bastingage

malaparte.jpg« Une catastrophe ». Si je devais retenir un mot, une expression utilisée par tous ceux qui me décrivent leur métier, leurs milieux professionnels, leur vie depuis 30 ou 40 ans, ce serait celle-là : une catastrophe. J’aime bien causer avec mes patients, leur faire raconter leur vie, leur métier, chaque fois des trajectoires singulières, uniques, parfois banales mais souvent émouvantes voire tragiques. Telle femme au parler germanisant née en avril 1945 à Berlin ( !) qui raconte avec difficultés les horreurs vécues par ce peuple condamné par l’histoire et qui m’évoquent immédiatement ce Journal d’une femme à berlin. Telle autre, née pendant la guerre aussi en Ukraine, traversant, seule avec sa mère, l’europe Orientale en feu, embarquant par miracle avec quelques milliers d’autres civils dans l’enfer de Memel, sous le feu des Soviétiques, et faisant surgir Grossman et ses Carnets de guerre ou Guy Sajer devant mes yeux; aujourd’hui grand-mère tranquille et douce élevant ses petits-enfants dans le sud de la France. Tel autre, rescapé des combats de la RC4, prisonniers des viets et trimbalé dans la jungle, blessures ouvertes nettoyées par les vers ( !), échangés en 1955 contre d’autres prisonniers et rapatrié en métropole, débarquant dans le port de Sète sous les insultes et les crachats de militants communistes…aujourd’hui bon pied bon œil, me donnant des conseils sur la culture du géranium. Je n’invente rien, il suffit de gratter un peu, de montrer qu’on s’intéresse à leur histoire. Et il y a de quoi, bien souvent.

Et donc, une catastrophe. Les enseignants notamment ceux qui partent bientôt en retraite ou déjà retraités qui ont vu monter les nouvelles générations d’élèves et de collègues. Pas question de généraliser ou de jouer au sociologue de bistrot mais le consensus est écrasant : des élèves de plus en plus incultes, irrespectueux, arrogants et violents et des profs également incultes ou faisant le minimum, ayant intériorisé la faillite du système éducatif mais ne rechignant pas à accompagner les fossoyeurs du système dans les cortèges syndicaux… Récemment une femme magistrate, me décrivant la lente démission des autorités judiciaires montantes et leur indigence quotidienne, relachant à tours de bras quantités de chances pour la France, multirécidivistes et toujours plus haineuses, au grand dam de flics castrés et sommés d’écrire un rapport en 12 exemplaires dés qu’ils sortent leurs flingue. Plus prés de moi, mes collègues médecins, jeunes ou moins jeunes. Moi-même, certainement. (Comment y échapper ?)

Partout ce sentiment de déclassement, de décivilisation, d’ensauvagement de classes professionnelles et sociales, véritables élites d’une nation (rien à voir avec les « élites » au sens progressiste ou Sarkosyste du terme, cette ploutocratie arrogante arrimée aux valeurs les plus vulgaires de la bourgeoisie triomphante).

Entendons-nous, je ne suis pas décliniste (n’étant pas progressiste), je ne crois pas que cela ait été forcément ou systématiquement mieux auparavant. Ni demain... Il n’y a pas de sens de l’histoire, seulement des cycles.

Mystérieux, tout ça ! Faut des antennes pour percevoir ces petits signes qui disent une époque.

Hier encore, bonne discussion avec un copain perdu de vue depuis des années, Franciscain, vivant avec des clodos dans la ville rose, passionné de sports de combats dans sa jeunesse et encore capable d’estourbir n’importe quelle pépite de la nation en deux mouvements : proche de la théologie de la libération (ce mariage de la carpe et du lapin), il me racontait, Davidoff au bec, la vague sans précédent (lui qui connaît le terrain depuis plus de 20 ans) de conversion de jeunes européens à l’Islam dans les banlieues populaires…question de survie, dis-je ? Oui, question de survie, essentiellement.

Il y a bien sûr ces nouvelles invasions barbares en Europe, depuis deux générations, qui voit s’installer définitivement dans le Dar al arb, des populations africaines et asiatiques toujours plus nombreuses et essentiellement musulmanes. Et ce ne sont pas les lettrés, les érudits, les élites Maghrébines, Ottomanes ou sub sahariennes, épris de disputatio, qui viennent, mais des hommes et des femmes simples et archaïques bousculés par l’histoire, un peu comme ces Wisigoths et ces Germains bousculés par les terribles Huns de l’ascète Attila. Ou comme ces Perses balayés par Alexandre. La tectonique des peuples. Contrairement à nos amis progressistes et libéraux je ne crois pas que l’on change de culture comme on change de chemise : ces migrants restent des orientaux en europe, des africains en europe et participent par leur simple présence à cette déculturation et à cet ensauvagement des peuples européens.

Il y a aussi –et surtout- cette anomie européenne : les européens en majorité ne connaissent plus leur histoire, leur civilisation. Dominique Venner utilise le terme de dormition pour expliquer à quel point nous vivons aujourd’hui dans un monde étranger à notre culture. Un monde essentiellement technicien, matérialiste, consumériste, horizontal fait de démesure (l’hubris des anciens) et d’absence de toute transcendance. Egalitaire au mauvais sens du terme : des masses incultes et individualistes soumises à la doxa productiviste consumériste (homo oeconomicus) cornaquée par quelques élites nomades (Danny boon à San Francisco haranguant les habitants du Nord ou BHL pérorant de son loft New Yorkais sur un pseudo anti sémitisme ontologique Français!!! on croit rèver...) endogamiques et arrogantes méprisant toute souveraineté populaire (« populisme ») et tout enracinement, une apparence de démocratie (ce spectacle de Baudrillard), etc. Les européens sont soumis à un nomos étranger à leur culture, d’abord parce qu’ils l’ont oubliée et parce qu’ils ne la transmettent plus à leurs enfants. Trader posait récemment la question de savoir ce qu’était un Européen aujourd’hui : tout est là ! Y répondre c’est se donner les armes pour défendre et transmettre sa culture. Y répondre c’est aussi accepter sans peur l’altérité, voire refuser l’altérité si celle-ci est une menace.

Tout cela à l’apparence d’une tragédie antique : des Européens battus et culpabilisés comme jamais (anti racisme totalitaire, culte indépassable du génocide Juif, acceptation inconditionnelle de l’Autre, ethno masochisme, pseudo universalité de la culture Française, héritage délétère d’un christianisme moribond, etc..), pressés de disparaître et de se fondre dans l’Universel marchand. Le chœur mortifère de ces bonnes âmes globalisées, ces gentils clercs moralisateurs du haut de leur citadelle climatisée, des Dieux sourds ou hostiles laissant les Achéens brûler leurs navires… avant de prendre l’Ilion.

Un regard contemplatif, c'est tout. Stoïque, pourquoi pas.

