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27/06/2013

paradoxe libéral

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 NB: ce post est une réédition, je garde les commentaires car ils prolongent bien la réflexion. Et je vois là aussi à quel point je fais un mauvais anarque...et un bon libéral, mécontent de tout régime (disait Jünger dans Eumeswill)

Assistanat.

Le seul rôle que la plupart des libéraux consentent à attribuer à l’Etat est de garantir les conditions nécessaires au libre jeu du marché, c’est-à-dire de la rationalité économique à l’œuvre sur le marché. L’Etat ne saurait avoir de finalité qui lui soit propre. Il n’est là que pour garantir les droits individuels, la liberté des échanges et le respect des lois. Un Etat axiologiquement neutre ne disant pas le Bien mais le Juste sur la base de lois éminemment fluctuantes au gré des « nécessaires adaptations » à la vie modernes et du jeu des lobbys et campagnes d’opinions sachant qu’il ne saurait désormais exister de références morales, philosophiques ou religieuses communes (et structurant la vie communautaire) sous peine de réintroduire au sein de la Cité les conditions de nouvelles guerres civiles idéologiques.

Le marché devient ainsi le principal opérateur (et le seul ?) de l’ordre social, et par extension, de tous les faits sociaux (la famille vue comme une petite entreprise, les relations sociales comme un réseau de stratégies concurrentielles intéressées, l'école un sas vers l'entreprise, la vie politique un marché où les électeurs vendent leur vote au plus offrant, l’homme un capital, l’enfant un bien de consommation durable, etc.), toute chose ne valant que ce que vaut sa valeur d’échange, mesurée par son prix.

« Tout l’avilissement du monde moderne, écrivait Péguy, c’est-à-dire toute la mise à bas prix du monde moderne, tout l’abaissement du prix vient de ce que le monde moderne a considéré comme négociables des valeurs que le monde antique et le monde chrétien considéraient comme non négociables. » (Ch Péguy, Note conjointe sur Mr Descartes et la philosophie cartésienne, Gallimard)

Dans la mesure ou il se fonde sur l’individualisme, le libéralisme tend à briser tous les liens sociaux qui vont au-delà de l’individu dans un marché qui requiert, pour son bon fonctionnement, la libre circulation des hommes et des marchandises et l'abolition des frontières, ce qui contribue à la dissolution des structures, des identité et des valeurs partagées (au sein de toute société holiste/traditionnelle). Cela ne signifie pas que des libéraux n’aient jamais pu défendre des identités collectives, cela signifie qu’ils n’ont pu le faire qu’en contradiction avec les principes dont ils se réclament. L’atomisation des communautés que produit la montée de l’individualisme libéral se traduit donc par la destruction des structures d’existence organiques (familles, clans, communautés, corporations, syndicats, partis, etc.), par une érosion généralisée du lien social, livrant des individus seuls (désassociés) à la « lutte de tous contre tous » (Hobbes) qu’est la concurrence généralisée au nom de l’utopie d’un contrat social (Locke) ou de la providence (la fameuse « main invisible du marché » de Smith, censée organiser pacifiquement la société à partir de monades antagonistes). Ce dont parlait Tocqueville lorsqu’il évoquait cet homme moderne « retiré à l’écart, comme étranger à tous les autres ». En passant, Smith admettait la légitimité de l’intervention publique lorsque les seules actions individuelles n’étaient pas suffisantes, ce que contestera plus tard Hayek au nom de la nécessité de n’entraver en rien l’ « ordre spontané » du marché.

J’en viens à l’assistanat, bête noire des libéraux (et parfois à juste titre lorsque on en vient à subventionner des polygames à la Courneuve, des associations haineuses appellant à la destruction de la nation, des intermittents de mes deux, performers sur échasses et autres cracheurs de feu arc-en-ciel, des connards de rappers juste bon à casser des galets), mais dont il faut comprendre qu’il est directement lié à la propagation de l’hubris libérale : les libéraux ne cessent de tonner contre l’Etat-providence sans réaliser que c’est l’extension même du marché qui rend inévitables des interventions étatiques toujours accrues du fait de la vulnérabilité croissante des hommes, privés de toutes les anciennes formes de protection sociales/ communautaires détruites par le développement industriel, la montée de l’individualisme et l’expansion illimitée du marché. Les anciennes solidarités pour l’essentiel héritées reposaient sur un échange de prestations mutuelles et la responsabilité de tous (et la logique du Don), les nouveaux rapports marchands sur la déresponsabilisation générale et l’assistanat.

« Un marchand n’est nécessairement citoyen d’aucun pays en particulier. Il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tienne son commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu’il se décide à emporter son capital d’un pays dans un autre, et avec lui toute l’industrie que ce capital mettait en œuvre. »

Adam Smith, (premier internationaliste conséquent), Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations, 1776.


podcast

photo: rien à voir, j'aime bien les vieux journaux.


Commentaires

Simple question de linguiste ou de sémiologue : comment entendez-vous la première phrase de la conclusion (Smith) : le marchand n'est jamais citoyen d'aucun pays , ou bien pas nécessairement. Pinaillage qui en change le sens, mais comme des pinailleurs interviennent parfois...

Écrit par : boutros | 20/06/2011

Adriana ? assistée ? Comment ose-t-elle ?! Elle mérite la fessée. Je me dévoue.

Écrit par : daredevil | 21/06/2011

Cher Hoplite,

Donnez enfin des noms à vos "libéraux", ceux qui, selon vous, "ouvrent" les frontières et, partant, les caisses communes chères aux socialistes de tous les partis ; je veux dire des vivants et actifs en France !

J'en ai trouvé un, bien mort, et pas français, qui écrivait :

" Nous ne pouvons pas non plus par souci de fidélité à notre société, accepter comme également légitimes les convictions morales qui sont professées avec une égale sincérité, et reconnaître le droit à la vendetta, à l'infanticide ni même au vol ;

ni aucune croyance opposée à celles sur lesquelles repose le fonctionnement de notre société. Ce qui fait d'un individu le membre d'une société et lui donne des droits dans son sein, c'est qu'il obéit à ses règles. Des façons de voir entièrement contraires peuvent lui conférer des droits dans d'autres sociétés mais pas dans la nôtre.

Pour la science de l'anthropologie, toutes les cultures et les morales peuvent être également bonnes, mais nous ne faisons durer notre société qu'en traitant les autres comme moins bonne que la nôtre "

Et cet homme, c'était F.A.HAYEK ! in Droit,législation et liberté.

Écrit par : Rico Green | 21/06/2011

@boutros: clairement, le marchand n'est citoyen d'aucun pays (hormis celui de son meilleur intérêt)

@daredevil, gaffe, elle est mariée à une armoire..

