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03/04/2008

Prophétie

« Du côté de l’Occident, il n’y avait pas d’espoir, nous ne devons d’ailleurs jamais compter sur lui. Si nous accédons à la liberté, nous ne le devrons qu’à nous. Si le XXième siècle doit comporter quelque leçon à l’égard de l’humanité, c’est nous qui l’aurons donnée à l’Occident et non pas l’Occident à nous : l’excès du bien-être a atrophié en lui la volonté et la raison. » (in Le chêne et le veau, 1975)

Alexandre Soljenitsyne étonné de découvrir à l’Ouest un système d’étouffement de la pensée -un goulag mental-, sans doute moins brutal qu’à l’Est, mais tout aussi efficace. 

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21/02/2008

Une journée en enfer

« …le commandant du régiment, vous vous rendez compte ? Moi qui avait déjà les grelots devant le chef de bataillon…J’y fait : « combattant Turine, de l’Armée Rouge, à vos ordres ! » Il me braque dessus des sourcils féroces : « Prénom et patronyme ? » Je les dis. « Date de naissance ?» Je la donne. A l’époque en 30, j’avais quoi ? Vingt deux ans ? Un môme ! « Etats de service ? » « Au service du peuple travailleur ! » Voilà qu’il se met à bouillir. Et vlan, deux coups de poing sur la table… "Au service, qu’il répète, du peuple travailleur ? Comme quoi canaille ? » J’en ai comme un bain de vapeur dans le dedans, mais je ramasse mon courage : « Comme pointeur mitrailleur de première classe,  combattant d’élite pour la préparation militaire et polit… »- « Salaud de première classe, oui ! on nous a envoyé un papier de Kamien, ton père est un koulak, tu te caches et ça fait un an que tu es recherché ! » Moi, pâle comme un défunt, je la boucle. Tout un an je n’avais point écrit de lettres à la maison, manière qu’on ne retrouve pas ma trace ; je ne savais plus rien d’eux, ni même s’ils étaient encore de ce monde, ni eux, de moi rien. « Tu n’as pas de conscience, tu as trompé le peuple ouvrier et paysan ! » il aboyait. Ca secouait les quatre barres qu’il portait au col. Je pensais qu’il allait cogner, mais il l’a pas fait. Il a signé un papier : dans les six heures, je serais flanqué à la porte. Dehors, c’était plein novembre. On m’a enlevé mes effets d’hiver, on m’en a donné d’été, marqués au magasin 3 ans d’usage, et une capote qui venait aux genoux. Couillon comme la lune, je ne savais pas que j’avais le droit de garder ma tenue et de les envoyer se brosser le troussequin…Avec ça, un certificat à la brute-« Chassé de l’Armée Rouge comme fils de koulak » : exactement ce qu’il me fallait pour trouver de l’embauche…, quatre jours de chemin jusque chez nous, pas de feuille de route, zéro comme vivres, pas un jour, la dernière soupe et puis oust !

L’histoire tragique, parmi d’autres, de Turine, « brigadier » d’Ivan Denissovitch au goulag, racontée par Soljenitsyne. Une journée d’Ivan Denissovitch, chef d’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne, écrit en deux mois en 1959,  fut publié en 1962 en URSS et dans le monde entier, avec l’aval des autorités Soviétiques -et de Kroutchev en personne- dans un climat de déstalinisation et d’ouverture relative, propice à la révélation des horreurs du monde carcéral Soviétique que le même Soljenitsyne devait relater plus tard de façon stupéfiante et définitive dans  L’archipel du goulag.

Le monde découvre alors Soljenitsyne. Il a quarante-cinq ans ; capitaine d’artillerie pendant la guerre, et décoré pour faits d’armes, il a été arrêté en Prusse Orientale en 1945 pour propos irrespectueux à l’égard de Staline ; condamné à huit ans de bagne, libéré mais astreint à la relégation en 1953, il a été réhabilité en 1957.

Avant Ivan Denissovitch, rien de tel n’existait en URSS sur les camps Soviétiques. Saturés de romans et de souvenirs sur les camps nazis, l’expérience concentrationnaire communiste restait une réalité abstraite. Ivan Denissovitch déchire d’un coup ces ténèbres : à travers le camp de la steppe Kazakhe ou Choukhov (surnom de Denissovitch) vit sa journée, c’est la vie de tous les camps de l’archipel qui devient, pour tous une réalité concrète.

Soljenitsyne, qui a vécu onze ans de captivité, raconte dix-sept heures de la vie d’un captif, paysan de la Russie centrale.

A l’inverse de l’Archipel du goulag, ou l’auteur relate son expérience concentrationnaire personnelle avec force détails atroces, Soljenitsyne élimine dans Ivan Denissovitch, tout ce qui pourrait distraire de l’essentiel : l’horreur du camp, c’est l’interminable quotidien.

