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11/06/2008

L'enseignement de l'ignorance

Relu tantôt L’enseignement de l’ignorance de Michéa. Très convaincant, non seulement sur le désastre de l’éducation nationale, mais aussi sur son explication globale de ce chaos éducatif.

Globalement, et indépendamment de causes structurelles et circonstancielles (massification de l’enseignement, dégradation du niveau des enseignants du au recrutement et à une "formation" indigente dans les IUFM, méthodes d’enseignement ineptes, abandon de l’exigence d’excellence chère à Finkielkraut, irruption du chaos sociétal dans l’enceinte scolaire, etc.), Michéa pointe la responsabilité du "marché".

 Pourquoi le marché s’accommode-t-il de la destruction de l’instruction –analphabétisme et inculture- d’une majorité d’élèves ? Parce que ces élèves sont de futurs consommateurs et qu’ils est vital pour l’économie qu’ils soient le moins cultivés et le plus aliénés possibles afin d’offrir le doisneau.jpgmoins de résistance possible aux campagnes publicitaires, l’enracinement culturel et l’érudition étant des obstacles évidents à l’efficacité de la propagande consumériste…

Pourquoi persiste-t-il quelques filières sélectives formant encore une élite de jeunes gens convenablement instruits et autonomes intellectuellement ? Parce que le marché a besoin de personnel compétent pour diriger ses bras armés que sont les grandes firmes internationales.

Pourquoi dans les centres de formation de jeunes footballeurs utilisent-on encore des méthodes efficaces et traditionnelles éprouvées depuis l’antiquité (effort, sélection d’une élite, travail acharné, compétition impitoyable, autorité et discipline) ? Parce que le marché a besoin de jeunes footballeurs efficaces et brillants pour rapporter un maximum d’argent dans un secteur d’activité particulièrement lucratif. Ici, point n’est question de "sciences de l'éducation", de respect de la personnalité de l’élève ou d’éducation au " vivre ensemble"…

Nul doute donc que s’il était vital pour le marché que les jeunes lycéens soient compétents et instruits, ils le seraient..

Mais peut-être Michéa voit-il -à tort- la main invisible du marché partout ?

 

« L’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes. La société moderne, qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire de s déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires. »

Christopher Lasch. La culture du narcissisme, Climats 2000, P. 169.

 
« Quand la classe dominante prend la peine d’inventer un mot (« citoyen ») employé comme adjectif), et d’imposer son usage, alors même qu’il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (civique) et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l’exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu’ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait, à présent, que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l’exclusion et l’injustice sociale, et constitue, à ce titre, l’amorce d’un geste citoyen. » 

JC Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats 2000, p.49.

 
« Pour ne prendre qu’un seul exemple, il y a bien peu de chances que le mot d’ordre « Volem viure al païs », qui fut, comme on l’a peut-être oublié, l’étendard des paysans du Larzac, soit désormais perçu par un jeune téléspectateur autrement que comme un appel Poujadiste à rejoindre la bête immonde. Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il est donc nécessaire de rappeler quelques faits.  C’est en 1983-1984 –comme on le sait- que la Gauche française dut officiellement renoncer  (car, dans la pratique, ce renoncement lui était, depuis longtemps, consubstantiel) à présenter la rupture avec le capitalisme comme l’axe fondamental de son programme politique. C’est donc à la même époque qu’elle se retrouva dans la difficile obligation intellectuelle d’inventer, à l’usage des électeurs, et tout particulièrement de la jeunesse, un idéal de substitution à la fois plausible et compatible avec la mondialisation, maintenant célébrée, du libre-échange. Ce sera, on le sait, la célèbre lutte « contre le racisme, l’intolérance et toutes les formes d’exclusion », lutte nécéssitant, bien sûr, parallèlement à la création sur ordre de diverses organisations antiracistes, la construction méthodique des conditions politiques (par exemple, l’institution, le temps d’un scrutin, du système proportionnel) destinées à permettre l’indispensable installation  d’un « Front National » dans le nouveau paysage politique. C’est donc précisément dans cette période très trouble et très curieuse –pour tout dire très Mitterrandienne- que les médias officiels furent amenés progressivement à donner au mot de populisme- qui appartenait jusque là à une tradition révolutionnaire estimable- le sens qui est désormais le sien sous le règne de la pensée unique. »

Michéa, Ibid, p.97.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Michéa, c'est ici. (Désolé, c'est le site d'ATTAC..)