@ricogreen,

"Donnez enfin des noms à vos "libéraux", ceux qui, selon vous, "ouvrent" les frontières et, partant, les caisses communes chères aux socialistes de tous les partis ; je veux dire des vivants et actifs en France !"

l'essentiel de notre classe politique et médiatique, malgré les discours et les apparences.

merci pour la citation de Hayek: seul problème, Hayek ne définit nullement la "croyance" ou "morale" sur laquelle repose sa société...Or j'ai tendance à penser qu'il s'agir simplement du droit et du marché, et qu'il ya contradiction entre la neutralité axiologique de l'Etat vu par les libéraux et l'instauration de "règles" ou "croyances" communes.

Écrit par : hoplite300 | 21/06/2011

Cher Hoplite,

Je crois que vous faites une erreur en attribuant à nos politocards et autres affides le terme de libéraux : ils ne le sont pas! Ils sont certes pour la liberté de circuler mais se moquent parfaitement du reste... Tout ce qui compte à leurs yeux, ce sont les moyens d'étendre leurs pouvoirs sur le reste de la société au bénéfice de leurs intérêts personnels ; c'est tout!
Peut-être devriez-vous lire les livres de P. Salin (si ce n'est déjà fait) ou écouter ses interventions ; je le trouve très intéressant et surtout très juste sur de nombreuses questions, et, par ailleurs, il n'est pas le dernier à critiquer vertement l'état actuel des choses, non pas par un excès de libéralisme qui n'existe pas mais par le contraire : le poids de l'état n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui ce qui entraîne une nette diminution des libertés à tous les niveaux! Et, pour tout dire, je crains que cela empire au vu de la crise dans laquelle ces gens-là nous ont mis par leurs interventions nuisibles et inefficaces...

Au plaisir de vous lire

Écrit par : daredevil2007 | 21/06/2011

@daredevil, peut-être avez vous raison et je lisais justement ce matin un interview de pascal salin dans lequel il developpait sa philosophie d'une société libérale. qui n'a jamais existé et -à mon avis- n'existera jamais, car cette utopie d'un homme délié de tout attachement, de tout enracinement, de toute fidélité naturelle et socio-historique ne peut exister. Le contrat social selon Locke ou la cattalaxia chère à Hayek ne sont que des pis-aller et ne suffisent pas à instituer une société.

Il est clair que nous vivons des temps marqués par l'interventionnisme étatique mais l'erreur faite trés souvent dans les deux camps (libéraux vs anti-libéraux) est de croire qu' Etat et marché s'excluent l'un l'autre alors qu'historiquement, les deux vont de paire et c'est l'Etat monarchique qui permit à la bourgeoisie et à ses valeurs marchandes et urbaines de gagner le coeur de nos sociétés et de devenir l'alpha et l'omega de toute politique. Le marché s'appuie sur l'Etat et l'Etat ne peut survivre sans le marché.

Sur un plan plus philosophique, je persiste à penser que même si nos modernes sont volontiers Colbertistes dans la pratique, ils ont parfaitement intégré l'imaginaire libéral régi par le marche et le droit. A l'exclusion de toute autre considération. C'était le sens de mon commentaire plus haut sur l'impossibilité, dans une société qui se dit libérale, de définir des valeurs communes instituant des normes, dés lors que chacun reste libre de vivre comme il l'entend.

Écrit par : hoplite | 21/06/2011

Les gestionnaires qui dirigent le monde - étatistes, libéraux ou mafieux -, et leurs clercs, qui soutiennent que le travail est source de toute richesse, se comportent en militants zélés et prosélytes, cherchant à faire oublier leurs dispositions congénitales au parasitisme et à la prédation. Pour ce faire ils nous rejouent les disputes byzantines que tranche l'insaisissable et mythique vérité du travail, le marché... ou les bombes. Dans ce halo de jargon et de croyances folles, de rituels et de ferveurs, le travail est révéré et sacralisé, valeur morale et d'échange, qui ne donne plus le change.

S'opposer à cette dictature des gestionnaires, et à leur religion, l'économie, voilà l'urgence... sans oublier la défense de la race blanche, naturellement.

" Partout la spéculation est, pour finir, devenue la part souveraine de toute la propriété. Elle s'autogouverne plus ou moins, selon les prépondérances locales, autour des Bourses, ou des Etats, ou des Mafias : tous se fédérant dans une sorte de démocratie des élites de la spéculation. Le reste est misère. Partout l'excès du simulacre a explosé comme Tchernobyl, et partout la mort s'est répandue aussi vite et massivement que le désordre. Plus rien ne marche et plus rien n'est cru. "
Guy Debord, " Cette mauvaise réputation... " (1993).

Écrit par : Danny | 21/06/2011

Du grain à moudre, encore et toujours...

« Les Français, le protectionnisme et le libre-échange », conférence de presse du 16 juin 2011 : les vidéos

Avec Hervé Juvin, Emmanuel Todd, Jean-Luc Gréau et Jacques Sapir

http://verslarevolution.hautetfort.com/archive/2011/06/21/les-francais-le-protectionnisme-et-le-libre-echange-confere.html

Écrit par : Boreas | 21/06/2011

merci Boréas, débat intéressant, pour une fois.

Écrit par : hoplite | 22/06/2011

Bonjour Hoplite,

D’accord pour votre dernière citation de Smith (que l’on retrouve sous trois formes un peu différentes dans La Richesse des Nation), mais il faut aussi la replacer dans son contexte pour voir ce que Smith voulait dire exactement : le problème que Smith examine est celui de la mobilité du capital. A la différence d’un agriculteur, qui est attaché (à tous points de vue) à sa terre, le marchand peut transporter son activité à peu près où il veut. Son activité commerciale n’est nécessairement attachée à aucun pays en particulier.
Cela pose évidemment certains problèmes politiques, et Smith en général n’est pas tendre envers les marchands, mais il ne dit absolument pas qu’un marchand ne peut pas être un bon citoyen, attaché à son pays. Les hommes sont rarement tout d’une pièce et il en est peu qui peuvent se résumer à leur activité professionnelle.
Par contre parler de « la fameuse « main invisible du marché » de Smith, censée organiser pacifiquement la société à partir de monades antagonistes » n’est pas correct. D’abord Smith n’utilise pas l’expression « main invisible du marché » mais simplement « main invisible ». Il ne l’emploie qu’une seule et unique fois dans toute La Richesse des Nations et il ne lui attribue pas du tout la capacité « d’organiser pacifiquement la société à partir de monades antagonistes ». Cette métaphore a une portée beaucoup plus modeste, elle signifie simplement qu’en cherchant égoïstement à s’enrichir, un individu « travaille nécessairement à rendre le revenu annuel de la société aussi grand qu’il peut ». Il ne vise pas du tout ce résultat et pourtant c’est ce résultat qui est atteint. D’où la main invisible.
Vous me direz peut-être que je pinaille, mais il me semble qu’Adam Smith est un penseur suffisamment profond et subtil (quoique moins profond et subtil que Locke ou Hobbes) pour qu’on pinaille un peu à son sujet.