La psychologie concentrationnaire, la dégradation des êtres, ou au contraire, la sauvegarde de la dignité humaine, tout est dit avec un minimum de mots.

Ce que n’a pas vu Kroutchev, lorsqu’il donne son imprimatur, c’est que le récit dramatique de cette société concentrationnaire en évoque irrésistiblement une autre : le bagne n’est pour Soljenitsyne que le reflet caricatural de la société Soviétique, et Choukhov, l’homme du peuple, l’incarnation d’une majorité silencieuse refusant la société qu’elle subit.

Incontournable.

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06/03/2007

national-socialisme et socialisme, un regard hémiplégique

Pourquoi, se demande alors Alain Besançon, une telle différence de traitement entre ces deux formes de totalitarisme (« ces deux jumeaux hétérozygotes » selon Pierre Chaunu) ?

Dans la plupart des pays sortis du communisme, il n’a pas été question de châtier les responsables qui avaient tué, privé de liberté, ruiné, abruti leurs sujets et cela pendant deux ou trois générations. Sauf en Allemagne de l’Est et en république Tchèque, les communistes ont été autorisés à rester dans le jeu politique, ce qui leur a permis de reprendre ça et la le pouvoir. En Russie et dans d’autres républiques, le personnel diplomatique et policier est resté en place. En Occident, cette amnistie de fait a été jugée favorablement. On a comparé la confirmation de la nomenklatura à l’évolution thermidorienne des anciens Jacobins. Depuis peu, nos média reparlent même de « l’épopée du communisme » et le passé kominternien du PCF ne l’empêche nullement, avec ses avatars alter mondialistes anti libéraux et autres, d’être accepté dans le sein de la démocratie Française (on peut même voir un ministre de l’intérieur ferrailler pour faire admettre dans le jeu politique une faction communiste ouvertement révolutionnaire et anti démocratique par nature…)

Besançon avance plusieurs explications :

-         « le nazisme est mieux connu que le communisme, parce que le placard aux cadavres à été ouvert par les troupes alliées » et que plusieurs peuples européens en ont eu une expérience directe. Le crime nazi est repérable, flagrant, contrairement au goulag ou au laogaï qui restent enveloppés de brouillard et demeurent indirectement connus.

-         « le peuple juif a pris en charge la mémoire de la shoah. C’était à la fois une obligation morale et religieuse. » Nul équivalent concernant les crimes communistes compte tenu, notamment , de la multitude de peuples victimes de l’idéologie communiste.

-         « La guerre, en nouant une alliance militaire entre les démocraties et l’URSS, a affaibli les défenses immunitaires occidentales contre l’idée communiste , pourtant très fortes au moment du pacte Hitler Staline, et provoqué une sorte de blocage intellectuel. » L’héroïsme militaire soviétique prenait le pas sur l’idéologie communiste, mise en réserve. Plus encore, les soviétiques firent partie des vainqueurs et, à ce titre, figurèrent parmi les juges à Nuremberg. Et, à la différence de l’Europe orientale, l’Europe occidentale n’a pas eu l’expérience directe de l’arrivée de l’arrivée rouge, qui fut considérée comme libératrice au même titre que les autres armées alliées, ce que ne ressentaient bien sur ni les Baltes, ni les Polonais…

-         « un des grands succès du régime soviétique est d’avoir diffusé et imposé sa propre classification idéologique des régimes politiques modernes : Lénine les ramenait à l’opposition entre socialisme et capitalisme. Encore actuellement dans les livres d’histoire scolaire, on trouve le classement suivant : régime soviétique, démocraties libérales, fascismes (nazisme, fascisme italien stricto sensu  et franquisme), distinct du classement correct développé par Anna Arendt dés 1951, c’est à dire : ensembles, les deux seuls régimes totalitaires (communisme et nazisme), les régimes libéraux, les régimes autoritaires (Italie, Espagne, Hongrie, Amérique latine) qui relèvent des catégories classiques de la dictature et de la tyrannie, répertoriées depuis Aristote. »

-         la faiblesse des groupes capables de conserver la mémoire du communisme : le nazisme à duré douze ans, le communisme européen, selon les pays entre 50 et 70 ans. La durée ayant un effet auto amnistiant. Durant ce temps immense, la société civile a été atomisée, les élites ont été successivement détruites en profondeur, remplacées, rééduquées. La plupart de ceux qui auraient été en mesure de penser, et donc de dresser le bilan de cette expérience tragique, ont été privés de connaître leur histoire et ont perdu leurs capacités d’analyse. « Rien n’est si problématique, après la dissolution d’un régime totalitaire, que la reconstitution dans le peuple d’une conscience morale et d’une capacité intellectuelle normale. »

Toutes citations extraites de « Le malheur du siècle », d’Alain Besançon, Perrin 1998.