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24/05/2012

europe

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« (...) A Janpol, sur le Dniester, en Ukraine, au mois de juillet 1941, il m'était arrivé de voir dans la poussière de la route, au beau milieu du village, un tapis en peau humaine. C'était un homme écrasé par les chenilles d'un char. Des bandes de juifs en caftan noir, armés de bêches et de pioches ramassaient ça et là les morts abandonnés par les Russes dans le village. [Quelques-uns] arrivèrent et se mirent à décoller de la poussière ce profil d'homme mort. Ils soulevèrent tout doucement avec la pointe de leur bêche les bords de ce dessin, comme on soulève les bords d'un tapis. (...) La scène était atroce, légère, délicate, lointaine. Les juifs parlaient entre eux et leurs voix me parvenaient douces et éteintes. Quand le tapis de peau humaine fut complètement détaché de la poussière, un de ces juifs piqua la pointe de sa bêche, du côté de la tête, et se mit en route avec ce  drapeau. Il marchait la tête haute (...) [avec] cette peau humaine qui pendait et se balançait dans le vent comme un véritable étendard. Et je dis à Lino Pellegrini qui était assis près de moi : ''Voilà le drapeau de l'Europe, voilà notre drapeau. (...) Un drapeau de peau humaine. Notre véritable patrie est notre peau.'' »

Malaparte, La Peau, 1949.

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« (...) Des femmes livides, défaites, aux lèvres peintes, aux joues décharnées, couvertes d'une croûte de fard, horribles et pitoyables, se tenaient au coin des rues, offrant aux passants leur misérable marchandise : des garçons et des petites filles de huit ou dix ans, que les soldats marocains, hindous, malgaches, palpaient en relevant les robes ou en glissant leur main entre les boutons des culottes. Les femmes criaient : « Two dollars the boys, three dollars the girls ! »

-Tu aimerais, dis, une petite fille à trois dollars, disais-je à Jack.

- Shut up, Malaparte.

- Ce n'est pas cher après tout, une petite fille pour trois dollars. Un kilo de viande d'agneau coûte bien plus cher. Je suis sûr qu'à Londres ou à New York une petite fille coûte plus cher qu'ici, n'est-ce pas, Jack ?

- Tu me dégoûtes, disait Jack.

- Trois dollars font à peine trois cent lires. Combien peut peser une fillette de huit à dix ans ? Vingt-cinq kilos ? Pense qu'un seul kilo d'agneau, au marché noir, coûte cinq cent lires, c'est-à-dire cinq dollars

- Shut up, criait Jack !

Les prix des fillettes et des petits garçons étaient tombés depuis quelques jours, et continuaient à baisser. Tandis que les prix du sucre, de l'huile, de la farine, de la viande, du pain, étaient montés, et continuaient à augmenter, le prix de la chair humaine baissait de jour en jour. Une fille de vingt à vingt-cinq ans, qui, une semaine avant coûtait jusqu'à dix dollars, ne valait désormais que quatre dollars, os compris. La raison d'une telle baisse de prix de la chair humaine sur le marché Napolitain dépendait peut-être du fait que, de toutes les régions de l'Italie méridionale, les femmes accouraient à Naples. Pendant les dernières semaines, les grossistes avaient jeté sur le marché d'importantes livraisons de femmes Siciliennes. Ce n'était pas que de la viande fraîche, mais les spéculateurs savaient que les soldats nègres ont des goûts raffinés, et préfèrent la viande pas trop fraîche. Toutefois, la viande Sicilienne n'était pas très demandée, et même les nègres finirent par la refuser. Les nègres n'aiment pas les femmes blanches trop noires. »

Malaparte, ibid.

Commentaires

le plus beau morceau de ce livre, Hoplite, c'est la Figliata ; pendant longtemps j'ai caressé le rêve d'en faire un film ; mais moi, j'ai pas ce crédit.
La figliata est magnifique ; et d'une actualité incroyable ; les zazous de la figliata je les observe tous les jours dans le tertiaire où je travaille ; c'est mon quotidien.
Ils sont de loin plus nombreux qu'à l'époque e Kurt Erich Suckert.

Écrit par : Sclavus | 25/05/2012

la figliata...l'orgie pédérastique autour d'un faux accouché?

affolant ce Malaparte..

sinon j'aime bien ce passage:

« Depuis que nous [les troupes américaines] avons débarqué en Afrique, il est indéniable que les populations du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie ont fait de grands progrès.
(…) Avant le débarquement américain, dit Jack, l’Arabe allait à cheval, et sa femme le suivait à pied, derrière la queue du cheval, son enfant sur le dos et un gros paquet en équilibre sur la tête. Depuis que les Américains ont débarqué en Afrique du Nord, il y a eu un profond changement. Certes, l’Arabe va toujours à cheval, et sa femme continue à l’accompagner à pied, comme par le passé, son enfant sur le dos et son fardeau sur la tête. Mais elle ne marche plus derrière la queue du cheval : maintenant elle marche devant le cheval. À cause des mines. »

Écrit par : hoplite | 26/05/2012

Je ne me souvenais plus de celui-là ; tout est beau chez Malaparte ; tout ; tout de grande classe.
Je me souviens vaguement de ses descriptions du prix d'un nègre.
Les Chevaux dans Kaput.
Et puis pour revenir à la figliata, le moment - qui dure - où lui et Jack se disputent pour savoir auquel des deux revient le devoir de mettre fin à la mascarade pédérastique.
Inoubliable Malaparte.

Écrit par : Sclavus | 26/05/2012

Malaparte, soit la mauvaise part, mais aussi la déveine, la malchance..
A qq'un qui lui demandait pourquoi avoir choisi un tel pseudo comme nom de plume, il avait répondu parce que Buonaparte (francisé en Bonaparte) était déjà pris !

Écrit par : un passant | 27/05/2012

C'est vrai que c'est au pays de Malaparte que ce sont passées les pires horreurs (après 1945 — et les pires nazillons peuvent bien aller se rhabiller) qu'aucune loi mémorielle ne rappellera au pays de Bonaparte...

Écrit par : Martin Lothar | 03/06/2012

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