01/05/2020
Anatomie du chaos n+1: extinction de gisements anthropologiques
« (...) Castoriadis écrit en effet ceci : « Le capitalisme n’a pu fonctionner que parce qu’il a hérité d'une série de types anthropologiques qu’il n’a pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et weberiens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. Ces types ne surgissent pas et ne peuvent pas surgir d’eux-mêmes, ils ont été crées dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l’honnêteté, le service de l’état, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. Or nous vivons dans des sociétés où ces valeurs sont, de notoriété publique, devenues dérisoires, où seuls comptent la quantité d’argent que vous avez empoché, peu importe comment, ou le nombre de fois où vous êtes apparu à la télévision. » D’où l’analyse de Michéa qui soutient que c’est parce que les conditions de l’égoïsme libéral n’étaient pas encore réalisées que le marché a pu conserver, un temps, équilibre et efficacité. Tout comme le mécanisme de la pendule est stabilisé par l’inertie du balancier, la dynamique du libéralisme fut longtemps canalisé par le stock de valeurs et d’habitus constitué dans les sociétés « disciplinaires » antérieures et que lui-même est par nature incapable d’édifier. Ce stock une fois épuisé, l’échange marchand ne connaît plus de frein et sombre dans l’hubris.
Le raisonnement de Castoriadis montre que le libéralisme n’est historiquement viable que si les communautés où son règne est expérimenté sont, sociétalement, suffisamment solides et vivantes pour en contenir les aspects dévastateurs. Cette solidité tient autant à l’enracinement des systèmes de limitations culturelles et symboliques depuis longtemps intériorisés qu’aux régulations politiques d’un Etat qui ne s’était pas encore résolu à n’être qu’une structure d’accompagnement « facilitatrice » des « lois du marché ». C’est ce qui explique, par exemple, que dans la France des années soixante (la France du Général De Gaulle) la « croissance » connaisse un rythme soutenu et génère une augmentation réelle et générale du bien-être, alors que, entre autres données sociologiques très parlantes, le taux de délinquance demeurait à son plancher. La prégnance des anciens modèles comportementaux était encore dominante, et c’est sur cette base qu’ont pu s’accomplir les « trente glorieuses ». Dans les années suivantes, quand s’estompe la préoccupation du collectif et que triomphent les « égos émancipés », promus tant par les doctrinaires libertaires que par les slogans publicitaires, tous ces anticorps commencent à se dissoudre.
La période actuelle constitue pour Michéa l’aboutissement ultime d’une logique libérale désormais sans ailleurs et donc livrée à sa propre démonie. D’un côté l’extension indéfinie de la sphère marchande et, de l’autre la multiplication des conflits nés du relativisme moral. Autant de luttes qui se traduisent par de nouvelles contraintes et l’établissement d’une société de surveillance aux mailles sans cesse plus serrées. »
Pierre Bérard, Eléments, Printemps 2008.
(photo: fonctionnaires weberiens, music: Praise Ye Name The Lord - Kiev Seminary Choir)
13:36 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : pierre bérard, castoriadis, michéa
02/07/2014
cynisme
"Lors d'une émission de France 2 (Des paroles et des actes du 12/04/2012), David Pujadas semble s'être beaucoup amusé à poser au sympathique Philippe Poutou cette question surprenante et particulièrement perverse (il faut dire qu'en tant que membre éminent du Siècle -le plus sélectif des clubs de rencontre de la classe dirigeante française-, ce journaliste ne doit guère entretenir d'illusions sur la nature réelle du système qu'il a choisi de servir): "J'ai bien lu votre programme. Je n'ai rien trouvé contre la société de consommation. Est-ce que l'une des grandes formes d'aliénation aujourd'hui, ça n'est pas la dictature des marques, le dernier écran plat absolument, le dernier Smartphone absolument? Y a pas un mot là-dessus! Est-ce que ce n'est pas aussi une forme d'aliénation?" Réponse du candidat de la nouvelle extrême gauche "anticapitaliste" à cette question cyniquement debordienne: "Ouais, ben enfin, à notre avis, ce n'est pas le premier problème." Il est vrai que, pour la plupart des extrêmes gauches "citoyennes" (reconnaissons que le NPA ne va pas encore jusque là), le "premier problème" est généralement celui du "mariage gay" ou, à défaut -chacun pourra choisir-, celui de la légalisation du cannabis, du vote des étrangers ou de l'interdiction des corridas."
JC Michéa, post-face à La culture de l'égoïsme, Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis, 2012.
photo: la modernité conserve certains attraits
22:47 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : michea, pujadas, lasch, castoriadis, pulp fiction
28/06/2014
Les merguez, c'est maintenant! Apologie de la sécession.
Depuis que la gauche n’est plus socialiste et, dans son abandon de la critique sociale d’un monde désormais régi par les seules règles d’airain du capitalisme globalisé, s’est faite, sans trop d’efforts, l’ambulance de ce dernier, elle se condamne, années après années, à ne plus produire en fait de programme politique que quelques mesures sociétales parfaitement secondaires mais à même de faire tourner les moulins à prières du landernau médiatique et politique.
Ainsi, le spectacle politique n’est-il plus occupé, en général, que par des débats parfaitement secondaires tels la « dépénalisation » de telle ou telle drogue ou addiction, le « mariage homosexuel », l’ »homoparentalité » (cet oxymore), ou la parité « homme-femme » d’une classe politique toujours plus servile et abjecte, tendue vers le seul objectif de se payer sur le dos du peuple qu’elle est censée représenter.
Aux formidables avancées sociétales et/ou culturelles d’une gauche qui n’en est plus (et vécues comme des « résistances » à un ordre moral et symbolique patriarcal, clérical et militariste toujours plus évanescent) répondent les spectaculaires transgressions économiques d’une droite qui n’en est plus non plus car désormais ralliée à la seule défense de ses intérêts de classe depuis son adoption en bloc de la vulgate bourgeoise et son obsession de l’argent et de la représentation sociale. Dans cette seule perspective d’unification juridico-marchande de sociétés autonomes et auto-instituées, toute référence publique à des valeurs ou codes moraux, philosophiques ou religieux communs est désormais proscrit au profit du seul marché extensif (et ses malls climatisés peuplés de zeks) encadré du seul droit procédural (et ses cohortes d’avocats marrons toujours prompts à faire valoir les droits naturels et positifs de chacun contre les mêmes de son voisin dans une ambiance de guerre de tous contre tous très bien décrite dans le Léviathan de Hobbes, qui n’était pas précisément optimiste sur l’avenir de nos sociétés libérales.