 

"Ils s'accoudèrent dans l'ombre au bastingage"

Archiloque de Paros, Fragments.

25/04/2009

la nuit européenne

europe_nuit.jpgL'Europe que je vois s'édifier depuis un demi siècle est un cauchemar bureaucratique, une entité (un "objet non identifié", disait Delors) fondée sur l'économie et la finance, de la quelle est exclue toute dimension politique et identitaire, sans légitimité démocratique, malgré les apparences, et aux frontières sans cesse mouvantes. Résultat, les européens s'en défient car ils ont compris que ce projet se construit sans eux, voire contre eux (refus des verdicts populaires au nom d'une pseudo rationalité qui exclue l'"irrationalité populiste"), et ne votent pas ou plus ou aux extrêmes pour montrer leur manque de confiance. Résultat aussi, des élites politiques qui ne se donnent même plus la peine de faire campagne, ayant intégré le désintérèt des peuples et leur désaffection.

L'Europe est pourtant une très ancienne réalité spirituelle et civilisationnelle provisoirement masquée et défigurée par un projet mercantile, certes utile mais insuffisant et inopérant, piloté par des bureaucrates et des politiciens  frileux écrasés par le poids de ce projet formidable et par celui de leur propre médiocrité.

Mais l'histoire n'est pas écrite et faire l'économie de cette dimension civilisationnelle au profit d'une vision étriquée marchande et morale (culte dérisoire des droits de l'homme et de l'antiracisme réflexe sorte de soupe universaliste et de religion humanitaire), faire allégeance à l'impérialisme Américain (celui qui bombarde un pays européen -la Serbie- en 1999) et à son bras armé l'OTAN (qui aurait du disparaitre en 1991 à l'effondrement de l'URSS) en oubliant cette réalité historique et géopolitique (qui s'identifie pour l'essentiel à l'ancien espace carolingien), c'est se préparer un réveil brutal dans un monde désormais multipolaire, dangereux, qui reste régi par des rapports de force, par un antagonisme identitaire séculaire.

Le parrallèle avec la Russie, certes autocratique, est édifiant en ce sens que malgré des années d'oppression totalitaire, ce pays a su garder une identité, orthodoxe et Slave, et une capacité à penser le monde dans sa globalité qui fait gravement défaut à nos commissaires politiques européens, dévoués, corps et âmes au culte de la croissance et à celui du "plus d'Europe". Aprés un siècle de guerres meurtrières, de désastres démographiques et totalitaires, l'Europe est entrée en dormition et semble ne plus pouvoir -ne plus vouloir?- se projeter en tant que puissance géopolitique portée par un dessein civilisationnel.

Quoi d'étonnant, finalement, à voir des bourgeois et des marchands ayant fait le choix d'une Europe-espace au détriment d'une Europe-puissance mener une politique continentale de marchands et dont le seul horizon est un vaste marché climatisé, ce cauchemar climatisé dont parlait H Miller (pour l'Amérique certes, mais le concept me parait adapté ici)?

"Tous ces hommes profonds et d'esprit large qu'a vu ce siècle ont tendu vers ce but le travail secret de leur pensée. Tous ont en commun la même aspiration, à savoir l'âme de l'Europe unie qui, sous la prodigieuse diversité des formules, fait effort vers autre chose, vers une chose d'avenir et plus élevée." Frederic Nietzsche.

"Nous avons besoin de vous, vous avez besoin de nous pour la grandeur de notre esprit et de nos races. Nous sommes les deux ailes de l'Occcident. Qui brise l'une, le vol de l'autre est brisé." Romain Rolland, écrivant aux Européens d'outre Rhin.

Du même homme de gauche: "Je trouve criminel de faire appel, pour cette guerre, à tous les Barbares de l'univers, Soudanais, Sénégalais, Marocains, Japonais, Cosaques, Indous, Sikhs, Cipayes...L'aspect d'un grand peuple d'Europe acculé, faisant tête à ces hordes sauvages, me serait impossible à supporter sans révolte. Tous les peuples d'Europe appartiennent à la même famille." Journal de Genève.

"Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l'esprit, à la discipline des Grecs est absolument européenne." Paul Valéry.

"Pauvre Europe, déchirée, perdue? Tu as appelé les Américains d'un côté, les Russes de l'autre. Et maintenant tu es foulée, vouée aux pires destructions, aux pires arrachements irrémédiables. Europe= Grèce." Pierre Drieu la Rochelle, janvier 1945.

"Chaque geste que vous ferez vers une Europe unifiée protègera un peu plus le trésor du monde. Le trésor du monde, c'est une infante de Velasquez, un opéra de Wagner ou une cathédrale gothique. C'est le sang de Budapest ou le quadrige orgueilleux de la porte de Brandebourg, devenu le poste frontière de l'Europe mutilée." Jean de Brem, 1964.

10/09/2008

Homère ou Harry Potter?

Les rares discussions que je peux avoir avec quelques amis –choisis et alcoolisés comme il se doit- ou les échanges –plus virtuels et moins alcoolisés ceux-là- avec des internautes sur quelques forums ou blogs, comme celui de Rocard, me laissent régulièrement perplexe.

Au fond c’est toujours une approche culturelle, civilisationnelle, qui me permet de trancher et de me déterminer, quel que soit l’objet de la discussion. Par exemple à l’égard de l’intégration de la Turquie à l’union européenne (qui n’est plus une communauté, vous l’aurez noté…). Or je m’aperçois que la plupart de mes contemporains n’ont pas cette approche identitaire, voire même qu’elle parait suspecte au plus grand nombre.

vigneronfk1.jpgAlors je me dis que cette vision des choses, du monde, est peut être obsolète, simplement désormais inopérante au regard de cette globalisation uniformisatrice, de cet univers réifié et régi par l’idéologie du même…Que ce concept de plurivers qu’évoquaient Carl Schmidt et Julien Freund est mort.

Quel sens peut-il y avoir à parler d’Homère à des personnes dont l’univers culturel se borne à Harry Potter et au dernier blockbuster américain et dont l’activité essentielle se résume à travailler plus pour gagner plus ? Est-il encore pertinent de parler de différenciation culturelle à des masses toujours plus aliénées, anomiques et incultes, noyées dans une conception anthropologique toujours plus utilitariste et régies par le culte de l’avoir?

Je me demande si cette évolution anomique, ce refus de toute considération identitaire n’est pas simplement le propre de la pensée occidentale post moderne et notamment européenne, traumatisée par un siècle de massacres sans précédents, de guerres civiles atroces, de totalitarismes progressistes… Si le reste du monde n’a pas justement conservé cette vision civilisationnelle, communautaire, traditionnelle de son existence. Probablement.

