16/01/2011
dominos
Un des avantages précieux du bavardage journalistique est, en général, d’indiquer assez fidèlement le politiquement correct et donc la mauvaise direction. La fuite inattendue du président Tunisien est là pour rappeler à chacun combien l’imprévu est la règle en Histoire. C’est une bonne leçon pour les Européens, notamment ceux qui, parce qu’ils sont plus conscients que d’autres des forces hostiles à l’œuvre, sont tentés d’abandonner le combat. S’il y a un fatum, il n’est pas connu des hommes. En tout cas pas de ceux qui lisent le JDD ou écoutent le cuistre Levaï le dimanche matin sur Frnce-inter.
C’est la chaos dans l’ancienne Phénicie et rien ne dit que ce petit pays urbanisé depuis l’Antiquité, au passé Carthaginois encore présent et au sentiment national affirmé, doivent –comme le célèbrent les journaleux- « se tourner vers la démocratie », ce graal moderne.
Comme d’autres pays du Maghreb, ce pays, essentiellement peuplé de berbères arabisés sous les califats arabes, est déchiré entre son orientation vers le monde occidental (la laïcité de Bourguiba et de Ben Ali, le combat contre les partis fondamentalistes musulmans) et sa solidarité avec le monde arabe (accueil de l’OLP, refus de cautionner la guerre US en Irak): d’où sa réticence forte au panarabisme des années 50-60 (et l’échec du projet de fusion Tunisio-Lybien proposé par Kadhafi) et au panislamisme contemporain.
Même dilemme qu’en Algérie : comment maintenir cette tradition –superficielle- de laïcité et de modernité à rebours d’une culture arabo-musulmane hostile à ce positionnement ? On se rappelle du scénario des élections Algériennes de 1991, remportées par le parti fondamentaliste musulman local (FIS), et annulées par le pouvoir préférant exclure l’islamisme du champ politique…Même dilemme que pour la Turquie Kémaliste, ce pays déchiré entre deux civilisations, en voie de ré-islamisation rapide, comme refusent de le voir nos vigies journalistiques.
Ce phénicisme, fait de ce passé Carthaginois, de christianisation puis d’islamisation, de soumission à l’empire Ottoman puis aux puissances européennes occidentales (disputée par la France et l’Italie à la fin du XIX ème siècle, protectorat français, occupé par l’armée Allemande, revendiquée par l'Italie, française en 45, indépendante en 1956…) avant de se coaguler dans le nationalisme arabe, est une singularité dans la région.
Les journalistes occidentaux les moins crétins comme GM Benamou (c’est dire…), pétris d’ethnocentrisme occidental et de fausse compassion tiers-mondiste, communient sagement depuis quelques jours dans l’espoir de voir ce pays adouber le barnum occidental (ce package fait de « démocratie libérale », d’intégration par le marché et le droit, de religion des droitsdelometdelashoah, de festipride et d’anomie violente). Rien ne dit pourtant, sur la longue durée, que ce chemin soit celui de cette partie de la rive orientale de la Méditerranée. Tout indique, au contraire, qu’il puisse renouer à terme avec son identité profonde (maghrébine et musulmane).
Bonne illustration également du rôle crucial de l'armée dans un pays à la dérive (sécurisation du territoire, contrôle des approvisionnements, justice militaire (hmmm)); nos bureaucrates européeistes et OTANistes (sans doute onanistes également, vu la tronche du pauvre Van Rompuy...) pourfendeurs de crédits militaires et intégrateurs de la "diversité", seraient bien inspirés de ne pas trop l'oublier...
Enfin, dans un contexte mondial de remise en cause du leadership US/occidental au sens large, le basculement brutal d'un régime autoritaire soutenu, depuis plusieurs decennies, par des alliés occidentaux, est un symptôme, un signal d'un possible basculement d'autres régimes arabes pro-occidentaux: l'Algérie, la Jordanie, l'Egypte, le Liban connaissent aussi des troubles graves qui ne peuvent que s'accentuer avec la conscience de l'effondrement des US et du dieu Dollar...comme les dominos pro-russes en Europe de l'Est, les dominos pro-occidentaux arabes vont tomber avec la chute de l'Empire, en 2011. Sans parler d'Israël dont la situation à court terme semble de plus en plus critique (jusque boutisme du Likoud, fin du crédit militaire US, recomposition accélérée et hostile des états arabes environnants et fin de la mainmise occidentale sur les institutions internationales, entre autres). Probablement le début d'une vaste recomposition du Proche et du Moyen Orient. Mais pas celle qu'imaginaient les néo-cons! ha ha!
enfin, ne ratez pas l'excellente mise au point de Lugan sur son blog. ça change du filet d'eau tiède des africanistes en peau de lapin...
