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28/11/2014

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Relu récemment l’histoire de la guerre du Péloponnèse par Thucydide, puis la même revisitée par Victor Davis Hanson, célèbre historien Américain de l’antiquité (Carnage et culture, Le modèle occidental de la guerre). Il est banal de dire que cette guerre civile de presque trente ans a détruit le monde Grec. Le récit factuel et terrifiant fait de cette guerre fratricide par Thucydide dont la rigueur tranche avec la merveilleuse épopée Homérique et le lyrisme dont fait preuve Hérodote dans sa recension des guerres médiques permet de comprendre le caractère résolument révolutionnaire de ce conflit interminable.

Jusqu’alors, la guerre obéissait à des règles précises, instituant des limites à ne pas franchir entre peuples de même sang. Longtemps provoquée par des conflits de frontières entre cités voisines, la guerre était un jeu sanglant, un combat se déroulant dans un espace clos, préalablement défini, dans lequel les hoplites, les citoyens capables de payer leur équipement, étaient disposés en rangs serrés, bouclier à main gauche, le flanc droit protégé par le combattant voisin, les derniers rangs tenus par quelques vétérans à même de contenir les mouvements de terreur des plus jeunes obligés d’avancer sur le corps de leurs amis, frères ou pères…La victoire, contrairement à nos guerres modernes et démocratiques ne revenait pas à la phalange qui avait détruit le plus grand nombre d’ennemis, mais à celle qui avait exercé la poussée la plus forte et n’avait pas perdu de terrain, conservant ainsi une maîtrise toute symbolique du territoire. Il s’agissait donc d’une guerre, certes meurtrière, mais contrôlée, dans laquelle on prenait garde à ne jamais mettre en péril l’équilibre social et démographique des cités, l’ennemi d’un jour pouvant être l’allié de demain.

Ce modèle traditionnel de la guerre entre cités grecques allait être remis profondément en cause durant cette guerre du Péloponnèse par la durée des affrontements, qui deviennent permanent pendant prés de trente ans (431-404), par la multiplication des théâtres d’opération, par le petit nombre d’affrontement de type hoplitique, par l’apparition d’une guerre mobile de pillages, d’escarmouches, par l’apparition d’armes de jets (archers) jusqu’alors méprisées par les combattants, par l’importance des batailles navales donnant un rôle important aux équipages des trières composés de citoyens de second rang, peu considérés, par l’importance croissante de l’argent, nerf de la guerre. La guerre ritualisée menée par l’élite des cités se transforme en guerre totale recourrant largement à des mercenaires, voire des esclaves, et à l’argent des Perses. Plus important est l’évolution de l’esprit de la guerre qui voit l’abandon de ces lois immémoriales communes à tous les grecs. Massacres de populations civiles, profanation de temples, morts gardés en otages pour empêcher toute sépulture décente, autant de sacrilèges, d’horreurs, jusque là réservés aux étrangers à l’oekuméné, aux barbares, ignorants des lois grecques de la guerre. Thucydide décrit ainsi une scène terrible au décours de la bataille livrée dans le port de Syracuse, où les Athéniens furent défaits. Les morts et les blessés furent abandonnés sur le champ de bataille, livrés aux pires souffrances et à une sépulture indigne…

Dans La campagne avec Thucydide (1922), Albert Thibaudet, combattant de la première guerre mondiale, consigne dans sa tranchée, jours après jours (à la manière de Jünger), toutes les similitudes que cette guerre fratricide présente avec la guerre du Péloponnèse, montrant bien le caractère novateur et suicidaire de ces guerres totales.

En passant. Bon we!

01/01/2008

Civilisation.

Politique de civilisation…que voila un terme intéressant dans la bouche d’un chef d’état.

Non pas Civilisation  au singulier qui sous-entend que le monde constitue une seule et même civilisation universelle -définie sur quels critères ?- qui me parait peu défendable, mais civilisation au sens large de culture c’est-à-dire « les valeurs, les normes, les institutions et les modes de pensées auxquels des générations successives ont, dans une société donnée, attaché une importance cruciale ». (1) Ou, selon Mauss et Durkheim, « une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n’étant qu’une forme particulière du tout ».(2) Ou plus précisément encore, selon Hérodote, ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses, des Mèdes et des autres non Grecs -quelle que soit la nature brillante de leur culture- c'est-à-dire le sang, la langue, la religion et la manière de vivre…

Malheureusement, immédiatement après avoir utilisé ce terme, notre président nous parla d’école et d’urbanisme du XXIème siècle, omettant de définir son concept de civilisation et sa vision du monde moderne. Plus éclairant fut la façon dont il conçoit le destin de la France montrant le chemin aux autres pays du monde , et manifestement en charge de défendre tous les peuples opprimés du globe (« Que la France montre la voie. C'est ce que depuis toujours tous les peuples du monde attendent d'elle"), renouant ainsi avec une conception messianique de la culture Française (Lumières, droits de l’homme, état de droit, sécularisation, égalitarisme et idéologie compassionnelle) et au nom de prétendues valeurs universelles, bien proches -est ce un hasard ?- des valeurs de la civilisation occidentale. Cette conception selon laquelle l’Occident, dans sa prétention à l’universalité, tiendrait pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la culture occidentales parce qu’elles constituent le mode de pensée le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel et le plus moderne, me parait non seulement fausse mais particulièrement dangereuse.

