05/11/2014
"Il n'y a pas un mot prononcé par un ouvrier intervenant dans une assemblée qui ne soit voulu d'en haut."
« Le centralisme fasciste n’a jamais réussi à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation », écrit Pasolini en 1973. « Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, qui est toutefois resté lettre morte. Les différentes cultures particulières (paysanne, prolétaire, ouvrière) ont continué à se conformer à leurs propres modèles antiques : la répression se limitait à obtenir des paysans, des prolétaires ou des ouvriers leur adhésion verbale. Aujourd’hui, en revanche, l’adhésion aux modèles imposés par le Centre est totale et sans conditions. Les modèles culturels réels sont reniés. L’abjuration est accomplie. On peut donc affirmer que la « tolérance » de l’idéologie hédoniste, défendue par le nouveau pouvoir, est la plus terrible des répressions de l’histoire humaine. Comment a-t-on pu exercer pareille répression ? A partir de deux révolutions, à l’intérieur de l’organisation bourgeoise : la révolution des infrastructures et la révolution du système des informations. Les routes, la motorisation, etc. ont désormais uni étroitement la périphérie au Centre en abolissant toute distance matérielle. Mais la révolution du système des informations a été plus radicale encore et décisive. Via la télévision, le Centre a assimilé, sur son modèle, le pays entier, ce pays qui était si contrasté et riche de cultures originales. Une œuvre d’homologation, destructrice de toute authenticité, a commencé. Le Centre a imposé - comme je disais - ses modèles : ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle industrialisation, qui ne se contente plus de « l’homme-consommateur », mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc, aveugle et oublieux de toutes les valeurs humanistes, aveugle et étranger aux sciences humaines. » PP Pasolini, écrits corsaires, 1973.
Pasolini dans ses écrits corsaires disait aussi que la publicité avait remplacé la transcendance.
Et le mall climatisé l'église.
Le capitalisme, ce fait social total (Castoriadis (1)), est en passe de devenir l'alpha et l’oméga de toutes choses; tous les champs de l'activité humaine sont progressivement gangrénés par la raison marchande.
Tous les gisements anthropologiques pré-capitalistiques, toutes les structures de sens qui échappaient jusqu'alors à la logique de l'accumulation du Capital sont soumises à une dissolution progressive dans la bonne humeur.
Sous les vivas de masses anomiques réjouies et participant activement à leur propre chaos.
Le propre des commercial societies occidentales est d'être capable, non seulement, de produire à jet continu des générations de zeks soumises dés leur plus jeune âge à cette weltanschauung hédoniste libéral-libertaire mais en plus convaincus de vivre une époque exaltante et de devoir défendre ce nouvel âge sombre (le "Dark ages" de Jacobs(2)) contre la célèbre alliance du trône et de l'autel, ou terrible réaction patriarcale, cléricale et autoritaire à petite moustache pourtant officiellement décédée en 1945.
Contrairement aux zeks des régimes totalitaires qui fonctionnaient avec une contrainte morale et physique constante, Festivus va de l'avant vers le précipice de son plein gré, sans pistolet sur la tempe et fleurant bon le Tahiti-douche.
Dans le cadre de cette offensive générale et sans précédent de la logique marchande globalisée célébrée par le FMI et Alain Badiou (3), toutes les structures de sens anthropologiques, c'est-à-dire morales, philosophiques et/ou religieuses constituent per se des obstacles qui doivent être détruits.
La famille (les formes traditionnelles au sens large), toutes les figures d'autorité -dont celle du père, du militaire, du gendarme, de l'instituteur, du professeur, curé, leader politique, etc., toutes les formes anthropologiques communautaires qui constituent des alternatives à la raison marchande par leur référence à cette socialité primitive universelle -non marchande- du don et du contre don, de façon générale toutes les limites anthropologiques érigées depuis la nuit des temps par les hommes -et pour de bonnes raisons, les communautés, les Lois, les religions, les usages, les interdits, les civilisations, sont appelées à être détruites.
Sur une période historique courte.
Tout le droit moderne ne vise d'une part qu'à déconstruire cette architecture d'interdits et d'usages qui constituent au sein de chaque civilisation les structures de sens qui font qu'un chinois est un chinois et pas un européen et vice versa, d'autre part, à transformer de façon mécanique ces nouveaux droits en désirs bankables universels.
