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18/05/2009

ce bolchevisme de l'Antiquité?

cirque-aphrodisias.JPG« (…) La doctrine chrétienne impliquait une révolution sociale. Elle affirmait en effet, pour la première fois, non que l’âme existe, mais que tous en possèdent une identique en naissant. Les hommes de la culture antique, qui ne naissaient dans une religion que parce qu’ils naissaient dans une patrie, avaient plutôt tendance à penser qu’en adoptant un comportement empreint de rigueur et de maîtrise de soi, il pouvait arriver qu’on se forgeât une âme, mais qu’un tel sort était évidemment réservé aux meilleurs. L’idée que tous les hommes pussent indifféremment en être gratifiés, par le seul fait de leur existence, leur était choquante. Le christianisme soutenait au contraire que tout un chacun naissait avec une âme, ce qui revenait à dire que les hommes naissaient égaux devant Dieu.

D’autre part, dans son refus du monde, le christianisme se présentait comme l’héritier d’une vieille tradition biblique de détestation des puissants, d’exaltation systématique des « humbles et des pauvres », dont les prophètes et les psalmistes avaient annoncé le triomphe et la revanche sur les civilisations « iniques et orgueilleuses ». (…)

« Voici l’idéal social du prophétisme juif, écrit Gérard Walter : une sorte de nivellement général qui fera disparaître toutes les distinctions de classe et qui aboutira à la création d’une société uniforme, d’où seront bannis tous les privilèges, quels qu’ils soient . Ce sentiment égalitaire, poussé jusqu’à la dernière limite, va de pair avec celui de l’animosité irréductible à l’égard des riches et des puissants, qui ne seront pas admis dans le royaume futur. »

Dés lors, on comprend mieux que le christianisme soit d’abord apparu aux anciens comme une sorte de religion d’esclaves, véhiculant une sorte de « contre culture », ne recueillant de succès qu’auprès des insatisfaits, des déclassés, des envieux, des révolutionnaires avant la lettre :esclaves, artisans, foulons, cardeurs, savetiers, femmes isolées, etc. Celse décrit les premières communautés chrétiennes comme « un ramassis de gens ignorants et de femmes crédules, recrutés dans la lie du peuple »

Nulle idée n’est alors plus odieuse aux chrétiens que l’idée de patrie : comment pourrait-on servir à la fois la terre des pères et le Père des cieux ? Ce n’est pas de la naissance, ni de l’appartenance à la cité, ni de l’ancienneté de la lignée, que dépend le salut, mais de la seule conformité aux dogmes. Dés lors, il n’y a plus à distinguer que les croyants des incroyants, les autres frontières doivent disparaître. Hermas, qui jouit à Rome d’une grande autorité, condamne les convertis à être partout en exil : « Vous, les serviteurs de Dieu, vous habitez sur une terre étrangère. Votre cité est loin de cette cité. »

Ces dispositions d’esprit expliquent la réaction Romaine. Celse, patriote préoccupé par le salut de l’Etat, qui pressent l’affaiblissement de l’imperium et la baisse du sentiment civique qui pourrait résulter du triomphe de l’égalitarisme chrétien, commence son Discours vrai par ces mots : « Il est une nouvelle race d’hommes nés d’hier, sans patrie ni traditions antiques, ligués contre toutes les institutions religieuse et civiles, poursuivis par la justice, généralement notés d’infamie, et qui se font gloire de l’exécration commune, ce sont les chrétiens. Ce sont des factieux prétendant faire bande à part et se séparer de la société commune. »

Le principe impérial est à cette époque l’outil d’une conception du monde qui se réalise sous la forme d’un vaste projet. Grâce à lui, la pax romana règne dans un monde ordonné. (…) Mais, pour les chrétiens, l’Etat païen est œuvre de Satan. L’empire, suprême symbole d’une force orgueilleuse, n’est qu’arrogante dérision. Toute l’harmonieuse société romaine est déclarée coupable ; sa résistance aux exigences monothéistes, ses traditions, son mode de vie, sont autant d’offense aux lois du socialisme céleste. Coupable, elle doit être châtiée, c’est-à-dire détruite. »

Alain de Benoist, Les idées à l’endroit, 1979.

pour prolonger la réflexion...

Commentaires

Vos notes sont vraiment passionnantes ! :-)

Écrit par : snake | 19/05/2009

Naître tous égaux en termes de respect que l'on doit éprouver les uns envers les autres, ou encore avec la notion que tous ont une âme, ce n'est pas la même chose que naître tous avec le même potentiel.

Il y a des glissements de ce genre dans la démonstration plus haut.

Quant au projet de nivellement par le bas, la chrétienté, à long terme, n'a rien produit de semblable en Europe. Le marxisme, s'il a offert ce projet, c'est bien à l'intérieur d'un nouveau paganisme ou plutôt d'un athéisme officiel.

Écrit par : Trader | 19/05/2009

Le marxisme est un monothéisme athée et, comme tel, universaliste. Nullement un paganisme. Le christianisme égalitaire est le christianisme originel, celui qui, revenu à ses sources, l'a emporté aujourd'hui...

