19/04/2009
Christianisme et modernité
« Le christianisme a engendré tout ce qu’il pouvait engendrer, y compris, au travers du processus de sécularisation, les formes sociales et idéologiques qui ont pu contester son autorité sur les bases de sa propre inspiration. L’erreur serait donc d’interpréter la sécularisation comme une soustraction progressive de la sphère publique à l’emprise de la religion chrétienne. La sécularisation correspond bien à une émancipation vis-à-vis de l’Eglise, mais par le biais d’une transposition dans la sphère profane des thèmes caractéristiques de cette religion : « justice » au sens biblique du terme, pouvoir politique conçu sur le modèle du pouvoir divin, attente « eschatologique d’ « un avenir radieux », etc. René Rémond, dans son dernier livre reconnaît lui-même que « la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 constitue une version sécularisée des principes que le christianisme a contribué à introduire ou à légitimer ». Le fait générateur des sociétés modernes, ce n’est donc pas tant l’abandon de la perspective chrétienne que sa transposition profane –hérétique bien entendu du point de vue chrétien traditionnel- sous forme de toute une série de « grands récits » idéologiques où le « bonheur » a remplacé le salut, et l’avenir s’est substitué à l’au-delà. Pour le dire en d’autres termes, la sécularisation, c’est le passage de la croyance religieuse à la croyance politique, sans quitter le domaine de la croyance. On pourrait dire, de ce point de vue, que l’Eglise n’a plus été en mesure d’imposer ses vues au moment où la modernité s’achevait, non parce qu’elle avait échoué à transmettre ses valeurs , mais, au contraire, parce qu’elle avait réussi à les diffuser partout, dans un monde qui pouvait dès lors s’y référer sans elle, et même contre elle.
Il ne faut pas s’attendre aujourd’hui à une disparition du christianisme, mais à son « achèvement ». « Achèvement » signifie à la fois la fin (la phase finale) et le stade le plus achevé (la complétude). C’est en ce sens que l’on peut dire du christianisme qu’il « a fait son temps » au double sens de l’expression. Cela signifie d’une part que la foi chrétienne a aujourd’hui achevé son cycle historique, mais également que si le christianisme est appelé à s’ « achever », c’est d’abord qu’il a réussi. Marcel Gauchet, qui a bien analysé ce phénomène, a très justement décrit le christianisme comme « la religion de la sortie de la religion » -c’est-à-dire comme une religion qui portait en elle les germes de sa propre négativité, et donc de sa propre dissolution. »
Alain de Benoist, Terre et Peuple, septembre 2001.
18:43 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : christianisme, alain de benoist, marcel gauchet, sécularisation
Commentaires
Un petit livre d'entretiens de René Girard vient de paraître sous ce même titre :
http://www.amazon.fr/Christianisme-modernit%C3%A9-Ren%C3%A9-Girard/dp/2081222817/ref=sr_1_3?ie=UTF8&s=books&qid=1240164519&sr=1-3
Écrit par : Didier Goux | 19/04/2009
tiens, tiens...merci pour le lien didier.
Écrit par : hoplite | 19/04/2009
"une religion qui portait en elle les germes de sa propre négativité, et donc de sa propre dissolution"
Et de sa propre résurrection, aussi, le corps mort qui renait et la vision dynamique de la Vie qu'il implique est une chose inhérente à la mystique chrétienne, voir et revoir la dernière scène de 2001 Odyssée de l'espace, tout y est...
Écrit par : xyr | 19/04/2009
Peut-être arrive un moment où il faut tout de même envisager la disparition définitive des choses qui nous chères ou même la sienne propre. N'en va-t-il pas ainsi pour tout ce qui se meut sous le soleil et même au-delà ?
Écrit par : snake | 20/04/2009
( ayant d'ailleurs cru comprendre que le hoplite serait un affilié d'Hyppocrate (!), j'imagine que la confrontation à la dégénérescence et la disparition physique irrémédiable ainsi que toutes leurs modalités connexes ne lui est pas totalement étrangère )
Écrit par : snake | 20/04/2009
L'éternel retour, Xyr, ce n'est pas vraiment chrétien... Ah! ces chrétiens! L'art de s'approprier ce qui ne leur appartient pas!
Écrit par : Ivane | 20/04/2009
Ça nous appartient, puisque Nietzsche était un chrétien, Ivane =)
Écrit par : xyr | 20/04/2009
non, l'éternel retour ne me semble pas chrétien...au contraire, le christianisme c'est cette vision linéaire de la vie, en rupture avec la vision cyclique païenne, avec ce retour éternel des choses célébré par Hésiode. Cette conception linéaire de l'histoire humaine a trouvé dans nos sociétés modernes -au moins en occident- un écho avec l'idéologie du Progrès avec sa parousie moderne; dans le marxisme, aussi...
snake, chrétiens, athées, progressistes ou pas, nous sommes tous confrontés à la mort et à la disparition, mais ceux qui ont intégré un SENS de l'histoire voient ces choses différemment.
je tape en touche pour Nietzsche que je n'ai que très peu lu...
Écrit par : hoplite | 21/04/2009
"mais ceux qui ont intégré un SENS de l'histoire voient ces choses différemment"
Si vous entendez par là "sens de l'existence individuelle indissociable du flux Historique", en opposition culte puéril de l'éternel présent prétendument auto-créateur ( lui-même nécessairement porteur de lendemains chantants grâce aux vertus miraculeuses des jouissances quotidiennement accumulées ), alors je comprends ce que vous voulez dire .
Écrit par : snake | 22/04/2009
Les commentaires sont fermés.