Aujourd’hui, après l’effondrement du monde communiste et la fin de la bipolarité monde libre vs monde communiste, au moins deux conceptions du monde s’affrontent : celle de la fin de l’histoire et de l’avènement d’un monde globalisé/ dérégulé régi par la démocratie libérale et l’économie de marché ou subsistent quelques états voyous dont la survie n’est qu’une question de temps, et celle d’un monde multipolaire constitués d’états nations regroupés au sein d’entités civilisationnelles (au nombre de cinq à huit selon les spécialistes) aux cultures également respectables. Huntington, par exemple, décrit huit civilisations : occidentale, orthodoxe, islamique, chinoise, africaine, japonaise, sud-américaine et indienne. Avec au sein de chaque civilisation, un état-phare, guidant et ordonnant chaque région culturelle (par exemple la Russie pour le monde orthodoxe, ou la Chine pour le monde confucéen).

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Dés lors que l’on adhère à cette vision multipolaire et civilisationnelle de notre monde, l’indigence de la posture universaliste/ impérialiste de certaines de nos élites occidentales (des néoconservateurs de l'administration Bush à nos tiers-mondistes européens) devient évidente. Parce qu’elle est lourde de conflit avec des peuples dont la culture se situe aux antipodes de la notre et qui ne sont pas disposés à adopter notre mode de vie, mais aussi parce que cela nous éloigne de notre but premier qui est de connaître et de défendre notre propre civilisation et nos propres intérêts. Ce qui ne veut pas dire indifférence à l’égard des autres civilisations ni renoncement à amener l'autre à une position plus conforme à notre point de vue: connaitre et défendre sa culture et ses intérèts ne veut pas dire isolement.

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Hubert Védrines, dans un petit ouvrage indispensable (Continuer l’histoire, Fayard), défend cette approche culturelle et multipolaire en dénonçant cette « irréal politik » basée sur une « communauté internationale » qui n’existe pas.

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En fait, il semble bien que Nicolas Sarkozy ai voulu faire référence au théories du sociologue Edgar Morin, qui propose une réforme de la politique et de la pensée (individualisme, atomisation de la société, disparition des solidarités, solitude, asservissement à la technique, etc) , capables de nous faire dépasser la crise multiforme et planétaire que nous traversons. Une critique du mythe du progrés et de la logique de mondialisation technique, industrielle, économique qui disqualifie tout ce qui est inapparent (amour, plaisir, souffrance, poésie, etc) ; une impasse technologique et inhumaine..

Morin appelle ainsi a une prise de conscience de la communauté d’un destin terrestre : « Cette étape nouvelle ne pourra venir que si nous enracinons dans notre conscience le fait que nous sommes des citoyens de la Terre tout en étant Européens, Français, Africains, Américains..., qu’elle est notre patrie, ce qui ne nie pas les autres patries. Cette prise de conscience de la communauté de destin terrestre est la condition nécessaire de ce changement qui nous permettrait de copiloter la planète, dont les problèmes sont devenus inextricablement mêlés. Faute de quoi, on connaîtra l’essor des phénomènes de « balkanisation », de repli défensif et violent sur des identités particulières, ethniques, religieuses, qui est le négatif de ce processus d’unification et de solidarisation de la planète. » (3)

Sans recourir à un gouvernement mondial dont les dérives totalitaires paraissent envisageables, Morin souhaite dépasser le cadre trop limité de l’état nation pour atteindre « une confédération mondiale, qui serait elle-même une confédération de confédérations à l’échelle des continents, dont l’Europe pourrait être un modèle et un exemple. Il faudrait créer des instances mondiales pour réguler des problèmes vitaux comme l’écologie, le nucléaire, et le développement économique, qui, en raison de ses conséquences socio-culturelles, ne devrait pas échapper au contrôle politique. La politique de civilisation vise à remettre l’homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour l’Europe : humaniser les villes, ce qui nécessiterait d’énormes investissements, et lutter contre la désertification des campagnes. » (3)

Remarques.