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ma contribution -décisive- au débat politique en Côte d'Ivoire:
pff, anti-soviétisme primaire! (merci carine)
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finalement une année qui commence bien, dirait-on.
(photo: ruines de la ville romaine de Sbeitla en Phénicie)
19:16 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : islam, tunisie, yvan levai
Commentaires
Aah, enfin une bonne adresse pour le redressement des sexes tordus et le démarrage de motos russes ! J'en prends note là tout de suite présentement.
Écrit par : snake | 16/01/2011
De rien, cher Hoplite ^^
Écrit par : Carine | 16/01/2011
"Cabinet international"
(Sans autre commentaire...)
Écrit par : JÖ | 16/01/2011
Magnifique photo !
Je crois que nous nous sommes trompés de siècle.
Nous devions déjà être là en 5OO av JC, tu ne crois pas ?
Je me sens bouddhiste parfois, moi.
Écrit par : Carine | 16/01/2011
ce sont les ruines de la magnifique ville de Sbeitla, fondée durant le premier siècle par des colons romains. vestiges exceptionnels montrant la richesse de cette partie de l'Empire avant son effondrement et l'arriération de l'éteignoir islamique, comme partout.
Écrit par : hoplite | 16/01/2011
Ahh tu l'as changée !
celle-ci est superbe aussi. Merci !
Écrit par : Carine | 16/01/2011
oui, celle-ci illustre encore mieux ce passé romain du maghreb.
pourquoi bouddhiste, carine?
Écrit par : hoplite | 16/01/2011
C'était juste une allusion à la réincarnation. Si nous étions déjà là en -500.
Je vois encore plus avant dans le temps ^^
Écrit par : Carine | 16/01/2011
ach ja!
Écrit par : hoplite | 16/01/2011
Très bonne analyse ...je cherchais , justement , des renseignements complets ( c'est à dire tenant compte aussi de l' histoire et non pas seulement axés sur la situation actuelle ...et tenant compte , aussi, des pays environnants et du reste du monde ......
Écrit par : chris | 16/01/2011
Le Dr Yao machin est très porté sur les problèmes sexuels...
J'aime beaucoup les opérations chirurgicales par téléphone. Pourquoi pas, si on peut le payer en faxant des billets de banques.
Écrit par : Pharamond | 16/01/2011
Sexe tordu ? Gardez-le ! Les filles adorent, croyez-moi.
Quant à la Tunisie, je suis mitigé. Je leur dis bonne chance, sincèrement, avec une certaine admiration. Mais à mon avis, la World Machine ne leur fera pas de cadeau ....
Inch'Allah !
Je suis d'accord avec Lugan sur l'Egypte pas sur la Tunisie. Ce n'est pas Ben Ali qui a modernisé la Tunisie mais bien Bourghiba, avec l'aide de pas mal de français. Le nationalisme tunisien est une réalité. Ils détestent qu'on les traitent d'arabes. Ils s'affirment avec raison comme les descendants phéniciens, carthaginois, etc, etc. Je crois justement que leur crainte est de sombrer dans une masse arabe ....
Enfin, le jour ou l'Egypte bascule .... ça va chier grave mais pour les Israéliens. On a quand même un peu plus de mer devant nous que, eux, de sable. Et le nombre .... ça compte (dixit Mao).
Écrit par : robespierre | 17/01/2011
Ce qui me frappe aussi dans cette affaire tunisienne est la capacité des médias à nous sortir toutes sortes de documents sur le vilain dictateur. Je parie que ces documents et ces informations ils ne les avaient pas il y a quinze jours… sinon, ils en auraient parlé. Non ? ;-)
Pour les paris qui sont ouverts, ma boule de cristal me dit « oh…. Je vois…. Un homme…. Il ressemble à Khomeny… » Mais bon, je peux me tromper.
