01/01/2007
L'Etat culturel.
C’est le titre d’un livre de Marc Fumaroli parut il y a quelques années mais toujours d’actualité. (1) Il faut lire ou relire cet essai car il permet de démonter la propagande « culturelle » moderne.
Comment la culture synonyme jadis à la fois d’épanouissement individuel et civilisation universelle, est-elle devenue en France un moyen d’uniformiser les masses dans ce qu’elles ont de moins original et de glorifier le pouvoir dans ce qu’il a de plus personnel ?
Pourquoi depuis 1981, la France de gauche a-t-elle embrassé des méthodes d’action culturelle qui doivent fort peu en fait à la tradition culturelle de gauche, celle des Lumières et de la III ème république, et doivent beaucoup à deux techniques qu’en théorie la gauche vomit : la manipulation totalitaire des foules et la commercialisation publicitaire des loisirs ?
Pourquoi cette novlangue tentaculaire : « communication culturelle », « espace culturel et populaire», que « dynamise » une « approche interdisciplinaire » « festive » et « citoyenne » ?
Telles sont quelques questions auxquelles répond Marc Fumaroli.
Il fut une époque ou la culture était conçue non comme l’immersion dans un torrent anonyme, mais comme la conquête d’un jugement et d’un goût personnel.Contrairement aux affirmations de l’Histoire officielle, le dirigisme culturel inauguré par André Malraux en 1959 et systématisé par Mitterrand et Lang en 1981 ne plonge pas ses racines dans les idéaux du front populaire. Les deux responsables de la culture dans le cabinet Blum étaient Jean Zay et Leo Lagrange auxquels Fumaroli rend hommage. Car leur conception de l’éducation populaire restait fidèle à l’idéal républicain du respect de l’individu et de sa liberté. Elle consistait à mettre à la disposition du plus grand nombre les moyens d’accès à la culture et non à leur en imposer les thèmes. Leur but était l’éveil des vocations, non le viol des foules. Léo Lagrange disait « Il ne peut s’agir, dans un pays démocratique, de caporaliser les loisirs, les distractions et les plaisirs des masses populaires, et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser » !; A placarder d’urgence lors des prides , fêtes de la musique, Nuits blanches et autres « événement festif » totalitaires que produit notre société moderne à jet continu. (comme aurait dit le regretté Philippe Muray).
Le but de la IIIeme république était de rendre les individus le plus possible capable de penser et de sentir par eux mêmes ; Le but des « animateurs culturels » d’aujourd’hui est de penser et de sentir à leur place.
Ces animateurs de cette nouvelle culture de masse, une « oligarchie démagogique » selon Fumaroli, se donnent comme ennemi à exterminer la république libérale et l’enseignement universitaire. Pour arracher le « capital culturel » aux « privilégiés » et le redistribuer aux « défavorisés » (aujourd’hui on dirait « exclus »), le bon moyen n’est pas selon eux l’éducation et encore moins la lecture (trop « individualiste »), c’est la communication enthousiaste au moyen de fêtes collectives (au passage je mesure combien Muray était dans le vrai quand il annoçait il y a quelques années ce déferlement de festivisme « solidaire » « citoyen » obligé et continu). Le modèle s’en trouve, dans l’Allemagne Hitlérienne, l’URSS Stalinienne ou la Chine communiste…
Lorsque Malraux est nommé ministre des Affaires Culturelles, il reçoit pour mission « d’accomplir le rêve de la France » (Décret du 24 juillet 1959) ; Dés lors, plus rien ne doit échapper à ce rêve. Et Jack Lang se situe dans le droit fil de cette nouvelle religion d’état. Cette politique est esclave du spectaculaire et non du substantiel et sert avant tout la gloire de ceux qui la font. D’ou la négligence et l’indigence de ce qui ne se voit pas, des bibliothèques publiques en particulier ; L’annonce théâtrale de l’ouverture de la « plus grande bibliothèque du monde » ne saurait remplace le travail obscur mais crucial de l’éducation à la culture (autrefois nommée instruction) de la jeunesse.
Ce n’est pas à force de fonctionnariat culturel, de sinécures, de prébendes, de subventions, de clientélisme, de coups médiatiques et d’argent public dépensé sans contrôle qu’on reconstituera une civilisation cultivée. La beauté et la vérité ne se fabriquant pas dans les ministères.

(1) Marc Fumaroli, L’Etat culturel, essai sur une religion moderne. De Fallois
14:00 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : état culture, festivisme, totalitaire, foules, dirigisme, novlangue, prebendes
Commentaires
c'est juste par curiosité,pour savoir ce que tu vise exactement
cordialement
bohw
Écrit par : bohw | 01/01/2007
Par ailleurs s'il existait des opinions, des courants de pensée dominants, il n'y avait pas ce politiquement correct, cet historiquement correct, outil de propagande terrible commun a tous les media, qui formate un prét-à-penser citoyen opposable à toute opinion discordante. Plus encore le terrorisme intellectuel est tel dans notre pays que la simple controverse intellectuelle, en tant que tradition, tend à disparaitre tant toute opinion divergente est stigmatisée d'emblée comme déviante, suspecte car non émise par le camp du Bien et de la Morale universelle versus les salauds de "révisionistes", vichystes", "fascistes", etc (au choix). A bien des égards, des aspects totalitaires.
Écrit par : hoplite | 01/01/2007
Opposer ce totalitarisme aux Lumières (même si toute la pensée de Lumières n'est pas dans le totalitarisme) m'apparaît une incompréhension de ce qu'a été la pensée de Condorcet, Voltaire ou Kant (je mets à part Rousseau qu'il faut trahir pour en faire un totalitaire même si hélas cela a été fait).
Écrit par : Cadichon | 02/01/2007
-l'adjectif "totalitaire" est sans doute excessif pour qualifier l'attitude d'intolérance du milieu progressiste, bien que l'intolérance aux idées et comportements differents soient une constante des régimes totalitaires.
-la filiation entre le mouvement des Lumieres, en tant que renouveau intellectuel et culturel construit sur les idées de rationalisme scientifique, de scepticisme, d'individualisme, et de tolérance et porté par Humes, Spinoza ou Montesquieu, et la radicalité Jacobine peut se concevoir (et encore, comme une application violente ou pervertie de ces idéaux). J'avoue avoir plus de mal à faire le lien entre l'idéal individualiste des Lumiéres et les mouvements totalitaires, qui me paraissent être la négation même de l'individu.
Écrit par : hoplite | 02/01/2007
Écrit par : Spinoza1670 | 02/10/2011
Écrit par : hoplite | 03/10/2011
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