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18/04/2014

fillettes et garçons

curzio malaparte,la peau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

" - Allons voir la mer, Malaparte.

Nous traversâmes la place Royale, et allâmes nous appuyer au parapet à pic sur la mer, tout au bout de la Via Partenope.

- C'est un des plus anciens parapets de l'Europe, dit Jack, qui connaissait tout Rimbaud par cœur.

Le soleil se couchait, et la mer prenait peu à peu la couleur du vin, qui est la couleur de la mer dans Homère. Mais là-bas, entre Sorrente et Capri, les eaux, les hautes rives abruptes, les montagnes et les ombres des montagnes, s'éclairaient lentement d'une vive couleur de corail, comme si les forêts de corail qui recouvrent le fond du golfe émergeaient lentement des abymes marins, en teignant le ciel de leurs reflets de sang antique. La falaise de Sorrente, vêtue de jardins d'agrumes, surgissait au loin de la mer comme une dure gencive de marbre vert, que le soleil mourant blessait, de l'autre bout de l'horizon, avec ses flèches obliques et lasses, suscitant la lueur chaude et dorée des oranges et les éclairs froids et livides des citrons."

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" Des femmes livides, défaites, aux lèvres peintes, aux joues décharnées, couvertes d'une croûte de fard, horribles et pitoyables, se tenaient au coin des rues, offrant aux passants leur misérable marchandise : des garçons et des petites filles de huit ou dix ans, que les soldats marocains, hindous, malgaches, palpaient en relevant les robes ou en glissant leur main entre les boutons des culottes. Les femmes criaient : « Two dollars the boys, three dollars the girls ! »

-Tu aimerais, dis, une petite fille à trois dollars, disais-je à Jack.

- Shut up, Malaparte.

- Ce n'est pas cher après tout, une petite fille pour trois dollars. Un kilo de viande d'agneau coûte bien plus cher. Je suis sûr qu'à Londres ou à New York une petite fille coûte plus cher qu'ici, n'est-ce pas, Jack ?

- Tu me dégoûtes, disait Jack.

- Trois dollars font à peine trois cent lires. Combien peut peser une fillette de huit à dix ans ? Vingt-cinq kilos ? Pense qu'un seul kilo d'agneau, au marché noir, coûte cinq cent lires, c'est-à-dire cinq dollars

- Shut up, criait Jack !

Les prix des fillettes et des petits garçons étaient tombés depuis quelques jours, et continuaient à baisser. Tandis que les prix du sucre, de l'huile, de la farine, de la viande, du pain, étaient montés, et continuaient à augmenter, le prix de la chair humaine baissait de jour en jour. Une fille de vingt à vingt-cinq ans, qui, une semaine avant coûtait jusqu'à dix dollars, ne valait désormais que quatre dollars, os compris. La raison d'une telle baisse de prix de la chair humaine sur le marché Napolitain dépendait peut-être du fait que, de toutes les régions de l'Italie méridionale, les femmes accouraient à Naples. Pendant les dernières semaines, les grossistes avaient jeté sur le marché d'importantes livraisons de femmes Siciliennes. Ce n'était pas que de la viande fraîche, mais les spéculateurs savaient que les soldats nègres ont des goûts raffinés, et préfèrent la viande pas trop fraîche. Toutefois, la viande Sicilienne n'était pas très demandée, et même les nègres finirent par la refuser. Les nègres n'aiment pas les femmes blanches trop noires. "