Parmi ces questions sociétales secondaires si parfaitement mises en avant par le Spectacle afin de masquer l’abandon des vraies questions, figure le « vote des étrangers », que ne cesse d’agiter la chapelle progressiste, les uns (tendance Inrocks/Libé/Télérama) préoccupés de voir leur électorat populaire/ouvrier/prolétaire leur cracher à la gueule et pressés de se reconstituer un électorat de substitution, les autres (tendance La Tribune, Valeurs actuelles), impatients d’agiter quelques hochets traditionnels prompts à tromper les couillons dans une fiction d’alternance politique rejouée depuis quelques générations maintenant.
Or sans forcément remonter à Aristote (3) qui énonce clairement dans son livre politique les conditions de la paix civile (« partager des valeurs civilisationnelles communes), on peut s’arrêter à Castoriadis, fidèle d’Aristote et des Lumières, revenu de l’illusion léniniste et trotskyste mais nullement dupe de la forme envahissante de nos sociétés libérales qui mettait en garde contre les «bavardages sur la coexistence de n'importe quelle culture dans la diversité», estimant que le problème posé par l'immigration n'était pas (contrairement à la doxa libérale mais aussi marxiste) «économique», mais «profondément politique et culturel». Bong ! En outre, évoquant la «fermeture des sociétés islamiques» sous l'influence d'une «religion qui veut toujours régenter la société politique et civile au nom d'une loi révélée», et ne prenant pas plus de gants avec les intégristes qu'avec les staliniens ou les néolibéraux, il réfutait le victimisme musulman, qu'il sentait croître, comme une «mythologie grotesque» et antihistorique et il considérait que «les musulmans ne peuvent vivre en France que dans la mesure où, dans les faits, ils acceptent de ne plus être des musulmans sur une série de points (droit familial, droit pénal)».
En considérant l’irruption massive de peuples étrangers nullement désireux de se dépouiller d’une partie d’eux-mêmes (et au contraire prompts à revendiquer toujours plus de privilèges -lex privata- et d’ « accommodements raisonnables » en rupture avec la tradition républicaine d’égalité devant la Loi mais encouragés en toutes occasions par la même chapelle progressiste/libérale au nom d’une « laïcité ouverte ») dans nos sociétés d'abondance marquées par la «montée de l'insignifiance» liée à la «transformation des humains en machines à produire et à consommer» comme à la dépolitisation des existences individuelles ou à la soumission à un «conformisme généralisé» et à une marchandisation sans limites aboutissant à une «décomposition des sociétés occidentales» («la privatisation, l'apathie, l'inimaginable dégradation du personnel politique» (1)) on ne peut raisonnablement, à moins d’être croyant, imaginer meilleure fenêtre sur le chaos à venir.
Ainsi, que ce soit par calcul politique à court terme, par simple ignorance ou par soumission au credo progressiste enjoignant de déconstruire tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables (2),nos modernes en arrivent à imposer, à ré-introduire dans le champ politique contre le simple bon sens mais aussi contre toute une tradition de la pensée du Politique, les conditions propres à toute guerre civile de religion. Le paradoxe étant que cette tradition philosophique libérale, (éminemment importante, nous sommes TOUS des libéraux sans avoir lu Constant de même que nous sommes tous également cartésiens sans avoir lu Descartes ou chrétiens sans croire ni pratiquer, nous autres européens de souche ou de tradition) est le propre de philosophes qui, après deux siècles de guerres de religions qui déchiraient le corps social jusqu’au sein des familles, voulaient absolument immuniser la société contre cette abomination.
(1) Une société à la dérive. Entretiens et débats 1974-1997, Cornelius Castoriadis.
(2) « La bourgeoisie...partout ou elle a conquis le pouvoir, a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité naïve dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substituée aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. La bourgeoisie a dépouillée de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque là pour vénérables et qu'on considérait avec un sain respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré un voile de sentimentalité qui recouvrait les situations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent...[...] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les conditions de la production, c'est-à-dire tous les rapports sociaux ; Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations ; Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale, Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore tous les jours.» Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.
(3) « L'absence de communauté nationale est facteur de guerre civile, tant que les citoyens ne partagent pas les mêmes valeurs de civilisation. Une cité ne se forme pas à partir de gens pris au hasard, et elle a besoin de temps pour se coaguler. C'est pourquoi, parmi ceux qui ont accepté des étrangers pour fonder une cité avec eux, et pour les intégrer à la cité, la plupart ont connu des guerres civiles. Par exemple, les tyrans de Syracuse, en ayant naturalisé les immigrés, ont dû subir des révoltes. Citoyens et étrangers en sont venus à se combattre. » (Aristote, Politique, Livre V)
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"(...) Julien Freund: "Comme je l'ai souligné dans ma Sociologie du conflit, il y a deux conditions pour qu'une crise dégénère en conflit. D'abord que s'affirme une bipolarisation radicale ; enfin, que le tiers s'efface. Tant que le tiers subsiste et parvient à affirmer son autorité, il n'y a guère de risque que la crise ne débouche sur un affrontement. Dans la société, la crise est une occurrence banale tant qu'il y a inclusion du tiers ; le conflit n'intervient qu'avec son exclusion. C'est cette exclusion qui est polémogène. Dans la situation présente du pays, le tiers est constitué par l'Etat et les différentes institutions qu'il patronne, comme l'école par exemple dont nous avons parlé, or non seulement l'Etat est frappé par la déshérence du politique, ce qui signifie qu'il se déleste de sa fonction cardinale qui est de pourvoir à la sûreté de chacun, mais les institutions subissent une sorte de pourrissement qui les rend de plus en plus inaptes à manifester leur vocation spécifique... Une distance culturelle qu'on ne parvient pas à combler entre l'immigration musulmane et le milieu d'accueil avec un danger de surchauffe violente, et un tiers en voie de dissolution ; cela, voyez-vous, me fait craindre le pire pour les années à venir.
Pierre Bérard. - Les libéraux pensent que c'est le marché qui est intégrateur.
J.F. - Le goulag en moins, ce qui n'est pas mince, c'est une utopie aussi dangereuse que celle des Léninistes.
P.B. - L'ignominie du communisme, c'est qu'il a fini par rendre le libéralisme désirable! (...) "Conversation avec Julien Freund, Pierre bérard.
effacement du tiers..
20:08 | Lien permanent | Commentaires (149) | Tags : aristote, freund, castoriadis
09/10/2013
si vis pacem
A écouter jusqu'au bout+++ passionnant.
