25/10/2009
pendaison
« (…) Une quarantaine de mètres nous séparaient encore de l’échafaud. Je contemplais le dos nu et sombre du prisonnier qui marchait devant moi. Malgré les liens qui le gênaient, il marchait d’un pas soutenu, avec cette allure dansante que donne aux Indiens leur manière de fléchir les genoux. A chaque pas, ses muscles jouaient avec précision, la boucle de cheveux sautillait sur son crâne, ses pieds laissaient leur empreinte sur le gravier humide. A un moment, malgré les deux hommes qui le tenaient par les épaules, il fit un léger pas de côté pour éviter une flaque d’eau.
Jusque là je n’avais jamais bizarrement réalisé tout ce que signifie l’exécution d’un homme conscient et en parfaite santé. Lorsque je vis le prisonnier faire cet écart pour éviter la flaque, je vis le mystère, l’injustice indicible qu’il y a à faucher une vie en pleine sève. Cet homme n’était pas à l’agonie, il était aussi vivant que nous. Tous les organes de son corps fonctionnaient –les intestins digéraient les aliments, la peau se renouvelait, les ongles poussaient, les tissus se formaient- tout continuait à travailler avec une solennelle absurdité. Ses ongles continueraient à pousser lorsqu’il se tiendrait sur l’échafaud, lorsqu’il tomberait dans le vide et qu’il ne lui resterait plus qu’un dixième de seconde à vivre. Ses yeux voyaient le gravier jaune et les murs gris et son cerveau se souvenait, prévoyait et raisonnait toujours –il raisonnait même sur les flaques d’eau. Lui et nous, nous formions un groupe d’hommes qui marchaient ensemble, voyaient, entendaient, sentaient, comprenaient le même monde ; et d’ici deux minutes, d’un coup net, l’un de nous allait disparaître –un esprit de moins, un univers de moins.
L’échafaud était dressé dans une petite cour, séparée de la cour centrale de la prison et envahie par les mauvaises herbes. C’était une construction en brique qui ressemblait à un appenti à trois pans, avec un toit de planches surmonté de deux poutres et d’une traverse d’où pendait une corde. Le bourreau, un condamné aux cheveux gris, vêtu de l’uniforme blanc de la prison, attendait à côté de son outil de travail. Il salua notre entrée d’un accroupissement servile. A un mot de Francis, les deux gardiens, se saisissant plus fermement du prisonnier, le poussèrent vers l’échafaud et l’aidèrent tant bien que mal à gravir l’échelle. Le bourreau monta à son tour et serra la corde autour du cou du prisonnier. (…) »
George Orwell, Une pendaison, 1931.
Récit, donc, de la pendaison d’un Indien par la police impériale Britannique dont fit partie Orwell dans sa prime jeunesse.
La question de la peine de mort fait systématiquement resurgir dans mon esprit cette flaque de boue et l’écart que fait cet homme pour ne pas se mouiller les pieds alors qu’il sait qu’il sera mort dans quelques minutes. Et me la rend insupportable, quels que soient les crimes commis par un homme.
11:46 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : george orwell, pendaison
Commentaires
Parce qu'on ne sait jamais quel geste soi-même on peut commettre et qui peut nous valoir la même condamnation...
Bon dimanche, gars...
Écrit par : Trader | 25/10/2009
oui c'est vrai, nul n'est à l'abri.
bon dimanche toi aussi, amigo
Écrit par : hoplite | 25/10/2009
connivence incompréhensible
Écrit par : jp | 25/10/2009
déjàposté un com ???
habon ?
Écrit par : jp | 25/10/2009
Je souscris entièrement et fermement à votre conclusion.
Écrit par : Didier Goux | 25/10/2009
J'ai lu beaucoup de choses contre la peine de mort, y compris le texte d'Hugo, mais cette flaque est effectivement l'un des meilleurs textes à ce sujet.
Par contre, ça ne me fait pas changer d'avis pour autant à ce sujet, il y a des cas où cela se justifie.
Écrit par : Polydamas | 25/10/2009
Je suis à peu près d'accord avec l'abolition de la peine de mort, quoique certains criminels ne me paraissent pas mériter mieux... J'ai le regret de dire que je ne trouve pas formidable, par exemple, qu'un Patrick Henry n'ait pas été coupé en deux (la guillotine et tout son sinistre rituel a d'ailleurs beaucoup fait pour l'abolition). Vous savez, les chiens enragés, on les abat. On ne se demande pas si leurs muscles fonctionnent harmonieusement, ni s'ils ont été, avant, de gentils toutous.
Toutefois, lorsque l'on a dit être opposé à la peine de mort, on n'a pas tout dit. Car il ne s'agit pas d'une petit problème de conscience personnelle un peu bousculée. Mais d'un problème de société. Celle-ci, pour qu'elle soit vivable, a le devoir de protéger les siens (la sûreté figure même parmi les droits de l'Homme) contre les fauves qu'elle peut renfermer. Ce n'est pas une question de choix, c'est un impératif catégorique. Or en France non seulement la peine de mort n'existe plus, mais la seule peine qui puisse la remplacer, la prison A VIE n'existe pas.
Écrit par : Aramis | 25/10/2009
à tous, finalement le vrai problème reste de protéger la communauté -ou la société- d'individus nuisibles. et, comme dit aramis, la prison à vie n'existe plus. il me semble donc que le bannissement à vie pourrait résoudre la question.
Écrit par : hoplite | 25/10/2009
N'oublions pas que le bon docteur Guillotin avait inventé sa machine pour "rendre service".
Écrit par : robespierre | 25/10/2009
bohh ça n'est qu'un outil...un banissement à vie et effectif du territoire national ou européen (on peut rêver..) me semble plus envisageable.
Écrit par : hoplite | 25/10/2009
Ah oui! Mais le bannissement où?
Écrit par : el topo | 27/10/2009
hors du territoire communautaire (national, continental..)
Écrit par : hoplite | 27/10/2009
"Ah oui! Mais le bannissement où?"
Très loin ce sera déjà pas mal...
Écrit par : Jean-Pierre | 27/10/2009
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