Je place le monde anglo saxon à part. Les USA ne sont pas atteint par cette évolution vers l’indifférencié. Au fond les américains qui se sont toujours construits et pensés contre la vieille europe (cette anti-europe dont parlait Jacques Rupnik), restent convaincus d’être le peuple élu, chargé d’établir la nouvelle Jérusalem, susceptible de régénérer l’humanité entière. Une conviction messianique forte de représenter la société parfaite et de devoir la faire partager –de gré ou de force- au reste du monde. Ce qui est bon pour l’Amérique est forcément bon pour le reste du monde. « Comment peut-on nous haïr », se demandait G Bush jr ? Oui, comment est-ce possible d’être haï lorsque l’on a le sentiment d’incarner la perfection ?

La question que peut se poser l’européen, et le reste du monde d’ailleurs, est de savoir s’il finira en avatar de l’américain moyen, sorte d’homo économicus ou en bon indien.

Et cela n'est pas de l'anti américanisme primaire. J'anticipe..

(photo: lever le coude, une vieille tradition communautaire Française...)

26/03/2008

Un âge d'or en islam?

Il y a quelques jours j’écrivais un court post, à chaud, sur les rapports entre Islam et Raison. A la relecture je m’aperçois que cette notion d’âge d’or de l’Islam est sans doute trompeuse et qu’il est sans doute utile de revenir sur cette brillante civilisation arabe.

L’Islam original est arabe car né en Arabie après la révélation faite au prophète Mahomet, simple bédouin chassé de la Mecque par ses pairs pour la ville de Yathrib- qui deviendra Médine. Ce premier islam, arabe par les hommes et la langue, va déferler sur toute la péninsule arabique puis l’ensemble du pourtour méditerranéen -non arabe- en moins d’un siècle, et jusqu’en Asie centrale, sur les bords de l’Indus qu’Alexandre avait atteint également.

Or bon nombre d’auteurs prompts à célébrer le miracle arabe, l’âge d’or islamique font la confusion -volontaire ou non- entre la langue, arabe qui s’est imposée à tous les peuples colonisés, et la civilisation arabo-musulmane : or la très grande majorité des auteurs musulmans qui ont fait cet « age d’or » par leurs écrits, leurs recherches, leurs traductions, n’étaient pas arabes, mais persans ou byzantins, chrétiens ou juifs…

Le mythe de la civilisation arabo-musulmane consiste à croire que ce sont les Arabes qui ont inventé les sciences et que c’est grâce à l’Islam qu’une brillante civilisation a pu voir le jour. Or ce mythe ne résiste pas à la réalité.

Depuis la sortie des Arabes hors de l’Arabie, apparaît en effet une civilisation flamboyante…mais qui flamboie de ses composantes étrangères : byzantine d’abord, puis persane. L’âge d’or de l’islam, c’est Byzance, dans un premier temps, et l’or de la Perse ensuite. L’islam civilisation désigne en réalité l’ensemble des emprunts faits aux convertis étrangers, voire aux dhimmis, c’est-à-dire aux juifs et aux chrétiens refusant la conversion à l’islam et  "protégés"/ rançonnés par les musulmans. La grande habileté des califes, Omeyyades, Abbassides et Sassanides puis enfin des thuriféraires de cet âge d’or de l’Islam –notamment en Occident,  fut d’avoir attribué ces emprunts à l’islam.

Mais si l’on a la curiosité de s’enquérir de l’origine des savants à qui l’on doit cette civilisation, on constate que la plupart d’entre eux ne sont pas arabes ni mêmemusulmans, même s’ils écrivent en arabe…Tous les lettrés de l’empire arabo-musulman écrivent alors en effet en arabe, quelle que soit leur confession et leur origine.

En fait cet humanisme arabe, cet âge d’or arabo-musulman n’a rien à voir avec l’ethnie concentrée dans la péninsule Arabique, pas plus d’ailleurs qu’avec le strict message de l’islam. Le mot arabe se réfère uniquement à la langue. Pour être honnête, il aurait fallu parler d’« humanisme en langue arabe », pour ne pas engendrer d’équivoque.

Durant cette brillante parenthèse, du IVème au Xème siècle, de Bagdad à Cordoue, en passant par Ispahan, Damas, le Caire et Fès, tous les intellectuels, les écrivains, les hommes de science utilisent la langue arabe pour parler de savoirs qui sont considérés comme étrangers, intrus, comme la philosophie Grecque, la médecine. Tout savoir écrit est d’expression arabe, qu’il émane de chrétiens, de juifs ou de musulmans.

Avicenne, effigie, à son corps défendant de cet âge d’or arabe mythique, en arabe Ibn Sinâ, né prés de Boukhara, serait aujourd’hui Ouzbek. Il fut toute sa vie persécuté par le pouvoir Turc sunnite car c’était un chiite, et traité en hérétique dans le monde musulman. C’est parce que ses œuvres furent traduites en latin à Tolède au XIIème siècle que l’Occident chrétien connut celui qui fut appelé Avicenna en français. La traduction latine des œuvres d’Avicenne a exercé une influence sur la pensée médiévale de l’Occident qui découvrait Aristote à travers les commentaires Avicenniens. Mais sans l’Occident, Avicenne serait resté un hérétique musulman sans gloire posthume, car considéré comme un « diable » par les juristes traditionnels de l’islam…

Parmi ces sciences dont la création est attribuée par beaucoup à l’islam, les mathématiques sont emblématiques. Elles furent en fait héritées de traditions antiques, principalement grecques et indiennes. « Au départ la branche des mathématiques, constituée par l’arithmétique, la science du calcul ou ‘ilm al hisab, fut tirée des textes grecs qui avaient été conservés par des chrétiens nestoriens irakiens ; Puis cela fut transformé considérablement par l’adoption de méthode de calcul et de notation numérique indiennes- y compris l’usage du zéro et de la numération décimale de position- qui furent combinées à des habitudes d’origine babyloniennes. » (1) La géométrie, autre branche des mathématiques se fonda sur la traduction, dés le IXème siècle, d’ouvrages grecs parmi  lesquels les Eléments d’Euclide. Le terme arabe al-jabr pour désigner l’algèbre laisse croire que les arabes auraient inventé l’algèbre alors que les procédés algébriques proviennent de sources plus anciennes babyloniennes et d’ouvrages grecs, hébreux et indiens. L’algèbre atteint son apogée grâce aux travaux réalisés en Iran, entre la fin du XIème et le début du XIIème siècle, par le fameux Omar Khayyam.

La médecine est également une science largement héritée de l’antiquité, pratiquée par des savants non musulmans ou récemment convertis, la plupart du temps extérieurs à la société islamique traditionnelle. Sachant que la plupart des écrits de grecs furent traduits en arabe par des  chrétiens orientaux, syriaques en particulier (le syriaque constituant la langue intermédiaire par excellence entre le grec et l’arabe). C’est grâce aux traductions d’Hippocrate et Gallien que les médecins en terre d’islam purent devenir les dignes successeurs des grecs. Et à cet héritage hellénique il faut ajouter l’héritage de l’Inde et de la Perse.