La peau, Curzio Malaparte, 1949.
podcast

15/02/2014

7ème jour

malaparte,la peau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« (...) Ce soir là, Lanza se trouvait chez Ridomi, et les deux amis, assis dans le noir, parlaient du massacre de Hambourg. Les rapports du Consul Royal d’Italie à Hambourg racontaient des faits terrifiants. Les bombes au phosphore avaient mis le feu à des quartiers entiers de cette ville, faisant un grand nombre de victimes. Jusque là, rien d’extraordinaire, même les Allemands sont mortels. Mais des milliers et des milliers de malheureux, ruisselant de phosphore ardent, dans l’espoir d’éteindre le feu qui les dévorait, s’étaient jetés dans les canaux qui traversent Hambourg en tous sens, dans le port, le fleuve, les étangs, dans les bassins des jardins publics ou s’étaient faits recouvrir de terre dans les tranchées creusées ça et là sur les places et dans les rues pour servir d’abri aux passants en cas de bombardement. Agrippés à la rive et aux barques, plongés dans l’eau jusqu’à la bouche, ou ensevelis dans la terre jusqu’au cou, ils attendaient que les autorités trouvassent un remède quelconque contre ce feu perfide. Car le phosphore est tel qu’il se colle à la peau tel une lèpre gluante, et ne brûle qu’au contact de l’air. Dès que ces malheureux sortaient un bras de la terre ou de l’eau, le bras s’enflammait comme une torche. Pour échapper au fléau, ces malheureux étaient contraints de rester immergés dans l’eau ou ensevelis dans la terre comme les damnés de Dante. Des équipes d’infirmiers allaient d’un damné à l’autre, distribuant boisson et nourriture, attachant avec des cordes les plus faibles au rivage, afin qu’ils ne s’abandonnent pas vaincus par la fatigue, et se noient ; ils essayaient tantôt un onguent, tantôt un autre, mais en vain, car tandis qu’ils enduisaient un bras, une jambe ou une épaule, tirés un instant hors de l’eau ou de la terre, les flammes, semblables à des serpents de feu se réveillaient aussitôt et rien ne parvenait à arrêter la morsure de cette lèpre ardente.

Pendant quelques jours, Hambourg offrit l’aspect de Dité, la Cité infernale. Cà et là, sur les places, dans les rues, dans les canaux, dans l’Elbe, des milliers et des milliers de têtes émergeaient de l’eau et de la terre, et ces têtes, qui semblaient coupées à la hache, livides d’épouvante et de douleur, remuaient les yeux, ouvraient la bouche, parlaient. Autour des horribles têtes, enfoncées dans la chaussée des rues ou flottant à la surface des eaux, , les familiers des damnés allaient et venaient, nuit et jour, foule décharnée et déchirée, qui parlait à voix basse comme pour ne pas troubler cette déchirante agonie. L’un apportait de la nourriture, des boissons, des onguents, un autre un coussin pour placer sous la nuque d’un de ces malheureux, un autre encore, assis prés d’un enseveli, le soulageait de la chaleur du jour en lui faisant de l’air avec un éventail, un autre abritait du soleil une tête à l’aide d’une ombrelle, ou lui essuyait le front moite de sueur, ou lui humectait les lèvres avec un mouchoir mouillé, ou lui arrangeait les cheveux avec un peigne, ou, se penchant d’une barque, encourageait les damnés agrippés aux cordes et se balançant au fil de l’eau ; Des bandes de chiens couraient, ça et là aboyant, léchant le visage de leurs maîtres enterrés, ou se jetaient à l’eau pour leur porter secours. Parfois certains de ces damnés, gagnés par l’impatience ou par le désespoir, jetaient un grand cri, en essayant de sortir de l’eau ou de la terre pour mettre fin à la torture de cette attente inutile : mais aussitôt au contact de l’air, leurs membres flambaient, et des combats atroces s’engageaient entre ces désespérés et leurs familiers, qui à coups de poing, de pierre et de bâtons, ou de tout le poids de leur corps, s’efforçaient de replonger dans l’eau ou dans la terre ces horribles têtes. Les plus courageux et les plus patients étaient les enfants. Ils ne pleuraient pas, ne criaient pas, mais tournaient autour d’eux des yeux clairs pour regarder l’effroyable spectacle, et souriaient à leurs parents, avec cette merveilleuse résignation des enfants qui pardonnent à l’impuissance des grandes personnes et ont pitié d’elles qui ne peuvent pas les aider. Dès que la nuit tombait, un murmure s’élevait de partout, pareil au murmure du vent dans l’herbe : ces milliers de têtes guettaient le ciel avec des yeux flamboyant de terreur.

