13/12/2009
Spectacle contemporain et éloge de la transgression
"Thucydide, au livre VIII, chapitre 66, de La Guerre du Péloponnèse dit, à propos des opérations d’une autre conspiration oligarchique, quelque chose qui a beaucoup de parenté avec la situation où nous nous trouvons : « Qui plus est, ceux qui y prenaient la parole étaient du complot et les discours qu’ils prononçaient avaient été soumis au préalable à l’examen de leurs amis. Aucune opposition ne se manifestait parmi le reste des citoyens, qu’effrayait le nombre des conjurés. Lorsque quelqu’un essayait malgré tout de les contredire, on trouvait aussitôt un moyen commode de le faire mourir. Les meurtriers n’étaient pas recherchés et aucune poursuite n’était engagée contre ceux qu’on soupçonnait. Le peuple ne réagissait pas et les gens étaient tellement terrorisés qu’ils s’estimaient heureux, même en restant muets, d’échapper aux violences. Croyant les conjurés bien plus nombreux qu’ils n’étaient, ils avaient le sentiment d’une impuissance complète. La ville était trop grande et ils ne se connaissaient pas assez les uns les autres, pour qu’il leur fût possible de découvrir ce qu’il en était vraiment. Dans ces conditions, si indigné qu’on fût, on ne pouvait confier ses griefs à personne. On devait donc renoncer à engager une action contre les coupables, car il eût fallu pour cela s’adresser soit à un inconnu, soit à une personne de connaissance en qui on n’avait pas confiance. Dans le parti démocratique, les relations personnelles étaient partout empreintes de méfiance et l’on se demandait toujours si celui auquel on avait affaire n’était pas de connivence avec les conjurés. Il y avait en effet parmi ces derniers des hommes dont on n’aurait jamais cru qu’ils se rallieraient à l’oligarchie.» Si l’histoire doit nous revenir après cette éclipse, ce qui dépend de facteurs encore en lutte et donc d’un aboutissement que nul ne saurait exclure avec certitude, ces Commentaires pourront servir à écrire un jour l’histoire du spectacle ; sans doute le plus important événement qui se soit produit dans ce siècle ; et aussi celui que l’on s’est le moins aventuré à expliquer. En des circonstances différentes, je crois que j’aurais pu me considérer comme grandement satisfait de mon premier travail sur ce sujet, et laisser à d’autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m’a semblé que personne d’autre ne le ferait."
(Guy Debord, Commentaires sur la Société du Spectacle, 1988)
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De passage à Valencia, tantôt, déambulant le nez en l’air parmi le chaos architectural fait de palais baroques, de façades romanes et de constructions ultra-modernes, je tombais sur un petit attroupement sur un trottoir du quartier hype de la vieille ville ; des passants écartés, tonfa à la main, par quelques flics cernant deux bonhommes, genre retraités SNCF, qui avaient disposé sur une table de camping une dizaine de livres à la gloire de Primo de Rivera et de la Phalange…La disproportion entre l’étalage insignifiant de ces deux vieillards nostalgiques d’un ordre révolu et la présence fébrile de policiers, garants du nouvel ordre, était évidement risible. La démocratie en danger, à n’en point douter.
(photo: "Jouissez sans entrave" dit le Duce)
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Et, décidément, rien ne me sera épargné. En rentrant hier soir, je croise en ma bonne ville une sorte d’exposition pitoyable intitulée « Divers Cité »…Bon, faut que je développe un minimum : quinze crétins (blacks à casquette de baseball, rebeus en survets lacoste immaculés parlant fort et agitant les mains au décibels d'une cacophonie infecte propre à réjouir les suppots de Diam's, façon rapeur de sous district ethnique, et jeunes caucasiens à dreadlocks, fringues ethniques et T-shirts à la gloire du Carnicerito de la Cabana, etc..) occupés à distribuer quelques tracts ineptes appellant au sempiternel projet Babélien, vivrensemblesque et métissé, modèle anthropologique dont la faillite historique ne semble nullement constituer un obstacle ("il n’ya pas de pire menteur qu’un témoin oculaire", disaient les disciples de Béria) à la marche radieuse de l’entreprise Progressiste…Secondairement, en rentrant ma berline autrichienne (hors d’âge) dans mon garage, je me demandais ce qui pouvait expliquer l’attrait mystérieux de ces clowns invertébrés à dreadlocks, sans doute excellent lecteurs de Libé, des Inrocks et, pour les plus malins, du courrier des Lecteurs de Télérama, pour la racaille ordinaire, cette fraction la mieux visible du lumpenprolétariat * urbain moderne (prompte au travers de diverses thérapies de bolossage festif de toubabs, à leur montrer sa reconnaissance...).
Au-delà de la récupération évidente de ces abrutis décérébrés par l’industrie du Spectacle (Debord) labellisée « rebel attitude », il faut sans doute y voir cet amour inconditionnel de la transgression, propre à toute la clique progressiste (de « droite » comme de « gauche »), et qui commande la destruction méthodique de toute valeur, tout ordre symbolique et de toute tradition établie. (Au nom, bien sur de la lutte héroïque -de la résistance, mieux, de la rebellion- contre l'oppression patriarcale, cléricale et militaire contemporaine, dont chacun peut mesurer les ravages quotidiens...)
C’est ça : ce que partagent les sociologues d’état ("doctorants en sciences sociales" et autres "enseignants" à l'EHESS) des pages rebonds de Libé, si emblématiques de la « gauche » contemporaine, et ce lumpen prolétariat dérisoire fringué ethnik™ et rebel™, voire ékitabl™, c’est cette culture de la transgression, masque de la désacralisation de tout et de tous sponsorisée par quelques firmes globalisées. Cool.
(le rock désacralisé par Iggy, archéopunk s'il en est! il reste des transgressions aimables... hé hé)
* « Le lumpenprolétariat (terme emprunté de l’allemand où le mot « Lumpen » veut dire « haillons »), éléments déclassés, voyous, mendiants, voleurs, etc. Le lumpenprolétariat est incapable de mener une lutte politique organisée ; son instabilité morale, son penchant pour l’aventure permettent à la bourgeoisie d’utiliser ses représentants comme briseurs de grève, membres des bandes de pogrom, etc. » ( in Manifeste du Parti Communiste, Engels)
19:20 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : debord, spectacle
Commentaires
Je suis en train de lire "Entretiens avec Ivan Ilitch" de Dvaid Cayley (traduit aux éditions Bellarmin). En voilà un qui a dénoncé, à sa manière, notre société marchande tous azimuts. Un véritable visionnaire ayant été capable de tout remettre en question, surtout la modernité.
Ç'aurait été intéressant d'avoir son point de vue sur l'UE, la mondialisation et plein d'autres trucs insipides qui traversent notre époque...
Écrit par : Trader | 13/12/2009
oui, certainement. j'essaie, quant à moi, de pénétrer la pensée de Debord..c'est pas gagné, joualvert
Écrit par : hoplite | 13/12/2009
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