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24/08/2013

sehr amusant!

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 « (...) A ce moment, en un point où la forêt était plus dense et plus profonde et où une piste traversait notre route, je vis brusquement surgir du brouillard, là-bas devant nous, au carrefour des deux pistes, un soldat enfoncé dans la neige jusqu’au ventre. Il était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour indiquer le chemin. Quand nous passâmes devant lui, Schulz porta la main à son képi, comme pour le saluer et le remercier, puis dit :

-En voila un autre qui voudrait aller dans le Caucase ! et se mit à rire en se renversant sur le dossier de son siège. Au bout d’un autre segment de route, à un autre croisement de piste, voici qu’à grande distance, un autre soldat apparu, également enfoncé dans la neige, le bras droit tendu pour nous montrer le chemin.

-Ils vont mourir de froid, ces pauvres diables, dis-je.

Schulz se retourna pour me regarder :

-Il n’y a pas de danger qu’ils meurent de froid ! dit-il.

Et il riait. Je lui demandais pourquoi il pensait que ces pauvres bougres n’étaient pas en danger de mourir gelés.

-Parce que désormais, ils sont habitués au froid ! me répondit Schulz et il riait en me tapant sur l’épaule. Il arrêta la voiture et se tourna vers moi en souriant :

-Vous voulez le voir de prés ? Vous pourrez lui demander s’il a froid.

Nous descendîmes de voiture et nous approchâmes du soldat qui était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour nous montrer la route. Il était mort. Il avait les yeux hagards, la bouche entrouverte. C’était un soldat Russe mort.

-C’est notre police des voies et communication, dit Schulz. Nous l’appelons la « police silencieuse ».

-Etes vous bien sûr qu’il ne parle pas ?

-Qu’il ne parle pas ? Ach so ! Essayez de l’interroger.

-Il vaudrait mieux que je n’essaie pas. Je suis sût qu’il me répondrait, dis-je.

-Ach sehr amusant, s’écria Schulz en riant.

-Ja, sehr amusant, nicht wahr ?

Puis j’ajoutais d’un air indifférent:

-Quand vous les amenez là sur place, ils sont vivants ou morts ?

-Vivants, naturellement, répondit Schulz.

-Ensuite, ils meurent de froid naturellement ? dis-je alors.

-Nein, nein, ils ne meurent pas de froid : regardez là! Et Schulz me montra un caillot de sang, un grumeau de glace rougie, sur la tempe du mort.

-Ach so !sehr amusant.

-Sehr amusant, nicht wahr ? dit Schulz ; Puis il ajouta en riant : Il faut tout de même bien que les prisonniers Russes servent à quelque chose ! (...) »

Kaputt, Curzio Malaparte, 1944.

26/09/2009

chiens rouges

Il y a quelques jours, en rentrant du boulot, je tombais sur deux clochards avinés (rebaptisés « sans domicile fixe » et sans doute bientôt « privés de domicile » par nos cloportes modernes) en train de latter consciencieusement à coup de poing et de pieds un pauvre clébard que l’on entendait couiner de loin. J’ai balancé quelques secondes sur mon vieux rock rider 500, pesant le pour et le contre, hésitant à intervenir, conscient de la probabilité de devoir me battre avec ces deux épaves à quelques minutes de la sortie du CE2 de mon petit Télémaque. panzer7.jpgFort heureusement, deux gentils ASVP, consciencieusement occupés à aligner quelques bourgeois mal garés mais encore solvables et disposant de papiers en règles, contrairement aux nombreuses pépites de la nation roulant en mini moto et en toute impunité dans quelque kartchié, n’ont pu faire autrement qu’intervenir et faire cesser le massacre.

Quelques minutes plus tard, au milieu d’une horde de jeunes salopes trentenaires aux lèvres refaites, je pensais aux chiens rouges de Malaparte.

Ce dernier dans son magnifique Kaputt, raconte comment, en Ukraine, les Allemands donnaient la chasse aux chiens : les tirant au fusil mitrailleur, à la grenade, les dénichant au fond des jardins, les poursuivant à travers champs. Les pauvres bêtes se réfugiaient dans les maisons et les jardins ou dans les fossés ; en vain. Ils étaient traqués, débusqués et massacrés à coup de crosse. Et Malaparte nous apprend pourquoi : les Russes les avaient dressés à aller chercher leur nourriture sous le ventre des tanks Allemands. A peine ceux-ci partaient-ils à l’assaut qu’une meute de chiens portant musette remplie d’explosif, se précipitait à leur encontre et les Panzers dynamités éclataient comme des noix…

« Quand vous les aurez tous tués », dit Malaparte à un officier Allemand, « quand il n’y aura plus de chiens en Russie, ce seront les enfants Russes qui se faufileront sous le ventre de vos chars. »

hé !

12/03/2009

police silencieuse

y1pBSA8KWGTUi1s3OoFiBaa0PT_JezFiqAYZpy4HRM0KeXf_F3q8rXDMoN90_G89w8_HHYmbpHyyUg.jpg« A ce moment, en un point où la forêt était plus dense et plus profonde et où unepiste traversait notre route, je vis brusquement surgir du brouillard, là-bas devant nous, au carrefour des deux pistes, un soldat enfoncé dans la neige jusqu’au ventre. Il était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour indiquer le chemin. Quand nous passâmes devant lui, Schulz porta la main à son képi, comme pour le saluer et le remercier, puis dit :

-En voila un autre qui voudrait aller dans le Caucase ! et se mit à rire en se renversant sur le dossier de son siège. Au bout d’un autre segment de route, à un autre croisement de piste, voici qu’à grande distance, un autre soldat apparu, également enfoncé dans la neige, le bras droit tendu pour nous montrer le chemin.

-Ils vont mourir de froid, ces pauvres diables dis-je.

Schulz se retourna pour me regarder :

-Il n’y a pas de danger qu’ils meurent de froid ! dit-il.

Et il riait. Je lui demandais pourquoi il pensait que ces pauvres bougres n’étaient pas en danger de mourir gelés.

-Parce que désormais, ils sont habitués au froid ! me répondit Schulz et il riait en me tapant sur l’épaule. Il arrêta la voiture et se tourna vers moi en souriant :

-Vous voulez le voir de prés ? Vous pourrez lui demander s’il a froid.

Nous descendîmes de voiture et nous approchâmes du soldat qui était là, debout, immobile, le bras droit tendu pour nous montrer la route. Il était mort. Il avait les yeux hagards, la bouche entrouverte. C’était un soldat Russe mort.

C’est notre police des voies et communication s, dit Schulz. Nous l’appelons la « police silencieuse ».

-Etes vous bien sûr qu’il ne parle pas ?

-Qu’il ne parle pas ? Ach so ! Essayez de l’interroger.

-Il vaudrait mieux que je n’essaie pas. Je suis sût qu’il me répondrait, dis-je.

-Ach sehr amusant, s’écria Schulz en riant.

-Ja, sehr amusant, nicht wahr ?

Puis j’ajoutais d’un air indifférent:

-Quand vous les amenez là sur place, ils sont vivants ou morts ?

-Vivants, naturellement, répondit Schulz.

-ensuite, ils meurent de froid naturellement ? dis-je alors.

-Nein, nein, ils ne meurent pas de froid : regardez là. Et Schulz me montra un caillot de sang, un grumeau de glace rougie, sur la tempe du mort.

-Ach so !sehr amusant.

-Sehr amusant, nicht wahr ? dit Schulz ; Puis il ajouta en riant : « il faut tout de même bien que les prisonniers Russes servent à quelque chose ! » »

 

Kaputt, Curzio Malaparte, 1944.