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22/04/2019

des trains qui circulent

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« Quand le grand ethnologue allemand Kurt Unkel, mieux connu sous le nom de Nimuendaju que lui avaient conféré les Indiens du Brésil auxquels il a consacré sa vie, revenait dans les villages indigènes après un long séjour dans un centre civilisé, ses hôtes fondaient en larmes à la pensée des souffrances qu’il avait du encourir loin du seul endroit où, pensaient-ils, la vie valait la peine d’être vécue. Cette profonde indifférence aux cultures autres était, à sa manière, une garantie pour elles de pouvoir exister à leur guise et de leur côté. »

« En empruntant une autre image, on pourrait dire que les cultures ressemblent à des trains qui circulent plus ou moins vite, chacun sur sa voie propre et dans une direction différente. Ceux qui roulent de conserve avec le nôtre nous sont présents de la façon la plus durable ; nous pouvons à loisir observer le type des wagons, la physionomie et la mimique des voyageurs à travers les vitres de nos compartiments respectifs. Mais que, sur une autre voie oblique ou parallèle, un train passe dans l’autre sens et nous n’en apercevons qu’une image confuse et vite disparue, à peine identifiable pour ce qu’elle est, réduite le plus souvent à un brouillage momentané de notre champ visuel, qui ne nous livre aucune information sur l’évènement lui-même et nous irrite seulement parce qu’il interrompt la contemplation placide du paysage servant de toile de fond à notre rêverie. Or, tout membre d’une culture en est aussi étroitement solidaire que ce voyageur idéal l’est de son train. Dès la naissance, probablement même avant, les êtres et les choses qui nous entourent montent en chacun de nous un appareil de références complexes formant système : conduites, motivations, jugement implicites que, par la suite, l’éducation vient confirmer par la vue réflexive qu’elle nous propose du devenir historique de notre civilisation. Nous nous déplaçons littéralement avec ce système de référence, et les ensembles culturels qui se sont constitués en dehors de lui ne nous sont perceptibles qu’à travers les déformations qu’il leur imprime. Il peut même nous rendre incapable de les voir. »

« Sans doute nous berçons-nous du rêve que l’égalité et la fraternité règneront un jour entre les hommes sans que soit compromise leur diversité. Mais si l’humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu’elle a su créer dans le passé, capable seulement de donner le jour à des ouvrages bâtards, à des inventions grossières et puériles, elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon même à leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. »

Claude Lévi-Strauss, Race et culture, 1971.

07/04/2019

violence ordinaire

 

" (...) La mère de toutes les violences, celle qui doit cesser en premier, d’urgence, et contre laquelle le peuple se trouve contraint de se défendre – comme le lui suggère la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en préambule de la Constitution française –, c’est celle que génère l’imposition de mesures néolibérales iniques, impitoyables, antisociales et antidémocratiques ; celle qui, dans le silence des ajustements de prix des marchés capitalistes, fait mourir de froid des sans domicile fixe, pousse au suicide des agriculteurs endettés, détruit des individus et leurs familles en les privant d’emplois, en leur coupant l’électricité, en les expulsant de leur foyer ; celle qui oblige, faute de moyens, des retraités à ne plus chauffer leur habitation ou des enfants à sauter un repas ; celle qui casse toutes les solidarités, ferme les écoles, les maternités ou les hôpitaux psychiatriques, plonge dans le désespoir petits commerçants et artisans croulant sous les charges, éreinte des salariés au travail sans qu’ils parviennent à boucler leur fin de mois… La vraie violence se tient là, dans ce système extraordinairement injuste, et au fond intenable. Si tout être sensé et raisonnable s’y oppose, les violences ne se valent pas toutes pour autant : vandaliser une vitrine de banque ou de supermarché est grave, mais réparable, à peu de frais ; ne pas permettre à des honnêtes gens de vivre dignement brise des vies, par millions, et à jamais."

SourceLe Grand Soir, Rémy Herrera 28-02-2019


Bon j'ai pas aimé le Begaudeau d'"Entre les murs", mais ce Begaudeau là est estimable dans sa critique de la bourgeoisie et de ses sbires. Un mauvais bourgeois, lui aussi (comme s'en réjouissait Junger).