25/10/2009
"c'est le nôtre qui choque"
"Rouvrant Du sens au hasard, je tombe sur cette tirade citée par R.Camus et signée par un certain Jean-Loup Rivière, au sujet, donc, de l'Affaire Camus, et plus précisément des passages censurés de La Campagne de France : "Et dans cette autre phrase restituée, "Je n'oublie pas notre ancien rôle d'amphitryons" [ndr : le rôle d'accueil du peuple français], ne voit-on pas comme est terrible ce "notre" ? Qu'est-ce que c'est que ce sujet collectif ? Qu'est-ce que c'est que cet autre moi-même multiple qui se définirait par une identité perpétuée de siècle en siècle, et au nom de laquelle je parlerais ?"
Et R.Camus de noter par conséquent : "Ainsi, c'est le notre qui choque"."
Je fait écho au dernier post d'Hank.
Bon, je ne connais pas cet intéressant Mr Riviére, mais j'ai l'impression que dans l'assertion: "Ainsi, c'est le notre qui choque", c'est le vieux débat -toujours d'actualité- entre communautariens et liberaux qui pointe. Entre Rawls et Mc Intyre.
Pour les premiers, la venue au monde de tout être reste médiée par une famille, une culture, une communauté qui imprègne en profondeur le sujet, définissant son identité, ses valeurs morales et ses fins (son télos).
Pour les autres, les libéraux, l'homme vient au monde immédiatement, indemne de toute appartenance, comme une cire molle, disposant de droits inaliénables et absolument libre de définir ses attachements, ses valeurs et ses fins, par le biais d'une vie en société, juxtaposition d'atomes pensants recherchants leur meilleur intérêt et défendant leurs droits grâce à la justice.
Le combat du Bon (la "vie bonne" d'Aristote pour qui l'homme reste un animal social et politique), contre le Juste.
Affirmer l'existence d'un "nôtre" revient à légitimer une appartenance communautaire héritée versus une association raisonnée et révocable, contractuelle d'atomes humains libres de toute détermination.
Or pour nos modernes progressistes, cet héritage culturel qui prolonge toute appartenance communautaire, héritée, contrevient directement à l'idéologie de Progrès, d'Individu et de Raison. Sorte de surgissement archaïque au beau milieu d'une vision de société composée d'individus libres, liés, contractuellement, par l'idée de justice et disposant de leurs droits innés dans le sens de la recherche de leur meilleur intérêt qui, comme chacun sait et comme le disait Mandeville détermine l'intérêt général (la fable des abeilles) via le doux commerce et la gentille main invisible du marché (Adeam Smith)...
Loin de moi, pourtant, l’idée de nier l’apport crucial de l’idée d’individu et de raison dans l’histoire de la modernité et dans la possibilité pour les hommes de s’affranchir de tutelles pesantes mais, à l’inverse, cette vision d’un homme venant au monde nu, indemne de toute appartenance, indemne de toute identité, de tout héritage culturel, de tout enracinement communautaire, me parait dérisoire.
Et dangereuse car l’homme s’il n’est plus ni social, ni politique, ni historique, n’est plus qu’un consommateur qui vote et fait valoir ses droits dans une lutte de tous contre tous dans un monde sans repères.
La Raison moderne individualiste contre l’archaïsme communautaire.
Débat plus que jamais d’actualité à un moment où la désintégration des Etats-nations européens sous la pression conjuguée d’une immigration extra européenne massive et d’une mondialisation globalitaire, fait –partout sauf chez nos clercs- renaître l’idée de communauté. Ou comment la modernité Occidentale rationnelle, individualiste et juridique se trouve confrontée, heurtée, par la vision communautariste de populations migrantes nombreuses, nullement au fait des théories liberales…
Mais comment concilier cette vision libérale, légaliste et individualiste de la société, cet universalisme de l'Individu, avec le paradigme sociétal actuel multiculturaliste, soit la juxtaposition de communautés distinctes, voire antagonistes, sur le même territoire ?
En d'autres termes il me semble y avoir contradiction entre cet idéal liberal hérité des Lumières et la recomposition accélérée de nos sociétés selon une logique multiculturaliste, c'est-à-dire communautaire. Doux rêve venant se briser quotidiennement sur les effets dévastateurs d'un multiculturalisme imposé sur les ruines d'un Etat-nation qui n'assimile plus.
En passant.