Le septième jour, ordre fut donné d’éloigner la population civile des lieux où les damnés étaient ensevelis dans la terre ou plongés dans l’eau. La foule des parents et des amis s’éloigna en silence, repoussée avec douceur par les soldats et par les infirmiers. Les damnés restèrent seuls. Des balbutiements apeurés, des claquements de dents, des plaintes étouffées sortaient de ces têtes affleurant à la surface de l’eau ou de la terre, le long des berges du fleuve ou des canaux, dans les rues et sur les places désertes. Pendant toute la journée, ces têtes parlèrent entre elles, pleurèrent, crièrent, la bouche à fleur de terre, grimaçant, tirant la langue aux SS de garde aux carrefours, et elles semblaient manger la terre et cracher les cailloux. Puis, la nuit descendit. Des ombres mystérieuses rodèrent au milieu des damnés, se penchèrent sur eux en silence. Des colonnes de camions arrivaient, les phares éteints, s’arrêtaient, repartaient. De toutes parts, on entendait un bruit de pioches et de pelles, des coups sourds de rames dans des barques, des cris aussitôt étouffés, des plaintes et des claquements secs de révolver. » La peau, Curzio Malaparte, 1949.

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« (...) A partir de 1943, l’aviation alliée entreprend la destruction systématique des villes moyennes sans le moindre intérêt stratégique qui entraîneront la mort de plus de 600 000 personnes (fourchette basse). L’histoire a retenu l’atroce destruction de Dresde en février 1945 : plus de 130 000 morts, femmes enfants, vieillards. Pas plus de justification pour Ulm, Bonn, Wurtzbourg, Hildesheim, Nuremberg, cités médiévales, joyaux artistiques du patrimoine européen. Toutes ces villes avec Hambourg et Cologne, disparaissent dans des typhons de feu au milieu d’atroces souffrances. » Jorg Friedrich, L’incendie.

C'étaient des enfants aussi..

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«C'est exactement comme sur les photographies de Buchenwald et Dachau». (rapport du capitaine Julien, 3ème Régiment de tirailleurs algériens, juillet 1945) 

«[J'étais] très étonné de voir que nos prisonniers étaient presque aussi faibles et émaciés que ceux que j'avais vus dans les camps de concentration nazis. Le jeune commandant nous dit calmement qu'il privait délibérément les prisonniers de nourriture, et déclara: 'Ces nazis ont enfin la monnaie de leur pièce'. Il était tellement convaincu de se comporter correctement que nous ne soulevâmes en sa présence aucune polémique». (Robert Murphy [conseiller politique civil du général Eisenhower], après une visite d'un camp de prisonniers pendant l'été 1945) 

«La situation des prisonniers de guerre allemands en Europe est devenue désespérée et est en passe de faire l'objet d'un scandale déclaré. Au cours des semaines passées, plusieurs Français, anciens prisonniers des Allemands, m'ont adressé des protestations relatives au traitement que le gouvernement français fait subir aux prisonniers de guerre allemands (...) J'ai vu Pradervand [Délégué principal du Comité International de la Croix-Rouge en France] qui m'a affirmé que la situation des prisonniers allemands en France est, dans de nombreux cas, pire que celle des camps de concentration allemands. Il m'a montré des photographies de squelettes vivants et des lettres émanant de commandants de camps français, qui ont demandé à être déchargés de cette responsabilité parce qu'ils ne peuvent obtenir aucune aide de la part du gouvernement français et ne supportent pas de voir les prisonniers mourir d'inanition. Pradervand a frappé à toutes les portes au sein du gouvernement français, sans le moindre résultat». (lettre Henry W. Dunning [responsable de la Croix-Rouge américaine] adressée au Département d'Etat, 5 septembre 1945) (...) source/flawlesslogic.com more pics
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photo: après les bombardements de Dresde du 13 au 15 février 1945 par la RAF et l'USAAF utilisant des bombes incendiaires et à fragmentation sur des populations civiles, des parents survivants recherchent leurs enfants disparus dans la tourmente ou les enfants perdus et sans parents.

(merci Boréas)

24/05/2012

europe

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« (...) A Janpol, sur le Dniester, en Ukraine, au mois de juillet 1941, il m'était arrivé de voir dans la poussière de la route, au beau milieu du village, un tapis en peau humaine. C'était un homme écrasé par les chenilles d'un char. Des bandes de juifs en caftan noir, armés de bêches et de pioches ramassaient ça et là les morts abandonnés par les Russes dans le village. [Quelques-uns] arrivèrent et se mirent à décoller de la poussière ce profil d'homme mort. Ils soulevèrent tout doucement avec la pointe de leur bêche les bords de ce dessin, comme on soulève les bords d'un tapis. (...) La scène était atroce, légère, délicate, lointaine. Les juifs parlaient entre eux et leurs voix me parvenaient douces et éteintes. Quand le tapis de peau humaine fut complètement détaché de la poussière, un de ces juifs piqua la pointe de sa bêche, du côté de la tête, et se mit en route avec ce  drapeau. Il marchait la tête haute (...) [avec] cette peau humaine qui pendait et se balançait dans le vent comme un véritable étendard. Et je dis à Lino Pellegrini qui était assis près de moi : ''Voilà le drapeau de l'Europe, voilà notre drapeau. (...) Un drapeau de peau humaine. Notre véritable patrie est notre peau.'' »