Une remarque particulièrement pertinente de Montbrial porte sur le fait que les générations actuelles (notamment les hommes qui dirigent et composent le système judiciaire, les forces de l'ordre -l'armée même?, la police, etc.) n'ont pas connu la violence, la guerre, les situations de combat (contrairement aux générations antérieures qui avaient connu et vécu au moins une guerre sinon plusieurs)...Ils n'ont connu que la paix, les trente glorieuses, la prospérité économique, des sociétés policées et relativement apaisées. Or ces hommes -ces juges en particulier- se retrouvent confrontés à une violence illégitime qui explose depuis 40 ans (pas uniquement à cause de l'immigration de masse comme l'écrit Obertone mais aussi à cause de la transformation des types anthropologiques sous l'emprise libérale et la disparition des types anthropologiques anciens, comme l'écrit Castoriadis -cf. infra) avec un logiciel idéologique inadapté -et meurtrier pour les victimes. Désinhibition d'un côté (malfrats) vis-à-vis de la violence et de l'usage des armes, inhibition de l'autre côté (corps constitués police/gendarmerie)....
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993
Il est plus que probable, comme le sous-entend Montbrial, que, sous l'effet de la transformation accélérée de nos sociétés de marché désormais essentiellement peuplées de zeks et de chacals (cf infra/Michea), l'appareil judiciaire doive s'adapater à cet état de fait et à cet ensauvagement (Thérèse Delpech) de notre monde...ne serait-ce que pour permettre à ces troupeaux de zeks de se rendre dans leurs malls climatisés sans se faire systématiquement dépouiller...et pouvoir encore parler de "démocratie" ou d'"Etat de Droit"...Entre la clique des journaleux, sociologues et autres politicards (ces kapos idéologiques/médiatiques, comme dit Three Pigletts) et les hordes de cpf dont Obertone décrit si bien l'action quotidienne (ces kapos physiques), les peuples sont livrés à une violence ordinaire, une barbarie montante sans avoir même la ressource de ce Léviathan, cet état fort dont parlait Hobbes car seul à même de limiter la guerre de tous contre tous.
"En assignant à toute activité humaine un objectif unique (la thune), un modèle unique (la transaction violente ou bizness) et un modèle anthropologique unique (être un vrai chacal), la Caillera se contente, en effet de recycler, à l'usage des périphéries du système, la pratique et l'imaginaire qui en définissent le Centre et le Sommet. L'ambition de ses membres n'a, certes, jamais été d'être la négation en acte de l'Économie régnante. Ils n'aspirent, tout au contraire, qu'à devenir les golden boys des bas-fonds. Calcul qui est tout sauf utopique. Comme l'observe J. de Maillard, « sous nos yeux, l'économie du crime est en train d'accomplir la dernière étape du processus : rendre enfin rentable la délinquance des pauvres et des laissés pour compte, qui jadis était la part d'ombre des sociétés modernes, qu'elles conservaient à leurs marges. La délinquance des pauvres, qu'on croyait improductive, est désormais reliée aux réseaux qui produisent le profit. Du dealer de banlieue jusqu'aux banques de Luxembourg, la boucle est bouclée. L'économie criminelle est devenue un sous-produit de l'économie globale, qui intègre à ses circuits la marginalité sociale. »
À la question posée, il convient donc de répondre clairement que si la Caillera est, visiblement, très peu disposée à s'intégrer à la société, c'est dans la mesure exacte où elle est déjà parfaitement intégrée au système qui détruit cette société. C'est évidemment à ce titre qu'elle ne manque pas de fasciner les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu'il existe une façon romantique d'extorquer la plus-value. Une telle fascination intellectuelle pour la « fièvre généreuse du délinquant » (Foucault) serait, cependant, difficile à légitimer sans le concours bienveillant de la sociologie d’État. Cette étrange sociologie, en effet, afin de conférer aux pratiques, légales et illégales, du système qui l'emploie cette couleur « rebelle » qui les rend à la fois politiquement correctes et économiquement rentables, recourt à deux procédés principaux qui, quand on y réfléchit, sont assez peu compatibles.
Tout d'abord, elle s'efforce d'inscrire ce qu'Orwell nommait « le crime moderne » dans la continuité des délits et des crimes d'autrefois. Or ce sont là deux univers très différents. Le bandit d'honneur des sociétés traditionnelles (le cas des pirates est plus complexe) puisait sa force et sa légitimité historique dans son appartenance à une communauté locale déterminée ; et, en général, il s'en prenait d'abord à l'État et aux divers possédants. Le délinquant moderne, au contraire, revendique avec cohérence la froide logique de l'économie pour « dépouiller » et achever de détruire les communautés et les quartiers dont il est issu . Définir sa pratique comme « rebelle », ou encore comme une « révolte morale » (Harlem Désir) voire, pour les plus imaginatifs, comme « un réveil, un appel, une réinvention de l'histoire » (Félix Guattari), revient, par conséquent, à parer du prestige de Robin des Bois les exactions commises par les hommes du Sheriff de Nottingham. Cette activité peu honorable définit, en somme, assez bien le champ d'opérations de la sociologie politiquement correcte.
Quand au second procédé, il consiste à présenter l'apparition du paradigme délinquant moderne - et notamment son rapport très spécifique à la violence et au plaisir qu'elle procure - comme l'effet mécanique de la misère et du chômage et donc, à ce titre, comme une réponse légitime des exclus à leur situation. Or s'il est évident que la misère et le chômage ne peuvent qu'accélérer en retour la généralisation du modèle délinquant moderne, aucun observateur sérieux - ou simplement honnête - ne peut ignorer que ce modèle a d'abord été célébré dans l'ordre culturel, en même temps qu'il trouvait ses bases pratiques dans la prospérité économique des « trente Glorieuses ». En France, par exemple, toutes les statistiques établissent que le décollage des pratiques délinquantes modernes (de même que la constitution des mythologies de la drogue) a lieu vers 1970, tandis qu'en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas il est perceptible dès 1964-1965. Expliquer le développement de la délinquance moderne (développement qui, dans un premier temps - on s'en souvient - avait été tenu par la sociologie officielle pour un pur « fantasme » des classes populaires) comme un effet conjoncturel du chômage est évidemment une procédure gagnante pour le système capitaliste. D'une part, elle conduit à présenter la « reprise économique » - c'est-à-dire l'aide accrue de l'État aux grandes firmes - comme la clé principale du problème ; de l'autre, elle dispense d'interroger ce qui, dans la logique même du capitalisme de consommation, et la culture libérale-libertaire qui lui correspond, détermine les conditions symboliques et imaginaires d'un nouveau rapport des sujets à la Loi." L'Enseignement de l'ignorance, Jean-Claude Michéa, Éditions Climats
Si la caillera est aujourdhui le nouveau type anthropologique dominant, qu'elle porte capuche ou cravate, il n'y a donc rien à attendre du système car la corruption de ses mécanismes (notamment la tâche de protéger les citoyens contre les prédateurs de tous ordres en usant de la seule violence légitime) et à cause de ce nouveau rapport à la Loi dont parlent Michea et Castoriadis, n'est pas prête de s'atténuer. Mieux, comme le dit Eric Werner:
"En attisant les antagonismes et la défiance mutuelle, elle [immigration de masse] paralyse les réactions et défenses de la population. Pour une classe dirigeante corrompue, une société balkanisée est plus facile à contrôler qu’une société homogène. L’insécurité née de l’immigration devient même une arme formidable de gouvernement. En laissant les délinquants agir à sa place, le pouvoir fait d’une pierre deux coups. L’ordre se défait, mais le désarroi même qui en résulte débouche paradoxalement dans une relégitimisation du pouvoir, car le pouvoir apparaît comme l’ultime rempart contre le désordre triomphant . Le pouvoir tire ainsi argument de l’insécurité pour que les citoyens se résignent à l’abandon de leurs droits, comme la légitime défense." Eric Werner, NRH
11:55 | Lien permanent | Commentaires (65) | Tags : montbrial, légitime défense, castoriadis
13/02/2013
corruption
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. »
Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993.