De façon générale, beaucoup d’intellectuels musulmans rédigèrent leurs œuvres en arabe mais ils n’étaient pas arabes, mais perses ou byzantins…Dans leurs écrits, on retrouve les idées de Platon, d’Aristote, de Gallien, de Porphyre, mais aussi la sagesse iranienne ancienne, la sagesse de l’inde, l’éthique arabe d’avant l’islam.

C’est effectivement l’émergence d’une civilisation prestigieuse -par ses avancées propres, son génie propre mais aussi par sa capacité à transmettre une partie de l’héritage culturel antique- mais qui a peu à voir avec les arabes et rien à voir avec l’islam ! Parce qu’elle est le fait, pour l’essentiel, de non arabes, qui étaient devenus la majorité au sein de l'empire arabo-musulman. L’ennui , c’est que cette civilisation brillante, née à l’ombre de l’islam mais d’origine étrangère comme on vient de le voir, fut toujours en concurrence avec l’islam religion, l’islam arabe des origines, car elle n’avait rien de musulman ni d’arabe.

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« Par un curieux acharnement à travestir le vrai, nos livres pour l’enseignement, des petites classes au lycées, s’appliquent à faire croire que les auteurs de l’antiquité ont tous sombré dans un noir oubli dés la chute de Rome et ne furent à nouveau connus en Occident que par les Arabes qui, eux, prenaient soin de les traduire. Ce n’est qu’au temps de la Renaissance, au réveil d’un sommeil de plus de mille années, que les humanistes, en Italie puis en France puis en Angleterre auraient pris le relais et étudié les textes grecs et romains. Vérité sans appel que toute sorte de romanciers, de polygraphes et de journalistes pour revues d’histoire ou de culture acceptent encore sans chercher à y voir d’un peu p^lus prés. Pourtant, tout est à revoir. On nous dit : « Sans les arabes, vous n’auriez pas connu Aristote!» C’est inexact, archi faux. Les leçons et les principaux ouvrages des savants, philosophes, poètes, dramaturges de l’Antiquité ne furent jamais, à aucun moment, ignorés des lettrés en Occident. Parler d’ « arabes » n’est pas seulement une facilité de langage mais une grave impropriété qui cache sans doute une mauvaise action, à savoir la volonté de taire la véritable identité des auteurs musulmans les plus féconds et les mieux connus, ceux qui ont le plus écrit en toutes sortes de domaines. C’étaient pour la plupart des Syriens, des Egyptiens ou des Espagnols qui, soumis par la conquête, avaient adopté la langue et l’écriture des maîtres. Les Perses, eux, avaient gardé leur langue.

En tout état de cause, les clercs d’Occident n’ont pas attendu les musulmans. Aristote était connu et étudié à Ravenne au temps du roi des Goths Théodoric et du philosophe Boèce, dans les années 510-520, soit plus d’un siècle avant l’Hégire. Cet enseignement, celui de la logique notamment, n’a jamais cessé dans les écoles cathédrales puis dans les toutes premières universités et l’on se servait alors de traductions latines des textes grecs d’origine que les érudits, les philosophes et les hommes d’Eglise de Constantinople avaient pieusement gardés et largement diffusés. Les traductions du grec en langue arabe et de l’arabe en latin, que l’on attribue généralement à Avicenne, Averroès et à Avicébron, sont apparues relativement tard, pas avant les années 1200, alors que tous les enseignement étaient déjà en place en Occident et que cela faisait plus d’un siècle que la logique, directement inspirée d’Aristote, était reconnue comme l’un des sept arts libéraux du cursus universitaire. (…) Ces traducteurs auxquels nous devrions tant, n’étaient certainement pas des Arabes et, pour la plupart, pas même des musulmans. Les conquérants d’après l’hégire ne portèrent que peu d’intérêt à la philosophie des grecs de l’antiquité dont les populations soumises, en Mésopotamie, en Syrie ou en Chaldée, gardaient pieusement les textes et les enseignements. (…) Pendant plusieurs centaines d’années, les grands centres intellectuels de l’Orient, Ninive, Damas et Edesse, sont restés ceux d’avant la conquête musulmane. La transmission du savoir y était assurée de génération en génération et les nouveaux maîtres n’y pouvaient apporter quoi que ce soit de leur propre. En Espagne, la ville de Tolède et plusieurs autres cités épiscopales ainsi que les grands monastères étaient des centres intellectuels très actifs, tout particulièrement pour les traductions de l’antique, bien avant l’invasion musulmane et la chute des rois Wisigoths. L’école des traducteurs arabes de Tolède est une légende, rien de plus.

En réalité, ces travaux des Chrétiens sous occupation musulmane n’étaient, en aucune façon, l’essentiel. Ils ne présentaient que peu d’intérêt. Les Chrétiens d’Occident allaient aux sources mêmes, là ou ils étaient assurés de trouver des textes authentiques beaucoup plus variés, plus sincères et en bien plus grand nombre. Chacun savait que l’empire Romain vivait toujours, intact, vigoureux sur le plan intellectuel, en Orient. Métropole religieuse, siège du patriarche, Constantinople est demeurée jusqu’à sa chute et sa mort sous les coups des Ottomans de Mehmet II, en 1453, un centre de savoir inégalé partout ailleurs. On n’avait nul besoin d’aller chercher l’héritage grec et latin à Bagdad ou à Cordoue : il survivait, impérieux et impérissable dans cette ville chrétienne, dans ses écoles, ses académies et ses communautés monastiques. Les peintures murales et les sculptures des palais impériaux contaient les exploits d’Achille et d’Alexandre. Les hommes d’église et de pouvoir, les marchands même, fréquentaient régulièrement Constantinople et avaient tout à y apprendre. Nos livres de classe disent qu’ils ont attendu les années 1450 et la chute de Constantinople pour découvrir les savants et les lettrés grecs ! Mais c’est là encore pécher par ignorance ou par volonté de tromper. C’est écrire comme si l’on pouvait tout ignorer des innombrables séjours dans l’Orient, mais dans un Orient chrétien de ces Latins curieux d’un héritage qu’ils ne pouvaient oublier. En comparaison, les pays d’islam n’apportaient rien d’équivalent. » (2)

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(1)Dominique Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, p. 551.

(2)Jacques Heers, L’histoire assassinée, p. 170, 171. Ed de Paris 2006.

Et aussi, pour ceux que cela intéresse, deux livres passionnants : Islam de Bernard Lewis et La schizophrénie de l’Islam de Delcambre.

 

Illustrations: en haut, Avicenne; en bas, siège de Constantinople.