Écrit par : Aristide | 23/06/2011

salut aristide et merci pour votre commentaire érudit; et non vous ne pinaillez pas!

concernant la mobilité du marchand, tout le problème réside précisément dans le fait que ce fameux marchand peut, en fonction de son seul intérêt, décider du jour au lendemain de partir et de déplacer son capital à l'autre bout de la planète (comme nous le voyons tous les jours) en s’exonérant totalement de sa responsabilité vis-à-vis de sa communauté, des gens qui vivent autour de lui et qui, éventuellement, comptent sur lui...d'un point de vue libéral, rien à redire, il est libre de ses attachements et doit logiquement suivre son meilleur intérêt! d'un point de vue communautarien, cela pose évidemment problème: peut-on être un "bon citoyen" en délocalisant son activité marchande et laisser sur le carreau des gens (parfois nombreux) qui dépendent de vous???

pour moi, non.

Quant à cette "main invisible" de Smith, il me semble qu'elle participe d'une sorte de providence, chargée d'organiser (on ne sait comment- la providence donc) la vie à peu prés harmonieuse de personnes dont les intérêts et les idées peuvent être aux antipodes (cela rejoint peut-être la fable de Mandeville sur les abeilles qui en poursuivant leur intérêt propre constituent une ruche organisée et cohérente). Cela me semble relever avant tout d'une simple croyance, d'une belle utopie, au regard de millénaire de civilisation , cultures traditionnelles et holistes organisées par des mythes, pratiques et croyances communes...

approche différente bien sûr du contrat social de LOCKE mais qui pose problème aussi: sur quelles valeurs constituer ce fameux vivre-ensemble hormis le marché et les droits naturels et positifs (qui me semblent insuffisants).

problème et discussion anciens mais toujours d'actualité++

à vous lire, aristide.

Écrit par : hoplite | 23/06/2011

Ces propos de Thomas Jefferson (1802), glanés chez les amis de ZENTROPA, ne manquaient pas de clairvoyance et ne sont pas éloignés du débat, loin s'en faut.

" Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent leur monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour des banques priveront les gens de toute possession, d'abord par l'inflation, ensuite par la récession, jusqu'au jour où leurs enfants se réveilleront, sans maison et sans toit, sur la terre que leurs parents ont conquis. "

Écrit par : Danny | 23/06/2011

excellent (je l'avais remarquée dans le dernier opus de SORAL..=

Écrit par : hoplite | 23/06/2011

Un peu plus de pinaillage en réponse à votre commentaire, si vous le permettez.
Sur le premier point disons, en peignant à larges traits, qu’effectivement l’activité commerciale tend à favoriser un certain cosmopolitisme et un certain relativisme chez ceux qui la pratiquent. Voir par exemple ce qu’écrit Montesquieu sur ce sujet. Cela n’a pas que des désavantages - n’idéalisons pas les peuples ou les époques sans commerce - mais il est vrai que, du point de vue de la communauté politique qui abrite le marchand, cela pose problème. Il existe une certaine tension entre la logique du commerce et les exigences de la politique.
Sur ce point Smith serait d’accord avec vous (sans non plus considérer ce problème comme insurmontable).
Mais la question plus large est celle de savoir ce que sont les devoirs des individus envers leur communauté politique (laissons de côté la famille et les « corps intermédiaires ») et quels sont les fondements de ces devoirs. Vous évoquez par exemple le cas de l’industriel qui délocalise son activité en laissant sur le carreau « ceux qui dépendent de lui » (pour gagner leur vie je suppose). Cela présuppose que, d’une manière ou d’une autre, l’industriel - vous ou moi - aurait le devoir de continuer à employer des gens dont il estime ne plus avoir besoin. C’est à dire le devoir d’employer son bien à acheter des services dont il ne veut pas. Cela peut se concevoir, mais Smith vous demanderait certainement sur quoi vous fondez un tel devoir. Avez-vous le devoir d’acheter du pain chez le boulanger en bas de chez vous ? Même s’il est mauvais ? Même s’il est trop cher ? Même si vous avez décidé de maigrir et de ne plus manger de pain ? Même si vous estimez ne plus avoir les moyens de le faire ? N’oubliez pas que votre boulanger dépend de vous.
Autrement dit Smith serait en désaccord avec vous non pas parce qu’il penserait que chaque individu est « libre de ses attachements », mais parce qu’il n’a pas la même conception du droit naturel. Ce n’est pas, de son point de vue, une question « d’intérêt » mais une question de justice.
Sur le second point, je suis obligé de maintenir que la main invisible d’Adam Smith n’a pas la signification que vous lui prêtez. Peut-être certains auteurs se disant libéraux ont-ils soutenu que la vie humaine pouvait s’organiser d’elle-même harmonieusement par l’effet d’une « main invisible », je ne sais pas. En revanche je sais que ce n’est pas le cas de Smith (ni de Hobbes, ni de Locke, ni de Montesquieu, etc.). Evidemment je ne peux pas poster ici les pages de commentaires qui seraient nécessaires pour soutenir mon affirmation. Vous n’êtes donc pas obligé de me croire. Mais les écrits de Smith sont aisément disponibles.
Le libéralisme (celui des auteurs dont je parle) a certes des défauts, mais il n’a pas celui de la naïveté. Du moins il me semble.

Écrit par : Aristide | 23/06/2011

"Mais la question plus large est celle de savoir ce que sont les devoirs des individus envers leur communauté politique (laissons de côté la famille et les « corps intermédiaires ») et quels sont les fondements de ces devoirs."

tout à fait.

et il me semble que le courant libéral s'entend à considérer que les individus -et leurs droits naturels inaliénables- précèdent leur être social, ce qui signifie simplement que toute communauté/société est, dans cette perspective philosophique révolutionnaire,
-au mieux la conséquence d'une association contractuelle toujours révisable en fonction des circonstances (voir le marchand Mittal qui exporte son capital en fonction de son meilleur intérêt),
-au pire la coexistence aléatoire d'individus n'ayant éventuellement rien en commun hormis le devoir de respecter les règles du marché et le Droit, les limites de chacun étant fixée par la liberté des autres, ce qui me parait éminemment utopique..