"Lors d'une émission de France 2 (Des paroles et des actes du 12/04/2012), David Pujadas semble s'être beaucoup amusé à poser au sympathique Philippe Poutou cette question surprenante et particulièrement perverse (il faut dire qu'en tant que membre éminent du Siècle -le plus sélectif des clubs de rencontre de la classe dirigeante française-, ce journaliste ne doit guère entretenir d'illusions sur la nature réelle du système qu'il a choisi de servir): "J'ai bien lu votre programme. Je n'ai rien trouvé contre la société de consommation. Est-ce que l'une des grandes formes d'aliénation aujourd'hui, ça n'est pas la dictature des marques, le dernier écran plat absolument, le dernier Smartphone absolument? Y a pas un mot là-dessus! Est-ce que ce n'est pas aussi une forme d'aliénation?" Réponse du candidat de la nouvelle extrême gauche "anticapitaliste" à cette question cyniquement debordienne: "Ouais, ben enfin, à notre avis, ce n'est pas le premier problème." Il est vrai que, pour la plupart des extrêmes gauches "citoyennes" (reconnaissons que le NPA ne va pas encore jusque là), le "premier problème" est généralement celui du "mariage gay" ou, à défaut -chacun pourra choisir-, celui de la légalisation du cannabis, du vote des étrangers ou de l'interdiction des corridas."
JC Michéa, post-face à La culture de l'égoïsme, Christopher Lasch et Cornelius Castoriadis, 2012.
« Ce n'est que de nos jours, qu'il est possible de commencer à mesurer exactement les effets politiquement catastrophiques de la croyance au caractère conservateur de l'ordre économique et libéral. C'est ce postulat insensé qui, depuis trente ans n'a cessé de conduire mécaniquement la plupart des militants de gauche à tenir l'adoption a priori de n'importe quelle posture modernisatrice ou provocatrice -que ce soit sur un plan technologique, moral ou autre- pour un geste qui serait toujours et par définition , « révolutionnaire », et « anti-capitaliste » ; terrible confusion qui, il est vrai, a toujours eu l'incomparable avantage psychologique d'autoriser ceux qui s'y soumettaient, à vivre leur propre obéissance à l'ordre industriel et marchand comme une modalité exemplaire de la « rebel attitude ».
JC Michéa, Préface à La culture du narcissisme de Christopher Lasch.
22:05 | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : lasch, michea, castoriadis
03/11/2012
ok?
Au fond, c’est quoi l'Algérie?
Une partie du Maghreb, ce "couchant", une région peuplée dans l'antiquité de berbères berbérophones, successivement colonisés par des phéniciens (Carthage) puis des romains, puis des Vandales, puis des arabo-musulmans depuis le début du VII ème siècle après JC et, enfin, depuis le début du XV ème siècle une régence ottomane jusqu'à l'arrivée de Bugeaud et la chute de la smala d'Abd el kader. Autant dire que l'Algérie, en tant que nation, n'existe que depuis la colonisation française...Or la colonisation européenne a duré 130 ans, la régence Turque a duré plus de 3 siècles, la colonisation arabo musulmane dure depuis 14 siècles...
Si les algériens parlent l'arabe aujourd'hui et prient Mahomet c'est uniquement parce qu'ils furent envahis, colonisés par des arabes et convertis de force à l'islam...comme le dit Castoriadis ci-dessous. Mais alors pourquoi ne pas demander aux arabes ou aux turcs des excuses? parce que ce sont des musulmans, simplement..où l'on voit clairement la vision hémiplégique -sinon malhonnête- de ces cuistres du FLN, assassins notoires et seuls responsables du chaos algérien contemporain fait de misère économique de masse, d'illettrisme, de corruption endémique, de violence, de marasme intellectuel, de haine à l''égard de ce que nous sommes (vous avez perdu la guerre, les mecs, faut pas l'oublier!) mais couinant à chaque instant pour "plus de visas" et venat se faire soigner au Val de Grâce...un peu de cohérence et d'honnêteté ne nuirait pas à ces enculés d'oligarques suiffeux tentant vainement de masquer la faillite totale de l'Algérie post-coloniale dans une posture martiale et revancharde à deux balles.
Finalement la seule question est: qu'attend le peuple algérien pour virer ces connards à foie jaune et reprendre le contrôle de son destin?
"(...) On est capable en Occident, du moins certains d'entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l'extermination des Indiens d'Amérique. Mais je n'ai pas vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois, faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd'hui les Japonais nier les atrocités qu'ils ont commises pendant la Seconde guerre mondiale. La colonisation de certains pays arabes par les Européens a duré, dans le pire des cas, 130 ans: c'est le cas de l'Algérie, de 1830 à 1962. Mais ces mêmes Arabes ont été réduits à l'esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination turque sur le Proche et le Moyen-Orient commence au XVe siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans - donc les Arabes n'en parlent pas. L'épanouissement de la culture arabe s'est arrêté vers le XIe, au plus le XIIe siècle, huit siècles avant qu'il soit question d'une conquête par l'Occident. Et cette même culture arabe s'était bâtie sur la conquête, l'extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n'y avait pas d'Arabes - pas plus qu'en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIe siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage a été introduite en Afrique par les marchands arabes à partir des XI-XIIe siècles (avec, comme toujours, la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l'esclavage n'a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu'il subsiste toujours dans certains d'entre eux." (1)
"(...) Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci: que la spécificité de la civilisation occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s'autocritiquer. Il y a dans l'histoire occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n'y a que l'Occident qui a créé cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d'une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime."
"(...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'"égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine."(2)
(1) Cornélius Castoriadis, http://www.republique-des-lettres.fr/232-cornelius-castoriadis.php
(2) C Castoriadis, La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil.