19/02/2008

acculturation

Je crois qu'il faut regarder les choses en face: l'acculturation, c'est-à-dire le changement d'identité culturelle ne peut se produire que lorsque la culture d'accueil est suffisament désirable ou puissante pour s'imposer. La plupart des nouveaux européens sont issus de la civilisation musulmane et s'ils adoptent certains traits de la modernité occidentale, ils restent profondément des musulmans. Je ne peux m'empecher de me mettre à leur place: l'occidental que je suis deviendrait-il un oriental si je devais vivre en terre d'islam? trés probablement non (je ne parle pas de religion ici, mais de façon de vivre, de culture). 
Je crois que de nombreux décideurs nationaux et européens, pétris de tiers-mondisme et de repentance, sous-estiment l'importance de l'enracinement culturel/ civilisationnel et continuent à considérer les hommes comme des variables d'ajustement démographique ou économique sans histoire ni attachement. Pour notre malheur. D'autres, décideurs, savent qu'un homme ne change pas ainsi d'identité (surtout lorsque celle-ci est l'islam) et envisagent donc plus ou moins paisiblement la perspective d'un séparatisme européen à grande échelle, sachant qu'imanquablement ces nouveaux européens resteront fidèles à leur culture première (leur statue intérieure comme disait François Jacob) et ferons donc sécession à un moment ou à un autre.
La diatribe récente d'Erdogan (totalement politiquement incorrecte au regard de la propagande irénique de l'assimilation sans douleur de Bruxelles) est intéressante dans ce contexte car elle montre sans fard l'attachement viscéral d'un homme à sa culture, et sa crainte de voir des Turcs devenir des européens, c'est-à-dire perdre leur identité Ottomane. Tout homme raisonnable devrait être d'accord avec la vision réaliste - la weltanschaung- d'Erdogan. 

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Or l'identité européenne, qui devrait être défendue avec la même ardeur, la même foi, par nos "élites", et qui devrait se projeter dans un corpus de valeurs non négociables par les nouveaux migrants désireux de s'établir en Europe, semble ne plus exister. La dimension culturelle, historique, civilisationnelle de notre identité est constamment niée ou dépréciée par ceux-là mêmes qui devraient la promouvoir; pour de multiples raisons. N'importe quelle culture primitive ou seconde à droit de cité, notamment en France, mais curieusement notre culture occidentale, européenne, est seule méprisable et indigne d'être portée et enseignée avec fierté.
On me rétorquera que cet état de fait est conjoncturel, que notre histoire récente, à nous européens, est trop dramatique (guerres civiles européennes, décolonistion, génocides divers) pour que nos petits clercs pétris d'ethno-masochisme puissent apprécier son génie propre sur la longue durée. Certes, nous sommes d'accord la dessus. On me dira encore que l'histoire récente des pays de l'est européen recouvrant leur culture aprés un demi-siècle de colonialisme soviétique montre assez à quel point une civilisation ne se perd point facilement. D'autres encore évoquerons l'héroïque reconquista chrétienne de la péninsule Ibérique aprés sept siècles de colonisation arabo-musulmane...et nous sommes d'accord la dessus: notre identité européenne n'est pas prés de se perdre, même si elle n'est pas reconnue, même si elle est méprisée, par nos dirigeants.
Pour revenir aux mots du leader turc Erdogan, et considérant que cette acculturation n'est pas possible au plus grand nombre, la question clef, dans nos pays démocratiques soumis à la loi de la majorité, devient l'importance des populations non européennes au sein de notre continent. S'il est difficile aujourdhui de considérer comme le faisait le Général De Gaulle que les Européens sont un peuple de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne, c'est en raison de la rapidité et de l'importance des transformations démographiques et culturelles à l'échelle continentale... 

Sept siècles, c'est un peu long.

01/01/2008

Civilisation.

Politique de civilisation…que voila un terme intéressant dans la bouche d’un chef d’état.

Non pas Civilisation  au singulier qui sous-entend que le monde constitue une seule et même civilisation universelle -définie sur quels critères ?- qui me parait peu défendable, mais civilisation au sens large de culture c’est-à-dire « les valeurs, les normes, les institutions et les modes de pensées auxquels des générations successives ont, dans une société donnée, attaché une importance cruciale ». (1) Ou, selon Mauss et Durkheim, « une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n’étant qu’une forme particulière du tout ».(2) Ou plus précisément encore, selon Hérodote, ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses, des Mèdes et des autres non Grecs -quelle que soit la nature brillante de leur culture- c'est-à-dire le sang, la langue, la religion et la manière de vivre…

Malheureusement, immédiatement après avoir utilisé ce terme, notre président nous parla d’école et d’urbanisme du XXIème siècle, omettant de définir son concept de civilisation et sa vision du monde moderne. Plus éclairant fut la façon dont il conçoit le destin de la France montrant le chemin aux autres pays du monde , et manifestement en charge de défendre tous les peuples opprimés du globe (« Que la France montre la voie. C'est ce que depuis toujours tous les peuples du monde attendent d'elle"), renouant ainsi avec une conception messianique de la culture Française (Lumières, droits de l’homme, état de droit, sécularisation, égalitarisme et idéologie compassionnelle) et au nom de prétendues valeurs universelles, bien proches -est ce un hasard ?- des valeurs de la civilisation occidentale. Cette conception selon laquelle l’Occident, dans sa prétention à l’universalité, tiendrait pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la culture occidentales parce qu’elles constituent le mode de pensée le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel et le plus moderne, me parait non seulement fausse mais particulièrement dangereuse.

Aujourd’hui, après l’effondrement du monde communiste et la fin de la bipolarité monde libre vs monde communiste, au moins deux conceptions du monde s’affrontent : celle de la fin de l’histoire et de l’avènement d’un monde globalisé/ dérégulé régi par la démocratie libérale et l’économie de marché ou subsistent quelques états voyous dont la survie n’est qu’une question de temps, et celle d’un monde multipolaire constitués d’états nations regroupés au sein d’entités civilisationnelles (au nombre de cinq à huit selon les spécialistes) aux cultures également respectables. Huntington, par exemple, décrit huit civilisations : occidentale, orthodoxe, islamique, chinoise, africaine, japonaise, sud-américaine et indienne. Avec au sein de chaque civilisation, un état-phare, guidant et ordonnant chaque région culturelle (par exemple la Russie pour le monde orthodoxe, ou la Chine pour le monde confucéen).

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Dés lors que l’on adhère à cette vision multipolaire et civilisationnelle de notre monde, l’indigence de la posture universaliste/ impérialiste de certaines de nos élites occidentales (des néoconservateurs de l'administration Bush à nos tiers-mondistes européens) devient évidente. Parce qu’elle est lourde de conflit avec des peuples dont la culture se situe aux antipodes de la notre et qui ne sont pas disposés à adopter notre mode de vie, mais aussi parce que cela nous éloigne de notre but premier qui est de connaître et de défendre notre propre civilisation et nos propres intérêts. Ce qui ne veut pas dire indifférence à l’égard des autres civilisations ni renoncement à amener l'autre à une position plus conforme à notre point de vue: connaitre et défendre sa culture et ses intérèts ne veut pas dire isolement.

