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10/07/2012

game over

« La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » (Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993)

Extrait toujours aussi décapant et juste. Je voulais faire écho aux deux commentaire récents de Calliclés et Paul Kersey sur le monde tel qu’il va (ou ne va plus) et l’importance d’essayer d’y remédier.

« Aussi je propose un pari pascalien : ou bien le "système" est viable, ou bien il n'est pas viable à terme. S'il s'effondre et que la mondialisation devient coûteuse, à la rigueur peu importe... Mais s'il perdure, ce n'est pas en se mettant sur la défensive que nous assurerons notre sécurité et celle de ceux qui viennent après nous. Aussi faut-il s'organiser et redevenir conquérants, l'histoire n'est pas écrite. En outre, la discussion sur les fins est close à mon sens, le diagnostic est parfaitement établi, par des personnes comme vous, Hoplite, ainsi que d'autres, et la multitude de commentateurs que l'on peut lire chez vous et ailleurs. »

Castoriadis et d’autres (Michea, Bérard, Freund, Alain de Benoist, Gauchet, Semprun) sans parler d’Orwell ou même Rousseau (oui), en philosophes des limites balisent le chemin depuis des lustres, a rebours du courant philosophique libéral-progressiste hégémonique dans les milieux politiques, culturels et économiques qui donnent le la urbi et orbi.

A première vue, j’aurais tendance à considérer que le système n’est pas viable (ne serait-ce que parce que prônant un développement illimité dans un monde fini, la simple évidence) et que des limites bien naturelles (comme les ressources naturelles –eau et énergies fossiles, fertilité des terres et population planétaire) ou simplement anthropologiques (comme le montre Castoriadis) vont se charger de montrer à chacun combien ce système est absurde et fonce dans le mur en claironnant. Et il suffit pour s’en convaincre d’observer la décomposition avancée des infrastructures (vais faire mon Soral) (climat, ressources naturelles, rapports de classes, salariat globalisé, prédation de la finance globalisée –scandale énorme et récent du LIBOR-  et corruption générale des élites),  mais aussi de ces superstructures dont parlait Marx (clercs politiques, culturels, religieux, médiatiques, ordures Woltonienneuses et autres crevures BHV ou Barbieroïdes à écharpe rouge ( !), corruption et dévoiement des systèmes politiques, atomisation du corps social, disparition du sentiment communautaire, etc.). Bref, si l’on suit Michéa ou Castoriadis, on en arrive à penser que notre civilisation occidentale moderne –cette anthropologie individualiste juridico-marchande- ne peut conduire qu’au désastre actuel! Ou comment la quète d'autonomie et d'auto-institution qui caractérise nos sociétés modernes tourne à l'hubris, la marché et le droit procédural n'étant pas suffisants pour instituer une vie en communauté apaisée...

Pour autant, il suffit de regarder autour de soi, de causer avec nos contemporains, d’éprouver le réel des rapports humains ordinaires pour s’apercevoir immédiatement que ces gisements humains dont Castoriadis déplore – à raison- la disparition sont encore largement présents voire omniprésents autour de nous : du pote qui paie un verre au voisin qui prête son échelle à jeannette, ma voisine de BAD (dont j’ai déjà parlé ici) qui m’apporte des haricots de son potager et des œufs du jour quand elle me voit débarquer, tous obéissent encore largement à ces murs porteurs anthropologiques de toute vie en communauté que constituent la triple obligation du don décrite par Mauss et que l’on retrouve dans toutes les communautés holistes, bien loin de l’imaginaire de prédation sans limites et de la praxis de chacal du premier trader venu, nouvelle figure anthropologique de référence de nos modernes libéraux de droite (« Toi aussi, deviens trader au Forex ! »), ou de l’imaginaire de déracinement et de nomadisme sans-frontiériste du clandestin, cette figure rédemptrice du libéral de gauche ("viens marcher pour la régularistaion de ton copain mamadou!")…

Le système que nous voyons s’effondrer sous nos yeux (déni de démocratie, corruption des élites, hyperproduction, hyperconsommation, globalisation, financiarisation de l’économie, destruction de l’environnement et guerres des ressources naturelles, explosion démographique,etc.), n’est pas viable et la formidable régression économique et sociale que nous allons affronter (qu’affrontent déjà 60 millions d’américains vivent de bons d’alimentation en 2012 ! land of plenty ?) est proprement inédite en temps de paix…Faut-il pour autant jeter, avec l’eau du bain libéral l’habeas corpus et la séparation des pouvoirs ?

