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07/03/2011

anarchist tory

george orwell

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« C’est cette nécessité de protéger la civilité et le langage traditionnels contre les effets de la domination de classe, qui est, vraisemblablement, à l’origine du besoin si souvent ressenti par Orwell de réhabiliter une certaine quantité de conservatisme. Aucune société décente, en effet, ne peut advenir ni même être imaginée, si nous persistons, dans la tradition apocalyptique ouverte par Saint Jean et Saint Augustin, à célébrer l’avènement de l’homme nouveau et à prêcher la nécessité permanente de faire du passé table rase. En réalité, on ne peut espérer changer la vie si nous n’acceptons pas de prendre les appuis appropriés sur un vaste héritage anthropologique, moral et linguistique, dont l’oubli et le refus ont toujours conduit les intellectuels révolutionnaires à édifier les systèmes politiques les plus pervers et les plus étouffants qui soient. C’est une autre manière de dire qu’aucune société digne des possibilités modernes de l’espèce humaine n’a la moindre chance de voir le jour si le mouvement radical demeure incapable d’assumer clairement un certain nombre d’exigences conservatrices. Telle est, de ce point de vue, la dernière et la plus fondamentale leçon de 1984 : le sens du passé, qui inclut forcément une certaine aptitude à la nostalgie, est une condition absolument décisive de toute entreprise révolutionnaire qui se propose d’être autre chose qu’une variante supplémentaire des erreurs et des crimes déjà commis.

« - A quoi devons nous boire cette fois [demanda O’Brien] ? A la confusion de la police de la pensée ? A la mort de Big Brother ? A l’humanité ? A l’avenir ?

- Au passé, répondit Winston.

- Le passé est plus important, consentit O’Brien gravement. » »

(Orwell anarchist tory, JC Michéa)

25/10/2009

pendaison

« (…) Une quarantaine de mètres nous séparaient encore de l’échafaud. Je contemplais le dos nu et sombre du prisonnier qui marchait devant moi. Malgré les liens qui le gênaient, il marchait d’un pas soutenu, avec cette allure dansante que donne aux Indiens leur manière de fléchir les genoux. A chaque pas, ses muscles jouaient avec précision, la boucle de cheveux sautillait sur son crâne, ses pieds laissaient leur empreinte sur le gravier humide. A un moment, malgré les deux hommes qui le tenaient par les épaules, il fit un léger pas de côté pour éviter une flaque d’eau.

Jusque là je n’avais jamais bizarrement réalisé tout ce que signifie l’exécution d’un homme conscient et en parfaite santé. Lorsque je vis le prisonnier faire cet écart pour éviter la flaque, je vis le mystère, l’injustice indicible qu’il y a à faucher une vie en pleine sève. Cet homme n’était pas à l’agonie, il était aussi vivant que nous. Tous les organes de son corps fonctionnaient –les intestins digéraient les aliments, la peau se renouvelait, les ongles poussaient, les tissus se formaient- tout continuait à travailler avec une solennelle absurdité. Ses ongles continueraient à pousser lorsqu’il se tiendrait sur l’échafaud, lorsqu’il tomberait dans le vide et qu’il ne lui resterait plus qu’un dixième de seconde à vivre. Ses yeux voyaient le gravier jaune et les murs gris et son cerveau se souvenait, prévoyait et raisonnait toujours –il raisonnait même sur les flaques d’eau. Lui et nous, nous formions un groupe d’hommes qui marchaient ensemble, voyaient, entendaient, sentaient, comprenaient le même monde ; et d’ici deux minutes, d’un coup net, l’un de nous allait disparaître –un esprit de moins, un univers de moins.

L’échafaud était dressé dans une petite cour, séparée de la cour centrale de la prison et envahie par les mauvaises herbes. C’était une construction en brique qui ressemblait à un appenti à trois pans, avec un toit de planches surmonté de deux poutres et d’une traverse d’où pendait une corde. Le bourreau, un condamné aux cheveux gris, vêtu de l’uniforme blanc de la prison, attendait à côté de son outil de travail. Il salua notre entrée d’un accroupissement servile. A un mot de Francis, les deux gardiens, se saisissant plus fermement du prisonnier, le poussèrent vers l’échafaud et l’aidèrent tant bien que mal à gravir l’échelle. Le bourreau monta à son tour et serra la corde autour du cou du prisonnier. (…) »

George Orwell, Une pendaison, 1931.