Écrit par : dxdiag | 17/01/2011
On considèrera peut-être plus tard combien la date du 14 janvier présente une importance considérable pour le monde arabo-musulman, singulièrement celui qui nous est proche géographiquement et historiquement, qui s’étend de la Jordanie au Maroc. Les régimes qui y ont fait leur nid ont une parenté évidente, par la corruption de leurs élites, l'intégration dans le vaste système oligarchique international, ainsi que par la poigne autoritaire avec laquelle ils tiennent leurs peuples sous leur domination. Partout les masses nourrissent une haine profonde pour des Etats qui ont confisqué certaines rentes données par la nature (le pétrole, le gaz), l’économie (le tourisme notamment), ou les subventions de l’Amérique. Le personnel politique, parfois réduit à quelques familles, se conduit comme une mafia prédatrice, qui ne laisse qu’une portion congrue au reste de la société. Le silence de la fameuse « communauté internationale », si bavarde quand il s’agit de l’Iran ou du Venezuela, n’est pas éloignée d’une complicité que la torture, la censure, les arrestations abusives, les exécutions et la propagande rendent criminelle. Peut-être faut-il voir la cause de ce mutisme dans les complaisances que ces régimes manifestent par rapport à un Occident dominant, qui appuie Israël. Ce n’est pas en effet de ce côté que les critiques se font virulentes, bien au contraire.
Face à cet événement, qui pourrait être considérable, il est stupide de réagir comme un pilier de café de commerce, comme on le fait trop souvent sur certains sites « identitaires ». Renvoyer les Maghrébins à leurs affaires, préparer les canons pour empêcher des boat people d’accoster, établir un rapport caricatural entre un soulèvement national et des émeutes en France n’est pas la bonne façon d’aborder le problème. Il est non moins vrai que la réaction de la France, au plus haut niveau, a été affligeante, comme on devait s’y attendre. L’absence d’anticipation, l’inadéquation des réactions (songeons que l’inénarrable Alliot-Marie a proposé … l’assistance technique des services français de sécurité aux exécutants en basses œuvres de Ben Ali !) auraient de quoi inquiéter, et démontrent encore une fois, chez nos dirigeants, la médiocrité intellectuelle, politique et humaine. C’est un signe des temps, mais, au fond, on ne saurait que nous en féliciter : tout est possible, avec ces minables, pourtant pourvus de toute une technique inquisitoriale ! Ils ne verront peut-être pas l’insurrection qui vient ici !
Or, ce qui se passe là-bas nous concerne, et sans doute plus qu’on ne le croit. Et avant de considérer que les peuples qui osent braver les fusils pour leur liberté sont, du fait de leur origine et de leur religion, nos ennemis, ou des parasites, il faudrait prendre un peu de hauteur, à la mesure de la mondialisation de l’économie et des échanges humains.
Dans les pays du Maghreb, le système dictatorial a détruit la société civile et toute possibilité d'opposition légale, sauf quand elle est, comme au Maroc, domestiquée. En Tunisie, si l'armée a encore quelque crédit (mais elle a soutenu Ben Ali, qui est sorti de ses rangs), en Algérie, elle est complètement grillée. La culture laïque est plus développée en Tunisie qu'en Algérie, où les islamistes ont toujours eu quelque puissance, selon le degré de répression.
En fait, la plupart des jeunes Maghrébins souhaitent émigrer dans les pays occidentaux, ce qui enlève aux projets de transformation politique une grande partie de sa crédibilité et de son énergie, comme lorsque l’eau s’évacue en atténuant la pression sur les digues.
Le plus plausible est un effondrement, une implosion, qui reconduira un système autoritaire, seul moyen d’encadrer durablement une société qui se délite.
Les pays musulmans du Sud de la Méditerranée ont connu des parcours historiques différents, chacun ayant sa personnalité , mais ils ont reçu l’empreinte de l’empire ottoman, avec l’existence des beys ainsi qu’une structure tribale de la société, et une occupation coloniale qui a tendu à détruire cet atavisme en même temps qu’elle fondait, contre lui, des nations.