Quant à nos élites, hollandaises ou copéistes, pour l’essentiel des pleutres imbéciles sans la moindre profondeur historique et travaillés jusqu’à la moelle par un ethno-masochisme (Faye) débridé sinon par quelques réseaux sionistes et néo-cons alimentant le story-telling d'un Conflit de civilisations ou la simple peur de voir se tarir le robinet énergétique, ils seraient bien inspirés de s'acheter un cerveau. Ou des couilles. Voire les deux.
20:25 | Lien permanent | Commentaires (40) | Tags : algérie, castoriadis
10/07/2012
game over
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)
Extrait toujours aussi décapant et juste. Je voulais faire écho aux deux commentaire récents de Calliclés et Paul Kersey sur le monde tel qu’il va (ou ne va plus) et l’importance d’essayer d’y remédier.
« Aussi je propose un pari pascalien : ou bien le "système" est viable, ou bien il n'est pas viable à terme. S'il s'effondre et que la mondialisation devient coûteuse, à la rigueur peu importe... Mais s'il perdure, ce n'est pas en se mettant sur la défensive que nous assurerons notre sécurité et celle de ceux qui viennent après nous. Aussi faut-il s'organiser et redevenir conquérants, l'histoire n'est pas écrite. En outre, la discussion sur les fins est close à mon sens, le diagnostic est parfaitement établi, par des personnes comme vous, Hoplite, ainsi que d'autres, et la multitude de commentateurs que l'on peut lire chez vous et ailleurs. »
Castoriadis et d’autres (Michea, Bérard, Freund, Alain de Benoist, Gauchet, Semprun) sans parler d’Orwell ou même Rousseau (oui), en philosophes des limites balisent le chemin depuis des lustres, a rebours du courant philosophique libéral-progressiste hégémonique dans les milieux politiques, culturels et économiques qui donnent le la urbi et orbi.
A première vue, j’aurais tendance à considérer que le système n’est pas viable (ne serait-ce que parce que prônant un développement illimité dans un monde fini, la simple évidence) et que des limites bien naturelles (comme les ressources naturelles –eau et énergies fossiles, fertilité des terres et population planétaire) ou simplement anthropologiques (comme le montre Castoriadis) vont se charger de montrer à chacun combien ce système est absurde et fonce dans le mur en claironnant. Et il suffit pour s’en convaincre d’observer la décomposition avancée des infrastructures (vais faire mon Soral) (climat, ressources naturelles, rapports de classes, salariat globalisé, prédation de la finance globalisée –scandale énorme et récent du LIBOR- et corruption générale des élites), mais aussi de ces superstructures dont parlait Marx (clercs politiques, culturels, religieux, médiatiques, ordures Woltonienneuses et autres crevures BHV ou Barbieroïdes à écharpe rouge ( !), corruption et dévoiement des systèmes politiques, atomisation du corps social, disparition du sentiment communautaire, etc.). Bref, si l’on suit Michéa ou Castoriadis, on en arrive à penser que notre civilisation occidentale moderne –cette anthropologie individualiste juridico-marchande- ne peut conduire qu’au désastre actuel! Ou comment la quète d'autonomie et d'auto-institution qui caractérise nos sociétés modernes tourne à l'hubris, la marché et le droit procédural n'étant pas suffisants pour instituer une vie en communauté apaisée...
Pour autant, il suffit de regarder autour de soi, de causer avec nos contemporains, d’éprouver le réel des rapports humains ordinaires pour s’apercevoir immédiatement que ces gisements humains dont Castoriadis déplore – à raison- la disparition sont encore largement présents voire omniprésents autour de nous : du pote qui paie un verre au voisin qui prête son échelle à jeannette, ma voisine de BAD (dont j’ai déjà parlé ici) qui m’apporte des haricots de son potager et des œufs du jour quand elle me voit débarquer, tous obéissent encore largement à ces murs porteurs anthropologiques de toute vie en communauté que constituent la triple obligation du don décrite par Mauss et que l’on retrouve dans toutes les communautés holistes, bien loin de l’imaginaire de prédation sans limites et de la praxis de chacal du premier trader venu, nouvelle figure anthropologique de référence de nos modernes libéraux de droite (« Toi aussi, deviens trader au Forex ! »), ou de l’imaginaire de déracinement et de nomadisme sans-frontiériste du clandestin, cette figure rédemptrice du libéral de gauche ("viens marcher pour la régularistaion de ton copain mamadou!")…
Le système que nous voyons s’effondrer sous nos yeux (déni de démocratie, corruption des élites, hyperproduction, hyperconsommation, globalisation, financiarisation de l’économie, destruction de l’environnement et guerres des ressources naturelles, explosion démographique,etc.), n’est pas viable et la formidable régression économique et sociale que nous allons affronter (qu’affrontent déjà 60 millions d’américains vivent de bons d’alimentation en 2012 ! land of plenty ?) est proprement inédite en temps de paix…Faut-il pour autant jeter, avec l’eau du bain libéral l’habeas corpus et la séparation des pouvoirs ?
« (...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine.» C Castoriadis, La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil.
Où plutôt, comme le sous-entend Castoriadis, que peut-il advenir d’une civilisation qui sape, par ses fondements anthropologiques modernes, les conditions de sa propre survie ? Et qu’est-ce qu’être « offensif » quand tout s’effondre ? Que deviendront nos villes une fois ce stock humain de « décence commune » épuisé ? L’hégémonie –au moins en Occident- des doctrines libertaires et le relativisme moral qui en découle, d’une part et, d’autre part, l’extension sans limites de la sphère marchande et de ses slogans publicitaires peuvent-ils produire autre chose que ce cauchemar climatisé qu'entrevoyait déjà Miller dans les années 40 ? Que proposent les grecs qui fuient à la campagne (exode urbain) pour ne pas mourir de faim en ville ou les portugais qui s’expatrient au Brésil ou en Angola ayant perdu tout espoir de vivre décemment sur le vieux continent ?
Madoff est-il le fils naturel de Hume ou son avatar ? Les philosophes libéraux du contrat ont-ils accouché, à leur corps défendant pour certains, de ce chaos moderne ? Hobbes et son Leviathan sont-ils notre horizon ? Sur quoi reconstruire ?
"pense à fermer les yeux quand tu avales"^^
12:45 | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : castoriadis
13/05/2012
types anthropologiques
« On vient juste de heurter l'iceberg. Il n'y a pas assez de canots pour tout le monde...la musique va continuer à jouer...alors autant que vous repreniez du caviar et du champagne. » Confession de Jaime Dimon, président de la JP Morgan lors d'un dîner, le 13 septembre 2008 à New-York, la veille de la faillite officielle de Lehman Brothers. (Cité par Jovanovic, Blythe Masters, 2010)
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« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient.
Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)
21:37 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jaime dimon, castoriadis
10/05/2012
dissidons!
