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11/03/2009

Capitalisme mon amour

epidauros.jpgTotal supprime 500 emplois. Supprimer ne veut nullement dire licencier mais changement d'affectation, retraite, préretraite, etc.

Total il y a peu a annoncé un bénéfice record pour la dernière année d'exercice.

Réactions outragées des vigies citoyennes, en l'occurrence Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, mais aussi notre amie Ségolène R, pintade du Poitou label rouge, marie georges Buffet thuriféraire du totalitarisme rouge et révisionniste pro communiste curieusement encore en liberté, etc., sur le thème éternel du capitalisme amoral...

«Qu'un groupe comme Total (…) ne soit pas capable dans cette période d'avoir un comportement exemplaire en termes d'emploi me reste en travers de la gorge», a lancé le secrétaire d'Etat.

Bon.

1- Je vais me faire l'avocat du diable: de quoi se mêle l'Etat?

Total supprime-t-il des emplois? Non.

Total perd-il de l'argent et demande-t-il à être renfloué comme d'autres en ce moment? Non

Total est-elle une entreprise nationalisée devant rendre des comptes au secrétaire d'Etat machin? Non.

Un état en faillite chronique depuis plus de trente ans et qui fait porter sur chaque nouveau né une dette supérieure à 20000 euros peut-il se permettre de donner des leçons de management à une entreprise bénéficiaire qui paie à l'Etat Français des millions d'euros en impôts et charges sociales chaque année? Non.

2- Wauquiez est-il un con? Manifestement non. Comment expliquer cette posture et ces contre vérités?

-cet homme sait qu'il ne s'agit pas de licenciements or tout porte à croire dans son discours que c'est le cas. Mensonge.

-cet homme érudit et cultivé (normale sup, agrégation d’histoire, ENA, etc.) sait parfaitement ce qu'il en est du capitalisme globalisé contemporain, ce troisième âge du capitalisme comme dit Alain de Benoist.

Wauquiez sait parfaitement que les grandes firmes globalisées comme Total ont désormais une dimension planétaire. Que, de ce fait, leur activité est pour l'essentiel déterritorialisée et affranchie de toute contrainte étatique nationale en terme de législation sociale ou syndicale ou de droit du travail...Que ces firmes, lorsqu'elles rencontrent des contraintes excessives délocalisent rapidement ou recourent largement à une main d'oeuvre à bas coût (au noir, immigrée, ou d'un autre pays de l'UE, pratiquant le dumping social et fiscal au sein même de l'UE). Que cette forme de capitalisme planétaire n'a plus RIEN à voir avec le capitalisme entrepreneurial national des trente glorieuses qui avait passé compromis avec l'Etat providence –aujourd’hui en faillite- pour garantir des salaires et une situation professionnelle acceptable à des millions de personnes. Qu'il s'agit aujourd’hui, comme autrefois, d'un rapport de force, singulièrement défavorable au salarié du fait de la globalisation des échanges et des hommes et de la dérégulation généralisée du travail.

- Wauquiez devrait dire cela. Il devrait rappeler également qu'il est normal qu'une entreprise adapte son activité en fonction de la conjoncture, même si elle est bénéficiaire (et simplement pour le rester...). Que la gestion d'une entreprise de ce calibre n'a rien à voir avec des considérations morales, pas plus que la politique d'ailleurs.

Que la seule façon de protéger les salariés Français et Européens c'est de comprendre que le marché est incontournable mais que sa toute puissance, cette "démonie de l'économie" que dénonçait Evola, n'est pas une fatalité...Que le rôle du politique est précisément de contrer cette obsession économique (cette religion de la croissance à tous prix) en créant des contre pouvoirs, c'est à dire un protectionnisme européen social et fiscal et un contre pouvoir politique à l'échelon continental (les Etats nations étant obsolètes dans cet affrontement de logiques irréductibles). C'est-à-dire de faire en sorte que le rapport de force soit équilibré entre les stratégies financières globalisées et les exigences sociales locales des peuples qui ne sont pas encore nomades, contrairement à leurs élites frivoles et arrogantes.

-dernier point, comment ce jeune baron de l'UMP, libéral convaincu, peut-il fustiger le comportement non exemplaire d'une multinationale alors même que celle ci obéit aux lois du libre marché et de la libre concurrence constitutives du Traité de Constitution Européenne que Wauquiez a approuvé avec son parti?? N'y aurait-il pas là une certaine incohérence? Comment peut-on à la fois adouber le dumping social et fiscal organisé par l'union européenne elle-même et s'étonner de ses conséquences? Bossuet disait: "Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes..."

3- Redonner la main au politique, ça n'est nullement venir gémir dans les média et se vautrer dans le compassionnel comme le fit Wauquiez ce matin.

Julien Freund, pour désigner ceux qui veulent faire de la politique, ou prétendent en parler sans savoir ce qu'elle est, avait un terme de prédilection: l'impolitique. Une forme classique d'impolitique consistant à croire que les fins du politique peuvent être déterminés par des catégories qui lui sont étrangères, économiques, esthétiques, morales ou éthiques principalement. Impolitique est ainsi l'idée que la politique a pour objet de réaliser une quelconque fin dernière de l'humanité, comme le bonheur, la liberté en soi, l'égalité absolue ou la paix éternelle. Impolitique également l'idée très actuelle de réduire la politique à la gestion administrative ou à une gouvernance inspirée du management des grandes entreprises. Total par exemple.

Faire de la politique c'est en comprendre les présupposés: la relation du commandement et de l'obéissance, la relation du public et du privé, la relation de l'ami et de l'ennemi. C'est expliquer à des gens simples le fonctionnement du capitalisme, amoral par essence (le seul objectif de chefs d'entreprise -j'en suis un- etant de maximiser les profits en réduisant les coûts de fonctionnement).

C'est aussi prévoir le pire et anticiper pour l'éviter.

4-C'est comprendre que morale et politique sont deux choses différentes, bien difficile à comprendre en ces temps de bons sentiments omniprésents, de délires compassionnels et de rhétorique victimaire automatique.

Ce qui ne veut nullement dire que la politique est toujours amorale. Ce sont juste deux champs différents, qui ne se confondent pas. Relire Freund, Schmitt ou Aristote. Distinguer politique et morale –ce que ne font pas, ou plus, la quasi-totalité de nos élites politiques- c’est comprendre que la première répond à une nécessité de la vie sociale alors que la seconde est de l’ordre du for intérieur privé, c’est comprendre que l’homme moralement bon n’est pas forcément politiquement compétent et que la politique ne se fait pas avec de bonnes intentions morales, l’enfer étant pavé de ces bonnes intentions…

Laurent Wauquiez sait tout cela, certainement.

Or donc, soit on se donne les moyens de peser dans ce rapport de force, c'est-à-dire d'agir en politique, soit on abdique cette responsabilité essentielle et on se réfugie dans cette posture de chaisière moralisatrice qu'adoptent Wauquiez et ses pareils, trés conscients de leur impuissance.