22:39 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : rawls, mac intyre, libertariens, communautariens, aristote
Commentaires
Ce que vous écrivez sur "le libéralisme" est vraiment navrant... Aller lire les auteurs au lieu de répéter les lieux communs de tous les réacs fraichement convertis qui essaient de remonter à "la racine du mal moderne".. C'est la détestation de la liberté, et l'avènement de l'Etat total qui constitue la modernité. Notre civilisation a toujours été libérale, et ce depuis l'Antiquité.
Écrit par : Anton | 26/10/2009
*Notre civilisation a toujours été libérale, et ce depuis l'Antiquité*
Le Moyen Age est une grande période libérale, c'est bien connu. Rappelons qu'à cette époque le prêt à intérêt était interdit aux chrétiens. Seuls les juifs étaient autorisés à pratiquer l'usure.
L'empire romain n'était pas réputé non plus pour son libéralisme, surtout dans sa période finissante.
En réalité, le libéralisme moderne date du XVIIe siècle, en réaction contre les guerres de religions qui ont ensanglanté l'Europe, comme le montre Jean-Claude Michéa dans ses livres.
Contrairement à ce que croient les économistes de cette école, le libéralisme n'est pas naturel. Il ne se confond pas avec la propriété privée des moyens de production. Le libéralisme va bien au-delà de ça. Ce qu'il vise, c'est la construction d'un homme entièrement réduit à la satisfaction de ses besoins matériels.
Écrit par : Sébastien | 26/10/2009
@ Sébastien: "Seuls les juifs étaient autorisés à pratiquer l'usure." Il me semble que cela était justement dû aux Chrétiens pour qui l'Argent étant sale, seuls les Juifs, "peuple déicide" et méprisé, pouvaient s'abaisser à pratiquer l'usure. C'est les Chrétiens ont laissé cette activité aux Juifs et l'ont proscrite aux autres.
@ Hoplite: Tout ça est très intéressant. Je ne crois pas que la mondialisation est grand chose à faire dedans. Elle accélère un processus. Le transfert de souveraineté des états-nations européens à Bruxelles a commencé bien avant ce que l'on nomme la mondialisation.
Je crois aussi que la haine de soi surtout, la fatigue dûe au deux guerres mondiales ont beaucoup affaibli la France.
Eric Besson veut lancer un grand débat sur l'identité nationale en commençant d'abord avec les députés et sénateurs. On verra bien ce qui en sortira même si je n'en attends rien de spécial. Il est déjà dit que le débat sera centré sur les valeurs.
En plus avec des députés comme Vincent Peillon (PS) qui disent "la burqua n'est pas une menace à l'identité nationale"....
P.S: En soit le vêtement n'en est pas une, c'est la logique dans laquelle le port de la burqua s'intègre qui l'est. Il n'en demeure pas moins que la burqua est un pas de plus dans la direction "c'est notre norme qui doit prévaloir chez vous et non la vôtre". Mais bon quand on n'est pas capable de défendre sa norme chez soi, on ne pousse pas de cris d'orfraie, on donne les clés et on cède le bail.
Écrit par : daredevil | 26/10/2009
@anton, essayez d'être plus constructif! "navrant", "lieux communs", "réacs", "détestation de la liberté", etc. où sont les idées? le débat? un embryon de réfutation? quelle est votre position sur ce débat communautarien/libertarien? en tant que "libéral" j'imagine...que sont pour vous ces "lieux communs"? bref, argumentez, svp!
En ce qui me concerne, je pense que la théorie libérale se présente comme une théorie des droits, fondée sur une anthropologie individualiste, ie le libéralisme est un individualisme. L'individu me semble être, dans la théorie libérale, l'entité légitime tant pour la morale que pour la science. Et se pose en même temps comme un universalisme.
L'hypothèse libérale étant celle d'un individu séparé, cherchant à maximiser ses avantages en opérant de libres choix, volontaires et rationnels, sans que ceux-ci soient censés résulter des influences, expériences, contingences, ou normes propres au contexte social et culturel dans lequel il vit. Cette vision est bien sur à l'opposé de la vision anthropologique communautarienne, à mon sens. Qu'en pensez-vous, cher Anton?