Étienne Chouard : la dette et la fin de... par cinequaprod
NB: bémol sur les gestes fasciste et nazie...(anti-libérales par essence)
NB: pas de confusion, rien à voir avec Branluchon et son FDG (qui a déjà choisi ses maîtres dans diverses loges nationales et internationales)
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"L’U.S. Army prête à “rééduquer” le dissident US en citoyen-Système
Le site Infowars.com a publié depuis trois jours plusieurs textes concernant un manuel de l’U.S. Army dont il vient d’obtenir une copie. Il s’agit d’un très copieux document de 300 pages, intitulé FM 3-39.40 Internment and Resettlement Operations datant du 12 février 2010 et dont il donne le lien d’accès.
Plusieurs textes sur ce document ont été publiés par Infowars.com, le 3 mai 2012, le 4 mai 2012 (vers une émission de Alex Jones, éditeur du site) et enfin, celui que nous citons ci-dessous, le 4 mai 2012.
Il s’agit d’un manuel décrivant la façon dont doivent être organisés des camps d’internement de personnes arrêtées pour activités politiques suspectes, pour soi-disant terrorisme, opposition à la “légalité”, résistance, etc. Le fait important est que ce programme implique essentiellement une “rééducation” des prisonniers, notamment à l’image de ce qui se faisait dans les camps soviétiques, chinois, nord-coréens, nord-vietnamiens puis vietnamiens, etc., c’est-à-dire tout l’appareil de concentration et d’endoctrinement forcé du système pénitentiaire idéologique communiste. Pour les Américains, la référence la plus fameuse concerne les camps nord-coréens pendant la guerre de Corée, pour les Français ce sont les camps vietminh ; dans les deux cas, des militaires US et français furent soumis à ces procédures de rééducation et d’endoctrinement.
Voici un long extrait du texte du 4 mai 2012, qui insiste surtout sur l’aspect de la détention de citoyens US sur le territoire national, aspect qui avait fait l’objet de polémique chez les lecteurs du premier texte. (Les soulignés en gras sont dans le texte publié par Infowars.com.) (...) source/DE DEFENSA
21:54 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : etienne chouard, castoriadis
01/02/2012
substance
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)
"(...) On est capable en Occident, du moins certains d'entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l'extermination des Indiens d'Amérique. Mais je n'ai pas vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois, faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd'hui les Japonais nier les atrocités qu'ils ont commises pendant la Seconde guerre mondiale. La colonisation de certains pays arabes par les Européens a duré, dans le pire des cas, 130 ans: c'est le cas de l'Algérie, de 1830 à 1962. Mais ces mêmes Arabes ont été réduits à l'esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination turque sur le Proche et le Moyen-Orient commence au XVe siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans - donc les Arabes n'en parlent pas. L'épanouissement de la culture arabe s'est arrêté vers le XIe, au plus le XIIe siècle, huit siècles avant qu'il soit question d'une conquête par l'Occident. Et cette même culture arabe s'était bâtie sur la conquête, l'extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n'y avait pas d'Arabes - pas plus qu'en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIe siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage a été introduite en Afrique par les marchands arabes à partir des XI-XIIe siècles (avec, comme toujours, la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l'esclavage n'a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu'il subsiste toujours dans certains d'entre eux." (1)
"(...) Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci: que la spécificité de la civilisation occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s'autocritiquer. Il y a dans l'histoire occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n'y a que l'Occident qui a créé cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d'une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime."
"(...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'"égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine."(2)
(1) Cornélius Castoriadis, http://www.republique-des-lettres.fr/232-cornelius-castoriadis.php
(2) C Castoriadis, La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil
18:06 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : castoriadis
18/04/2011
mythes
" (...) La colonisation fut le péché majeur de l’Occident. Toutefois, dans le rapport de la vitalité et de la pluralité des cultures, je ne vois pas qu’avec sa disparition on ait fait un grand bond en avant ", affirme Lévi-Strauss dans De prés et de loin. Votre appréciation ?
L’assertion est historiquement fausse. Les Grecs, les Romains, les Arabes ont tous entrepris et réussi des opérations immenses de colonisation. Plus que cela, ils ont assimilé ou converti –de gré ou de force- les peuples conquis. Les Arabes se présentent maintenant comme les éternelles victimes de l’Occident. C’est une mythologie grotesque. Les Arabes ont été, depuis Mahomet, une nation conquérante, qui s’est étendue en Asie, en Afrique et en Europe (Espagne, Sicile, Crète) en arabisant les populations conquises. Combien d’ »Arabes » y avait-il en Egypte au début du VIIème siècle ? L’extension actuelle des Arabes (et de l’Islam) est le produit de la conquête et de la conversion, plus ou moins forcée, à l’islam des populations soumises. Puis ils ont été à leur tour dominés par les Turcs pendant plus de quatre siècles. La semi-colonisation occidentale n’a duré, dans le pire des cas (Algérie), que cent trente ans, dans les autres beaucoup moins. Et ceux qui ont introduit les premiers la traite des Noirs en Afrique, trois siècles avant les Européens, ont été les Arabes.
Tout cela ne diminue pas le poids des crimes coloniaux des Occidentaux. Mais il ne faut pas escamoter une différence essentielle. Très tôt, depuis Montaigne, a commencé en Occident une critique interne du colonialisme qui a abouti déjà au XIXème siècle à l’abolition de l’esclavage (lequel en fait continue d’exister dans certains pays musulmans), et , au XXième siècle, au refus des populations européennes et américaines (Vietnam) de sa battre pour conserver les colonies. Je n’ai jamais vu un Arabe ou un musulman quelconque faire son « autocritique », la critique de sa culture, à son point de vue. Au contraire, regardez le Soudan ou la Mauritanie. (...)
Cornélius Castoriadis, Une société à la dérive, Essais, 2005.
21:39 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : castoriadis, montaigne, islam
27/10/2010
types anthropologiques
« (...) Castoriadis écrit en effet ceci : « Le capitalisme n’a pu fonctionner que parce qu’il a hérité d'une série de types anthropologiques qu’il n’a pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et weberiens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. Ces types ne surgissent pas et ne peuvent pas surgir d’eux-mêmes, ils ont été crées dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l’honnêteté, le service de l’état, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. Or nous vivons dans des sociétés où ces valeurs sont, de notoriété publique, devenues dérisoires, où seuls comptent la quantité d’argent que vous avez empoché, peu importe comment, ou le nombre de fois où vous êtes apparu à la télévision. »
D’où l’analyse de Michéa qui soutient que c’est parce que les conditions de l’égoïsme libéral n’étaient pas encore réalisées que le marché a pu conserver, un temps, équilibre et efficacité. Tout comme le mécanisme de la pendule est stabilisé par l’inertie du balancier, la dynamique du libéralisme fut longtemps canalisé par le stock de valeurs et d’habitus constitué dans les sociétés « disciplinaires » antérieures et que lui-même est par nature incapable d’édifier. Ce stock une fois épuisé, l’échange marchand ne connaît plus de frein et sombre dans l’hubris.