« (...) L'écrasante majorité de la planète ne vit pas l'égalisation des conditions", mais la misère et la tyrannie. Et, contrairement à ce que croyaient aussi bien les libéraux que les marxistes, elle n'est nullement en train de se préparer pour accueillir le modèle occidental de la république capitaliste libérale. Tout ce qu'elle cherche dans le modèle occidental, ce sont des armes et des objets de consommation - ni le habeas corpus, ni la séparation des pouvoirs. C'est éclatant pour les pays musulmans - un milliard d'habitants -, pour l'Inde - presque un autre milliard -, dans la plupart des pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. La situation mondiale, extrêmement grave, rend ridicules aussi bien l'idée d'une "fin de l'histoire" que d'un triomphe universel du "modèle démocratique" à l'occidentale. Et ce "modèle" se vide de sa substance-même dans ses pays d'origine.» C Castoriadis,  La montée de l'insignifiance, (Les carrefours du labyrinthe IV), Seuil.

Où plutôt, comme le sous-entend Castoriadis, que peut-il advenir d’une civilisation qui sape, par ses fondements anthropologiques modernes, les conditions de sa propre survie ? Et qu’est-ce qu’être « offensif » quand tout s’effondre ? Que deviendront nos villes une fois ce stock humain de « décence commune » épuisé ? L’hégémonie –au moins en Occident- des doctrines libertaires et le relativisme moral qui en découle, d’une part et, d’autre part, l’extension sans limites de la sphère marchande et de ses slogans publicitaires peuvent-ils produire autre chose que ce cauchemar climatisé qu'entrevoyait déjà Miller dans les années 40 ? Que proposent les grecs qui fuient à la campagne (exode urbain) pour ne pas mourir de faim en ville ou les portugais qui s’expatrient au Brésil ou en Angola ayant perdu tout espoir de vivre décemment sur le vieux continent ?

Madoff est-il le fils naturel de Hume ou son avatar ? Les philosophes libéraux du contrat ont-ils accouché, à leur corps défendant pour certains, de ce chaos moderne ? Hobbes et son Leviathan sont-ils notre horizon ? Sur quoi reconstruire ?


"pense à fermer les yeux quand tu avales"^^

Commentaires

Mais pourquoi reconstruire? N'êtes vous pas accablé de dégoût?

Écrit par : Paco | 10/07/2012

Les rapports humains chaleureux de proximité existent encore, heureusement.
Encore faut-il ne pas trop ouvrir la bouche et ne pas faire surgir de sujets qui fâchent.
Sauf dans la France profonde où les gens sont restés ce qu'ils sont, mais très attentistes et écoeurés.
"Bin oui, on en a marre quoi !"
Travail de fourmi que de leur dire "et encore, vous ne savez pas tout ! Et même pas grand chose si vous vous contentez des médias".
Dans le moindre village reculé, on trouve une ou deux bâchées, c'est l'horreur qui s'installe.

Écrit par : Carine | 10/07/2012

"Mais pourquoi reconstruire? N'êtes vous pas accablé de dégoût?"

j'ai 4 gamins..

Écrit par : hoplite | 10/07/2012

Merci pour ce magnifique article criant de vérité! :(

Marie.

Écrit par : Garde d'animaux chartres | 10/07/2012

(test)

Écrit par : Jean-Pierre | 10/07/2012

"G 4 gamins" facile de me frimer, moi j'en ai qu'un et il travaille à la banque...

Dans le moindre village reculé, on trouve une ou deux bâchées, c'est l'horreur qui s'installe.
une seule solution:
http://www.youtube.com/watch?v=T9lkUSYKrgY&feature=related

Écrit par : paco | 10/07/2012

Paco: ? Pas de frime, c est juste ça, je peux pas m'en foutre à cause de mes gamins mais pas seulement.

Écrit par : hoplite | 10/07/2012

Question à la con de celui qui vit dans le confort.

