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05/12/2009

voyage

« Non, la France et la qualité de Français ne sont pas plus une affaire de race qu'ils ne sont une affaire d'idée, ils sont une affaire d'histoire et de culture, d'épaisseur de temps et d'épaisseur de sens : non pas le pauvre petit sens plat du journalisme, du reportage ou de l'acte administratif, mais le sens stratifié, contradictoire, en vibration sympathique dans l'air et dans le paysage, de la littérature, déjà nommée. » (Renaud Camus)

580117754_small.jpgTrès jolie définition de ce que c’est qu’être Français, au détour d’un article intéressant. In petto, je faisais le parallèle entre l’appartenance à une nation, une culture, donc, et le fait de monter dans un train, de prendre un train. Adhérer à une culture, un peuple, un territoire, devenir un passager de ce train. J’ai pensé alors à la même métaphore du train qu’utilise Levi Strauss, pour expliquer cette appartenance culturelle et le monde de valeurs et de références qui nous entoure et nous définit et avec lesquel nous voyageons du premier au dernier jour de notre vie.

« En empruntant une autre image, on pourrait dire que les cultures ressemblent à des trains qui circulent plus ou moins vite, chacun sur sa voie propre et dans une direction différente. Ceux qui roulent de conserve avec le nôtre nous sont présents de la façon la plus durable ; nous pouvons à loisir observer le type des wagons, la physionomie et la mimique des voyageurs à travers les vitres de nos compartiments respectifs. Mais que, sur une autre voie oblique ou parallèle, un train passe dans l’autre sens et nous n’en apercevons qu’une image confuse et vite disparue, à peine identifiable pour ce qu’elle est, réduite le plus souvent à un brouillage momentané de notre champ visuel, qui ne nous livre aucune information sur l’évènement lui-même et nous irrite seulement parce qu’il interrompt la contemplation placide du paysage servant de toile de fond à notre rêverie. Or, tout membre d’une culture en est aussi étroitement solidaire que ce voyageur idéal l’est de son train. Dès la naissance, probablement même avant, les êtres et les choses qui nous entourent montent en chacun de nous un appareil de références complexes formant système : conduites, motivations, jugement implicites que, par la suite, l’éducation vient confirmer par la vue réflexive qu’elle nous propose du devenir historique de notre civilisation. Nous nous déplaçons littéralement avec ce système de référence, et les ensembles culturels qui se sont constitués en dehors de lui ne nous sont perceptibles qu’à travers les déformations qu’il leur imprime. Il peut même nous rendre incapable de les voir. » (Claude Lévi-Strauss, Race et culture, 1971)

ss-aufseherin-uniform.jpgUn Français, au sens que lui donnent Renaud Camus et Lévi Strauss, est ce voyageur anonyme, concentré de culture, de sens et de verticalité qui, assis sur son siège ou debout au wagon bar, regarde défiler des paysages et des hommes qui lui parlent et éveillent en lui souvenirs et émotions. Je trouve cette image du train particulièrement éclairante et belle. L’autre intérêt de l’image Lévi Straussienne est de clore le bec à tous ces crétins libéraux de gauche (tendance Joffrin, Inrocks et pages rebonds de Libé) ou de droite (tendance Sarkopitre, pages saumon du Figaro et Valeurs Actuelles) qui pensent qu’il ne saurait y avoir de voie entre un pays fermé peuplé de sections de squadristes endogames bottés rejouant la marche sur Fiume, d'une part, et un pays en forme d'espace ludiquo-libertaire indéterminé ouvert à la terre entière promu par les clowns du NPA médiatisés par TF1, d'autre part…

(photo: panoplie ordinaire du français non divers)

Chacun peut, s’il le souhaite, monter dans ce train pour peu qu’il respecte ceux qui s’y trouvent déjà et leur façon de voyager. Pour peu qu’il comprenne que le voyage ne commence pas avec lui, que d’autres l’ont débuté avant lui et ont le droit d’exiger de lui qu’il s’en sente solidaire. Et chaque nouveau voyageur, en prenant ce train, en modifie le sens et l'épaisseur, à la marge, mais pas l'essence.

En passant.

« L'absence de communauté nationale est facteur de guerre civile, tant que les citoyens ne partagent pas les mêmes valeurs de civilisation. Une cité ne se forme pas à partir de gens pris au hasard, et elle a besoin de temps pour se coaguler. C'est pourquoi, parmi ceux qui ont accepté des étrangers pour fonder une cité avec eux, et pour les intégrer à la cité, la plupart ont connu des guerres civiles. Par exemple, les tyrans de Syracuse, en ayant naturalisé les immigrés, ont dû subir des révoltes. Citoyens et étrangers en sont venus à se combattre. » (Aristote, Politique, Livre V)

Commentaires

Comme quoi ce n'est pas nécessairement la pensée actuelle qui en impose mais bien plutôt celle de nos prédécesseurs.

Un homme comme CLS par exemple et bien d'autres encore.

Parce qu'aujourd'hui, c'est le vide de la pensée, celle-ci soumise à l'extase néo-libérale hyper-consommatrice dans l'exaltation des sens et l'anesthésie de la réflexion.

Ils en ont du ressort que ces penseurs d'une autre époque, hein?

Écrit par : Trader | 05/12/2009

et oui et c'est bien de revenir à quelques points fixes de ce calibre, de temps en temps, pour ne pas se perdre dans le spectacle quotidien..

