07/09/2008
Hésiode et Sarkosy
Discussion tantôt avec un ami. Progressiste. C’est-à-dire essayant de me convaincre du fait que demain sera mieux qu’aujourd’hui. Que certains des problèmes qui nous paraissent insolubles actuellement (destruction des milieux naturels, urbanisation galopante, démographie planétaire délirante, difficultés à trouver un Chablis correct à vil prix, etc) seront naturellement résolus demain par la marche radieuse du progrès scientifique ou technique et par l’arraisonnement du monde.
Essayé de lui faire comprendre que cette vision linéaire de l’histoire, propre aux progressistes comme aux déclinistes, est relativement récente dans l’histoire de l’humanité et n’est qu’une idéologie, parmi d’autres. Que la croyance en l'avènement d'un monde meilleur est le leg du christianisme, éminemment théorisé par saint Augustin puis sécularisé par l’esprit des lumières…Un croyance, simplement. Peine perdue…
Que des sociétés humaines vécurent durant des millénaires dans une vision cyclique, non linéaire, de leur histoire et du cours des choses. Hésiode et ses Travaux et les Jours…
Non, rien à faire, le futur sera radieux, évidemment.
*
Peu de gens, semble-t-il, ont relevé le caractère à la fois éclairant et profondément vulgaire de l’assertion phare de notre conducator bien aimé : « travailler plus pour gagner plus »
Nul doute que la grande majorité de mes contemporains (sauf vous chers lecteurs érudits), matraquée par la propagande consumériste et le modèle anthropologique utilitariste dominant dans cet hypermarché festif et compassionnel qu’est devenu l’occident, ne voit la rien de choquant ni de surprenant.
Peu savent sans doute que le travail fut pendant des millénaires et dans des civilisations très différentes une valeur éminemment servile…Que
le négoce (neg-otium) comme toute activité laborieuse visant à gagner sa vie, représentait la négation de l’otium, cette vertu, ce privilège, ce loisir du lettré propre au citoyen propriétaire terrien qui lui permettait de participer à la vie de la cité ou d’exercer son art.
Ou l’on comprend que gagner plus d’argent, et par là faire l’acquisition d’un coquet pavillon prés du périph orné d’un écran plasma de 400*400, est la meilleur façon d’atteindre sûrement cette parousie profane et moderne, désormais oméga de notre civilisation.
Que l’indice de consommation des ménages ou le taux de croissance semestriel est sans doute devenu la meilleure façon d’apprécier l’humeur de l’écureuil en cage qu’est devenu l’homo festivus occidental.
Que l’argent doit sans doute faire le bonheur, finalement.
21:10 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : progrés, occident, hésiode, marché
14/07/2008
Global
J’ai compris ça l’autre soir, en regardant sans le regarder un nième débat entre un leader syndical et un ministre du gouvernement sur i-télé, je crois. On parlait 35 heures, flexibilité, flexi sécurité, heures supplémentaires, avantages acquis, etc, etc. L’irréel de la situation, le coté absurde et tragique à la fois : deux joueurs de cartes sur le pont du Titanic…
D’un coté, un leader syndical représentant 15 à 20 % des salariés syndiqués, soit environ 3 à 5% de l’ensemble des salariés de ce pays, et de l’autre le représentant du gouvernement d’un petit état nation européen, marqué par le déclin économique, démographique et culturel, et dont l’essentiel des lois depuis quelques années ne sont que l’application de directives européennes, elles-mêmes votées par des hommes, des commissions, à la légitimité incertaine.
Cela me rappelait les débats politiques de mon enfance, c’est-à-dire de cette époque dite moderne ou les mots politique et social avaient encore un sens avant qu’ils ne soient soumis à l’économie, avant que nous passions d’une économie de marché largement étatisée à une société de marché ouverte sur un monde globalisé. Ce monde post moderne dans lequel le chiffre d’affaire de Général Motors est supérieur au PNB de l’Indonésie. Un monde ou les stratégies du capitalisme planétaire n’ont que faire des exigences sociales d’états nations obsolètes perméables à tous les flux trans nationaux de valeurs, d’hommes et de capitaux. Obsolètes car incapables désormais de peser de façon significative sur des réseaux qui se moquent bien des frontières, des lois, des hommes politiques, des commissions, des états et des leaders syndicaux…
Quel sens avait cette discussion entre deux hommes qui ne maîtrisent rien ? Aucun.
De quelle influence politique ou sociale peut se prévaloir une organisation syndicale minuscule, à fortiori ultra minoritaire au sein d’un salariat français massivement non syndiqué, dans un monde ouvert comme le notre ? D’aucune.
De Quelle marge de manœuvre, de quel poids décisionnel peut se prévaloir ce membre d’un gouvernement libéral dont la famille politique a fait plus que quiconque pour accélérer la destruction d’un modèle de société et de valeurs qu’ils font semblant de protéger ? D’aucuns.