Le travail des libéraux culturels (la gauche du Capital) est de détruire/déconstruire -via un combat culturel et législatif de chaque instant- cette base anthropologique, fil rouge d'une civilisation, et le travail des libéraux économiques (droite du Capital) est de convertir le chaos issu de la disparition de ces formes traditionnelles de vie en parts de marché et en sites d'exploitation rentables (salariat généralisé, tourisme de masse, avortement, PMA+GPA, enfant-roi, endettement généralisé, éducation, protection, etc.).
Sorte de ruban de Moebius, comme dit justement Michéa.
Ceux qui ont des yeux peuvent voir l'incroyable travail de transformation géographique (urbanisation galopante, grandes surfaces extensives, mort programmée des campagnes et des exploitants agricoles), anthropologique (cf infra), écologique (bétonnisation de milliers d'hectares de terres agricoles, écocide quotidien planétaire, ethnique (il suffit d'observer les sorties d'écoles ou de maternité ou bien encore les prénoms les plus fréquemment donnés dans les capitales européennes pour comprendre quoiqu'en disent les kapos du vivre-ensemble), économique (paupérisation générale et enrichissement sans limites d'une petite fraction de happyfews en sécession des gens ordinaires) qui est à l’œuvre depuis environ deux générations.
Nous vivons une révolution anthropologique, économique, écologique, politique, bref civilisationnelle majeure avant tout liée à la globalisation et la dérégulation des échanges (énergies fossiles) et à l'emprise sans limite du capitalisme globalisé désormais émancipé de quasiment toutes les contraintes étatiques, politiques, morales, philosophiques, religieuses qui, jusqu'alors l'avaient bridé et soumis à l'autorité du Politique au sein de communauté politiques définies.
Comment un politicien européen quelconque pourrait-il aujourd’hui dire non à une firme globalisée comme Apple dont la capitalisation boursière représente le quart du PIB national? L'argent commande, le politique s'exécute. Dans les années aprés guerre, les gouvernements, aidés de gentils planificateurs, recevaient les dirigeants de grands groupes nationaux pour leur donner directives et instructions dans une logique nationale cohérente résultante d'un équilibre entre exigences sociales et logique entrepreneuriale...ceci n'est pas un éloge de la planification soviétique mais de ce compromis historique que les régimes occidentaux avaient su trouver pour contraindre la logique du Capital à œuvrer au moins en partie dans le sens de l’intérêt général et national. On en est loin désormais.
C'est l'esprit du temps! Il n'y a pas de complot...certes ces firmes globalisées monstrueuses, ces banques, ont des stratégies planétaires et œuvrent dans le sens de leur meilleur intérêt mais il n'y a pas de cabinet secret, pas de comité X...les bilderbergers, les membres du Siècle et tous ces pauvres rotarymen sont une émanation de ce zeitgeist, pas plus. Et leur importance est directement corrélée à la faiblesse du Politique dans les sociétés occidentales et ailleurs ainsi qu'à l'anomie galopante au sein des gens ordinaires. Les partis politiques ne sont plus que des appareils bureaucratiques corrompus dont les intérêts sont directement contraires aux intérêts des peuples qu'ils ne représentent plus, malgré le spectacle électoral rituel célébré par le barnum médiatique. Des parasites.
La solution est en nous. Ne pas être dupe, se construire en marge du système, résister par la forme même que nous donnons à notre vie et qui donne sens à nos actions et à notre entourage, au monde qui nous entoure. Collectivement nous sommes encore plus fort, nous sommes les peuples, les souverains légitimes. Tout est possible.
« Il faudrait nous souvenir aussi, comme l’a génialement formulé Heidegger (Etre et Temps), que l’essence de l’homme est dans son existence et non dans un “autre monde“. C’est ici et maintenant que se joue notre destin jusqu’à la dernière seconde. Et cette seconde ultime a autant d’importance que le reste d’une vie. C’est pourquoi il faut être soi-même jusqu’au dernier instant. C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. »
« A une terrible crise spirituelle, il faut d’abord apporter des réponses spirituelles. Les hommes n’existent que par ce qui les distingue : clan, lignée, histoire, culture, tradition. Il n’y a pas de réponse universelle aux questions de l’existence et du comportement. […] Chaque civilisation a sa vérité et ses dieux, tous respectables tant qu’ils ne nous menacent pas. Chaque civilisation apporte ses réponses, sans lesquelles les individus, hommes ou femmes, privés d’identité et de modèles, sont précipités dans un trouble sans fond. Comme les plantes, les hommes ne peuvent se passer de racines. Il appartient à chacun de retrouver les siennes. » Dominique Venner, 2009.