 

Récit, donc, de la pendaison d’un Indien par la police impériale Britannique dont fit partie Orwell dans sa prime jeunesse.

La question de la peine de mort fait systématiquement resurgir dans mon esprit cette flaque de boue et l’écart que fait cet homme pour ne pas se mouiller les pieds alors qu’il sait qu’il sera mort dans quelques minutes. Et me la rend insupportable, quels que soient les crimes commis par un homme.

28/07/2009

the faithfull hussar

« Une caisse, vous savez ce que c’est, une caisse, non, bordel ! »

Hoplite, plongé dans ses pensées du moment, matinées de packs de mousse et de Braudel, entortillé de Jared Diamond –je sais je suis comme ça, moi, incapable de dissocier lectures et activités profanes- ne releva point immédiatement.

C’est seulement lorsque je vis l’espèce de clown invertébré, habillé par armand thierry de pied en cap et bouc au menton, que je réalisais l’étendue du désastre. Imaginez une sorte de gros pitre grassouillet habillé comme l’as de pique, chaussé de méphistos, cravate saumon et chemise verte auréolée aux aisselles et étiqueté « chef produit » penché sur une jeune obèse suintante de peur derrière sa caisse, crevant de trouille devant cette caricature de zorglhomme moderne.

A ce moment précis, j’ai compris que c’était du flan, que cette larve ne jouait son numéro de sous chef lambda que pour le public que j'étais. Faut pas grand-chose pour saisir ça : le regard en biais qui évalue le public autour, manière de savoir si ça vaut le coup d’en remettre une couche. J’ai croisé ce regard foireux et celui de l’esclave derrière son comptoir de merde. Et, en une fraction de seconde, s’est imposé l’image de cette épicière maladroite vilipendée par son sous chef de rayon dans Un peu d’air frais, ce roman d'anticipation anti moderne et injustement méconnu d’Orwell, à la différence que le regard que je croisais n’était pas hostile. Elle ne m’en voulait pas d’assister à ce moment misérable, au contraire. Plus loin c’est cette fille misérable au bord du remblai que décrit Orwell dans Le quai de Wigan, qui m’est apparue ; la conscience claire d’un destin misérable et inéluctable de caissière de merde.

« (…) le train m’emportait à travers un monstrueux paysage de terrils, de cheminées, de tas de ferrailles, de canaux putrides, de chemins faits de boue et de cendre, tout piétinés d’empreintes de sabots. On était en mars, mais il avait fait affreusement froid, et partout élevaient encore des amoncellements de neige noircie. Comme nous traversions lentement les faubourgs de la ville, nous longeâmes d’interminables rangées parallèles de petits taudis grisâtres qui joignaient perpendiculairement le talus du chemin de fer. Derrière une de ces cahutes, une jeune femme était agenouillée sur les pavés, enfonçant un bâton dans un tuyau de plomb qui devait servir de décharge à un évier placé à l’intérieur, et qui, sans doute, s’était bouché. J’eus le temps de la détailler, avec son tablier qui pendait comme un sac, ses lourds sabots, ses bras rouges de froid. Elle leva la tête au passage du train ; un instant, je fus si prés d’elle que nous aurions presque pu nous regarder dans les yeux ; Elle avait un visage rond et pâle, le visage ordinaire et usé d’une fille grandie dans les taudis, qui a vingt-cinq ans mais en paraît quarante à force d’avortements et de travaux abrutissants, mais ce visage présentait, durant la seconde ou je l’entrevis, l’expression la plus désolée, la plus dénué d’espérance que j’ai jamais contemplée. Je saisis alors combien nous nous trompons quand nous disons : « Pour eux, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas comme pour nous » - comme si les gens qui ont grandi dans les taudis ne pouvaient rien imaginer d’autre que des taudis ; En effet, ce que j’avais lu sur son visage, ce n’était pas la souffrance ignorante d’une bête. Elle ne savait que trop bien ce qui lui arrivait, elle comprenait aussi bien que moi quelle destinée affreuse c’était d’être ainsi agenouillée là, dans ce froid féroce, sur les pavés gluants d’une misérable arrière cour, à enfoncer un bâton dans un puant tuyau d’égout. » (Orwell, Le quai de Wigan)

« But she can sing like a bird ! und Das wahr für wahr ein treuer husar!”

