02/10/2008
Misère
Mr B. est mort. Brutalement. J’aimais bien Mr B. Je le suivais depuis des années pour une cardiopathie sévère. Mr B, qui n’avait pas d’enfants avait une hantise : mourir avant sa femme. La femme de Mr B., nonagénaire également, est atteinte d’une forme de démence et était progressivement devenue dépendante de son mari et des différentes aides que nous avions pu mettre en place (aide ménagère, kiné, infirmière, etc..). Mais Mr B. anticipait et redoutait par-dessus tout que sa femme se retrouve seule, sans lui, après sa mort. C’est fait, Mr B. est mort le premier, son épouse a du être placée en urgence dans un foyer adapté, c’est-à-dire couches, déambulateur, bouffe communautaire, après-midi festif avec quelques intermittents déguisés en clowns. Dépendance absolue. Misère.
Un dimanche matin, jeune externe au CHU, petit-déj croissants, ragots, outrance habituelle et heureuse avec des gens avec lesquels j’aimais travailler. Bruits de freinage en urgence puis de tôle froissée, appels au secours devant l’entrée des urgences : une 330 break pliée, un homme en sang et en pleurs qui s’extirpe de l’habitacle puis ouvre la portière arrière. Sur le plancher, un jeune garçon dans une mare de sang, inerte. Accident de chasse à quelques kilomètres de l’hôpital, coup de fusil dans le creux axillaire. Le gamin était mort pendant les quelques minutes du parcours, saigné à blanc. Deux heures de réanimation, de massage cardiaque, de défibrillation, de voies centrales, de transfusions, de solutés de remplissages, puis stop. J’ai toujours l’image de ce gamin, nu, étendu, exsangue. Une mort violente, indue, de plus. Le pire n’est pas là. Le pire c’est le visage du père et du petit frère dans la salle d’attente. Ils savent déjà.
Une de mes premières gardes de réanimation dans un petit hôpital périphérique. Un vieil homme en œdème pulmonaire sévère, sorti quelques jours plutôt de réanimation ou il avait été intubé et ventilé pour la même raison. Faut-il refaire tout ça. Pour moi, non. J’appelle son fils, anesthésiste, qui me rejoint prés de son père encore conscient. Il n'a rien dit, a gardé la main de son père dans la sienne, les larmes aux yeux. On peut apprendre beaucoup en une nuit.
Mme S. a trente cinq ans, deux petites filles de cinq et trois ans, un mari officier dans la marine et un cancer du sein métastasé avec une extension au péricarde, d’où sa présence dans le service de cardiologie ou je travaillais à l’hôpital des armées à Toulon. Mme S est condamnée à court terme, elle le sait. Son mari aussi. Tous les matins, visite avec le chef de service, infirmières, etc...Paroles rassurantes, apaisantes, protocole d’examens complémentaires fondamentalement inutiles, demi mensonges, demi vérités. Représentation ordinaire. On s’y fait assez bien, c’est le boulot. Par contre, le regard du mari et des deux petites filles dans le couloir, on ne s’y fait jamais. Il sait que sa femme va mourir, il fait front pour ne pas pleurer devant ses filles et sa femme peut-être. Nous aussi.
Il y a des matins comme ça.
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A lire, avant de gémir "on savait pas, gna gna": ici et ici
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06:43 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : islam, wildeers, costes
30/09/2008
Jo's back about kraut rock
Kraut français = Choucroute garnie ?
J’ai un problème avec le krautrock français.
Le krautrock, apparu dans les 70’s, fut initié par des groupes allemands, ce qui lui vaut cette charmante appellation kraut (choucroute).
Can, pour ne citer qu’eux, produisent alors une musique incroyable, capable, sur la base du psychédélisme en vogue, de transcender la rencontre de l’art et la technologie.
On y découvre des polyrythmies issue du jazz s’accouplant avec des parties vocales arty, des interludes ambiant, des orages rock. Le résultat est inédit, transcendantal.
Un espoir les animait en ce début des années de plomb: la science et la technologie devaient servir l’homme ; Le progrès devait être synonyme d’émancipation spirituelle, les contingences matérielles s’annulant, à la manière d’un Nirvana 2.0.
La science, nouvelle transcendance enfantée par l’homme, commençait à ce moment précis son travaille de sape qui devait contribuer à l’affaiblissement de la religion, avec les conséquences psychosociales perçues à l’heure actuelle. Mais ces groupes l’ignoraient. Et leur musique était une pytie venue transmettre ce qu’aurait du être le 20ième siècle.
L’avènement du Net, s’il est progrès majeur dans l’histoire de la technologie, n’a pas fait que nous ouvrir sur le monde et sa complexité: être connecté, avoir une identité numérique est déjà quasi-indispensable au point que la sphère intime elle-même se numérise (chats, rencontres, face book, myspace, et….blogs). Qui a dit aliénation ?
La musique en free-access se résume à une donnée transférable, catalogable, stockable, compressible et formatable.
La somme des données musicales disponible est telle qu’elle n’est plus parcourue qu’en mode shuffle, un peu comme un livre lu en diagonale et dont on ne chercherait qu’à connaître la fin.
Résultat : Les groupes de krautrock français (mis à part NLF3), sortent une musique immédiatement reconnaissable ; mais alors que le son de l’époque est fidèlement reproduit, on est frappé par une sorte de vide, comme s’il manquait quelque chose…
Ces enfants du libéralisme, décomplexés, capables de jouir sans limite, ont perdu toute transcendance.
Curieuse coïncidence : Le premier album de Turzi, figure emblématique de ce « renouveau » du kraut à béret, s’intitule « Made under autority » ;
Son dernier album, si justement intitulé « A » (-privatif ?), tente une relecture du Notre Père. Pour un résultat malheureusement quasi-risible. Ou comment, de manière inconsciente, réclamer l’autorité, les limites, la transcendance.
C’est bien de fumer des pétards devant son laptop, les mecs, mais ça fait pas tout.
PS : écouter en priorité l’album « Tagomago » de Can.
Jo
17:43 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : krautrock, can, nirvana, nlf3, tagomago