Écrit par : Ivane | 19/05/2009

merci snake. je fais de mon mieux...en fait je poste ce qui m'intéresse particulièrement, à un moment donné. content si quelqu'un y trouve un intérêt également.

trader, ivane. j'ai trouvé le point de vue d 'alain de benoist intéressant. comme souvent. il poursuit la réflexion de Renan, sachant que les deux peuvent être considérés comme des penseurs "traditionnels".

il ya, à l'évidence un "égalitarisme" dans la doctrine chrétienne, mais le terme "nivellement par le bas" me semble péjoratif, ce qui n'est pas, ce me semble, la vision d'adb.

le marxisme est foncièrement athée, dépourvu de toute transcendance. difficile d parler de théisme en l'occurrence.

"Naître tous égaux en termes de respect que l'on doit éprouver les uns envers les autres, ou encore avec la notion que tous ont une âme, ce n'est pas la même chose que naître tous avec le même potentiel."
trader, pas d'anachronisme...adb illustre la pensée d'hommes de l'antiquité romaine, bien loin des idéaux égalitaires contemporains. dans ce contexte antique, l'égalité était un concept vide de sens.

c'est en tout cas mon interprétation.

Écrit par : hoplite | 19/05/2009

@ Ivane

Je faisais un clin d'oeil au communisme en l'appellant "nouveau paganisme". Suffit de se rappeler les innombrables statues élevées en l'honneur des leaders communistes (Marx, Lénine et Staline).

@ hoplite,

Bon, bon, je ne ferai plus de nuance sur adb... ;)

Écrit par : Trader | 19/05/2009

trader, au contraire!!! le diable EST dans la nuance...elles sont les bienvenues

Écrit par : hoplite | 19/05/2009

"l’harmonieuse société romaine"

J'aime bien Alain de Benoist, mais il y a des moments où il dit n'importe quoi...

Écrit par : Aramis | 20/05/2009

Ajoutons que pour -peut-être- comprendre le christianisme antique, il faut aussi le replacer dans son milieu : l'orient ancien, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'était pas tendre aux faibles... Les sémites d'alors, Assur, Babylone, et bien d'autres comme le montre l'Ancien Testament, s'étaient fait une spécialité de la déportation et de l'extermination. Quant-aux Romains, leurs méthodes n'étaient guère plus douces comme le montre le carnage que fut la conquête de la Gaule...

Écrit par : Aramis | 20/05/2009

"Ajoutons que pour -peut-être- comprendre le christianisme antique, il faut aussi le replacer dans son milieu : l'orient ancien, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'était pas tendre aux faibles... Les sémites d'alors, Assur, Babylone, et bien d'autres comme le montre l'Ancien Testament, s'étaient fait une spécialité de la déportation et de l'extermination. Quant-aux Romains, leurs méthodes n'étaient guère plus douces comme le montre le carnage que fut la conquête de la Gaule..."

j'opine, aramis. sans doute utilise-t-il ce terme pour illustrer le bouleversement sans précédent que fait surgir cette doctrine égalitaire et hostile au panthéisme dans le monde romain

Écrit par : hoplite | 20/05/2009

Je ne suis pas certain que l'on puisse parler d'un ''surgissement''. Le paganisme antique devint à haut niveau très largement monothéiste; le christianisme laissa une large part à la piété multiple.

De plus le culte des saints renforça l'importance de ''lieux'' de présence du sacré (la déterritorialisation n'intervint que tardivement) sur le plan de l'orthodoxie, sans parler de la pratique et des conceptions réelles.

Sur le plan social, la question s'était déjà posée lors de la formation de la Cité (je le lisais encore chez Vernant il y a quelques heures).

A relativiser très largement donc... mais comme mythe, comme élément d'une mémoire, c'est plein d'intérêt ! Ce qui n'est pas rien.

Écrit par : Metanoïa | 24/05/2009

Le culte des saints et "l'importance des lieux", tout ça est daté. C'est le haut Moyen-Age qui, ne pouvant toujours pas extirper les anciennes croyances et pratiques, enveloppe le bonbon oriental dans un emballage un peu plus "sol et sang". Il suffit de lire les directions et injonctions des papes. Mais c'est vrai que les paganismes avaient très largement orientalisé et tendaient à la religion de l'Unique...

Écrit par : Ivane | 24/05/2009

Peut-on dire qu'il enveloppe ? Je crois que l'opposition entre vérité chrétienne/pratique populaire doit elle aussi être nuancée. Etait-ce une pure stratégie des ecclésiastiques ? Il n'y a pas que cela. Ce serait à mon avis leur prêter une capacité à penser sur le très long terme qu'une infime minorité pouvait avoir (et encore, ils n'avaient pas accès à Hegel !). Il y avait probablement un peu plus qu'un pragmatisme; une sincérité.

Nous ne sommes pas vraiment en désaccord mais disons qu'en fonction des orientations de chacun, on voit plutôt l'un ou l'autre côté de la foi...


Pour l'Un, peut-on parler d'orientalisme de Platon, d'Aristote ? Et même bien avant, de Parménide, d'Héraclite ?

Le problème, ce n'est pas tellement l'Un (le Système), mais plutôt son appréhension. En clair, est-ce qu'il peut s'identifier, purement et simplement, à l'Objet suprême qu'il s'agit de voir; en se posant en face.

Sur ce point, le christianisme a donné bien des réponses: j'ai l'impression qu'il y a déjà plusieurs tendances chez Saint Augustin, dont la démarche est très différente de celle de mystiques comme Eckhart ou Silésius.

Faire du christianisme la première étape d'un déracinement, c'est bien séduisant, mais en partie seulement. Après, l'essentiel reste le projet qui justifie telle ou telle généalogie... et là le coeur hésite !

Écrit par : Metanoïa | 24/05/2009

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