Cependant, la décolonisation s’est produite trop tard, au moment où le concept national s’étiolait et laissait place à de vastes entités impériales, d’abord lors de la Guerre froide, puis, l’URSS s’étant effondrée, lorsque la mondialisation de l’économie et une division inédite du travail ont intégré ces pays périphériques dans un vaste processus de déracinement. Seuls des mastodontes comme la Chine, le Brésil et l’Inde sont capables de surnager. Les autres ont coulé, comme Cuba ou certains pays africains, ou bien sont devenus des sous-traitants du système financier international, qui délocalise à tout va, à moins qu’ils ne servent de parcs à touristes en mal de soleil.
Comme dans les anciennes puissances coloniales, la précarisation, la fragilisation des solidarités, des existences et des certitudes politiques ont entraîné une crise. Les jeunes Algériens, Tunisiens et Marocains sont confrontés au même nihilisme que rencontrent les jeunes Européens, à la même société de consommation, à la même dilution dans la permissivité, l’hédonisme de bas étage. C’est d’ailleurs l’une des sources de l’émergence de l’islamisme, comme l’évangélisme est une réponse dans d’autres endroits du monde. Toutes proportions données, la situation de ces pays, si l’on suit un itinéraire qui va du Sud vers le Nord en passant par des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne etc., n’est pas si diamétralement étranger à ce qui se dessine en terme de destin pour l’Europe. Si les méthodes de gouvernement ici sont moins brutales, et nos équipes dirigeantes moins ouvertement corrompues, elles en prennent le chemin. Autrefois, on parlait de convergence entre l’Est et l’Ouest. Maintenant, celle-ci s’exerce entre le Nord et le Sud.
Quel va être l'avenir ?
Par contrecoup, le séisme nous atteindra, dans une atmosphère déjà passablement délétère.
La Tunisie ne serait-elle pas d'une certaine façon cet avenir ?
Ill faut assurément construire une Eurasie forte. Et nécessairement, il nous faudra une politique méditerranéenne, c’est-à-dire intégrer, d’une façon ou d’une autre, les pays du Sud méditerranéen, à la nouvelle civilisation européenne (en éjectant la flotte américaine).
Les Romains ne nommaient-ils pas la Méditerranée Mare nostrum ?
Écrit par : Claude Bourrinet | 17/01/2011
@chris, merci, je fais de mon mieux..pas compliqué, faut chercher à l'opposé du mainstream..
@pharamond,
"Pourquoi pas, si on peut le payer en faxant des billets de banques."
ça viendra.
@robespierre,
"Enfin, le jour ou l'Egypte bascule .... ça va chier grave mais pour les Israéliens. On a quand même un peu plus de mer devant nous que, eux, de sable. Et le nombre .... ça compte (dixit Mao)."
oui, une question de temps.
@dxdiag,
"Ce qui me frappe aussi dans cette affaire tunisienne est la capacité des médias à nous sortir toutes sortes de documents sur le vilain dictateur. Je parie que ces documents et ces informations ils ne les avaient pas il y a quinze jours… sinon, ils en auraient parlé. Non ? ;-)
Pour les paris qui sont ouverts, ma boule de cristal me dit « oh…. Je vois…. Un homme…. Il ressemble à Khomeny… »"
c'est le risque.
@claude: merci pour cette brillante réflexion.
"Ill faut assurément construire une Eurasie forte. Et nécessairement, il nous faudra une politique méditerranéenne, c’est-à-dire intégrer, d’une façon ou d’une autre, les pays du Sud méditerranéen, à la nouvelle civilisation européenne (en éjectant la flotte américaine).
Les Romains ne nommaient-ils pas la Méditerranée Mare nostrum ?"
et vous avez raison, les romains parlaient de "mare nostrum" lorsque l'Empire tenait tout le pourtour de la Méditerranée...toujours cette idée d'empire. me rappelle les réflexion s d'Alain de Benoist sur ce sujet. sur la culture méditerranéenne.
Écrit par : hoplite | 19/01/2011
Pfff ! Vous ne comprenez rien aux grandes civilisations sub-sahariennes... ^^
hu hu hu hu !
Écrit par : Nebo | 24/01/2011
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