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Hubert Védrines, dans un petit ouvrage indispensable (Continuer l’histoire, Fayard), défend cette approche culturelle et multipolaire en dénonçant cette « irréal politik » basée sur une « communauté internationale » qui n’existe pas.

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En fait, il semble bien que Nicolas Sarkozy ai voulu faire référence au théories du sociologue Edgar Morin, qui propose une réforme de la politique et de la pensée (individualisme, atomisation de la société, disparition des solidarités, solitude, asservissement à la technique, etc) , capables de nous faire dépasser la crise multiforme et planétaire que nous traversons. Une critique du mythe du progrés et de la logique de mondialisation technique, industrielle, économique qui disqualifie tout ce qui est inapparent (amour, plaisir, souffrance, poésie, etc) ; une impasse technologique et inhumaine..

Morin appelle ainsi a une prise de conscience de la communauté d’un destin terrestre : « Cette étape nouvelle ne pourra venir que si nous enracinons dans notre conscience le fait que nous sommes des citoyens de la Terre tout en étant Européens, Français, Africains, Américains..., qu’elle est notre patrie, ce qui ne nie pas les autres patries. Cette prise de conscience de la communauté de destin terrestre est la condition nécessaire de ce changement qui nous permettrait de copiloter la planète, dont les problèmes sont devenus inextricablement mêlés. Faute de quoi, on connaîtra l’essor des phénomènes de « balkanisation », de repli défensif et violent sur des identités particulières, ethniques, religieuses, qui est le négatif de ce processus d’unification et de solidarisation de la planète. » (3)

Sans recourir à un gouvernement mondial dont les dérives totalitaires paraissent envisageables, Morin souhaite dépasser le cadre trop limité de l’état nation pour atteindre « une confédération mondiale, qui serait elle-même une confédération de confédérations à l’échelle des continents, dont l’Europe pourrait être un modèle et un exemple. Il faudrait créer des instances mondiales pour réguler des problèmes vitaux comme l’écologie, le nucléaire, et le développement économique, qui, en raison de ses conséquences socio-culturelles, ne devrait pas échapper au contrôle politique. La politique de civilisation vise à remettre l’homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour l’Europe : humaniser les villes, ce qui nécessiterait d’énormes investissements, et lutter contre la désertification des campagnes. » (3)

Remarques.

- l’échelle continentale me parait inadéquate sachant que certains continents  rassemblent des états nations appartenants à des aires civilisationnelles distinctes avec donc des traditions culturelles distinctes, appellant des solutions différentes.

- si la conscience d’une communauté de destin terrestre, et la nécessité d’une prise en charge globale de certaines questions (protection de l’environnement, équilibres démographiques, nucléarisation, etc) peuvent se concevoir en théorie, je crois que la façon de concevoir ce destin échappe à une systématisation planétaire et butte forcément sur les spécificités culturelles de chaque aire civilisationnelle, à l’encontre d’une unité culturelle de l’humanité.

- ce concept de « confédération de confédérations à l’échelle des continents » me parait difficile à mettre en œuvre sachant qu’en plus, Morin considère que « la France pourrait jouer un rôle pionnier parce que sa culture possède un héritage d’universalisme, de foi civique, républicaine et patriotique, (…) et de métissage » (3). Cela rejoint précisément les propos du chef de l’état qui voit la France en pionnier de cette prise de conscience planétaire, au delà des particularismes millénaires des différentes cultures humaines…

- la solution pour Morin passerait ainsi par la transcendance de notre société matérialiste globalisée et inhumaine et par l’ouverture aux autres civilisations qui n’auraient pas perdu ce lien entre l’esprit, l’âme et le corps, en vue d’une renaissance humaniste planétaire. « Je pense que nous devons nous ouvrir aux échanges. De même que l’Asie s’est ouverte à la technique occidentale, nous devons nous ouvrir à l’apport des civilisations asiatiques, bouddhiste et hindouiste notamment, pour la part qu’elles ont faites au rapport entre soi et soi, entre son esprit, son âme et son corps, que notre civilisation productiviste et activiste a totalement négligé. Nous avons beaucoup à apprendre des autres cultures. De même que la Renaissance s’est produite parce que l’Europe médiévale est revenue à la source grecque, nous devons aujourd’hui chercher une nouvelle renaissance en puisant aux sources multiples de l’univers. » (3)

- quid de l'ONU? N'est-ce pas le type même de l'organisation supra-nationale et philanthropique qui pourrait matérialiser cette confédération de confédérations? Peut-être pour qu'elle soit crédible et efficace serait-il utile qu'elle refléte mieux les différentes civilisations humains: le conseil de sécurité de cette instance est aujourdhui encore composé de cinq membres disposant d'un droit de véto: USA, Angleterre, France, Chine et Russie. Soit trois pays occidentaux, un représentant du monde orthodox et un représentant du monde confucéen... Quid du monde musulman, du monde Indien, du monde sud américain? Quid du Japon et de l'Afrique sub saharienne? Je n'ignore pas qu'il existe dix membres non permanents plus représentatifs de la diversite civilisationnelle de notre planète, mais ils ne sont pas sur le même pied d'égalité que les cinq membres permanents. Ce qui contribue sans doute largement à discréditer cet organisme international et à favoriser d'autres regroupement civilisationnels comme l'OCI (organisation de la conférence islamique, par exemple).

Certes l’histoire n’est pas écrite et le pire n’est jamais certain, mais ce concept de renaissance me parait assez largement utopique bien que je partage sans réserves son diagnostic sur le matérialisme sans âme de nos sociétés globalisées, l’âge des robots comme disait Bernanos.

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(1) Bozeman in civilisations under stress, cité par S Hunttington, Le choc des civilisation, p.39.

(2) Durkheim et Mauss, Notion of civilisation, p.811.

(3) http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/france_829/label-france_...

 

 

21/12/2007

Anomie.

J’ai un vieux patient- je suis médecin- que je vois de temps à autre, économiste brillant, érudit, qui passe le plus clair de son temps depuis 50 ans à sillonner la planète, d’est en ouest et du nord au sud, pour conseiller les uns et les autres, chefs d’états et dirigeants divers. Cet homme de 80 ans, physiquement et intellectuellement toujours aiguisé connaît la plupart des hommes politiques occidentaux et non occidentaux de ce monde, souvent personnellement, et c’est donc toujours un plaisir de l’entendre parler de Chirac, Poutine, Merkel, Kadhafi ou Zapatero…Je me rappelle une discussion que nous avions eu lors de la dernière élection présidentielle en France au sujet de la culture historique et politique de nos candidats. Indépendamment de la confirmation de l’inculture crasse du couple Sarkozy- Royal, j’ai mesuré ce jour l’indigence culturelle de nos élites, nationales et européennes : « Quand j’évoque Alexandre ou Carthage, il ne savent simplement pas de quoi je parle ! », me dit-il en avouant prendre quelque plaisir à leur faire toucher du doigt leur ignorance coupable.