"Avez-vous le devoir d’acheter du pain chez le boulanger en bas de chez vous ? Même s’il est mauvais ? Même s’il est trop cher ? Même si vous avez décidé de maigrir et de ne plus manger de pain ? Même si vous estimez ne plus avoir les moyens de le faire ? N’oubliez pas que votre boulanger dépend de vous."

vous avez raison, je vous ai tendu une perche! non, bien sûr, même au nom de la responsabilité de chacun vis-à-vis de la communauté dans laquelle nous vivons, il n'est pas question d'acheter du mauvais pain au prétexte que le boulanger est concitoyen...je pensais plutôt à cette responsabilité minimale, cette minima moralia qui empêche logiquement un Mittal ou un Bouygues, de fermer une activité économique rentable avec les dégâts humains que cela implique au motif que la rentabilité est insuffisante ici et meilleure ailleurs: cette logique strictement individualiste est en contradiction évidente avec la vie de toute communauté humaine qui enjoint à chacun de ne point agir SEULEMENT dans son seul intérêt. et de se sentir RESPONSABLE lorsque notre action a une influence sur autrui (et c'est TOUJOURS le cas: presque tous les actaes humainss'exercent d'une façon ou d'une autre aux dépends de la liberté d'autrui, et il est en outre quasiment impossible de détreminer le moment où la liberté d'un individu peut être considérée comme entravant celle des autres) des gens, proches ou pas qui constituent sa communauté naturelle ou positive (pour aller dan le sens de la communauté selon Locke),

au fond, cette notion de Droit ou de justice ne me semble pas plus évidente ni même fondée que cette décence commune qui fonde depuis toujours les rapports entre les hommes (ce qui se fait et ce qui ne se fait pas); le problème cardinal de l'utopie libérale (geste d'émancipation et d'autonomie éminemment respectable en soi) reste le désert moral, philosophique ou religieux qui tient lieu de vivre-ensemble: ie, si la notion de Bien commun est potentiellement dangereuse car fondée à faire resurgir les guerres civiles idéologiques, l'absence, au contraire, de tout fondement moral/philosophique/culturel partagé (un état axiologiquement neutre) me parait encore plus lourd de conflits tous azimuts, le droit et le marché me paraissant parfaitement insuffisants à instituer la paix civile.

quant à la main invisible de Smith:

"En recherchant son propre gain, , l'individu est conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait nullement partie de son intention." (Recherche...Vol 1, livre 1)

et à la vision profondément pessimiste de Smith:

"Même si parmi les différents membres de la société, il n'y a ni amour mutuel ni affection, , la société, bien que moins heureuse et moins agréable, n'est pas nécessairement dissoute.Elle peut subsister entre les hommes comme elle subsiste entre les marchands, par un sentiment de son utilité sans aucun lien d'amour mutuel ou d'affection; et si personne n'a la moindre obligation ou n'est tenu à la moindre gratitude, la société peut encore se maintenir à l'aide de l'échange intéréssé de services, selon une valeur convenue." Smith, Théorie des sentiments moraux, 1759.

S'il ne faut certes pas idéaliser les peuples ou les époques sans commerce, il me semble que certains philosophes libéraux comme Smith ou Tocqueville (ou même Constant) avait une idée assez claire et tragique du type de société que cette révolution libérale allait mettre en œuvre.

Écrit par : hoplite300 | 23/06/2011

J’aurais encore beaucoup à pinailler sur ce que vous dites, mais je ne le ferais pas, d’une part parce que le format internet ne s’y prête pas, et d’autre part parce qu’il me semble que notre désaccord n’est pas si grand. Effectivement le libéralisme (Hobbes, Locke, etc.) a une certaine difficulté à penser les différents liens humains, et il est également vrai que la démocratie libérale a besoin pour exister d’une communauté politique (un peuple, une nation, comme vous voulez) qu’elle ne crée pas, et même qu’elle risque de miner par ses principes. C’est un peu le problème de la construction européenne.
Mais juste une remarque d’ordre général : il y a une différence très grande entre les penseurs initiaux du libéralisme, les vrais philosophes, et les penseurs de moindre envergure qui sont venus après eux et qui ont rajouté des étages à la maison en oubliant sur quelles fondations elle était bâtie. C’est le problème des théories qui ont du succès, on fini par oublier leurs conditions de validité. Mais ceux qui les premiers ont proposé ces théories avaient eux une conscience très claire de ces conditions de validité. Ils savaient notamment que le libéralisme n’est pas du tout « axiologiquement neutre », qu’il repose sur une certaine conception du bien humain et qu’un régime libéral ne peut survivre sans des individus libéraux, c’est à dire des individus qui ont reçu une certaine forme d’éducation intellectuelle et morale, éducation qu’il est donc du devoir des gouvernants de promouvoir.
C’est nous aujourd’hui (nous, c’est à dire nos hommes politiques, nos intellectuels etc.) qui croyons, ou qui voulons croire, que le droit et le marché peuvent suffire à tenir les hommes ensemble. N’imputons pas cette erreur à Hobbes, Locke, Montesquieu et tutti quanti, elle n’est pas la leur.
Enfin sur Smith, j’ai dit que j’arrêtai de pinailler, mais tout de même il faut que je réponde à ce que vous dites.
Vous citez ceci : "En recherchant son propre gain, l'individu est conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui ne faisait nullement partie de son intention."
Tout d’abord cette citation n’est pas littérale, il s’agit d’une paraphrase. Mais le problème principal n’est pas là. La question est, quelle est cette « fin » dont parle Smith et que l’individu promeut sans en avoir eu l’intention ? Cette fin est « le revenu annuel de la société » pour reprendre les termes de Smith. Autrement dit, en travaillant pour son propre gain, l’individu travaille sans le vouloir à augmenter la richesse globale de la société. Ni plus, ni moins. Cette proposition peut être vraie, elle peut être fausse, cela peut se discuter. Mais ce qui peut être établi au delà de tout doute raisonnable, c’est que « la main invisible » ne désigne rien d’autre que cela dans le passage que vous paraphrasez. Ce passage se trouve en IV.ii.9 dans l’édition de Glasgow des œuvres complètes de Smith.
Ensuite le passage de La Théorie des Sentiments moraux que vous citez (qui se trouve en II.ii.3.2) n’a pas du tout le sens pessimiste que vous lui attribuez. Smith dit que la société humaine « peut » subsister par des liens uniquement utilitaires, il ne dit pas qu’elle doit reposer uniquement sur ce type de lien ou qu’il serait souhaitable qu’elle le fasse. Le chapitre dans lequel se trouve ce passage commence ainsi : « It is thus that man, who can subsist only in society, was fitted by nature to that situation for which he was made ». Autrement dit le sens général de votre extrait est : la nature est bien faite puisque la société dont l’homme a besoin pour vivre peut exister même dans des conditions minimales. Mais Smith est très clair sur le fait que les hommes recherchent en général bien davantage que leur intérêt matériel dans la compagnie de leurs semblables. Pour Smith l’homme est un animal social, qui a besoin d’aimé et d’être aimé, et qui recherche spontanément l’approbation et l’admiration de ses semblables. C’est tout le sens de La Théorie des sentiments moraux et de sa théorie de la « sympathie ».
Faire de Smith quelqu’un pour qui la société humaine reposerait uniquement sur des liens contractuels et intéressés est pour le moins paradoxal, puisqu’il critique la notion lockéenne de contrat social et qu’il affirme explicitement que les êtres humains sont spontanément attachés les uns aux autres.