"Parce qu'aujourd'hui, c'est le vide de la pensée, celle-ci soumise à l'extase néo-libérale hyper-consommatrice dans l'exaltation des sens et l'anesthésie de la réflexion."

je dirais même que cette anthropologie libérale promue par nos élites festives organise le vide de la pensée en construisant des sociétés neutres, philosophiquement/ moralement neutres, à dessein, régies par le seul marché (le "doux commerce") et la contrainte juridique (la guerre de tous contre tous). quoi de mieux qu'un crétin festif et consommateur impmulsif?

Écrit par : hoplite | 05/12/2009

Bien sûr,R. Camus et Levi-Strauss ferment la gueule de ces paltoquets libéraux totalitaires de D et G.
Mais ceux-ci sont-ils capables de voir et d'entendre ce qui est révélé là ? Et s'ils en seraient capables,les écouteraient-ils ?

Non,aveuglés qu'ils sont par leur idéologie "religieuse" des DDH et "progressiste" techno-marchande;par leur égoïsme et leur Moi hypertrophié.
Ils ne tirent aucunement les leçons du passé,celui là même qui jeta les bases de notre civilisation,pour ne le considérer que comme archaïque et bon à jeter.

Bien vu pour la Politique d'Aristote et très bon commentaires,c'est très clair.

Cela me fait penser à Debord jeune qui déjà confrontait l'immensité des savoirs philosophiques ,scientifiques et artistiques accumulés au cours des siècles et sur quoi cela débouchait:la société de son Temps,médiocre et spectaculaire.
D'où son programme:
"frapper d'une suspicion complète l'ensemble de la vie sociale:classes et spécialisations,travail et divertissement,marchandise et urbanisme,idéologie et Etat,nous avons démontré que tout était à jeter".
Et sa réalisation: "faire apparaître dans la pratique une ligne de partage entre ceux qui veulent encore de ce qui existe,et ceux qui n'en voudront plus."
("In girum imus nocte et consumimur igni" G. Debord)

Écrit par : Aubin | 09/12/2009

oui, le projet de babel multi ethnique/culturel a toujours le vent en poupe, envers et contre tout.

je vous envie, aubin, j'ai le plus grand mal à pénétrer la pensée de Debord (qui m'attire énormément, évidemment!)

Écrit par : hoplite | 09/12/2009

@ Hoplite,

Vous n'avez pas à m'envier,je possède pas mal de ses oeuvres écrites (mais pas ses correspondances [combien de volumes?] notamment);de L'Internationnale lettriste (Potlatch) à l'I.S.,en passant par son cinéma si peu cinématographique.
Et j'ai du mal ,moi aussi, à saisir l'ensemble.Son style lumineux,sa mise en pratique de la théorie dans sa vie et son oeuvre font de lui un être fascinant,éblouissant,totalement singulier et probablement totalement libre.Cette supériorité lui a valu la haine ou l'effroi de la majorité de ses contemporains...Parce qu'il a dit une grande part de la vérité qui mène ce monde.

Sa supériorité singulière le rend donc impressionnant,Aristocratique et le statufie.Il faut donc démolir la statue:
Si on l'aborde par "La société du Spectacle" quasiment impénétrable car construite comme telle (le grand Revel en parlait lors de sa réédition comme écrite en Volapük Marxisto-Hégèlo-Marcusien,Ah!Ah!A!),on saisit des fulgurances mais on n'y comprend finalement pas grand chose.Ses "commentaires sur la S.d.S" sont eux très abordables.

Pour moi,"In girum...","cette mauvaise réputation",ses "Panégyrique" permettent de saisir sa pensée,son projet et sa réalisation dans son parcours existentiel.

Non,je relis,c'est pas très bon.Mais c'est extrêmement dur d'évoquer son oeuvre.Il n'y a pas d'ouvrage systématisant,même l'IS,c'est un fouillis foisonnant d'éclairs lumineux.
C'est un grand penseur critique ET un artiste:

"J'ai été un très bon professionnel.Mais de quoi ? Tel aura été mon mystère,au yeux d'un monde blâmable." Panégyrique Tome I

"la formule pour renverser le monde,nous ne l'avons pas cherchée dans les livres,mais en errant .[...] Avions-nous à la fin rencontré l'objet de notre quête ? Il faut croire que nous l'avions au moins fugitivement aperçu;parce qu'il est en tout cas flagrant qu'à partir de là nous nous sommes trouvés en état de comprendre la vie fausse à la lumière de la vraie,et possesseurs d'un bien étrange pouvoir de séduction:car personne ne nous a depuis lors approchés sans vouloir nous suivre;et donc nous avions remis la main sur le secret de diviser ce qui était uni.Ce que nous avions compris,nous ne sommes pas allés le dire à la télévision. Nous n'avons pas aspiré aux subsides de la recherche scientifique,ni aux éloges des intellectuels de journaux.Nous avons porté de l'huile là où était le feu." In girum...

Bon,la suite au prochain épisode Ah!Ah!Ah! Sans rire,pour moi"in girum ..." est l'un des plus beaux textes que j'ai jamais lu, c'est de la grande poésie moderne et maudite.
C'est l'ouvrage à lire,fondamentalement.Tout est dit: notre monde et son centre qu'ils visaient.(précisons quand même qu'à la base, c'est son dernier film [1978]).

Bref,de toute façon,il faut le pratiquer encore et encore.. Bonsoir.

Écrit par : Aubin | 12/12/2009

merci pour ces conseils de lecture, aubin!
je persévère..

Écrit par : hoplite | 13/12/2009

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