21/02/2010
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« Si nous envisageons dans leurs grandes lignes la genèse de la grandeur et de la décadence des civilisations qui ont précédé la nôtre, que voyons-nous ?
A l'aurore de ces civilisations, une poussière d'hommes d'origine variées, réunie par les hasards des migrations, des invasions et des conquêtes. De sangs divers, de langues et de croyances également diverses, ces hommes n'ont de lien commun que la loi à demi reconnue d'un chef. Dans leurs agglomérations confuses se retrouvent au plus haut degré la caractéristiques psychologiques des foules [irrationalité, versatilité, réactions violentes, aspiration à être dominées, conduites, dangerosité]. Elles en ont la cohésion momentanée, les héroïsmes, les faiblesses, les impulsions et les violences. Rien de stable en elles, ce sont des barbares.
Puis le temps accomplit son œuvre. L'identité de milieux, la répétition des croisements, les nécessités d'une vie commune agissent lentement. L'agglomération d'unités dissemblables commence à se fusionner et à former une race, c'est-à-dire un agrégat possédant des caractères et des sentiments communs, que l'hérédité fixera progressivement. La foule est devenue un peuple et ce peuple va pouvoir sortir de la barbarie.
Il n'en sortira tout à fait pourtant que lorsque après de longs efforts, des luttes sans cesse répétées, et d'innombrables recommencements, il aura acquis un idéal. Peu importe la nature de cet idéal. Que ce soit le culte de Rome, la puissance d'Athènes, ou le triomphe d'Allah, il suffira pour doter tous les individus de la race en voie de formation d'une parfaite unité de sentiments et de pensées.
C'est alors que peut naître une civilisation nouvelle avec ses institutions, ses croyances et ses arts. Entraînée par son rêve, la race acquerra successivement tout ce qui donne l'éclat, la force et la grandeur. Elle sera foule sans doute encore à certaines heures mais, derrière les caractères mobiles et changeants des foules, se trouvera ce substratum solide, l'âme de la race, qui limite étroitement les oscillations d'un peuple et règle le hasard.
Mais, après avoir exercé son action créatrice, le temps commence cette ouvre de destruction à laquelle n'échappent ni les dieux ni les hommes. Arrivée à un certain niveau de puissance et de complexité, la civilisation cesse de grandir et, dès qu'elle ne grandit plus, elle est condamnée à décliner rapidement. L'heure de la vieillesse va sonner bientôt.
Cette heure inévitable est toujours marquée par l'affaiblissement de l'idéal qui soutenait l'âme de la race. A mesure que cet idéal pâlit, tous les édifices religieux, politiques ou sociaux dont il était l'inspirateur commencent à s'ébranler.
Avec l'évanouissement progressif de son idéal, la race perd de plus en plus ce qui faisait sa cohésion, son unité et sa force. L'individu peut croître en personnalité et en intelligence, mais en même temps aussi, l'égoïsme collectif de la race est remplacé par un développement excessif de l'égoïsme individuel accompagné de l'affaissement du caractère et de l'amoindrissement des aptitudes à l'action. Ce qui formait un peuple, une unité, un bloc, finit par devenir une agglomération d'individus sans cohésion et que maintiennent artificiellement pour quelques temps encore les traditions et les institutions. C'est alors que divisés par leurs intérêts et leurs aspirations, ne sachant plus se gouverner, les hommes demandent à être dirigés dans leurs moindres actes, et que l'Etat exerce son influence absorbante.
Avec la perte définitive de l'idéal ancien, la race finit par perdre aussi son âme. Elle n'est plus qu'une poussière d'individus isolés et redevient ce qu'elle était à son point de départ : une foule. Elle en présente tous les caractères transitoires sans consistance et sans lendemain. La civilisation n'a plu aucune fixité et tombe à la merci de tous les hasards. La plèbe est reine et les barbares avancent. La civilisation peut sembler brillante encore parce qu'elle conserve la façade extérieure crée par un long passé, mais c'est en réalité un édifice vermoulu que rien ne soutient plus et qui s'effondrera au premier orage.
Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve, puis décliner et mourir dés que ce rêve a perdu sa force, tel est le cycle de la vie d'un peuple. » (Gustave Le Bon, Psychologie des foules, 1895)
Bon, comme prévu, une bonne cargaison de phénomènes de foire cocaïnés et botoxés roulant Cayenne. Mais aussi ces montagnes magnifiques, ce froid glacial, ces quelques descentes loin du tumulte des remontées. Ces vallées d'Isère et de Romanche belles et tragiques dans leur attirail de vieilles gloires industrielles désarmées.
