26/01/2010
bureaucratie écossaise et geste citoyen
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)
*********************************************************************************************************************
« Un marchand, comme on l'a très bien dit, n'est nécessairement citoyen d'aucun pays en particulier ; il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tient commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu'il se décide à emporter son capital d'un pays dans un autre, et, avec lui, toute l'industrie que ce capital mettait en activité. »
« Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité mais à leur égoïsme. » (Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776)
*********************************************************************************************************************
« Quand la classe dominante prend la peine d'inventer un mot (« citoyen » employé comme adjectif), et d'imposer son usage, alors même qu'il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (« civique ») et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l'exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu'ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait, à présent, que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l'exclusion et l'injustice sociale, et constitue, à ce titre, l'amorce d'un geste citoyen. » (JC Michéa, L'enseignement de l'ignorance, 1999)
21:45 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : castoriadis, adam smith, michéa
Commentaires
Oui, tout cela est d'une logique implacable.
Que faire pour inverser le cours des choses?
Que faire pour contrer la disparition de la solidarité civique dans une Nation au profit d'un clanisme, d'un tribalisme auquel nous mène l'écoeurement face à la trahison de nos supposées "élites"? Pour contrer la disparition de l'esprit civique au profit d'une citoyenneté qui ne veut plus rien dire.
Quand je pense que les soldats des deux guerres se sont fait étriper "pour la France", pour que des apatrides débarquent quotidiennement, avec la bénédiction des "citoyens associés"" et s'en sortent en héros, après déculottage public d'un ministre de l'émigration en dessous de tout et habitué à la trahison.
Je suis perso tellement écoeurée que je me dis "ma famille d'abord", je suis tentée par ce fameux repli clanique tant pratiqué par ceux qui nous dirigent, politiques et "penseurs".
On va hiberner, je pense...et espérer l'émergence d'un homme et/ou d'une femme providentiels pour nous mener au combat (voir le texte de Yanka chez Juan)
Écrit par : Marine | 27/01/2010
@marine: faire ce genre de constat n'est déjà pas donné à tout le monde...c'est le premier pas. Ensuite, la disproportion des forces en présence parait telle que tout parait verrouillé. Mais l'histoire (relis Venner et Braudel) c'est l'IMPREVU. Tout ce qui nous parait sans espoir aujourd'hui peut trés bien changer demain: pas perdre courage et comprendre que nos moyens d'actions sont limités mais pas nuls: parler, convaincre qui peut l'être, se constituer en réseau, tenter d'enrayer la machine progressiste (internet++) et dévoilant son fonctionnement réel: tout ça n'est pas nul.
et malheureusement garder à l'esprit que le combat peut être perdu et qu'un jour peut-être il faudra renoncer à ces fantômes (nation, citoyenneté,etc) pour hiverner, comme tu dis, et attendre des jours meilleurs en protégeant les siens et sauver ce qui peut l'être...
Écrit par : hoplite | 27/01/2010
Les commentaires sont fermés.