@sébastien:
"En réalité, le libéralisme moderne date du XVIIe siècle, en réaction contre les guerres de religions qui ont ensanglanté l'Europe, comme le montre Jean-Claude Michéa dans ses livres. Contrairement à ce que croient les économistes de cette école, le libéralisme n'est pas naturel. Il ne se confond pas avec la propriété privée des moyens de production. Le libéralisme va bien au-delà de ça. Ce qu'il vise, c'est la construction d'un homme entièrement réduit à la satisfaction de ses besoins matériels."
entièrement d'accord. L'homme libéral se définit comme un consommateur d'utilités aux besoins illimités...
@daredevil: je me trompe surement mais la théorie libérale est le fait de la modernité occidentale, c'est à dire un phénomène daté et localisé dans l'histoire, le fruit des Lumières. Globalisation et théorie libérale sont liés.
le débat lancé par le pitre Besson est effectivement intéressant dans le contexte; et évoque avant tout pour moi un spectacle pour gogos, mais bon. à voir.
Écrit par : hoplite | 26/10/2009
Le plus fort, c'est effectivement que le libéralisme est issu de la civilisation européenne, mais qu'il est devenu un fruit monstrueux, qui parasite l'arbre qui l'a fait naître.
Aucune autre civilisation que la notre n'a donné autant de pouvoir aux marchands. En soi le commerce n'est pas mauvais: il devrait juste rester soumis au politique.
Je dirai à Anton qu'il ne faut pas oublier que le libéralisme s'est imposé aussi par la violence. Par exemple en Angleterre par les lois sur les enclosures, qui ont supprimé les terrains communaux utilisables par l'ensemble des habitants d'un village pour étendre à l'ensemble des terres le principe de la propriété privée, lois contre lesquelles eurent lieu des révoltes populaires, écrasés dans le sang.
Ainsi, en détruisant les formes de solidarité traditionnelle, le libéralisme devenu fou a transformé l'égoïsme en vertu... tout en permettant l'émancipation de l'individu. Alors la perte de sens du "notre" est une conséquence logique de son triomphe sans partage aujourd'hui.
Il ne s'agit donc pas de rejeter intégralement le libéralisme, mais bien de constater qu'il est allé beaucoup trop loin. Vivement un vrai retour du politique!
Écrit par : el topo | 27/10/2009
"Vivement un vrai retour du politique!"
oui, el topo!
peut-être avez vous lu Julien Freund ou Carl scmitt..lectures utiles en ces temps de confusion...(et je ne parle pas de Lasch ou Michéa)
http://www.grece-fr.net/textes/_txtWeb.php?idArt=694
à déguster..
Écrit par : hoplite | 27/10/2009
Lasch et Michéa font déjà partie de mon petit Panthéon personnel. Quand à Freund, je viens effectivement de le découvrir. Merci donc pour le lien même si j'ai déjà lu cette passionnante conversation, qu'on peut (doit) d'ailleurs relire tant la matière est riche. Je viens de commander "L'essence du politique", mais l'essai sur la décadence reste introuvable, sauf à un prix prohibitif. D'ailleurs si vous avez un bon plan à me suggérer, je suis preneur.
Écrit par : el topo | 28/10/2009
oui, la discussion avec Bérard est un régal.
j'ai connu Freund par Alain de Benoist et je n'ai lu que son essence du politique et l'opus de Taguieff.
pas de bon plan dans l'immédiat...
Écrit par : hoplite | 28/10/2009
Sur le libéralisme, l'identitaire Jean-Baptiste Santamaria dit ceci de très intéressant pour un réac : http://www.3e-mag.com/index.php?mode_page=Article&id_article=703&id_rubrique=25
Pour ma part, ma définition du libéralisme (européen) : vise à limiter le pouvoir de l'État afin de protéger la liberté, défendre un État régalien, favoriser une économie de marché, et garantir les droits des individus selon le « contrat social » de Rousseau. Le reste, c'est de la polémique. Je vous conseille de lire Pierre Manent, Yvan Blot, Chantal Delsol, Maurice Allais, et Philippe Nemo. Mais aussi Burke, Tocqueville, John Locke, Friedrich Hayek, Leo Strauss, Raymond Aron.
J'ai un peu l'âme libéral , mais je suis plutôt conservateur. Etre libéral ou être conservateur, ce sont des tendances, à adopter selon les époques. Aujourd'hui, je suis surtout très conservateur.
Pour plus d'info : voir ma bibliothèque : http://fr.wikipedia.org/wiki/Utilisateur:Alexandre_Wann/Bibliographie
Écrit par : Otton Wann | 31/10/2009
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