25/04/2014
Caucase, vermine et techniciens
"Anecdote : des prisonniers Russes que, sur l’ordre de Maiweg, on avait trié dans tous les camps pour aider aux travaux de reconstruction –spécialistes du forage, géologues, ouvriers des raffineries du voisinage- furent réquisitionnés dans une gare par une troupe combattante pour servir de porteurs. Sur les cinq cent hommes de ce groupe, trois cent cinquante périrent sur le bord des routes. Et, sur le chemin du retour, cent vingt de ceux qui avaient été épargnés moururent d’épuisement, si bien qu’il ne resta que trente survivants.
Le soir, fête de la Saint-Sylvestre au quartier général. Je constatai une fois de plus qu’une pure joie festive était impossible en cette période. Le général Muller nous fit, par exemple, le récit des monstrueux forfaits auxquels se livra le Service de Sécurité après la prise de Kiev. On évoqua aussi, une fois de plus, les tunnels à gaz empoisonné où pénètrent des trains chargés de juifs. Ce sont là des rumeurs, que je note en tant que telles ; mais il est sûr que se commettent des meurtres sur une grande échelle. Je songeai alors au brave potard de la rue La Pérouse et à sa femme [déportée] pour laquelle il s’était tant inquiété jadis. Quand on a connu des cas individuels et qu’on soupçonne le nombre des crimes qui s’accomplissent dans ces charniers, on découvre un tel excès de souffrance que le découragement vous saisit. Je suis alors pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j’ai tant aimé l’éclat. La vieille chevalerie est morte. Les guerres d’aujourd’hui sont menées par des techniciens. L’homme a donc atteint ce stade que Dostoïevski décrit à travers Raskolnikov. Il considère alors ses semblables comme de la vermine. C’est de cela qu’il doit justement se garder s’il ne veut pas tomber dans la sphère des insectes. Pour lui et pour ses victimes, entre en jeu le vieux, le monstrueux : « Voilà ce que tu es ! »
Puis je suis allé dehors ; les étoiles scintillaient dans un ciel éclairé par la lueur des tirs. Éternels et fidèles signes –Grande Ourse, Orion, Véga, Pléiades, ceinture de la Voie Lactée-, nous autres hommes et nos années sur la terre, que sommes nous devant cette splendeur ? Qu’est donc notre éphémère tourment ? A minuit, au bruit des verres entrechoqués, j’ai intensément songé à ceux que j’aime et j’ai senti que leurs souhaits parvenaient aussi jusqu’à moi. "
Ernst Jünger, Notes du Caucase, 31 décembre 1942. Journaux de guerre, p. 441. Pléiade
18:54 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : ernst junger, front russe, caucase
Commentaires
Bon c est decidé, je commence Jünger apres avoir fini le livre que je suis entrain de lire.
1984 en version original please.
Apres je bois un petit café en Normandie il parait qu ils sont bon, m a t on dit ...
Écrit par : libherT | 26/04/2014
Commencez par les falaises de marbre, onirisme de haut vol, littéraire au delà du terme, un choc !
Après, tous les autres descendent facilement
Écrit par : kobus van cleef | 27/04/2014
Merci du conseil.
D apres ce que j ai put en lire, c est une critique du nazisme ou du communiste, enfin des systèmes totalitaire.
Dans je reste dans le même registre que 1984. Bien je vais devenir un spécialiste du sujet :-)
Écrit par : libherT | 28/04/2014
moi je te conseillerais plutôt de commencer par ses journaux de guerre: Orages d'acier (WW1) ou Jardins et routes (WW2), car plus accessibles que Falaises de marbre ou Eumeswil, trés travaillés, oniriques, bcp plus profonds et chargés de sens. mais aprés tout ça dépend de chacun. en tous cas, un écrivain extraordinaire.
Boreas, faut que tu lises la biographie de Junger par Hervier++ une mine de renseignements éclairants sur cet homme hors du commun.
Écrit par : hoplite | 28/04/2014
J'ai déjà ses entretiens avec Hervier, depuis 25 ans. ;-)
Écrit par : Boreas | 28/04/2014
bon d''accord, un homme précieux ce Hervier décidément.
Écrit par : hoplite | 28/04/2014
Critique des systèmes totalitaires, certes, mais d'une écriture Habsolument unique, poétique, imagée, onirique
Ou alors c'est la traduction ?
En tout cas, un morceau de littérature de choix
C'est sûr que c'est pas le truc à déclamer en société, mais dans un cercle fermé, restreint, ça passe bien
Les gens de coeur se retrouvent souvent autour d'auteurs comme lui
Écrit par : kobus van cleef | 29/04/2014
"Ou alors c'est la traduction ?"
Non meme en allemand c'est exceptionnel.
J'ai recommandé un livre de Hervier dans la langue de goethe a un allemand il y a peu.
(Qui met l'accent sur ses liens avec la litterature francaise).
"mais dans un cercle fermé, restreint,"
C'est encore bien plus marqué en Allemagne.
D'ailleurs mon interlocuteur connaissait evidement Von Salomon (Mais aussi Drieu Larochelle, Huysmans, et aussi un auteur franco-americain plus contemporain: Jonathan Litell-Ca n'est pas la meme chose, ni du meme niveau evidement-)
A propos de Jünger, Arte l'a inclu dans un montage internet sur la Grande Guerre (Avec des gens de toutes nationalités-Francais, autrichien, russe, australien-un jour ferié sur cette guerre a ete celebré en Australie il y a peu-...)
Écrit par : JÖ | 30/04/2014
Jonathan Litell "Les Bienveillantes" comment en parler poliment, puisque c'est la nouvelle tendance du blog...non vraiment c'est au-dessus de mes forces.