Malaparte, La Peau, 1949.

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« (...) Des femmes livides, défaites, aux lèvres peintes, aux joues décharnées, couvertes d'une croûte de fard, horribles et pitoyables, se tenaient au coin des rues, offrant aux passants leur misérable marchandise : des garçons et des petites filles de huit ou dix ans, que les soldats marocains, hindous, malgaches, palpaient en relevant les robes ou en glissant leur main entre les boutons des culottes. Les femmes criaient : « Two dollars the boys, three dollars the girls ! »

-Tu aimerais, dis, une petite fille à trois dollars, disais-je à Jack.

- Shut up, Malaparte.

- Ce n'est pas cher après tout, une petite fille pour trois dollars. Un kilo de viande d'agneau coûte bien plus cher. Je suis sûr qu'à Londres ou à New York une petite fille coûte plus cher qu'ici, n'est-ce pas, Jack ?

- Tu me dégoûtes, disait Jack.

- Trois dollars font à peine trois cent lires. Combien peut peser une fillette de huit à dix ans ? Vingt-cinq kilos ? Pense qu'un seul kilo d'agneau, au marché noir, coûte cinq cent lires, c'est-à-dire cinq dollars

- Shut up, criait Jack !

Les prix des fillettes et des petits garçons étaient tombés depuis quelques jours, et continuaient à baisser. Tandis que les prix du sucre, de l'huile, de la farine, de la viande, du pain, étaient montés, et continuaient à augmenter, le prix de la chair humaine baissait de jour en jour. Une fille de vingt à vingt-cinq ans, qui, une semaine avant coûtait jusqu'à dix dollars, ne valait désormais que quatre dollars, os compris. La raison d'une telle baisse de prix de la chair humaine sur le marché Napolitain dépendait peut-être du fait que, de toutes les régions de l'Italie méridionale, les femmes accouraient à Naples. Pendant les dernières semaines, les grossistes avaient jeté sur le marché d'importantes livraisons de femmes Siciliennes. Ce n'était pas que de la viande fraîche, mais les spéculateurs savaient que les soldats nègres ont des goûts raffinés, et préfèrent la viande pas trop fraîche. Toutefois, la viande Sicilienne n'était pas très demandée, et même les nègres finirent par la refuser. Les nègres n'aiment pas les femmes blanches trop noires. »

Malaparte, ibid.

11/05/2009

des poulets dans des cages

african-americans-wwii-003.jpg«- Chez nous, dis-je [Malaparte], en Europe, seuls les morts comptent.

- Je suis las de vivre parmi les morts, dit Jimmy ; je suis content de rentrer chez moi, en Amérique, parmi les hommes vivants. Pourquoi ne viendrais-tu pas, toi aussi, en Amérique ? Tu es un homme vivant, l’Amérique est un pays riche et heureux.

- Je le sais, Jimmy, que l’Amérique est un pays riche et heureux. Mais je ne partirai pas, il faut que je reste ici. Je ne suis pas un lâche, Jimmy. Et puis, la misère, la peur, la faim, l’espérance sont, elles aussi, des choses merveilleuses. Plus merveilleuses que la richesse et le bonheur.

- L’Europe est un tas d’ordures, dit Jimmy, un pauvre pays vaincu. Viens avec nous, l’Amérique est un pays libre.

- Je ne peux pas abandonner mes morts, Jimmy. Vous autres, vous amenez vos morts en Amérique. Il part tous les jours pour l’Amérique des bateaux chargés de morts. Ce sont des morts riches, heureux, libres. Mais mes morts à moi ne peuvent pas se payer un billet pour l’Amérique, ils sont trop pauvres. Ils ne sauront jamais ce qu’est la richesse, le bonheur, la liberté. Ils ont toujours vécu dans l’esclavage ; ils ont toujours souffert de la faim et de la peur. Même morts, ils seront toujours esclaves, ils souffriront toujours de la faim et de la peur. C’est leur destin, Jimmy. Si tu savais que le christ gît parmi eux, parmi ces pauvres morts, est-ce que tu l’abandonnerais ?