Quelques lectures aussi : Le Bon, une découverte, dont ce bref passage sur le cycle des peuples m'a plu. Braudel aussi, j'en parlerai plus loin.
L'« agglomération d'individus sans cohésion » de Le Bon m'a fait penser à la vision anthropologique pessimiste de Michéa sur ces foules anomiques et autonomes (débarrassées de toute hétéronomie religieuse, politique ou sociale mais aussi de toute tradition et de toute institution, bref des foules émancipées !) composées de monades soucieuses -avant tout- de leur meilleur intérêt dont la seule weltanschauung est désormais la jouissance sans limites de droits toujours plus nombreux et extensifs dans une société de marché judiciarisée à outrance. Le Droit comme une sorte de code de la route, n'indiquant nulle direction commune (au nom de quoi ou de qui ?) mais évitant à ces monades des collisions trop fréquentes...
Et donc Braudel qui, dans sa Grammaire des civilisations, en préambule au chapitre Europe, mène une critique de l'idéal de liberté de la Renaissance et de l'Humanisme arguant que cette émancipation formidable consiste également en un éclatement des valeurs traditionnelles et des institutions établies par le temps et les hommes :
« Une lettre de Descartes pose bien le problème. Si chacun, théoriquement, est libre et constitue une unité à soi seul, comment la société va-t-elle vivre, quelles règles suivra-t-elle, lui a demandé la princesse Elizabeth ? Et le philosophe répond (15 septembre 1645) : « Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres et dont, par conséquent, les intérêts sont distincts de ceux du reste du monde, , on doit toujours penser qu'on ne saurait subsister seul et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore, l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet Etat, de cette Société, de cette famille à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Il faut toujours préférer les intérêts du tout dont on est partie à ceux de sa personne en particulier. »
Une leçon qu'ont oublié nos modernes progressistes, araisonneurs du monde patentés et incarnations de l'idéal bourgeois tel que le résuma parfaitement le jeune Marx :
« La bourgeoisie...partout ou elle a conquis le pouvoir, a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité naïve dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substituée aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. La bourgeoisie a dépouillée de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque là pour vénérables et qu'on considérait avec un sain respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré un voile de sentimentalité qui recouvrait les situations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent...
[...] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les conditions de la production, c'est-à-dire tous les rapports sociaux ; Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations ; Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale, Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore tous les jours.» (Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.)
Voilà. Sinon ces hordes hirsutes et pitoyables d'"enseignants" quotidiennement insultés et poignardés par leurs "apprenants"(parce qu'ils le valent bien, sûrement) défilant pour hurler leur trouille de faire « cours » face à ces jeunes barbares que le système produit à jet continu m'ont fait sourire tant il est schizophrénique, après avoir clamé pendant des années leur amour de la diversitéTM et du vivrensemblTM et leur refus de transmettre quelque savoir que ce soit (instrument de la reproduction de la Domination, disait le cuistre Bourdieu...), de venir couiner sur l'ensauvagement de notre société et de ses plus belles pépites : on NE PEUT PAS A LA FOIS soutenir RESF (RESF-MEDEF même combat) et s'offusquer de la violence sans limites de nos jeunes barbares...
Faudrait un minimum de cohérence, les biquets. Celle, par exemple de Jean Claude Milner, ancien Mao de la gauche prolétarienne, peut suspect de Sarkosysme primaire :
« Sait-on qu'il y a deux querelles scolaires et que la plus célèbre -séparant l'école publique de l'école privée- n'est ni la plus vraie ni la plus acharnée ? Sait-on qu'une autre querelle, traversant l'école publique elle-même, y oppose les amis du savoir à ceux qui, sous couvert de gestion, de pédagogie ou de dévouement, en réalité les haïssent ? Sait-on qu'il n'y a depuis 1945, qu'une seule et même Réforme et que les gouvernements, qu'ils se réclament de la droite ou de la gauche, ont tous la même politique : mettre en place cette Réforme unique et tentaculaire ? Sait-on que cette dernière est radicalement hostile à toute école et à tout savoir ? » (JC Milner, De l'école, 1984)
Bon, adriana, qu'en penses-tu ?