Commentaires

Superbe ! (Mais je commence à en avoir marre de faire le "béni-oui-oui" sur ce blog : vous ne voulez pas me pondre un petit billet stupide, histoire que j'exerce à peu de frais mon célèbre esprit critique ?)

Écrit par : Didier Goux | 11/06/2008

didier, l'avant dernier post sur la convergence des internationalismes, comme l'a remarqué l'abbé, était particulièrement indigent et laborieux, malgré un bon sujet de départ...je vous autorise donc a y exercer votre sagacité.
tcho

Écrit par : hoplite | 12/06/2008

Plutôt qu'y voir la main du marché, ne faut-il pas y voir la main de l'État ?

Pourquoi l'État s’accommode-t-il de la destruction de l’instruction –analphabétisme et inculture- d’une majorité d’élèves ? Parce que ces élèves sont de futurs votants et il est indispensable qu'ils prennent pour argent comptant les faux choix (entre blanc bonnet et bonnet blanc) qu'on leur propose tous les 5 ans. Parce que ces élèves sont de futurs contribuables et il est indispensable qu'ils paient leur tiers provisionnel sans demander si leur argent est sagement employé.

Pourquoi persiste-t-il quelques filières sélectives telles que celles menant à Normale Sup, Polytechnique et l'ENA formant encore une élite de jeunes gens convenablement instruits et autonomes intellectuellement ? Parce que l''Etat a besoin de personnel compétent pour diriger ses bras armés que sont les Grands Corps de la fonction publique.

Et ainsi de suite...

Écrit par : Gaston Phébus | 12/06/2008

@gaston,
j'ai eu un peu la même réaction que vous quand j'ai lu Michéa pour la première fois il y a deux ans; Je le trouvais excessif dans la dénonciation du grand satan capitaliste..., et ça allait bien avec son engagement à gauche, etc
Deux ans plus tard, ces mêmes arguments me semblent trés pertinents..;vous devriez lire ce petit opuscule qui fait vraiment réfléchir. Je pense aujourd'hui qu'il a raison quand il montre combien le système éducatif, c'est à dire cette armée rouge totalement réactionnaire, est inféodé inconsciemment aux desiderata les plus évidents de certains impératifs de la mondialisation économique.
Pour autant, Michéa me parait excessif dans sa détestation du capitalisme. Que propose-t-il de mieux? pas grand chose.
mais tout se discute, c'est l'intérêt.
à+

Écrit par : hoplite | 12/06/2008

Effectivement, tout se discute.

Il existe certains aspects du "grand satan capitaliste" ou de la "mondialisation économique" qui sont intimement liés à l'existence et l'omnipotence de l'État. La plupart des grosses boîtes dans certains secteurs-clés ont l'État comme principal client, donc elles ne survivraient pas 5 minutes si les contribuables cessaient de payer leurs impôts. Même celles qui ont les consommateurs privés comme clients, une fois qu'elles ont atteint une grosse taille, elles soudoient le régulateur pour qu'il élimine leurs concurrents, sous le prétexte fallacieux de "protéger le public". Donc elles ne survivraient pas deux ans dans un régime réellement libre.

En résumé, le libéralisme économique, ce n'est pas Bouygues, Lagardère et la Société Générale... Si Michéa (que je n'ai malheureusement pas lu) montre que le système éducatif est inféodé aux desiderata de ces créatures de l'État, alors il a peut-être raison.

Écrit par : Gaston Phébus | 12/06/2008

J'aime bien Michéa, ses écrits sont très stimulants, surtout pour un libéral comme moi (sur le plan économique). Mais au fond il ne fait que reprendre ce que beaucoup de professeurs décrient dans leur ensemble, en premier lieu Philippe Meirieu qui considérait le capitalisme comme le principal facteur de l'incendie des établissements scolaires, dans la dernière émission de "C dans l'air" consacrée à ce thème.
Alors certes, on peut toujours mettre en cause le système "libéral" dans lequel nous vivons. Depuis que les études se sont allongées, depuis qu'elles se sont démocratisées, une nouvelle temporalité est apparue. L'adolescence puis la jeunesse et avec l'allongement de la durée des études, est devenue une durée de plus en plus longue. Celle-ci a développé ses propres manières d'être et l'univers marchand s'en est saisi et exploite cette nouvelle niche et la rentabilise au maximum. Donc si crise il y a, il faut mettre en cause le système libéral puisque c'est celui-là même qui y trouve son intérêt premier.
Sauf qu'à mon sens, il s'agit d'une illusion rétrospective qui consiste à prendre une conséquence pour la cause profonde, au seul jugé de l'intérêt bien compris des différents protagonistes. Et donc si on raisonne en ces termes et qu'on pousse la logique jusqu'au bout, on arrive à la conclusion (historiquement nécessaire ?) que cela est organisé afin de transformer les élèves en consommateurs dociles, pour ensuite les livrer au marché du travail en tant que main d'oeuvre corvéable.