Deux hommes impuissants pensant ou affectant de penser que le politique avait encore un poids quelconque sur les conditions de travail ou l’organisation de notre société…Du cinéma, quoi.
Constat : ce monde post moderne globalisé, fruit de cette mondialisation économique et financière mais aussi culturelle est régi par des facteurs économiques au détriment de facteurs politiques qui ne pèsent plus rien. Chaque jour apparaît un peu plus évident la disparition des politiques nationales voire trans nationales (union européenne) devant les impératifs du marché planétaire qui se joue des exigences juridiques, sociales ou culturelles de l’ancien monde moderne ou existaient des politiques économiques, monétaires, sociales étatiques et inter étatiques. L’Europe elle-même n’est qu’un marché, certes conséquent, qu’une région du monde soumise aux impératifs d’un marché globalisé. Il s’agit en fait d’une véritable révolution dont la plupart des gens de ce bas monde ne réalisent pas la signification ni les conséquences, notamment pas ces deux apparatchiks archaïques, vestiges d'un monde disparu ou en passe de l'être, qui discutaient à i-télé...
Il ne faut pas voir dans ma prose inepte une critique de l’économie de marché ou de la démocratie libérale, qui me paraissent être deux systèmes économique et politique raisonnables. Je sais trop par ailleurs ce que doit la civilisation occidentale à cette modernité singulière issue de l’état de droit, de l’économie de marché et de l’existence d’une classe moyenne bourgeoise industrieuse depuis la fin du moyen-âge. Non, il faut y voir une critique radicale de cette transformation du monde qui semble s’inscrire dans la dynamique propre du capitalisme, la création d’un marché mondial.
Il s’agit bien sur d’un phénomène complexe à propos duquel beaucoup de choses érudites ont été dites…J’y vois, moi, certaines choses nouvelles et radicales :
-l’autonomisation de l’économique par rapport au politique. Jusqu’alors, la vie économique n’était qu’une partie de l’organisation des états nations, directement dépendantes des exigences politiques –c’est-à-dire du contrôle démocratique- mais aussi sociales ou culturelles. Cela n’est plus le cas aujourd’hui. Phénomène aggravant, la sphère financière, spéculative, s’est également autonomisée de la sphère économique proprement dite,
-avec pour conséquence directe que ce ne sont plus les états nations qui arbitrent et décident, mais bien les marchés financiers et les firmes internationales. Passant ainsi d’un monde organisé autour des états nations à une économie monde, structurée par des acteurs globaux qui échappent par nature à tout contrôle sociétal ou étatique. Ce qui signifie la déterritorialisation du système capitaliste, hors de ses limites nationales habituelles ou il pouvait être soumis aux orientations du politique ou à l’audit civil. C’est l’avènement du capital en réseaux, en flux, qui lui permet de s’émanciper de toute contrainte politico étatique. Ce qui autorise une pression à la baisse des salaires, le renforcement d’une immigration dans les pays du Nord, amenant une main d’œuvre non qualifiée mais peu coûteuse et peu exigeante en terme de salaires et de contraintes sociales.
-l’irruption dans le secteur marchand de secteurs entiers qui auparavant lui échappait en grande partie : le sport, la culture, le monde de l’art, les ressources naturelles, les services, la propriété intellectuelle, etc. Ce que certains -nos amis du monde diplo- désignent sous le vocable de marchandisation du monde.
-finalement la disparition de ce paradigme de l’état providence qui depuis l’après guerre était dominant en occident car il représentait un compromis historique entre le capital et le travail, entre les nécessités du capital et les exigences sociales.
-cette deconnection de l’économique et du social va de pair avec l’impuissance grandissante des états nations dont les marges de manœuvre, notamment en terme de protection sociale ou de droit du travail sont quasiment nulles devant un capital trans national prompt à délocaliser structures, hommes et capitaux ou à faire pression à la baisse sur les salaires par l’intégration d’une main d’oeuvre immigrée.
Ou comment cette impuissance des médiateurs étatiques ou sociaux réduit radicalement leur légitimité démocratique. A quoi bon voter, élire un gouvernement ou des représentants syndicaux, s’ils n’ont plus de poids dans ce bras de fer entre le corps social et ces nouveaux acteurs globaux ? C’est en ce sens que les états nations me paraissent obsolètes dans ce nouvel ordre mondial, car trop petits pour peser véritablement.
-cette nouvelle organisation du monde, aussi complexe et mouvante soit-elle a pour conséquence une uniformisation des modes de vie, des attitudes et des comportements, favorisant l’éradication de cultures traditionnelles et, en retour, l’exacerbation de revendications identitaires, légitimes, de la part de peuples qui se sentent menacés dans leur existence même.
Une sorte de nivellement par le bas de toutes les cultures, réduites à un dénominateur commun consumériste. Une homogénéisation des cultures par le marché, instituant le primat des valeurs marchandes et un modèle anthropologique utilitariste : l’homme se définit comme un individu soucieux de produire et consommer, à l’exception de toute autre ambition…une sorte de non culture universelle du marché.