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Réactions édifiantes de nos élites intellectuelle et journalistique lors de la visite du leader Libyen ("bouffon totalitaire" selon Finkielkraut). Ce fils de bédouin, adepte du nationalisme arabe prononça un discours à Tombouctou en avril 2006 qui est particulièrement clair sur sa vision future de l’Europe et du monde. Finalement cet homme, représentant oh combien symbolique de la civilisation musulmane (en l’occurrence magrhebine) me paraissait bien plus respectable que nos droitdelhommistes professionnels. Pourquoi ? Parce que cet homme est logique avec lui même, car il sait, lui, qui il est (un autocrate musulman) et ce qu’il veut (une oumma planétaire). Et lui demander lors de sa visite en Europe d’adouber les droits de l’homme et le reste de nos valeurs occidentales (démocratie, compassion, sécularisation, etc..) me parait hallucinant de bêtise et de prétention. Bêtise car cela équivaut à lui demander de renier sa culture ; prétention car cela sous-entend la supériorité des valeurs occidentales sur celles de la civilisation musulmane. Au nom d’un universalisme qui ne dit pas son nom mais qui considère que certaines valeurs seraient supérieures et devraient naturellement s’imposer à toutes les civilisations, à tous les hommes. La doctrine philanthropique coloniale portée par Ferry et Jaurès ou Hugo n’est pas loin…Le « devoir des races supérieures d’aider les races inférieures, etc. » comme le dira Léon Blum dans son discours fameux à l’assemblée dans les années 30.

On aura compris que je ne suis pas un adepte de la théorie de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire et l’avènement d’un monde globalisé régi par la démocratie libérale occidentale…  Au fond je crois, comme Huntington, que en deçà de considérations superficielles, idéologiques, politiques, économiques, ce sont des considérations culturelles, c'est-à-dire civilisationnelles, qui sont déterminantes et qui permettent d’expliquer, de prévoir,  le comportement de chacun, dans sa sphère civilisationnelle.

D’où l’importance cruciale de pouvoir répondre à la question : qui suis-je ? Je crois que Mouammar Kadhafi sait très bien qui il est, et que nos dirigeants occidentaux, pour l’essentiel, ne savent plus du tout qui ils sont. Et par conséquent, ce qu’ils veulent.

C’est le concept d’anomie (du grec nomos, la coutume ou la loi), la disparition des valeurs communes à un groupe, à une communauté, à une région culturelle, comme disait Fernand Braudel pour définir le concept de civilisation.

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Dans le même ordre d’idée l’absence de référence au christianisme dans le préambule du TCE qui fut rejeté par les Français en 2005. Il ne s’agit pas ici bien sur de référence religieuse, mais historique. Un peu comme si l’on passait sous silence l’ensemble de notre héritage classique Grec et Latin. 2000 ans de christianisme ? Apparemment indigne de figurer dans l’histoire de notre civilisation européenne…

Malheureusement il n’y a que deux explications : les auteurs de ce texte sont incultes au point de ne pas connaître les apports -déterminants- du christianisme à la civilisation occidentale, et cela ne me parait plus impossible considérant l’expérience de mon vieux patient, ou bien les mêmes auteurs ont intégré dans leur réflexion l’islamisation croissante de ce continent, par le simple fait d’une immigration importante essentiellement en provenance de la sphère musulmane, et anticipent la contestation probable des futurs européens. Ce qui est un signe très sûr de veulerie. Qui ne trompe personne, et notamment pas les musulmans.

Pour ceux que la question de l'identité européenne intéresse (et comment ne pas l'être?), je signale l'ouvrage remarquable du philosophe Rémi Brague, La voie Romaine, qui montre entre autres, combien nous sommes toujours ces romains qui surent transmettre cet héritage classique -grec notamment- dans une perspective chrétienne.

                                          *

Au fond, la question la plus urgente que nous devrions nous poser est celle de notre identité. Sereinement. Dés lors que l’on y a répondu, la confusion disparaît.

Et Kadhafi est logiquement reçu en dirigeant d’un pays respectable, chargé d’histoire, représentant d’une culture différente de la notre mais cohérente et également respectable.

                                          *

Propos hallucinants, cela dit, de ce despote maghrébin lors d'une conférence donnée au Ritz devant un parterre de clowns invertébrés et tétanisés, à l'adresse des chrétiens: "la croix que vous portez n'a aucun sens et vos prières n'ont aucun sens, l'islam est la religion de Jésus, de Moïse et de Mahomet".

Bien sur non repris dans la presse conventionnelle. On imagine le tollé si Benoit XVI avait parlé pareillement des musulmans...Il n'y a évidemment d'offense aux croyants que lorsque ceux-ci sont musulmans.

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Abbaye de Saint Félix de Montceau à Gigean (Hérault)

01/09/2007

Civilisation

« Même si nous en avions la tentation, beaucoup de considérations puissantes nous en empêcheraient. Tout d’abord et surtout, les images et les statues des Dieux ont été brûlées et réduites en pièces : cela mérite vengeance, de toutes nos forces. Il n’est pas question de s’entendre avec celui qui a perpétré de tels forfaits. Deuxièmement, la race Grecque est du même sang, parle la même langue, partage les mêmes temples et les mêmes sacrifices ; nos coutumes sont voisines. Trahir tout cela serait un crime pour les Athéniens. »

(Hérodote, The Persians wars, Penguin books, 1972.)

 

Ainsi parle Hérodote, nommant les éléments culturels clés qui définissent une civilisation pour  les Athéniens, et voulant rassurer les Spartiates sur le fait qu’ils ne les trahiraient pas en faveur des Perses. Le sang, la langue, la religion, la manière de vivre : voila ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses et des autres non Grecs.

Mais de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est sans doute la religion, comme le souligne Hérodote. Dans une large mesure, les principales civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.

Inversement, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le sous-continent Indien.

 

Sans doute à méditer en ces temps d’élargissement Européen et de propagande sans-frontiériste et métissophile.

06/08/2007

L'oubli de Dieu.

« -Pourquoi, après 1989, les Européens n’ont-ils pas condamné le communisme comme une monstruosité politique et morale ? Pourquoi le seul jugement acceptable sur celui-ci a-t-il été l’observation anodine que « cela n’a pas fonctionné » ?

-Pourquoi les électeurs Espagnols ont-ils accordé une victoire de facto à l’apaisement, lors des élections de mars 2004, tenues quelques jours après que, les bombes d’al Qaida aient tué des centaines de personnes et blessé des milliers d’autres dans une gare de Madrid ?