Je ne pense pas que l'on puisse raisonner en ces termes. Cette critique a sa légitimité, elle est malheureusement insuffisante. La mutation face à laquelle nous sommes confrontés ne relève pas simplement de la méchanceté du système capitaliste. Le mouvement est forcément beaucoup plus profond (donc en un sens, c'est encore pire) et il est attesté dans le vocabulaire de l'institution éducative lui-même (qu'on peut difficilement soupçonner d'être remplie d'ultra-libéraux). On y parle de moins en moins d'"élèves" et le mot-même d'"élève" (celui qu'on veut élever et qui désire s'élever) est remplacé par le mot de "jeune". Et précisément, au contraire de l'élève, le jeune est déjà un sujet, il est au complet. C'est donc quelqu'un qui ne demande pas à être élevé mais satisfait, épanoui, diverti et surtout, reconnu. Et cela n'est pas seulement rendu possible par le système "libéral" dans lequel nous vivons mais plutôt par le mouvement démocratique qui nous emporte.

Que l'école s'inscrive dans un mouvement démocratique, qu'elle s'ouvre au maximum de personnes, très bien. Donc elle s'est ouverte mais au moment même où la culture subissait une critique au nom de la démocratie. Il ne s'est pas agi en ouvrant l'école à tous d'ouvrir à tous la culture. Il s'agissait de soumettre aux critères de la démocratie la culture elle-même, en même temps que l'école se démocratisait.
A l'origine de ce double mouvement, il y a un livre : "Les héritiers" de Bourdieu et Passeron, écrit en 1964 et qui consiste en une critique au vitriol de l'institution éducative et qui depuis est devenue son bréviaire. Que disent Bourdieu et Passeron ? L'école se présente comme l'égalité des chances, en fait c'est le lieu de la reproduction sociale. La bourgeoisie se reproduit par l'école. Les élèves issus des autres classes partent désavantagés par rapport au bagage acquis par imprégnation par les petits bourgeois dans leur foyer. Donc l'école c'est une machine terrible : non seulement elle reproduit les classes sociales mais elle légitime l'inégalité. Et cette critique a tellement traumatisé qu'une école non reproductrice des "héritiers" a été créée.

Par exemple, l'enseignement du Français s'est caractérisé par une technicisation généralisée. C'est-à-dire que pour que les "héritiers" n'aient aucun avantage, toutes sortes de termes compliqués ont alors été introduits : la focalisation interne, la focalisation externe, l'analepse, la prolepse, la métalepse, la synecdoque, la métonymie, etc. Tout un ensemble de mots dont on était sûr que même les enfants de bourgeois ne les entendaient pas chez eux. Un enseignement technique faisait donc figure d'un enseignement égal pour tous.

Deuxième caractère de la réforme démocratique : celle de l'égalité. Au nom de l'égale dignité des individus, on a abouti à l'égale dignité des pratiques culturelles, à leur équivalence et donc à l'impossibilité de distinguer l'essentiel de l'inessentiel.

Et puis au critère d'égalité radicale, est ensuite venu s'ajouter celui de la fraternité : il ne faut laisser personne sur le bord du chemin. D'où la suppression du redoublement d'où la situation complètement délirante : on accepte des élèves plus faibles dans des classes plus avancées et dans un second temps, on révise à la baisse les exigences en s'alignant sur le niveau de ces derniers. A l'école de l'émulation a donc succédé l'école de la compassion.

Et c'est à partir de là que l'élitisme s'est vu affecté d'une valeur péjorative. Ce qui est très étrange puisque la République, ce n'était pas la haine de l'élitisme mais l'effort pour remplacer le critère de la naissance et de la fortune par le critère du travail et du mérite.

Écrit par : Wilfried | 31/08/2008

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