Et là, sous l’emprise de la boisson, je vous refourgue cette scène mythique de Pathways of glory!!! (mon côté traîneur de sabre).

et si ça ne vous émeut pas, fuck you my friends!

Et je me plaisais à imaginer un rapide pugilat, tout pack de kro cessant,  avec ce résidu de fausse couche attalinesque, ordure moderne enflée de ce petit pouvoir de marchand de merde et étiquettée chef produit de je ne sais quel surimi moisi : coup de pied dans les couilles, direct du gauche au bec, éventuellement coup de coude dans la tronche et low kick appuyé, manière de fatiguer la racaille cravatée avant de recevoir quelque vigile basané sur le rable…mais non, c’est mon côté violent et instinctif qu’il n’est pas bon de réveiller hors des salles ad hoc ! Achh, grand dommage !

 

oui, la phalange est fatiguée. mais debout.

18/07/2009

rebellitude et rebellion

the_art_of_rebellion_2_book.jpg« Sait-on qu’il y a deux querelles scolaires et que la plus célèbre –séparant l’école publique de l’école privée- n’est ni la plus vraie ni la plus acharnée ? Sait-on qu’une autre querelle, traversant l’école publique elle-même, y oppose les amis du savoir à ceux qui, sous couvert de gestion, de pédagogie ou de dévouement, en réalité les haïssent ? Sait-on qu’il n’ya depuis 1945, qu’une seule et même Réforme et que les gouvernements, qu’ils se réclament de la droite ou de la gauche, ont tous la même politique : mettre en place cette Réforme unique et tentaculaire ? Sait-on que cette dernière est radicalement hostile à toute école et à tout savoir ? »

(JC Milner, De l’école, 1984. (Linguiste, ancien mao de la gauche prolétarienne…))

« Penser aujourd’hui une dissidence possible consisterait d’abord à penser contre. Penser contre l’hubris qui s’est emparée des oligarchies libérales et mène la terre entière au fracas. Penser contre l’illimitation de la croissance qui devient criminelle dans un monde fini aux ressources restreintes. Penser contre l’illimitation du bougisme universel qui sacralise le nomadisme des hommes, des marchandises et des capitaux et qui fait droit au circulant contre la légitimité de l’habitant, mettant chacun en situation de concurrence totale au seul bénéfice d’une minorité de global leaders qui, depuis trente ans, a capitalisé à son seul profit la totalité des gains de productivité et qu’une existence off-shore protège par ailleurs des effets pervers de son activisme sans bornes. Penser contre l’illimitation territoriale qui rejette et détruit les anciens parapets protecteurs au nom d’un cosmopolitisme marchand destructeur de ce qui demeure encore des identités vivantes et des connivences sociétales. De ce point de vue, l’Union européenne, devenue un simple segment du marché mondial et une sorte d’agence humaine globale sans histoire et sans géographie, comme le déplore un esprit aussi raisonnable que Pierre Manent, ne peut que soulever la désapprobation des bons européens. »

(Pierre Bérard, Eléments juillet 2009)

« Vous savez comment ces rues gagnent les faubourgs, à la manière d’une gangrène. Ce sont d’interminables rangées de maisons jumelées –les numéros d’Ellesmore Road vont jusqu’au 212 et la nôtre est au 191- toutes les mêmes, comme dans les lotissements à bon marché, mais en plus laid. La façade en stuc, la barrière vernie, la haie des troènes, la porte d’entrée peinte en vert. Les Lauriers, Les Myrtes, Les Aubépines, Mon Abri, Mon Repos, Belle vue. Dans peut-être une maison sur cinquante un esprit libertaire, qui probablement finira à l’hospice, a peint sa porte d’entrée en bleu au lieu de la peindre en vert. »

(George Orwel, Un peu d’air frais, 1939)