- Tu ne voudrais pas me faire croire, dit Jimmy, que le Christ a perdu la guerre ?

- C’est une honte de gagner la guerre, dis-je à voix basse ».

(La Peau, Curzio Malaparte, 1949.)

Ce regard singulier. Du soldat américain victorieux en Europe. Ce n’est pas du mépris mais de la commisération. Pour ces jeunes hommes sains et athlétiques de New York, Cleveland ou Détroit, convaincus d’incarner le Bien et de devoir désormais montrer le chemin à ce vieux continent perclu de massacres et de guerres civiles, l’Europe est un tas d’ordures, un champ de bataille où tout est à reconstruire, en mieux. Ni plus ni moins.

Malaparte montre merveilleusement combien l’âme Européenne se nourrit et vit au travers de cette misère, de ces morts, de cette peur, de la conscience de cette déchéance, que d’autres interprètent comme un avilissement consenti. Et irrémédiable.

Curieux car ce week end, le regard que fait porter Malaparte à son ami américain Jimmy et celui du général Patton, les deux assez peu conventionnels, se sont télescopés. Voici ce que dit Patton durant l’été 1945 pendant son mandat de gouverneur militaire en Allemagne et après avoir vu de prés la réalité de l’Europe (au grand dam de l’Etat major allié et de la presse américaine). Patton ne fut pas chassé de l’armée en raison de ses états de service exceptionnels et grâce à l’amitié et le respect que lui vouait Eisenhower mais il finit quand même par trouver la mort dans un curieux accident de voiture que l’on peut qualifier de suspect sans tomber dans la théorie conspirationniste :

«Je n'ai jamais vu dans aucune armée à aucune époque, y compris dans l'Armée Impériale allemande de 1912, une discipline aussi sévère que celle qui existe dans l'armée russe. Les officiers, sauf quelques exceptions, ont l'apparence de bandits mongols récemment civilisés».

Et aussi : «Je comprend la situation. Leur système [soviétique] de ravitaillement est inadéquat pour les soutenir dans une action sérieuse telle que je pourrais la déclencher contre eux. Ils ont des poulets dans des cages et du bétail sur pied. Voilà leur système de ravitaillement. Ils pourraient probablement tenir le coup pendant cinq jours dans le type de combat que je pourrais leur livrer. Après cela, les millions d'hommes qu'ils ont ne feraient aucune différence, et si vous vouliez Moscou je pourrais vous la donner. Ils ont vécu sur le pays depuis leur arrivée. Il ne reste pas assez pour les ravitailler pendant le retour. Ne leur donnez pas le temps de construire leur système de ravitaillement. Si nous le leur laissons, alors ... nous aurons battu et désarmé les Allemands, mais nous aurons échoué à libérer l'Europe; nous aurons perdu la guerre!»

Ce qu’ils firent. Et nous avec.

Ces deux personnages d’exception, Malaparte et Patton, figurent à merveille le suicide de la civilisation européenne et son remplacement par un idéal horizontal et profondément matérialiste fait d’individualisme rationaliste, de consumérisme effréné, d’universalisme progressiste et arrogant, d’autonomie hédoniste et d’utilitarisme bourgeois justifiant l’arraisonnement de la planète entière sous le masque vertueux des « droits de l’homme » et de la « démocratie libérale » pour tous…

Le dernier mot à Ernst Jünger, guerrier, théoricien de la révolution conservatrice puis contemplatif : « La domination du tiers-état n’a jamais pu toucher en Allemagne à ce noyau le plus intime qui détermine la richesse, la puissance et la plénitude d’une vie. Jetant un regard rétrospectif sur plus d’un siècle d’histoire Allemande, nous pouvons avouer avec fierté que nous avons été de mauvais bourgeois. » (Le travailleur)

Non, l’Europe c’était autre chose. De plus merveilleux que la richesse et le bonheur. Il n'est pas trop tard pour être de mauvais bourgeois.