17:23 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : gustave le bon, jc milner, michéa, sarkosy, marx
Commentaires
excellent cet extrait de Marx. Il faudrait le ressortir à qui mieux mieux .....
Écrit par : robespierre | 21/02/2010
"Mais, après avoir exercé son action créatrice, le temps commence cette ouvre de destruction à laquelle n'échappent ni les dieux ni les hommes. Arrivée à un certain niveau de puissance et de complexité, la civilisation cesse de grandir et, dès qu'elle ne grandit plus, elle est condamnée à décliner rapidement. L'heure de la vieillesse va sonner bientôt.
Cette heure inévitable est toujours marquée par l'affaiblissement de l'idéal qui soutenait l'âme de la race. A mesure que cet idéal pâlit, tous les édifices religieux, politiques ou sociaux dont il était l'inspirateur commencent à s'ébranler."
Ou bien on est en phase, ou bien on fréquente les mêmes blogs, ou bien les deux à la fois, mais je viens justement de dire un mot sur la décadence moderne dans notre civilisation occidentale.
Pas bête ce jeune Marx. En effet, le monde s'est transformé lentement à son image aux dépens de l'identité, de la race et des valeurs inhérentes...
Écrit par : Trader | 21/02/2010
Et bien pour un retour, c'est un vrai retour et tu as l'air en pleine forme.
C'est touffu et il y a trop de choses à dire.
Sur le point des enseignants, tout à fait d'accord sur la ligne de partage au sein de l'école publique. Ceux qui se veulent ses meilleurs défenseurs sont en fait ses fossoyeurs. C'est l'éternel problème des gros malentendus dans la gauche soit disant généreuse mais qui se trompe sans arrêt dans ses orientations.
Écrit par : Marine | 21/02/2010
@robespierre: oui, Marx qui disait lui-même qu'il n'était pas "marxiste" avait saisi trés tôt et de façon claire la nature profondément révolutionnaire et anti conservatrice du nouvel ordre bourgeois. contrairement à nos modernes bobos qui, bien que représentant le conformisme d'aujourd'hui, affectent de vivre "en marge" du système avec ces grotesques postures de "rebelles" vs l'hydre réactionnaire fantasmée...
@trader, on ne peut pas demander à des marchands d'avoir d'autres allégeances que celles de l'argent et de la représentation sociale...alors la race, l'identité, la nation, l'honneur, etc..tu m'as compris.
comme le disait Adam Smith, d'ailleurs:
«Un marchand, comme on l'a très bien dit, n'est nécessairement citoyen d'aucun pays en particulier ; il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tient commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu'il se décide à emporter son capital d'un pays dans un autre, et, avec lui, toute l'industrie que ce capital mettait en activité.» (Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776)
@marine,ca va, ca va, c'est le grand air ça fait du bien!
concernant l'école, je crois bien que c'est foutu pour le plus grand nombre, c'est-à-dire pour tous ceux qui n'ont pas la connaissance de l'état réel de l'institution ou qui n'ont pas les moyens de mettre leurs gamins dans des ghettos culturels (comme les politiques et les journalistes par exemple). entre les réformes "de gauche" égalitaires qui refusent l'excellence, la sélection, le mérite et celles "de droite" qui promeuvent la fabrication de gentils consommateurs crétins sachant se servir de leur carte bleue et d'un crédit revolving, comme le dit Milner, le perdant à tous les coups c'est le savoir et la transmission d'une culture.
De ce point de vue là, l'avenir est particulièrement inquiétant car ces générations d'analphabètes incultes et violents seront les ingénieurs, les docteurs, les enseignants et les pilotes d'airbus de demain...tout concourt à l'ensauvagement. toujours bankable, c'est ça qui compte!
Écrit par : hoplite | 21/02/2010
Mon cher Hoplite, j'aurais tant voulu vous faire un enfant mais ne me résignant pas à le voir se perdre dans les méandres de l'école française, je me vois contrainte de convoler avec un basketteur riche qui pourra assurer à ma progéniture une place dans une bonne école américaine. Sans rancune ?
http://adrianalimafan.net/photos/ed-elle200306/elle_june_2003_10.JPG
Écrit par : adriana lima | 23/02/2010
too bad!
Écrit par : hoplite | 23/02/2010
Sigh.
Écrit par : Trader | 23/02/2010
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