Le raisonnement de Castoriadis montre que le libéralisme n’est historiquement viable que si les communautés où son règne est expérimenté sont, sociétalement, suffisamment solides et vivantes pour en contenir les aspects dévastateurs. Cette solidité tient autant à l’enracinement des systèmes de limitations culturelles et symboliques depuis longtemps intériorisés qu’aux régulations politiques d’un Etat qui ne s’était pas encore résolu à n’être qu’une structure d’accompagnement « facilitatrice » des « lois du marché ». C’est ce qui explique, par exemple, que dans la France des années soixante (la France du Général De Gaulle) la « croissance » connaisse un rythme soutenu et génère une augmentation réelle et générale du bien-être, alors que, entre autres données sociologiques très parlantes, le taux de délinquance demeurait à son plancher. La prégnance des anciens modèles comportementaux était encore dominante, et c’est sur cette base qu’ont pu s’accomplir les « trente glorieuses ». Dans les années suivantes, quand s’estompe la préoccupation du collectif et que triomphent les « égos émancipés », promus tant par les doctrinaires libertaires que par les slogans publicitaires, tous ces anticorps commencent à se dissoudre.
La période actuelle constitue pour Michéa l’aboutissement ultime d’une logique libérale désormais sans ailleurs et donc livrée à sa propre démonie. D’un côté l’extension indéfinie de la sphère marchande et, de l’autre la multiplication des conflits nés du relativisme moral. Autant de luttes qui se traduisent par de nouvelles contraintes et l’établissement d’une société de surveillance aux mailles sans cesse plus serrées. »
Pierre Bérard, Eléments, Printemps 2008.
21:42 | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : pierre berard, castoriadis, michéa
22/09/2010
coupable
Je vois venir avec le film de Bouchareb, une nouvelle vague de culpabilisation collective et d’autoflagellation nationale comme la France et les européens en chrétiens sécularisés mais encore sensibles au culte du martyr qu’ils sont, en ont le secret.
Au fond, c’est quoi l'Algérie?
Une partie du Maghreb, ce "couchant", une région peuplée dans l'antiquité de berbères berbérophones, successivement colonisés par des phéniciens (Carthage) puis des romains, puis des Vandales, puis des arabo-musulmans depuis le début du VII ème siècle après JC et, enfin, depuis le début du XV ème siècle une régence ottomane jusqu'à l'arrivée de Bugeaud et la chute de la smala d'Abd el kader. Autant dire que l'Algérie, en tant que nation, n'existe que depuis la colonisation française...Or la colonisation européenne a duré 130 ans, la régence Turque a duré plus de 3 siècles, la colonisation arabo musulmane dure depuis 14 siècles...
Pourquoi, après tout, se focaliser ainsi sur une période aussi courte de l'histoire de nos deux pays? Pourquoi ne faire grief qu'à la France de sa geste coloniale? Pourquoi ne pas parler de la geste coloniale arabo-musulmane ou Turque en Méditerranée? (Pour ne parler que des plus récentes) Pourquoi Bouchareb trouve-t-il autant de soutiens, de relais autochtones à son entreprise anhistorique de mise au pilori de ce pays ?
"(...) On est capable en Occident, du moins certains d'entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l'extermination des Indiens d'Amérique. Mais je n'ai pas vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois, faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd'hui les Japonais nier les atrocités qu'ils ont commises pendant la Seconde guerre mondiale. La colonisation de certains pays arabes par les Européens a duré, dans le pire des cas, 130 ans: c'est le cas de l'Algérie, de 1830 à 1962. Mais ces mêmes Arabes ont été réduits à l'esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination turque sur le Proche et le Moyen-Orient commence au XVe siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans - donc les Arabes n'en parlent pas. L'épanouissement de la culture arabe s'est arrêté vers le XIe, au plus le XIIe siècle, huit siècles avant qu'il soit question d'une conquête par l'Occident. Et cette même culture arabe s'était bâtie sur la conquête, l'extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n'y avait pas d'Arabes - pas plus qu'en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIe siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage a été introduite en Afrique par les marchands arabes à partir des XI-XIIe siècles (avec, comme toujours, la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l'esclavage n'a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu'il subsiste toujours dans certains d'entre eux." (1)
"(...) Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci: que la spécificité de la civilisation occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s'autocritiquer. Il y a dans l'histoire occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n'y a que l'Occident qui a créé cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d'une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime."
"(...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'"égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine."(2)
(1) Cornélius Castoriadis, http://www.republique-des-lettres.fr/232-cornelius-castoriadis.php
(2) C Castoriadis, La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil.
Donc :
-il ne faut pas voir dans ma prose inepte une quelconque défense de la colonisation française de l'Algérie mais une mise en perspective du fait colonial et la volonté de pointer la mahonnêteté intellectuelle de nombreux protagonistes dans cette affaire (aussi bien algériens que français): aprés tout, les algériens sont dans leur (mauvais) rôle lorsqu'ils accablent l'ancienne puissance coloniale,
-les dirigeants algériens, pour l'essentiel une clique d'apparatchiks du FLN corrompus et d'assassins arrogants, affidés du lobby militaro-industriel, savent parfaitement que la colonisation française au Maghreb s'inscrit dans cette constante anthropologique qui fait qu'une civilisation forte (par sa démographie, son économie, son génie propre, sa puissance guerrière, sa létalité particulière, etc...) tend à coloniser ses voisins. Si les algériens parlent –aussi- l’arabe et prient cinq fois par jour c’est parce qu’ils furent colonisés par des arabes qui éradiquèrent le christianisme antérieurement implanté,
- il est permis de voir dans cette agressivité constante à l’égard de notre vieille nation coloniale exagérément repentante une tentative un peu désespérée de maintenir un semblant de cohésion nationale dans un pays déchiré entre la vieille garde nationaliste issue des mouvements de libération nationale (produits de la guerre froide et souvent d’obédience marxiste) et en perte d’influence et la radicalisation d’un islam sunnite dont le GSPC et l’AQMI sont les fers de lance au Maghreb,
-nos dirigeants, pour l’essentiel des pleutres imbéciles sans la moindre profondeur historique et travaillés jusqu’à la moelle par la critique de la domination, un ethno-masochisme (Faye) débridé (genre les pitres Kouchner, Morin ou BHL) et la peur de voir se tarir le robinet énergétique, seraient bien inspiré de demander des comptes aux dirigeants corrompus et pitoyables de ce pays richissime (rente gazière et pétrolière stratosphérique) qui organise, jour après jour, la misère et l’exil de son peuple sous la bannière de l’islam et la haine de l’Occident. L’ordure Bouteflika, qui ne rechigne pas à se faire soigner dans nos hôpitaux, notamment.
