22/02/2007
Haïr son ennemi?
En démissionnant récemment de son poste de secrétaire national à l’économie et la fiscalité du PS, Eric Besson, qui m’a l’air largement plus intègre que la moyenne des apparatchiks socialistes, a sévèrement critiqué la campagne présidentielle menée par Ségolène Royal. Aussi bien sur la forme (entourage peu crédible, conseillers incompétents (les « truffes » de B Tapie..), mise à l’écart des éléphants du parti à la carrure pourtant avérée, amateurisme global, et désinvolture à son égard), que sur le fond (archaïsme d’une ligne économique toujours ambiguë vis a vis de l’économie de marché et souvent plus proche de la « rupture avec le capitalisme », déconnexion entre l’économie et le social, etc.).
Plus intéressant, Besson, faisant référence à sa « relation cordiale » avec Sarkozy, a pu dire : « Il n’y a qu’en France que l’on se croit obligé de haïr ceux du camp politique opposé. » (1)
Réflexion intéressante…Faut-il haïr son ennemi ? Est-ce une spécificité Française ? La référence martiale n’est pas anodine, et l’extrapolation du terrain politique au terrain militaire, à mon avis légitime.
Jusqu’en 1914, nous vivions en Europe selon un « ordre européen », fondé sur la conscience forte d’une appartenance à une même famille de peuples entre lesquels les guerres devaient rester limitées et soumises au « droit des gens européens ou jus publicum europeum » (2) défini en 1648 sur les ruines de la chrétienté, lors du traité de Westphalie qui mit fin aux désastres des guerres de religion et de la guerre de trente ans. Ce droit européen impliquait une parfaite symétrie entre les états. Chacun reconnaissait que la cause des autres était juste. Cette conception permettait de négocier des traités avec l’ennemi de la veille sans en faire un criminel. Il était seulement un adversaire ayant lutté pour une cause juste. Et il pouvait devenir l’allié du lendemain.
Ce droit européen fut contesté une première fois durant les guerres de la Révolution. Les révolutionnaires Français donnèrent en effet d’emblée à leur guerre un caractère idéologique, prétendant au monopole de la juste cause et justifiant la haine illimitée de l’ennemi (les « tyrans »). Le XIX éme siècle renoua avec la pratique des conférences et du respect de l’adversaire mais tout rebascula de nouveau en 1914, puis en 1939, deux guerres civiles européennes dramatiques, suicidaires. Pour Dominique Venner, « le concert européen reposait sur des valeurs de civilisation communes à toutes les élites dirigeantes » (3) « Or, depuis la fin du XIX éme siècle, la démocratisation de la vie publique, l’arrivée au pouvoir de couches nouvelles, remettent en cause ce véritable club international qui avait jusque la géré les affaires européennes. » (4) En d’autres termes, les valeurs fondatrices de la civilisation européenne avait été abandonnées au profit des passions nationalistes et des haines entre européens. Cette mobilisation passionnelle, cette haine de l’ennemi, ne doit rien aux principes de l’ancienne Europe, respectueuse du jus publicum europaeum, car elle est un héritage direct de la Révolution Française.
Après 1870, partout en Europe, le nationalisme d’origine révolutionnaire avait contaminé les esprits, même ceux qui, à l’exemple de Charles Maurras, étaient les adversaires déclarés de 1789. Les révolutionnaires substituèrent d’emblée la haine des autres (« aristocrates », « étrangers ») à l’ancestrale fidélité à la patrie. Et pour éveiller un sentiment national qui n’allait pas de soi, il fallut désigner un ennemi absolu, exhorter à une lutte à mort dont témoignent les paroles de la Marseillaise : « qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Il fallut imposer l’idée que la France était d’une nature essentiellement différente à l’Allemagne, et non un peuple ami parmi les peuples Européens. Que la première était l’incarnation du droit, de la liberté, de la civilisation, alors que l’autre n’était que barbarie. La haine du voisin- de l’ennemi- fut ainsi instrumentalisée comme un facteur de cohésion nationale capable d’apporter un exutoire aux divisions sociales ou politiques qui déchiraient le pays. (l’ennemi pouvait aussi être intérieur, comme en témoigne le génocide Vendéen) La logique de haine de l’ennemi accompagne donc naturellement la criminalisation et la volonté de destruction du vaincu. Cette vision nouvelle, « révolutionnaire » des conflits Européens permettra d’imposer aux vaincus des sanctions économiques et politiques particulièrement lourdes et injustes. Le but étant de détruire, au moins d’affaiblir durablement l’ennemi.
Revenant dans le champ politique contemporain, il est permis à chacun de constater que le respect de l’adversaire politique, tout au moins de ses idées, n’est pas la valeur dominante dans la classe politique. Terrorisme intellectuel et politiquement correct règnent en maîtres, et tend à s’imposer l’idée qu’ existerait un camp du « Bien et de la vertu universelle » (comme disait Philippe Muray), naturellement progressiste, versus le camp obscur de la Réaction aux idéaux naturellement autoritaires…
« La mise à l’index est la mise en joue des temps de trève » notait Jules Vallès. La disqualification de l’adversaire par la condamnation morale et la dénonciation édifiante est la méthode de guerre politico culturelle héritée des totalitarismes, ou l’on retrouve l’esprit Robespierriste- éliminer l’adversaire au nom du Bien, de la Raison, du Progrès, des Lumières ou de la Révolution. Il s’agit de faire de l’adversaire un criminel, un « scélérat », un ennemi du peuple », un « salaud », en lui appliquant une épithète injurieuse choisie dans un court répertoire : « fasciste », « raciste », « sioniste », « réac », récemment enrichi par « islamophobe », « homophobe » et « néoréac ». "(5)
(1) Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/election-presidentielle-2007/20070221.WWW000000383_verbatim_les_raisons_du_depart_d_eric_besson.html
(2) Dominique Venner, Le siècle de 1914. p 72.
(3) idem, p 73.
(4) Georges-Henri Soutou, L’ordre Européen du XVIé au XX é siecle, p 129.
(5) PA Taguieff, Les contre-réactionnaires, Denoel 2007.
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