-Pourquoi l’Europe est-elle sur la voie de ce que le politologue Français Pierre Manent appelle la « dépolitisation ». Pourquoi, comme le dit Manent, l’Europe se drogue-t-elle « elle-même avec l’humanitarisme, afin d’oublier qu’elle existe politiquement de moins en moins » ? Pourquoi ce même Manent a-t-il l’impression que « les plus grandes ambitions actuelles des Européens sont de devenir inspecteurs des prisons Américaines ? »

-Pourquoi tant d’intellectuels européens sont-ils « christophobes », Pourquoi dans la culture populaire européenne, le christianisme est-il l’objet de caricatures grossières que l’on ne tolérerait pas pour l’Islam ou le Judaïsme ?

-Pourquoi tant de dirigeants politiques ont-ils insisté pour que le projet de nouvelle constitution européenne renie délibérément mille cinq cent ans de contributions du christianisme à la définition de l’Europe ?

-Pourquoi l’Europe commet-elle un véritable suicide démographique en se dépeuplant elle-même dans ce que l’historien Anglais Niall Ferguson appelle « la plus grande réduction de la population européenne depuis la peste noire du XIV° siècle » ? Pourquoi dix-huit pays d’Europe ont-ils un taux de croissance naturelle négatif ? Pourquoi aucun pays d’Europe n’affiche-t-il un taux de fécondité propre à assurer le renouvellement des populations ? (sauf la France dont on sait qu’il est obtenu grâce à l’immigration africaine)

-Pourquoi les politiciens ou l’opinion publique européens sont-ils incapables de tirer de ces chiffres démographiques alarmants les conclusions qui s’imposent sur la faillite imminente de leurs systèmes d’assurances sociales, de santé et de retraire. Et que se passe-t-il lorsqu’un continent entier, plus riche et plus puissant qu’il ne l’a jamais été auparavant, refuse-t-il de créer son avenir humain au sens le plus élémentaire, en engendrant une nouvelle génération ? »

Voici quelques interrogations lourdes de sens auxquelles le politologue et philosophe Américain Georges Weigel essaye de répondre dans un ouvrage singulier intitulé « Le cube et la cathédrale » (La table ronde, 2005). Weigel fait le diagnostic d’une rupture culturelle entre les Etats-Unis et l’Europe, en basant sa réflexion sur « la crise de la raison morale », sorte de crise de civilisation morale que connaîtraient les européens après un siècle de guerres, de massacres de masse, de totalitarismes. « Pourquoi l’Europe a-t-elle eu le XX ème siècle que nous lui connaissons ? » La réponse qu’apporte ce théologien est « l’oubli de Dieu », c'est-à-dire la laïcisation et la déchristianisation des sociétés européennes.

Faisant le constat que ce sont des courants profonds culturels et spirituels qui définissent l’« histoire », et non pas des considérations idéologiques, politiques ou économiques, aussi importantes soit-elles, Weigel « date » le début de cet ensauvagement, de cette « sortie de l’histoire »,  à la première guerre mondiale, cette « guerre civile européenne » pour Ernst Nolte, qui éclate dans un climat violent de course aux armements, de révolution scientifique et industrielle et de nihilisme Nietzschéen, et met à bas l’ancien ordre aristocratique et diplomatique européen. W. Churchill, le 29 juillet 1914 : « Tout va à la catastrophe et à l’effondrement, une vague de folie a balayé l’esprit du christianisme » ; le même jour, du général en chef Von Moltke : « Cette guerre va anéantir la civilisation de presque toute l’Europe pour les décennies à venir. »

Cet « oubli de Dieu », cet « humanisme athée » selon le Jésuite Henri de Lubac, expliquerait les tyrannies de ce siècle, arguant que, sans Dieu, cet « humanisme » ne pouvait qu’être inhumain. Disparition de la transcendance et no man’s land spirituel…

« L’homme européen s’est persuadé que pour être moderne et libre, il devait être radicalement laïc. Cette conviction a eu des conséquences cruciales, voire létales, sur la vie publique et la culture de l’Europe: elles sont de facto à la racine de la crise morale de la civilisation que connaît actuellement l’Europe. Cette crise nous aide à son tour à expliquer pourquoi l’homme européen oublie délibérément son histoire; pourquoi il abandonne le dur labeur et le haut risque de la politique démocratique, préférant apparemment la fausse sécurité domestique de la bureaucratie et la sécurité internationale douteuse offerte par le système des Nations Unies; Cette crise éthique de civilisation est l’une des raisons essentielles pour lesquelles l’européen échoue à créer l’avenir humain de l’Europe

Weigel montre ainsi combien la doctrine chrétienne est consubstantielle de l’idéal européen contemporain. Combien cet héritage chrétien, n’en déplaise aux thuriféraire de cet humanisme athée si vain et destructeur, fut important et décisif dans ce que nous sommes : dignité de l’homme et individualisme (au sens de l’accomplissement d’une destinée singulière voulue par Dieu), sécularisation, idée d’un ordre de justice transcendant (ce qui est « juste » n’est pas seulement ce que les détenteurs du pouvoir politique déclarent être juste). Et combien nier cet apport singulier et décisif est absurde (de même qu’il serait absurde de nier les fondements grec et romain de notre civilisation…). Ce reniement d’une partie de nos racines culturelles (qu’on le veuille ou non), la malhonnêteté de ce questionnement sur la dimension chrétienne de l’identité européenne, me rappelle le titre d’une conférence bouffonne organisée par certains milieux universitaires dans les années 80 et relatée par la médiéviste Régine Pernoud (dans un petit livre indispensable, Pour en finir avec le Moyen-Âge) : « Le Moyen-Âge était-il chrétien ? » Poser la question, c’est y répondre !

« L’Eglise, porteuse de l’évangile, a aidé à répandre et à consolider ces valeurs qui ont rendu universelle la culture européenne » disait Karol Wojtyla. Et encore, le même : « Lorsque les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne sont volontairement séparées de l’Evangile, ces vertus, comme la tolérance et le respect de l’autre, perdent leur vraie âme et pavent le chemin d’aberrations », comme par exemple, imposer la laïcité au nom de la tolérance et du pluralisme. Pour Weigel,  « la doctrine sociale de l’Eglise offre ainsi à l’Europe la possibilité de défendre la structure morale de la liberté, de façon à protéger la culture et la société de l’Europe d’une double utopie : l’utopie totalitaire de la justice sans liberté et l’utopie contraire de la liberté sans justice qui va de pair avec un concept erroné de « tolérance » ».

Loin du concept d’aire géographique et économique -utilitaire- promu par nos élites technocratiques et endogamiques, l’Europe est et reste fondamentalement un concept historique et culturel dont la dimension religieuse -chrétienne- a été et reste encore cruciale, ne serait-ce que pour apporter un minimum de transcendance à un projet résolument matérialiste.