" Vivre selon notre tradition, c’est se conformer à l’idéal qu’elle incarne, cultiver l’excellence par rapport à sa nature, retrouver ses racines, transmettre l’héritage, être solidaire des siens" D Venner, 30 000 ans d'histoire.
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(1) « La corruption généralisée que l'on observe dans le système politico-économique contemporain n'est pas périphérique ou anecdotique, elle est devenue un trait structurel, systémique de la société où nous vivons. En vérité, nous touchons là un facteur fondamental, que les grands penseurs politiques du passé connaissaient et que les prétendus « philosophes politiques » d'aujourd'hui, mauvais sociologues et piètres théoriciens, ignorent splendidement : l'intime solidarité entre un régime social et le type anthropologique (ou l'éventail de tels types) nécessaire pour le faire fonctionner. Ces types anthropologiques, pour la plupart, le capitalisme les a hérités des périodes historiques antérieures : le juge incorruptible, le fonctionnaire wébérien, l'enseignant dévoué à sa tâche, l'ouvrier pour qui son travail, malgré tout, était une source de fierté. De tels personnages deviennent inconcevables dans la période contemporaine : on ne voit pas pourquoi ils seraient reproduits, qui les reproduirait, au nom de quoi ils fonctionneraient. Même le type anthropologique qui est une création propre du capitalisme, l'entrepreneur schumpétérien, combinant une inventivité technique, la capacité de réunir des capitaux, d'organiser une entreprise, d'explorer, de pénétrer, de créer des marchés, est en train de disparaître. Il est remplacé par des bureaucraties managériales et par des spéculateurs. Ici encore, tous les facteurs conspirent. Pourquoi s'escrimer pour faire produire et vendre, au moment où un coup réussi sur les taux de change à la bourse de New York ou d'ailleurs, peut vous rapporter en quelques minutes 500 millions de dollar ? Les sommes en jeu dans la spéculation de chaque semaine sont de l'ordre du PNB des Etats-Unis en un an. Il en résulte un « drainage » des éléments les plus entreprenants vers ce type d'activités qui sont tout à fait parasitaires du point de vue du système capitaliste lui-même. » Cornélius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, 1993
(2) « (...) Il n’existe aucune garantie que les protections qui prévalent dans les sociétés occidentales seront préservées dans celles qui deviennent non-occidentales. Aucune raison historique ne force à croire que des gouvernements basés sur les libertés individuelles survivront à la disparition des peuples occidentaux. L’Afrique post-coloniale est révélatrice. Dans sa plus grande partie, le continent Noir retourne à ses mœurs ancestrales, renforcées par une infusion d’armes occidentales modernes, comme cela a été montré par les carnages somalien et rwandais. Ce qui bouleverse notre très profond sens de la compassion est compréhensible. Mais le sentimentalisme ne devrait pas nous aveugler quant aux implications à long terme que cela aura sur notre propre survie. De même que de donner de la nourriture à des populations incapables de se nourrir ne fait que hâter l’inévitable catastrophe démographique, déverser en Occident des populations du Tiers Monde accélère simplement la transformation de l’Occident en une extension du Tiers Monde. » Jane Jacobs, Dark Ages Ahead, 2004.