Je m’arrête là, et ce sera ma dernière intervention. Je ne voudrais pas jouer les fâcheux qui squattent un blog en y balançant à répétition d’interminables tartines. Merci pour cette discussion.

Écrit par : Aristide | 23/06/2011

"Je m’arrête là, et ce sera ma dernière intervention. Je ne voudrais pas jouer les fâcheux qui squattent un blog en y balançant à répétition d’interminables tartines. Merci pour cette discussion."

n'en faites rien, Aristide, cette discussion est fort intéressante!! vous n'êtes fâcheux en rien et, au fond, j'attends ce genre de réfutation constructive qui me permet d'avancer. merci à vous, que vous reveniez poster ou pas, Aristide.

"il est également vrai que la démocratie libérale a besoin pour exister d’une communauté politique (un peuple, une nation, comme vous voulez) qu’elle ne crée pas, et même qu’elle risque de miner par ses principes. C’est un peu le problème de la construction européenne."

c'est bien mon sentiment aussi mais je me demande, et cela rejoins une partie ultérieure de votre commentaire, si le monde actuel n'est pas la simple praxis, l'aboutissement logique de cette geste libérale, de ce projet d'autonomie individualiste, rationnel et utilitariste/progressiste (qu'on ne saurait considérer comme homogène, toutefois).

"ils savaient notamment que le libéralisme n’est pas du tout « axiologiquement neutre », qu’il repose sur une certaine conception du bien humain et qu’un régime libéral ne peut survivre sans des individus libéraux, c’est à dire des individus qui ont reçu une certaine forme d’éducation intellectuelle et morale, éducation qu’il est donc du devoir des gouvernants de promouvoir."

c'est un point cardinal++: si le libéralisme n'est pas, selon vous, "axiologiquement neutre, sur quels principes philosophiques ou moraux partagés repose-t-il? Quelle vision du Bien est-elle dispensée par l'Etat? ou par la société civile? et le congédiement du Bien au profit du Juste n'est-il pas au coeur du projet libéral?

"Pour Smith l’homme est un animal social, qui a besoin d’aimé et d’être aimé, et qui recherche spontanément l’approbation et l’admiration de ses semblables. C’est tout le sens de La Théorie des sentiments moraux et de sa théorie de la « sympathie »."

admettons pour Smith, mais mon sentiment à la lecture de certains auteurs libéraux (et contrairement à la pensée d'Aristote qui voyait en l'homme un animal politique et social avant tout) est que la pensée libérale fait de l'homme un individu désassocié dont les fins et droits sont antérieurs à toute vie communautaire, à tout contexte social-historique, ie les devoirs éventuels d'un individu appartenant (contractuellement) à une société donnée seront toujours subordonnés à l'expression de ses droits naturels inaliénables, ce qui, vous en conviendrez, rend problématique la vie en société de nos modernes, fils des Lumières.

mais c'est le vieux débat entre communautariens et libéraux (Rawls vs Mc Intyre).

« Mais le revenu annuel de toute société est toujours précisément égal à la valeur échangeable de tout le produit annuel de son industrie, ou plutôt c’est précisément la même chose que cette valeur échangeable. Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut, 1° d’employer son capital à faire valoir l’industrie nationale, et 2° de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. Je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir. » (Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre IV, ch. 2, 1776 ; d'après réédition, éd. Flammarion, 1991, tome II p. 42-43)

ce côté "les vices privés font les vertus publiques",(qui me rappelle la fable des abeilles de Mandeville) cette façon d'assoir les rapports sociaux sur l'égoïsme de chacun et la seule recherche de son meilleur intérêt au détriment de toute autre considérations (probité, entraide, honneur, générosité, etc...) me parait profondément pessimiste comme vision anthropologique..peut-être juste mais désespérante.

à vous lire, Aristide.

Écrit par : hoplite300 | 24/06/2011

Ca serait bien si tu nous faisais aussi un jour un truc sur le bénévolat, cher Hoplite.
Je suis curieuse de te lire là-dessus.
Mais bon, c'est pas un ordre, hein ^^

Écrit par : Carine | 27/08/2012

pourquoi le bénévolat?

Écrit par : hoplite | 27/08/2012

Parce que ça m'énerve de voir tous ces emplois potentiels tenus par des bénévoles replâtrant toutes les fissures, palliant toutes les carences.
Le soutien scolaire ? du travail qui devrait normalement échoir à des étudiants qui rendraient service et à qui ça rendrait service. Bin non, il faut que ça soit fait par des entreprises à but lucratif ou à l'opposé par des bénévoles. On peut pas préférer les étudiants qui ont besoin d'argent ? je pense qu'ils aimeraient bien, plutôt que la plonge des restos en saisonniers l'été.
Le bénévolat bouche les fissures là où l'Etat les fabrique, justement.
Il y a un trop plein dans les "logements sociaux", mais faut augmenter le nombre d'immigés "légaux" (lol), les autres on veut pas le savoir. Quand on sait que les logements sociaux servent de base à tous les trafics et sont "réservés", normal que les gens, les autres, soient à la rue. Et/ou n'aient plus les moyens de se nourrir. Donc restos du ♥ et bénévolat.
Les ptits vieux meurent de solitude et de manque de soins chez eux parce qu'il n'y a pas de maisons de retraite pour les accueillir ou qu'elles sont inaccessibles à leur budget et à celui de leurs familles ? Hop les bénévoles…

C'est clair qu'ils sont utiles, dans l'état où est ce pays, mais cette situation est-elle bien normale quand le chômage mange tout ?

Écrit par : Carine | 27/08/2012

En résumé, on ne peut pas faire sans les bénévoles mais c'est anormal d'avoir besoin du bénévolat.
Le soutien scolaire est anormal, inutile si l'école faisait son boulot.
Pareil pour tous les secteurs.

Écrit par : Carine | 27/08/2012

"est-elle bien normale quand le chômage mange tout ?"