Écrit par : Jazzman | 30/04/2014
Si, en résumé, le livre que tous les inuits vous recommandent chaudement...
Écrit par : Jazzman | 30/04/2014
"La vieille chevalerie est morte"... cette phrase me fait frissonner. Autant par la tristesse du monde éteint qu'elle évoque, que par le souffle sacré qu'elle peut inspirer, pour le futur, comme si cette flamme chevaleresque ne pouvait pas disparaître, mais toujours renaître, sous des formes nouvelles... Il y aura toujours des chevaliers.
Jünger, un homme de l'ancien monde qui fait définitivement partie de mes modèles. Toute "dissidence" profonde ne peut faire l'économie de son œuvre.
Merci, Hoplite, pour la réf. Hervier/Jünger ;-)
Écrit par : Blaise Suarès | 30/04/2014
"Jonathan Litell "Les Bienveillantes" comment en parler poliment, puisque c'est la nouvelle tendance du blog...non vraiment c'est au-dessus de mes forces."
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"La nouvelle tendance du blog", ça m'étonnerait fort.
Je ne vois personne ici, susceptible de faire de la pub à cet énième étron littéraire du rayon "shoah-business".
Écrit par : Boreas | 30/04/2014
"Si, en résumé, le livre que tous les inuits vous recommandent chaudement..."
Jazzman
Bin voilà ! C'est pas si difficile.
Boréas
Jazzman voulait dire que la politesse est la nouvelle tendance du blog, je crois.
Pas la louange de Litell.
Écrit par : Carine | 30/04/2014
Tu as raison Carine, j'ai lu trop vite.
Écrit par : Boreas | 30/04/2014
"Jonathan Litell "Les Bienveillantes""
J'explique.
C'est un allemand qui m'en a parlé parce que Litell a ecrit une sorte de journal d'un officier SS qui a recu le Goncourt.
Je cite l'allemand: "la mentalité de l'officier SS decrite dans le livre me fascine".
(Pas moi, et je n'ai pas fait l'eloge de ce livre que je n'ai pas lu), et il appreciait que le livre soit ecrit du point de vue d'un officier SS, et recoive le Goncourt, quitte a ce que ce soit un scandale.
Rendez vous compte, un allemand fasciné par le mental d'un officier SS...
(Meme si je prefere etre fasciné par le mental d'un Jünger, entendre ca d'un allemand, c'est tres, tres courant...)
Avant que l'allemand de base soit capable d'etre critique sur les "inuit", c'est pas pour demain, alors j'etais assez content de pouvoir parler de Jünger et je n'allais pas faire le difficile.
Écrit par : JÖ | 01/05/2014
http://www.alterinfo.net/RUSSOPHOBIE-LA-DERIVE-DES-VERTS-ALLEMANDS-DEVENUS-LES-CHIENS-COURANTS-DE-L-AGRESSION-ATLANTISTE-CONTRE-LA-RUSSIE_a100529.html
Écrit par : dizemanov | 01/05/2014
Ha Littel et les bienveillantes, c'est particulier
Littel n'a écrit ce paveton qu'avec une seule idée en tête, choquer le bourgeois
Et il y est arrivé
Dans un entretien croisé avec cramouille Bendit, dans le magazine littéraire ou le monde des livres, ce dernier, cramouille Bendit donc, disait "ce bouquin est abject, il raconte l'abjection, trois fois je l'ai jette sur le mur, trois fois je suis allé le ramasser"
Le ramasser ?
C'est donc que ça l'intéressait ?
Que ça lui plaisait ?
Qu'en secret, il bichait ?
Allons allons, cramouille Bendit, avoue nous tout.....
Dans cet entretien, Littel ne disait rien, ou que du très convenu, genre " j'ai voulu montrer le quotidien de....l'abjection de la mécanique de.... l'homm' pris au piège entre les machouareux du totalitarismeu qui nous a fait tant de mal, allez pas croire que je cautionne, ho non surtout pas " bref, le discours usuel de l'élève de collège vronzais classe de 3eme celle où on passe le brevet....
Une anguille et c'est normal
Il eût dit " ça me semblait jouissif d'exalter la virilitude de ces brutes casquées qui ont foutu le monde à genoux " ça aurait eu de la gueule mais il aurait pas eu le Goncourt et il aurait été tricard de littérature jusqu'à la fin de ses jours
Pas immérité non plus, car, franchement, c'est pas très bien écrit, Littel
Mais bon
Il a commis une deuxième pauvreté, le sec et l'humide, avec plein de morceaux de repentance dedans, sur les volontaires wallons en Russie, il n'est bon que par les connaissances historiques ( un peu fausses) et les photos
Mais les bienveillantes l'ont poursuivi un peu, avec une caballe tentant d'accréditer l'idée qu'il avait pris son pied à l'écrire ( ce qui est sûrement vrai) avec la parution d'un opuscule " les...... antes "( le titre m'échappe) rédigé par...... un cureton vronzais !
Écrit par : kobus van cleef | 02/05/2014
Pas lu.
Encore une fois, si c'est un allemand qui en parle, c'est pas la meme chose.
Mais on en a pas parlé longtemps, je suis toujours idiot: un nazi et un francais ca ne marche pas ensemble.
C'est un peu comme parler de "la chute" (Et encore...) comparé a "iron cross", ou c'etait une des premieres apparition au cinema d'un soldat de la Wehrmacht qui n'est pas un salaud ou un mechant.
A la limite dans le genre glauque au cinema, autant se fader "portier de nuit", il y a Rampling en uniforme leger...
En fait meme "american psycho", ca me semble moins radoteur et plus pertinent avec l'epoque.
Écrit par : JÖ | 02/05/2014
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