(3) "Badiou affirme, non sans quelque naïveté, combattre pour un « universalisme politique, une politique faite par les gens qui sont ici, sans égard à leur provenance ». En réalité, dans leurs engagements, « les gens qui sont ici » tiennent le plus grand compte de leur provenance. Badiou ferait bien d’interroger sur ce point les Pakistanais, les Kurdes, les Turcs. Il s’apercevra que leurs intérêts et leurs passions politiques sont très différents de ceux qui motivent les Chinois ou les Portugais, pour ne rien dire des Français, auxquels Badiou s’intéresse peu. Supposons que toutes les communautés religieuses, nations et groupes divers s’appliquent vertueusement à développer le même (ce qu’ils ont en commun). Le résultat sera un métissage généralisé estompant ou même abolissant toutes les identités. C’est le paradis de l’indifférenciation prêché par la propagande libérale. Même les musulmans « modérés » n’en veulent pas. Il faut dire que leur « modération » religieuse a pour contre partie le nationalisme le plus chauvin, comme chez le premier ministre turc Erdogan qui déclarait fin 2008, en s’adressant à ses compatriotes installés en Allemagne, que « l’assimilation est un crime contre l’humanité » ! Il voudrait qu’une frontière étanche sépare les populations d’origine turque des autochtones allemands. Son amour éperdu pour tout ce qui n’est pas français conduit Badiou à des accents d’un lyrisme quasi raciste : « la masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants témoignent, dans nos vieux pays fatigués, de la jeunesse du monde ; qu’ils nous apprennent au moins à devenir étrangers à nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s’achève et dont nous n’avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre. » Cela se passe de commentaires, mais j’en ferai quand même deux. Il y a moins de guerres et plus de créativité intellectuelle en Europe qu’en Afrique. Les immigrés savent ce qu’ils font quand ils affluent depuis un demi siècle, parfois au péril de leur vie, dans « de vieux pays fatigués » au lieu de rester dans de jeunes pays dynamiques »." Kostas Mavrakis, De quoi Alain Badiou est-il le nom ? Eléments avril juin 2009.
photo: Pier Paolo Pasolini, Il Decameron, 1970
titre: tiré de cette vidéo de Pasolini
18:24 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
très puissant, merci.
Écrit par : dizemanov | 06/11/2014
"La solution est en nous. Ne pas être dupe, se construire en marge du système, résister par la forme même que nous donnons à notre vie et qui donne sens à nos actions et à notre entourage, au monde qui nous entoure. Collectivement nous sommes encore plus fort, nous sommes les peuples, les souverains légitimes. Tout est possible."
C'est bon de revenir aux fondamentaux ,comme on dit dans le rugby ;-)
La force du Peuple ( ou des peuples , notion à discuter et à choisir entre le singluier et le pluriel) : petite illustration
http://hpics.li/5e959ae
Écrit par : alain21 | 06/11/2014
Alain
Le seul problème avec ce dessin, c'est que les gus vont se faire catapulter quand la banque va tomber dans le gouffre. Et vont se retrouver au fond aussi.
Seul va survivre celui par qui l'événement se produit.
Je ne sais pas si c'est un problème, à vrai dire.
Mais sa survie ne peut être que temporaire. C'est la vraie question.
Écrit par : carine | 06/11/2014
Je me suis fait la même réflexion que Carine.
ça va chier pour ceux qui restent sur la planche quand l'équilibre va se rompre. IL faudrait réussir à sauter tous ensemble, à tout le moins un certain nombre en meêm temps.
Pas gagné.
Écrit par : Popeye | 06/11/2014
Ceux qui n'ont pas encore compris aujourd'hui qu'il fallait retirer ses billes des banques, on ne peut plus rien faire pour eux...
Écrit par : S10 | 06/11/2014
"Ceux qui n'ont pas encore compris aujourd'hui qu'il fallait retirer ses billes des banques, on ne peut plus rien faire pour eux..."
voilà.
anyway, impossible de faire sans banque, sans CB, virements, etc. par contre rien n'oblige ceux qui ont des yeux et des oreilles à ne laisser autre chose en banque qu'un fond de roulement a minima. et de mettre le reste (si reste il y a) ailleurs que dans ces produits financiers désormais pourris (ça n'était pas le cas il y a 30 ou 40 ans. Imaginons un instant que ces milliards d'euros collectés dans des supports de placement foireux se détournent massivement vers des placements plus tangibles hors de la sphère financière...c'est le chaos bancaire assuré en peu de temps.
le genre de truc que Cantona avait évoqué il y a quelques années, à raison.
Écrit par : hoplite | 06/11/2014
Sur le marché on m'a proposé de parrainer un agriculteur bio
Le mec rachète une exploitation, les vendeurs sont gourmands, il lui faut d'la thune
Payera il les dividendes en navet ?
En topinambours ?
Si c'est tomates anciennes et courges musquée de Provence ( ou bleue de Hongrie) je suis d'ac
Écrit par : kobus van cleef | 07/11/2014
Hoplite, merci pour ce texte.
Écrit par : EDEN | 07/11/2014
Intéressant ... Merci Hoplite.
Écrit par : Oscar | 08/11/2014
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