Le chomage est voulu.

Evidement il y a un point ou ca devient tres dangereux, mais c'est voulu.

Écrit par : JÖ | 27/08/2012

'[...] ce côté "les vices privés font les vertus publiques",(qui me rappelle la fable des abeilles de Mandeville) cette façon d'assoir les rapports sociaux sur l'égoïsme de chacun et la seule recherche de son meilleur intérêt au détriment de toute autre considérations (probité, entraide, honneur, générosité, etc...) me parait profondément pessimiste comme vision anthropologique..peut-être juste mais désespérante.'

Vision anthropologique (passive) ? Ou haine (active) de tout ce qui ne s'y rattache pas ? Les ultra-matérialistes de tous bords, quelle que soit leur étiquette déclarée, marxistes, socialistes ou libéraux, n'ont-ils pas à l'évidence tout fait au cours des derniers siècles pour mettre en place des conditions *interdisant* tout ce que leur "vision" ne pourrait expliquer ? (*)

Avec le recul historique que nous avons maintenant, la terrible vérité de ces soi-disants "édifices philosophiques" apparaît en creux dans le non-dit - dans les *actes* de destruction systématique, directe ou indirecte, de toute vie intérieure, de toute beauté, de toute création, de toute initiative ne relevant pas de l'envie pure et simple.

Voir le beau texte de la NLF à propos de l'envie : http://nouvellelanguefrancaise.hautetfort.com/archive/2012/05/03/envie.html
dont voici un court extrait: "On frémit à la pensée que l’envie – cette haine que l’on ressent du bonheur, des succès, des avantages d’autrui – soit devenue l’horizon indépassable de la morale contemporaine."

Le paradoxe que vous mentionnez n'est alors plus surprenant, la ligne de front principale n'étant plus entre étatistes et libéraux, mais entre parasites (les "vers" de Bernanos) refusant la responsabilité historique échouant à tout Homme, qu'il le veuille ou non, et le terreau culturel historique que ces parasites exploitent et assèchent simultanément - terreau qu'ils refusent ainsi à leurs enfants, mais dont ils ne peuvent se passer, en faits et en actes - exactement à l'opposé de leurs discours.

Dans de telles conditions, vivre en anarque reste la seule possibilité pour qui ne se contente pas de végéter.

(*) Au passage, similarité de fonctionnement avec l'Islam, même si ce n'est pas le sujet ici.

Écrit par : Gas | 27/08/2012

Bonjour Hoplite,

Félicitations tout d'abord pour votre blog, qui m'a permis de découvrir des textes ou des auteurs à coté desquels je serais peut-être passé, et qui contribuent à nourrir ma réflexion.

Votre post relatif au libéralisme me donne l'occasion de vous demander une précision.

Il me semble, à moins que j'ai mal interprété vos propos, que vous rendez le capitalisme responsable de la destruction des identités, et de ce qu'elles peuvent avoir de protecteur et de structurant pour l'être humain.

Pour avoir un peu voyagé dans des pays où l'économie de marché règne en maitre (Australie, Japon, USA), j'ai pu constater que les identités de ces peuples restaient très fortes et très présentes, et qu'elles ne semblaient en rien altérées par le développement économique.

En conséquence, le capitalisme ne détruit-il pas des identités déjà moribondes ? N'est ce pas plutôt l'étatisme jacobin et communiste qui, sous prétexte d'égalité, attaque systématiquement les cultures et les peuples, et l'invasion migratoire qui les fait disparaitre ?

Salutations.

Écrit par : Philippe | 01/09/2012

"Il me semble, à moins que j'ai mal interprété vos propos, que vous rendez le capitalisme responsable de la destruction des identités, et de ce qu'elles peuvent avoir de protecteur et de structurant pour l'être humain."

bonsoir!
bonne question en vérité: disons d'emblée que la seule préoccupation du marché globalisé est la maximisation des profits et la réduction de tous les obstacles à son développement illimité (ou voulu tel); à ce titre, toutes les particularités culturelles, les irrédentismes, les traditions, les cultures différenciées constituent des obstacles potentiels à l'impact de la propagande marchande qui, elle aussi, se globalise. De fait, et on le perçoit bien avec des marques globales comme MC DO ou Bennetton, le message est quasiment le même sur toute la planète (différencier les messages est un surcout). Le marché me semble donc participer de cette logique du Même.

Pour autant, vous avez raison de constater la persistance de particularités culturelles fortes dans des sociétés de marchés, c'est sans doute car ces pays ont une tradition culturelle suffisamment forte pour ne pas avoir encore disparu sous les coups de boutoir des publicistes, mais la tendance reste fondamentalement l'uniformisation des modes, des pratiques et des objets.

Mais le matérialisme marxiste fut aussi destructeur au moins en apparence. A la différence qu'il prenait l'apparence d'une dictature (pas celle du prolétariat^^) et que les conduites extérieures étaient imposées par le Parti, contrairement à nos sociétés ouvertes ou les consommateurs que nous sommes sont heureux de participer à leur asservissement...La Chine moderne sort exsangue de l'époque maoiste et Simon Leys est extrêmement pessimiste sur la structuration culturelle et morale de générations entières, détruites par des années de tyrannie brutale et meurtrière. En Russie, il semble paradoxalement que la chape totalitaire ait permis de préserver des cultures de l'arasement marchand; la puissance de l'église orthodoxe en est un symptôme à mes yeux, unique en un Occident désormais sans Dieu.

Le jacobinisme est aussi une forme d'extinction culturelle, de disparition des particularisme culturels, ethniques ou linguistiques régionaux. A fuir également.
Quant à l'invasion migratoire elle est la première conséquence de la logique marchande globalisée qui nécessite toujours plus de main d'oeuvre servile à même d'induire une déflation salariale et de casser tous les mécanismes sociaux, syndicaux, légaux de résistance à l'aliénation du salariat généralisé et de la relation faussée entre propriétaires du capital et propriétaires de leur seule force de travail qui sont toujours la variable d'ajustement (d'autant plus qu'arrive sans cesse des morts de faims prêts à bosser pour rien..).

voilà, rapidement..

Écrit par : hoplite | 01/09/2012

Merci tout d'abord pour votre réponse.
Que la seule préoccupation du marché soit la réalisation toujours constante du profit est une réalité indéniable. Ceci étant, à moins d'avoir une vision des rapports de forces basée sur le complotisme, rien ne permet de penser qu'il y ait à priori une volonté délibérée de détruire les structures humaines existantes. Le marché implique le choix, le libre arbitre, la responsabilité. On n'organise pas de rafles pour emmener les gens au Mac Do, ou pour remplir leur caddie de saloperies. Ils exercent un choix, certes stimulé par la propagande publicitaire et encouragé par le système financier. Mais in fine, ils sont les seuls responsables.

