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25/07/2020

anatomie du chaos n+1

Excavating Foucauldian Identity - The Center for the Study of ...

 

" (...) La «révolution numérique» entamée à partir de la Seconde guerre mondiale nous est généralement présentée comme une évolution naturelle des sciences et des technologies. Naturelle et idéologiquement «neutre». Roszak s’emploie à montrer qu’elle n’est ni l’une ni l’autre. La technologie computationnelle - le traitement de données - a fait l’objet d’investissements stratégiques, en particulier du complexe militaro-industriel, qui y a vu d’emblée un outil de suprématie (entre autres et avant tout, dans le domaine du cryptage-décryptage). Ces investissements étaient risqués et souvent consentis à perte. Pour alimenter la «pompe à fric», l’industrie - au travers de ses thuriféraires plus ou moins stipendiés dans la presse et les académies - a d’emblée lancé des promesses délirantes, transformant ce qui n’était au départ qu’un outil bureautique perfectionné en véritable oracle ou ange gardien d’une humanité trop limitée - comme l’ordinateur HAL 9000 dans 2001, l’Odyssée de l’espace.


De manière assez cocasse, les avancées promises pour l’intelligence artificielle sont à peu près les mêmes depuis un bon demi-siècle, et dans les mêmes échelles de temps («d’ici trois ans, les ordinateurs pourront exprimer des émotions authentiques», etc.). Cet optimisme de rigueur, une fois de plus, s’explique en grande partie par la dynamique véritablement religieuse de l’investissement dans ce domaine «magique» qu’est la haute technologie. Une dynamique qui a atteint son apothéose avec la faramineuse escroquerie de la société médicale Theranos fondée dans la Silicon Valley par Elisabeth Holmes, et qui avait atteint une cotation de 10 milliards de dollars pour 700 millions de capitaux récoltés avant même d’avoir commencé de réaliser ses promesses, du reste physiquement irréalisables.

La mémoire de la société industrielle est courte, mais le recours à la simulation de la réalité via l’«intelligence artificielle» ne date pas des projections foireuses de Neil Ferguson sur le Coronavirus au printemps 2020. Dans les années 1960 déjà, le Projet Cambridge proposait diverses modélisations de planification sociale. Sur une base analogue, l’armée US avait développé un canevas permettant de sélectionner les cibles à bombarder durant la guerre du Vietnam. On peine à le croire aujourd’hui, mais c’est ainsi que l’on procéda: sur la base des données de renseignement recueillies, on modélisait le comportement social des villages indigènes. Ceux qui correspondaient aux paramètres d’un comportement collectif «ami» étaient épargnés. Les villages jugés hostiles par le calculateur étaient libellés «à éradiquer». Ainsi «la science sociale computérisée avait enfin trouvé manière de s’incarner en une application de vie et de mort» (J. Weizenbaum, Computer Power and Human Reason).

L’histoire ne nous dit pas quel fut le pourcentage de «faux positifs» dans cette application particulière - les états-majors s’en fichent sans doute pas mal -, mais elle avait un avantage indéniable sur le plan juridique. Si des civils innocents étaient aplatis, personne n’en répondait. On ne juge pas un logiciel. (Comme il serait très difficile, un demi-siècle plus tard, de traîner en justice un pilote de drone, drogué de coca et de donuts derrière son joystick, en l’arrachant au piedde-biche au fauteuil de gamer où il vit incrusté dans un trailer quelque part en Virginie.)"

Antipresse, Slobodan Despot juillet 2020