-au fond, le mieux serait sans doute de réorienter notre politique énergétique vers la Russie/ le Caucase (25 % des réserves de gaz planétaires prouvées et 6% des réserves de pétrole sur un territoire encore largement inexploré), de limiter strictement notre dépendance énergétique à l’égard du Maghreb et de tarir l’immigration maghrébine et sub-saharienne en la réorientant vers des populations aux valeurs civilisationnelles plus proches des nôtres donc moins susceptibles d’aggraver la sécession à l’œuvre depuis 40 ans en Europe,
-il suffirait d’un peu de courage politique pour mettre fin à ce marché de dupes (pétrole contre immigration, progressisme maghrébin versus repentance européenne…). Courage et politique, deux concepts malheureusement étrangers à nos modernes ilotes festifs. Dommage.
18:13 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : castoriadis, algérie, arabes, repentance
07/08/2010
horror has a face
Carl Schmitt disait : « Qui dit humanité veut tromper »…
La cohorte de crétins droitdelomistes qui se payent de mots et rêvent d’un Afghanistan pacifié car converti aux joies de la démocratie libérale et de la main invisible du marché organisant le doux commerce entre les hommes va dans le mur. En fanfaronnant. Il y aurait de quoi se réjouir de ce désastre annoncé si des hommes –des médecins occidentaux et des afghans- ne tombaient pas tous les jours. Pour rien.
Ou plutôt pour les noirs desseins de « stratèges » néoconservateurs imbibés de Kagan ou de Brzezinski dont le seul credo est : il est urgent de d’agir pour garder le pouvoir planétaire avant de voir se lever le Léviathan venu de l’Est ; le messianisme néoconervateur de « guerre contre l’axe du mal » ne cache ses considérations géostratégiques que pour les idiots utiles des think-tank libéraux européens.
Saint-métis Obama devrait se souvenir de Gandamak : les empires trépassent en Afghanistan et les Yankees devront plier bagage un jour ou l’autre. Ce jour là, tous ceux qui auront collaboré avec l’occupant vertueux parlant « humanité » seront exécutés à l’AK47 dans le stade de Kaboul refait à neuf par des humanitaires festifs et crédules, les écoles seront fermées, les dispensaires aussi, les femmes disparaîtront de la circulation et les barbes repousseront. Comme toujours.
Castoriadis faisait un jour la remarque que les peuples non-occidentaux ne convoitent dans le barnum occidental que les armes et les objets : sa technique, non son « humanisme », ses « droitdlom » ou ses festiprides. Les talibans savent que la médecine occidentale est un vecteur d’acculturation occidentale des leurs. Un peu comme les combattants khmers qui coupent les petits bras d’enfants vaccinés dans Apocalypse now (Conrad, Au cœur des ténèbres)…C’est un message clair.
19:18 | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : carl schmitt, castoriadis, afghanistan, usa, kagan
26/01/2010
bureaucratie écossaise et geste citoyen
« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)
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« Un marchand, comme on l'a très bien dit, n'est nécessairement citoyen d'aucun pays en particulier ; il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tient commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu'il se décide à emporter son capital d'un pays dans un autre, et, avec lui, toute l'industrie que ce capital mettait en activité. »
« Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité mais à leur égoïsme. » (Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776)
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« Quand la classe dominante prend la peine d'inventer un mot (« citoyen » employé comme adjectif), et d'imposer son usage, alors même qu'il existe, dans le langage courant, un terme parfaitement synonyme (« civique ») et dont le sens est tout à fait clair, quiconque a lu Orwell comprend immédiatement que le mot nouveau devra, dans la pratique, signifier l'exact contraire du précédent. Par exemple, aider une vieille dame à traverser la rue était, jusqu'ici, un acte civique élémentaire. Il se pourrait, à présent, que le fait de la frapper pour lui voler son sac représente avant tout (avec, il est vrai, un peu de bonne volonté sociologique) une forme, encore un peu naïve, de protestation contre l'exclusion et l'injustice sociale, et constitue, à ce titre, l'amorce d'un geste citoyen. » (JC Michéa, L'enseignement de l'ignorance, 1999)
21:45 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : castoriadis, adam smith, michéa
23/01/2010
montée de l'insignifiance et camelote germanopratine
"(...) On est capable en Occident, du moins certains d'entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l'extermination des Indiens d'Amérique. Mais je n'ai pas vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois, faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd'hui les Japonais nier les atrocités qu'ils ont commises pendant la Seconde guerre mondiale. La colonisation de certains pays arabes par les Européens a duré, dans le pire des cas, 130 ans: c'est le cas de l'Algérie, de 1830 à 1962. Mais ces mêmes Arabes ont été réduits à l'esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination turque sur le Proche et le Moyen-Orient commence au XVe siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans - donc les Arabes n'en parlent pas. L'épanouissement de la culture arabe s'est arrêté vers le XIe, au plus le XIIe siècle, huit siècles avant qu'il soit question d'une conquête par l'Occident. Et cette même culture arabe s'était bâtie sur la conquête, l'extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n'y avait pas d'Arabes - pas plus qu'en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIe siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage a été introduite en Afrique par les marchands arabes à partir des XI-XIIe siècles (avec, comme toujours, la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l'esclavage n'a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu'il subsiste toujours dans certains d'entre eux." (1)
"(...) Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci: que la spécificité de la civilisation occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s'autocritiquer. Il y a dans l'histoire occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n'y a que l'Occident qui a créé cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d'une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime."
"(...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'"égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine."(2)
(1) Cornélius Castoriadis, http://www.republique-des-lettres.fr/232-cornelius-castoriadis.php
(2) C Castoriadis, La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil.
Rappel : au premier trimestre 1979, une violente dispute médiatique opposa Cornelius Castoriadis ainsi que l'historien Pierre Vidal-Naquet à l'écrivain Bernard-Henri Lévy au sujet de nombreuses erreurs factuelles dans le livre de ce dernier, Le Testament de Dieu. Dans un article du Nouvel Observateur en date du 9 juillet 1979, Cornelius Castoriadis admettant sa perplexité devant le « phénomène BHL », écrivait : « Sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un "auteur" peut-il se permettre d'écrire n'importe quoi, la "critique" le porter aux nues, le public le suivre docilement - et ceux qui dévoilent l'imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n'avoir aucun écho effectif ? » Optimiste, Castoriadis ajoutait néanmoins : « Que cette camelote doive passer de mode, c'est certain : elle est vouée, comme tous les produits contemporains, à obsolescence incorporée. »
18:04 | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : castoriadis