Il est également indéniable que nous assistons avec la mondialisation à une uniformisation des modes de vie. Je ne pense pas pour ma part que ce soit une condition suffisante pour détruire des structures sociales et économiques ancestrales bien portantes. J'ai l'impression que le capitalisme agit comme une sorte de darwinisme culturel. Il détruit les cultures moribondes et revivifie les structures saines et viables. La puissance de l'église orthodoxe ne me semble pas s'expliquer par le fait que le communisme l'ait en quelque sorte protégé du marché. L'église orthodoxe n'a simplement pas connu son vatican II, et n'est pas été rendue depuis quarante ans responsable de tous les maux de la société par un bourrage de crane permanent.

Comme vous le savez, la pratique religieuse reste très forte entre autre aux US, malgré l'omniprésence du marché. Le déclin des pratiques religieuses n'existe qu'en Europe, pour des raisons historiques propres aux européens.

D'autre part, le capitalisme a longtemps existé sans invasion migratoire. On trouve dès le moyen age des éléments embryonnaires de ce que sera l'économie de marché. Je ne pense pas que l'immigration de masse soit une condition nécessaire à son existence. Là encore, l'exemple du Japon est significatif. L'immigration qui ravage aujourd'hui l'Europe me semble encore une fois davantage liée au passé des peuples européens (mauvaise conscience post-coloniale, droit de l'hommisme érigé en système de pensée...) qu'au capitalisme.

Il me semble donc que l'attitude par rapport à l'économie de marché doit être assez nuancée. Elle ne peut bien sur constituer un horizon indépassable et tenir lieu de morale et de mode de vie. Elle ne doit pas non plus me semble t'il être accusée de tous les maux. Elle remplit globalement son rôle, qui est de permettre aux communautés qui l'adoptent d'améliorer leur niveau de vie. Libre ensuite aux individus de travailler à la Bourse ou de rentrer dans les ordres, de s'impliquer dans une communauté ou de manger des chips devant la télé, d'aller au bordel ou à l'église...

Le capitalisme permet aujourd'hui de vivre matériellement aussi à l'aise sans quasiment travailler qu'il y a un siècle en passant ses journées à l'usine, permettant ainsi à chacun d'être maitre de son temps pour étudier, prier, ou jouer au tiercé. L'idée selon laquelle il rendrait l'homme esclave de la consommation et du salariat me parait un peu simpliste.Je me demande même si le capitalisme ne constitue pas un élément constitutif de l'identité européenne, avec le christianisme et l'état comme garde-fous.

Enfin, pour venir d'un monde paysan très communautaire, il me semble que l'on exagère souvent son coté solidaire et altruiste. Là encore, il faut être nuancé. Le service rendu et le don ont existé et existent encore. Mais les comportements égoistes, mesquins, d'une étroitesse d'esprit inimaginable prédominent souvent.

Voilà quelques réflexions issues de mon expérience, qui je l'espère ne vous auront pas ennuyées.Le monde occidental, et principalement l'Europe, est malade. Je me demande si le fait d'en chercher les causes ailleurs qu'en lui même ne contribue pas à une analyse erronée.

Bien à vous.

Écrit par : Philippe | 02/09/2012

bien reçu, Philippe, je m'aperçois que ma réponse était un peu rapide, je vais essayer de faire mieux.

globalement, la domination sans partage du capitalisme globalisé me parait s'inscrire plus généralement dans une crise de la modernité, comme mouvement politique et philosophique, qui se caractérise par l'individualisation (destruction des anciennes communautés d'appartenance), la mssification (standardisation des comportements et des modes de vie), la désacralisation (reflux des grands récits religieux), la rationalisation (domination de la raison instrumentale à travers l'échange marchand et l’efficacité technique), l’universalisation (extension planétaire d'un modèle de société posé comme supérieur ou seul possible rationnellement).

Le libéralisme qui incarne l'idéologie dominante de cette modernité déclinante est indissociable du marché globalisé car la pensée libérale a autonomisé l'économie (désenchassé dit Polanyi) de la communauté, de la morale et du politique qui la cricomvenait jusqu'alors, du moins la bornait en fonction des nécessités du moment. La pensée libérale a fait de la valeur marchande l'instance souveraine de toute vie commune, permettant le passage d'économies de marché à des sociétés de marché, c'est-à-dire l'extension à tous les domaines de l'existence des lois de l'échange marchand couronné par la "main invisible" (au choix "auto-régulation" du marché ou "providence" selon les auteurs libéraux). C qui en soi est une véritable révolution anthropologique et n'a rien, à mon sens, de naturel ou d'évident. Ajoutons que cette double pulsion individualiste et économiciste s'accompagne d'une vision "darwinienne" de la vie sociale (winners vs loosers) correspond à la concurrence généralisée (version moderne de "la guerre de tous contre tous" de Hobbes) qui est désormais l'horizon de nos élites et experts...

Bête noire des auteurs libéraux, l'Etat-providence apparait en fait avec le développement du marché (au début pour faire du prélèvement fiscal un outil de sa puissance) et connait un essor proportionnel à la dissolution des liens communautaires (et des anciennes formes de solidarité basées sur le don et le contre-don) provoquée par la marchandisation de la vie sociale: l'Etat-providence devenant progressivement incontournable pour procéder aux redistributions nécessaires pour pallier aux défaillances des solidarités traditionnelles...bien loin d'entraver la course du libéralisme, on peut au contraire penser que c'est l'Etat-providence et ses interventions étatiques qui ont permis au marché de prospérer et a empêché l'explosion sociale...généralisant au passage l'irresponsabilité et l’assistanat de populations entières ayant désappris la vie en communauté et toujours plus avides de droits positifs nouveaux.

"rien ne permet de penser qu'il y ait à priori une volonté délibérée de détruire les structures humaines existantes. Le marché implique le choix, le libre arbitre, la responsabilité. On n'organise pas de rafles pour emmener les gens au Mac Do, ou pour remplir leur caddie de saloperies. Ils exercent un choix, certes stimulé par la propagande publicitaire et encouragé par le système financier. Mais in fine, ils sont les seuls responsables."

nous sommes d'accord, il n'y a pas forcément de complot (quoique les politiques concertées et globalisées de l'OMC, du FMI de la banque mondiale et d'autres puisse in fine s'interpréter comme tel) mais le simple fait que cette vision marchande soit devenue l'horizon indépassable dune bonne partie de l'humanité implique précisément l'absence de choix, l'absence de possibilité de penser autrement que suivant les canons de l'expertocratie de la réclame globalisée. Et ils ne sont évidemment pas les seuls responsables, vous le savez.

