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06/08/2008

le cauchemar climatisé

Je sais bien que l’essentiel a déjà été dit sur les quelques réactions proprement incroyables de nombreux dirigeants politiques nationaux et supra nationaux européens après le non Irlandais au référendum sur le « traité simplifié de Lisbonne », en fait simple version allégée du TCE que les Français rejetèrent il y a 3 ans, appellant à faire revoter ce peuple libre (Sarkosy, Jouyet, Barroso, etc.).

Métaphore très juste du menhir gaulois sur le match de coupe qu’il faut rejouer jusqu’à ce que le résultat soit bien celui escompté…

Il y a plusieurs choses significatives la dedans :

- d’abord le mépris extraordinaire de cette « nouvelle classe » (comme dit Alain de Benoist) à l’égard des peuples européens, théoriquement souverains ; c’est bien au nom de la démocratie -qu’en réalité ils abhorrent- que ces petits clercs enterrent l’expression de la volonté populaire. On croit rêver…

Et tout y passe : la complexité des textes présentés (la faute à qui ?) –sous entendu l’ignorance et la bêtise crasse des simples citoyens, la « pollution » du scrutin par des questions annexes (les citoyens incapables de faire la part des choses et de répondre à la question posée...), un vote érroné par manque de pédagogie (sous entendu si ces messieurs nous avaient mieux expliqué la chose, notre vote eut été correct...), la dé légitimation de tout scrutin direct au nom du populisme supposé de tout référendum populaire –et il faut entendre par populisme Boulanger, Poujade, Pétain, Hitler à Nuremberg ou D'Annunzio à Fiume ! On sent bien –en définitive- que à l’instar de ces bourgeois parvenus ennoblis, constituants ou conventionnels acquis aux philosophes des Lumières, qui disaient en 1789 représenter le peuple mais qui le méprisaient souverainement et pétaient de trouille devant quelques radicaux du couvent des Jacobins, cette nouvelle élite éclairée ne tolère l’irruption d’une manifestation populaire que lorsque celle-ci est conforme à ses aspirations : le peuple oui, mais s’il ferme sa gueule.

Ce projet européen, qui semble se réduire au plus petit dénominateur commun (démocratie libérale, économie de marché et droits de l'homme) serait pourtant logiquement simple à défendre: énoncer clairement la nature du projet politique et économique (cf infra), aborder clairement les limites géographiques de cet ensemble et exposer la répartition future des pouvoirs entre les états et la commission européenne. Or ces points, capitaux, ne sont jamais clairement discutés. Pourquoi?

-la fracture de plus en plus évidente entre cette élite technocratique politicienne et mondialisée (je généralise un peu) et les peuples eux-mêmes : en France comme en Irlande, la représentation nationale était majoritairement acquise à cet avenir radieux européen alors que les peuples votèrent majoritairement contre. Comment mieux illustrer le fait que ces messieurs, par ailleurs individuellement souvent respectables et cohérents, ne représentent plus en rien les peuples européens ?

Une sorte d’impasse démagogique, d’avatar démocratique, ou l'abus de références démocratiques dans les discours masque en fait le caractère de plus en plus virtuel des conduites démocratiques. Ou d’hyper démocratie, comme dit Renaud Camus.

« A Strasbourg, Nicolas Sarkozy tente de surmonter la panne de l'Europe » (Le Monde 10/07/08).  En panne, certes, mais avant tout de sens et de légitimité populaire.

-la veulerie de ces hommes et de ces femmes qui n’ont que « démocratie »,  « république », « citoyen », « ordre juste », « volonté populaire », etc., à la bouche à chacune de toutes leurs interventions médiatiques ineptes pour s’asseoir ensuite dessus avec une tartuferie stratosphérique. Un cauchemar

Qui m’en rappela un autre, le cauchemar climatisé qu’écrivit Henry Miller au lendemain de la seconde guerre mondiale, et dans lequel il dépeignait sans fard, comme à son habitude, la dérive technocratique et anomique de l’Amérique -notamment le  vieux Sud- qu’il aimait.

Je crois bien que pour un nombre croissant d’européens, l’Europe, cette belle idée, cette référence identitaire, civilisationnelle fondamentale, est en train de devenir ce cauchemar climatisé que vomissait Miller.

 

Collines.jpg

 

Bien loin de cette démesure que détestaient les Anciens (Sarko en talonnettes courrant de droite à gauche, tel Xerxés faisant battre les flots), calé dans un fauteuil de jardin, les pieds sur un muret surplombant la mer végétale d'un pré aux grandes herbes, la fraîcheur qui monte du sol avec la nuit, mes amis les grillons, un bruit de tracteur au loin, le silence... Deux grands chênes centenaires, au milieu, de vieux barbelés rouillés sur lesquels je m'ouvrai la gorge un soir d'été au grand dam de la chaumière, ces collines bleuissantes aux silhouettes immuables que je parcourais à vélo, enfant. Le temps immobile, un remède contre l'hubris.

Le hoplite de Laconie ou d'Ionie avait peut-être le même genre de regard, au milieu de ses oliviers ou de sa vigne: pas de combat avant la récolte, ou alors une campagne brève qui permette de revenir à temps pour terminer le travail et retrouver les siens. Et s'il faut mourir, mourir dignement, comme un grec au combat.

E il naufragar m'e dolce in questo mare.