Écrit par : Three piglets | 10/07/2012

"que peut-il advenir d’une civilisation qui sape, par ses fondements anthropologiques modernes, les conditions de sa propre survie ?" "Sur quoi reconstruire ?"

Vous vous posez trop de questions, même si vous avez déjà la réponse à la première.
Vivez dans le présent et préparez les années à venir car nous ne verrons pas l'ébauche de la reconstruction.

Nous ne verrons probablement même pas la fin de la chute. Les prémisces, nous sommes dedans, le début de la dégringolade devrait nous frapper de plein fouet mais le cycle complet ne prendra certainement pas 30 ou même 60 ans.

Écrit par : Badaud | 12/07/2012

"Nous ne verrons probablement même pas la fin de la chute. Les prémisces, nous sommes dedans, le début de la dégringolade devrait nous frapper de plein fouet mais le cycle complet ne prendra certainement pas 30 ou même 60 ans."

Probablement vrai.

Écrit par : JÖ | 12/07/2012

Cela sera certainement plus rapide que ce que vous supposez.
On constate une sacrée accélération de la décrépitude, ainsi qu'une prise de conscience par les divers que tout leur est permis, sans réaction de la part de la justice qui ne mérite plus de majuscule.
Ils sortent les kalashs de leur kartchiés, sans complexe.

Écrit par : Carine | 12/07/2012

Carine, je ne dis pas que notre système ne va pas s'effondrer. Il va le faire, soit brualement soit lentement. C'est le débat SanGiorgio/Drac sur la capacité de résilience du système socialo-bancaire actuel.
Quelle que soit l'option je pense qu'il ne faut pas trop se faire d'illusions sur le fait que nous voyions de notre vivant la remontée de la pente au niveau collectif.
Notre tâche à nous ne sera pas d'aménager la réorganisation post-effondrement, mais bien l'amortissement de la chute et le leg de culture/techniques/patrimoine/patrimoine génétique pour qu'il y ait un jour réorganisation.

Écrit par : Badaud | 12/07/2012

La Chute a débuté depuis les années 70...Depuis le début de la phase B de K.

Écrit par : Three piglets | 12/07/2012

@ Three Piglets
Je vous prie de m'excuser, mais la référence à la "phase B de K." reste totalement obscure. Pourriez-vous préciser SVP?

Écrit par : Popeye | 12/07/2012

Phase B de Kondratieff.
Economiste soviétique des années 30.
Nous sommes au bout du bout de cette phase.

Écrit par : Three piglets | 12/07/2012

@ Three piglets : "Economiste soviétique des années 30. Nous sommes au bout du bout de cette phase."
Remettez 70 ans (au moins) dans votre compteur et vous trouverez le début de la phase (de mutation hein !). Tel que c'est parti et que ça continu, je ne suis pas sûr que nous en soyons au bout, mais bon...

Écrit par : Martin Lothar | 12/07/2012

Et rat homme : "et que ça continu" = "et que ça continue" (du moins je crois). Je vais me coucher.

Écrit par : Martin Lothar | 12/07/2012

"Nous sommes au bout du bout de cette phase."

Je crois que c'est pire parce que pas seulement economique.

Écrit par : JÖ | 13/07/2012

@ Jö : "Je crois que c'est pire parce que pas seulement économique."
Ce n'est pas dire peu, Jö ! (Désolé...) L'économie, comme le droit et comme toute discipline ou science, ne sont que les résultantes d'actes et de réflexions de gens qui tiennent encore debout et à vivre longtemps (zeugme^^). Bref, vous avez raison... (Hélas)

Écrit par : Martin-Lothar | 13/07/2012

Comme d'habitude, impossible de poster un lien, mais vous devriez lire l'article
"Une Grande Dépression subversive et invertie" sur le site de dedefensa.org, c'est bien dans l'esprit de cette note....

Écrit par : JÖ | 14/07/2012

Merci Jö,
Ça faisait des années que je n’étais plus allé sur dedefensa ; là, suite à l’analyse que tu cites j’ai lu presque un mois de leur production.
Tout est formidable et, à mon avis très rigoureux ; par contre je crois que l’ensemble de leurs analyses est ouvert aux commentaires ; le lien est généralement au dessus du texte.

Écrit par : Sclavus | 19/07/2012

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