"Il est également indéniable que nous assistons avec la mondialisation à une uniformisation des modes de vie. Je ne pense pas pour ma part que ce soit une condition suffisante pour détruire des structures sociales et économiques ancestrales bien portantes. J'ai l'impression que le capitalisme agit comme une sorte de darwinisme culturel. Il détruit les cultures moribondes et revivifie les structures saines et viables"

En dépit de ce qui les oppose, libéralisme et marxisme appartiennent fondamentalement au même univers hérité de la pensée des Lumières, le même horizon materialiste: même individualisme de fond, même universalisme égalitaire, même rationalisme, même primat du facteur économique, même insistance sur la valeur émancipatoire du travail, même foi dans le Progrès, même aspiration en une fin de l'histoire; et à bien des égards, le libéralisme (le marché) a seulement réalisé avec plus d'efficacité certains des objectifs qu'il partageait avec le marxisme: éradication des identités collectives et des cultures traditionnelles, désenchantement du monde, universalisation du système de production.

"Il me semble donc que l'attitude par rapport à l'économie de marché doit être assez nuancée. Elle ne peut bien sur constituer un horizon indépassable et tenir lieu de morale et de mode de vie. Elle ne doit pas non plus me semble t'il être accusée de tous les maux"

Il suffit d'ouvrir n'importe quel magazine grand public ou n'importe quelle émission grand public pour comprendre à quel point le règne de la marchandise, de la mode et de la consommation sans limites est devenu sans partage.

"Le capitalisme permet aujourd'hui de vivre matériellement aussi à l'aise sans quasiment travailler qu'il y a un siècle en passant ses journées à l'usine, permettant ainsi à chacun d'être maitre de son temps pour étudier, prier, ou jouer au tiercé."

dans une petite parcelle de l'occident... soit un ilot dans notre monde: partout ailleurs, règnent des conditions de travail et un appauvrissement de l'environnement humain et naturel qui renvoient le Quai de Wigan d'Orwell à une vision idyllique de la société capitaliste anglaise du XX ou du XIXeme siécle.

"L'idée selon laquelle il rendrait l'homme esclave de la consommation et du salariat me parait un peu simpliste"

qu'il n'y ait pas de malentendu: l'échange marchand me parait incontournable, ce qui est tragique (et nouveau dans l'histoire des hommes) est cette économicisation et cette marchandisation sans limite de toutes les domaines de la vie en société et de la planète entière soumise à la seule logique "rationnelle" du marché.

"Enfin, pour venir d'un monde paysan très communautaire, il me semble que l'on exagère souvent son coté solidaire et altruiste. Là encore, il faut être nuancé. Le service rendu et le don ont existé et existent encore. Mais les comportements égoistes, mesquins, d'une étroitesse d'esprit inimaginable prédominent souvent."

je suis moi-même issu de monde paysans croisés et j'y vit une partie de l'année ce qui me permet de ne pas idéaliser le mode de vie communautaire qui présente évidemment des limites, des inconvénients parfois insupportables; mais les comportements égoïstes et mesquins me semblent être la règle dans l’environnement urbain beaucoup plus que dans les campagnes ou l’entraide et un maillage de solidarité existe encore largement. rien à voir.

"Voilà quelques réflexions issues de mon expérience, qui je l'espère ne vous auront pas ennuyées.Le monde occidental, et principalement l'Europe, est malade. Je me demande si le fait d'en chercher les causes ailleurs qu'en lui même ne contribue pas à une analyse erronée."

discussion fort intéressante au contraire. à mon humble avis, ça n'est pas seulement l'Europe qui est malade mais le monde entier contaminé par la modernité occidentale. dans laquelle il y a du bon (quête d'autonomie, auto institution des sociétés, émancipation d'hétérodoxies pesantes voire incapacitantes, etc.). Le capitalisme globalisé dont nous voyons les ravages tous les jours est bien d'essence européenne, occidentale, je ne cherche pas des causes ailleurs, je pense que c'est une des facettes de notre modernité qui s'avère si destructrice.

à vous lire.

Écrit par : hoplite | 02/09/2012

Bonsoir Hoplite,

Merci pour votre réponse, claire et détaillée.

Il est vrai que le développement planétaire de l'idéologie libérale génère une standardisation des comportements et des modes de vie. En contrepartie, il semble que les pays qui l'adoptent sortent plus facilement de la pauvreté que ceux qui la rejettent, et que leurs populations puissent améliorer considérablement leur existence et leur espérance de vie. Ce fut le cas en Occident au siècle dernier, c'est aujourd'hui valable à l'échelle planétaire. Je ne suis aucunement spécialiste de la question et il est évident que cette évolution s'accompagne d'effets nocifs, tant en matière humaine qu'environnementale. Je ne dispose que de données brutes, parfaitement opposables humainement parlant.

Mais qu'avons nous à lui substituer ? Toutes les idéologies alternatives ont été balayées par l'histoire. Si le capitalisme seul subsiste, ne peut-on y voir le fait qu'il ne s'agit pas d'une idéologie mais d'une aventure humaine jamais terminée, toujours à parfaire, et en cela même terriblement occidentale ?
On peut y voir une alchimie subtile, faite d'ouverture d'esprit, de curiosité, de responsabilité, de volonté, de dépassement...

Rejeter le capitalisme au motif qu'il uniformise le monde et qu'il modifie les cultures, n'est ce pas d'une certaine façon se comporter en musulman, préférer la stagnation à l'évolution, le tapis de prière à la génétique ?

Nous autre européens avons vu nos cultures, nos croyances, nos modes de vie profondément bouleversés depuis deux millénaires. Notre histoire est celle des révolutions philosophiques, scientifiques, artistiques et politiques. Du passage du paganisme au christianisme jusqu'à l'adn, tout notre passé n'a été que ruptures, remises en question, transformations.

Derrière une apparente stabilité, nos sociétés occidentales n'ont cessé d'évoluer, le christianisme en étant demeuré une pierre angulaire et peut-être un garde-fou.

Plutôt que de rejeter le capitalisme de façon catégorique, ne peut-on imaginer lui imposer des contre-pouvoirs moraux (responsabilité individuelle),économiques (développement de structures économiques alternatives et identitaires de type fouriéristes), philosophiques ou religieux ? En d'autre terme se servir du capitalisme, chevaucher le tigre ^^, tout en restant maitres de notre destinée, pour autant qu'il soit possible de l'être... N'est ce pas in fine rester fidèles à notre histoire, à ce qu'est l'occident ontologiquement ?

Je me/vous pose plus de questions que je n'apporte de réponses.

Bien à vous.

Écrit par : Philippe | 02/09/2012

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