Un universalisme de l’avoir ou les individus, atomisés, aliénés et anomiques, ne sont plus définis que par leur capacité à produire et à consommer.
Illustration ici.
16:48 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : capitalisme, marché, globalisation, mondialisation, économie, anomie, aliénation
11/06/2008
L'enseignement de l'ignorance
Relu tantôt L’enseignement de l’ignorance de Michéa. Très convaincant, non seulement sur le désastre de l’éducation nationale, mais aussi sur son explication globale de ce chaos éducatif.
Globalement, et indépendamment de causes structurelles et circonstancielles (massification de l’enseignement, dégradation du niveau des enseignants du au recrutement et à une "formation" indigente dans les IUFM, méthodes d’enseignement ineptes, abandon de l’exigence d’excellence chère à Finkielkraut, irruption du chaos sociétal dans l’enceinte scolaire, etc.), Michéa pointe la responsabilité du "marché".
Pourquoi le marché s’accommode-t-il de la destruction de l’instruction –analphabétisme et inculture- d’une majorité d’élèves ? Parce que ces élèves sont de futurs consommateurs et qu’ils est vital pour l’économie qu’ils soient le moins cultivés et le plus aliénés possibles afin d’offrir le moins de résistance possible aux campagnes publicitaires, l’enracinement culturel et l’érudition étant des obstacles évidents à l’efficacité de la propagande consumériste…
Pourquoi persiste-t-il quelques filières sélectives formant encore une élite de jeunes gens convenablement instruits et autonomes intellectuellement ? Parce que le marché a besoin de personnel compétent pour diriger ses bras armés que sont les grandes firmes internationales.
Pourquoi dans les centres de formation de jeunes footballeurs utilisent-on encore des méthodes efficaces et traditionnelles éprouvées depuis l’antiquité (effort, sélection d’une élite, travail acharné, compétition impitoyable, autorité et discipline) ? Parce que le marché a besoin de jeunes footballeurs efficaces et brillants pour rapporter un maximum d’argent dans un secteur d’activité particulièrement lucratif. Ici, point n’est question de "sciences de l'éducation", de respect de la personnalité de l’élève ou d’éducation au " vivre ensemble"…
Nul doute donc que s’il était vital pour le marché que les jeunes lycéens soient compétents et instruits, ils le seraient..
Mais peut-être Michéa voit-il -à tort- la main invisible du marché partout ?
« L’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes. La société moderne, qui a réussi à créer un niveau sans précédent d’éducation formelle, a également produit de nouvelles formes d’ignorance. Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler les faits fondamentaux de l’histoire de leur pays, de faire de s déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires. »
Christopher Lasch. La culture du narcissisme, Climats 2000, P. 169.
« Quand la classe dominante prend la peine d’inventer un mot (« citoyen ») employé comme adjectif), et d’imposer son usage, alors même qu’il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (civique) et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l’exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu’ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait, à présent, que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l’exclusion et l’injustice sociale, et constitue, à ce titre, l’amorce d’un geste citoyen. »
JC Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats 2000, p.49.
« Pour ne prendre qu’un seul exemple, il y a bien peu de chances que le mot d’ordre « Volem viure al païs », qui fut, comme on l’a peut-être oublié, l’étendard des paysans du Larzac, soit désormais perçu par un jeune téléspectateur autrement que comme un appel Poujadiste à rejoindre la bête immonde. Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il est donc nécessaire de rappeler quelques faits. C’est en 1983-1984 –comme on le sait- que la Gauche française dut officiellement renoncer (car, dans la pratique, ce renoncement lui était, depuis longtemps, consubstantiel) à présenter la rupture avec le capitalisme comme l’axe fondamental de son programme politique. C’est donc à la même époque qu’elle se retrouva dans la difficile obligation intellectuelle d’inventer, à l’usage des électeurs, et tout particulièrement de la jeunesse, un idéal de substitution à la fois plausible et compatible avec la mondialisation, maintenant célébrée, du libre-échange. Ce sera, on le sait, la célèbre lutte « contre le racisme, l’intolérance et toutes les formes d’exclusion », lutte nécéssitant, bien sûr, parallèlement à la création sur ordre de diverses organisations antiracistes, la construction méthodique des conditions politiques (par exemple, l’institution, le temps d’un scrutin, du système proportionnel) destinées à permettre l’indispensable installation d’un « Front National » dans le nouveau paysage politique. C’est donc précisément dans cette période très trouble et très curieuse –pour tout dire très Mitterrandienne- que les médias officiels furent amenés progressivement à donner au mot de populisme- qui appartenait jusque là à une tradition révolutionnaire estimable- le sens qui est désormais le sien sous le règne de la pensée unique. »
Michéa, Ibid, p.97.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Michéa, c'est ici. (Désolé, c'est le site d'ATTAC..)
19:53 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : enseignement, éducation, instruction, michéa, marché, conumérisme