- l’échelle continentale me parait inadéquate sachant que certains continents  rassemblent des états nations appartenants à des aires civilisationnelles distinctes avec donc des traditions culturelles distinctes, appellant des solutions différentes.

- si la conscience d’une communauté de destin terrestre, et la nécessité d’une prise en charge globale de certaines questions (protection de l’environnement, équilibres démographiques, nucléarisation, etc) peuvent se concevoir en théorie, je crois que la façon de concevoir ce destin échappe à une systématisation planétaire et butte forcément sur les spécificités culturelles de chaque aire civilisationnelle, à l’encontre d’une unité culturelle de l’humanité.

- ce concept de « confédération de confédérations à l’échelle des continents » me parait difficile à mettre en œuvre sachant qu’en plus, Morin considère que « la France pourrait jouer un rôle pionnier parce que sa culture possède un héritage d’universalisme, de foi civique, républicaine et patriotique, (…) et de métissage » (3). Cela rejoint précisément les propos du chef de l’état qui voit la France en pionnier de cette prise de conscience planétaire, au delà des particularismes millénaires des différentes cultures humaines…

- la solution pour Morin passerait ainsi par la transcendance de notre société matérialiste globalisée et inhumaine et par l’ouverture aux autres civilisations qui n’auraient pas perdu ce lien entre l’esprit, l’âme et le corps, en vue d’une renaissance humaniste planétaire. « Je pense que nous devons nous ouvrir aux échanges. De même que l’Asie s’est ouverte à la technique occidentale, nous devons nous ouvrir à l’apport des civilisations asiatiques, bouddhiste et hindouiste notamment, pour la part qu’elles ont faites au rapport entre soi et soi, entre son esprit, son âme et son corps, que notre civilisation productiviste et activiste a totalement négligé. Nous avons beaucoup à apprendre des autres cultures. De même que la Renaissance s’est produite parce que l’Europe médiévale est revenue à la source grecque, nous devons aujourd’hui chercher une nouvelle renaissance en puisant aux sources multiples de l’univers. » (3)

- quid de l'ONU? N'est-ce pas le type même de l'organisation supra-nationale et philanthropique qui pourrait matérialiser cette confédération de confédérations? Peut-être pour qu'elle soit crédible et efficace serait-il utile qu'elle refléte mieux les différentes civilisations humains: le conseil de sécurité de cette instance est aujourdhui encore composé de cinq membres disposant d'un droit de véto: USA, Angleterre, France, Chine et Russie. Soit trois pays occidentaux, un représentant du monde orthodox et un représentant du monde confucéen... Quid du monde musulman, du monde Indien, du monde sud américain? Quid du Japon et de l'Afrique sub saharienne? Je n'ignore pas qu'il existe dix membres non permanents plus représentatifs de la diversite civilisationnelle de notre planète, mais ils ne sont pas sur le même pied d'égalité que les cinq membres permanents. Ce qui contribue sans doute largement à discréditer cet organisme international et à favoriser d'autres regroupement civilisationnels comme l'OCI (organisation de la conférence islamique, par exemple).

Certes l’histoire n’est pas écrite et le pire n’est jamais certain, mais ce concept de renaissance me parait assez largement utopique bien que je partage sans réserves son diagnostic sur le matérialisme sans âme de nos sociétés globalisées, l’âge des robots comme disait Bernanos.

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(1) Bozeman in civilisations under stress, cité par S Hunttington, Le choc des civilisation, p.39.

(2) Durkheim et Mauss, Notion of civilisation, p.811.

(3) http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/france_829/label-france_...

 

 

01/09/2007

Civilisation

« Même si nous en avions la tentation, beaucoup de considérations puissantes nous en empêcheraient. Tout d’abord et surtout, les images et les statues des Dieux ont été brûlées et réduites en pièces : cela mérite vengeance, de toutes nos forces. Il n’est pas question de s’entendre avec celui qui a perpétré de tels forfaits. Deuxièmement, la race Grecque est du même sang, parle la même langue, partage les mêmes temples et les mêmes sacrifices ; nos coutumes sont voisines. Trahir tout cela serait un crime pour les Athéniens. »

(Hérodote, The Persians wars, Penguin books, 1972.)

 

Ainsi parle Hérodote, nommant les éléments culturels clés qui définissent une civilisation pour  les Athéniens, et voulant rassurer les Spartiates sur le fait qu’ils ne les trahiraient pas en faveur des Perses. Le sang, la langue, la religion, la manière de vivre : voila ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses et des autres non Grecs.

Mais de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est sans doute la religion, comme le souligne Hérodote. Dans une large mesure, les principales civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.

Inversement, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le sous-continent Indien.

 

Sans doute à méditer en ces temps d’élargissement Européen et de propagande sans-frontiériste et métissophile.