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19/01/2010

novlangue

rad.jpgDe 1933 à 1947, Victor Klemperer, juif allemand, spécialiste de littérature  française et italienne à l'université de Dresde, tient méthodiquement un journal dans lequel il note les manipulations du Troisième Reich sur la langue allemande, et la façon dont la novlangue nazie (Lingua Tertii Imperii, LTI) va détruire l'esprit et la culture allemande, à l'image de tout phénomène totalitaire. Klemperer échappe de peu à la mort grâce à l'apocalypse des bombardements alliés sur Dresde en février 1945 qui vont empêcher sa déportation programmée.

Klemperer dissèque la novlangue nazie (mots, tournures, syntaxe, références littéraires, etc.) au travers de sources multiples (discours d'Adolf Hitler et de Joseph Goebbels, journaux, brochures, discussions, livres, etc.) et développe une réflexion inégalée sur le langage totalitaire et la façon dont il peut s'emparer de toute une communauté, de tout un peuple, de façon virale. Klemperer use de la métaphore du mal de mer sur un bateau qui s'empare de tout l'équipage et le conduit à se pencher au bastingage...Après guerre, Klemperer refusa l'exil et choisit de rester en RDA pour y mourir en 1960 ; son journal qui relate douze années d'Hitlérisme, ne fut publié qu'en 1995, signe s'il en était besoin que le régime totalitaire communiste est-allemand ne souhaitait nullement être confrontée à cette grille de lecture du monde totalitaire et de langues perverties par l'idéologie...

 

(photo: années 30, Hitler jugend, "We build body and soul")

« Quel fut le moyen de propagande le plus puissant de l'hitlérisme ? Etaient-ce les discours isolés de Hitler et de Goebbels, leurs déclarations à tel ou tel sujet, leurs propos haineux sur le judaïsme, sur le bolchevisme? Non, incontestablement, car beaucoup de choses demeuraient incomprises par la masse ou l'ennuyaient, du fait de leur éternelle répétition.[...] Non, l'effet le plus puissant ne fut pas produit par des discours isolés, ni par des articles ou des tracts, ni par des affiches ou des drapeaux, il ne fut obtenu par rien de ce qu'on était forcé d'enregistrer par la pensée ou la perception. Le nazisme s'insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s'imposaient à des millions d'exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. » (Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich)

A la même époque, en 1949, George Orwell publie en Angleterre 1984, une réflexion symétrique sur un monde totalitaire et la novlangue qui le structure et limite le champ de la pensée et qui ne visait pas seulement l'URSS, comme la vulgate le laisse croire, mais aussi les sociétés occidentales qui ne lui paraissaient nullement à l'abri de ce cancer.

« Ne voyez-vous pas que le véritable but du Novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n'y aura plus de mots pour l'exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. (...) Le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. Il n'y a plus, dès maintenant, c'est certain, d'excuse ou de raison au crime par la pensée. C'est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. (...) Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu'en l'année 2050, au plus tard, il n'y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? » (George Orwell, 1984)

Le but de toute novlangue est de

-graver irréductiblement dans l'esprit de chacun la doxa totalitaire,

-d'empêcher toute possibilité de pensée hétérodoxe et toute possibilité même d'expression d'une telle pensée en usant de mots, d'expressions, d'artifices syntaxiques, de concepts, de références précises et répétitives mais également en proscrivant l'usage de certains mots ou concepts assimilés à des crimes de la pensée (crim'pensée). La réduction syntaxique et lexicale du newspeak (ou novlangue) par rapport aux langages traditionnels (oldpeak) sont un but en soi destiné à réduire le champ de la pensée, de même que la suppression de toute nuance et l'usage systématique d'une pensée dichotomique (bon/mauvais ou inbon) ; autre outil fondamental du newspeak, la double pensée ou capacité à accepter simultanément deux points de vue opposés afin mettre en veilleuse tout esprit critique.

Exemples :

-apologie inconditionnelle du métissage :

« Dès les premiers contacts entre l'Homo sapiens et l'homme de Neandertal, des matériaux, des formes, des croyances ou des idées se sont mélangés. Ils ont ainsi donné naissance aux premiers objets métis (...) Toujours en mouvement, le métissage voyage d'un continent à l'autre, se modifie et s'enrichit. » (source)

Festival "Cité Métisse" à Cholet : « Cité Métisse, festival de la solidarité et de la tolérance (...). Au programme, des musiques variées, des danses métissées, mais aussi un grand forum anti-discriminations, des animations citoyennes, des rencontres associatives. Intergénérationnel et multiracial, le festival est une grande fête de famille » (source)

300px-DanielCohnBendit2005.jpg-perversion du sens :

ex : transformation du terrorisme islamique en « activités anti-islamiques » (source)

ex : remplacer la recherche de voleurs par une « lutte contre les délits d'appropriation" (source)

ex : remplacer « paupérisation » par « flexibilité » ou « Zone d'éducation prioritaire » par "collège ambition réussite"...

ex : remplacer « clandestin » par « sans-papiers » ou « privé de papiers »

-double pensée : « je suis démocrate mais certaines opinions n'ont pas lieu d'être » ou le mot célèbre du pitre Cohn bandit : « Il faut en finir avec cette histoire de majorité ! »

ad lib.

 

 

 

Ainsi la novlangue de nos progressistes libéraux-libertaires, si bien incarnée dans le venimeux Cohn-Bendit, repose-t-elle sur les mêmes principes que la LTI ou que la newspeak d'Oceania...Les mêmes ressorts totalitaires, résidant dans la perversion du Trivium (grammaire, réthorique, logique), premier niveau -littéraire- des arts libéraux, sont à l'oeuvre. Pour le pire.

Autant le savoir.

(photo: années 2010, Grünen Jugend Führer)