03/07/2008
Tempérer la démocratie?
Gaston s’interroge ici sur la pertinence de la démocratie sous nos latitudes.
Il est vrai que les projections démographiques décrites sont inquiétantes du fait de la forte probabilité d’apparition à court terme de majorités d’origine extra européenne dans certaines villes, voire dans certains pays européens.
Il est vrai aussi qu’un régime politique qui se résume pour le citoyen à un choix entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy pour la magistrature suprême ne peut faire l’économie d’une réflexion sur sa capacité à sélectionner une élite politique.
Il est vrai enfin qu’une Union Européenne qui dénie aux peuples qui la composent le droit de s’exprimer et qui, lorsque cela se produit quand même par accident ou particularité constitutionnelle de tel ou tel pays, bafoue ce droit pourtant élémentaire en niant la souveraineté populaire assimilée à du populisme ou en affirmant un méprisable besoin de pédagogie peut prêter à sourire. Ou à tout casser. Pour reconstruire.
Alors ? Monarchie, aristocratie ou démocratie ?
Au sortir du Moyen-Âge, durant la Renaissance, la cité antique était à la mode et considérée comme un modèle indépassable ; il était bien vu de prôner un retour aux temps –supposés héroïques- de Sparte ou de Rome, de tout subordonner au bien de la cité.
Nos philosophes des Lumières ™, Rousseau, Voltaire ou Montesquieu mettaient par-dessus tout la lecture des historiens Romains, comme Plutarque, ou Grecs, comme Thucydide.
« D’un homme qui se désintéresse des choses de la Cité, nous ne disons pas qu’il se consacre tranquillement à ses propres affaires, nous sommes les seuls à penser qu’il ne sert à rien. » (1)
Par cette brutale admonestation, rapportée par Thucydide, Périclès -alias tête d'oignon- exprime l’idéal social des cités antiques. Ce n’est que dans la citoyenneté que s’épanouit l’homme libre. Hors de la cité, l’homme ne sert à rien. Il n’existe pas de société civile, tout est politique.
C’est aussi le point de vue de Platon, disciple et biographe de Socrate, qui exerça –et exerce toujours- une durable influence sur la pensée occidentale. La cité idéale de Platon est une caserne communiste ou la vie privée n’existe pas. Là ou les philosophes sont rois, chacun doit obéir à leurs décrets sans appel. La société n’est pas distincte de l’Etat.
Célibataire endurci, Platon (contrairement à son maître qui aima de prés le bel Alcibiade) était convaincu que la famille, la propriété et les autres institutions de la vie privée développent les intérêts particuliers, au détriment de la cité. Ainsi, afin de ne pas former de liens particuliers, les soldats gardiens de la cité, doivent ne pas avoir de biens propres, ni de famille. Ils doivent prendre leurs repas en commun, comme c’était le cas à Sparte, et se consacrer à plein temps à la défense de la patrie.
Aristote, qui fut vingt ans élève de Platon avant d'être, quelques années durant, le précepteur du futur Alexandre de Macédoine, partage son mépris du travail, du commerce et de l’activité économique en général ; car les gains des uns ne peuvent se faire qu’aux dépens d’autres hommes, explique-t-il dans son traité intitulé Politique. Dés les premières lignes, il annonce que les affaires de la cité doivent passer avant toutes les autres, puisqu’il existe « une société particulière qui domine et inclut toutes les autres, et tend donc vers le plus important de tous les biens. Cette société qui domine et englobe le plus est la cité (polis), comme on l’appelle, ou société politique. »
C’est là la société par excellence qui peut, selon Aristote, être gouvernée de trois manières : par un roi, les grands ou le peuple. Ces trois formes de gouvernement, monarchie, aristocratie ou démocratie, peuvent chacune apporter le bonheur, but de la politique, mais elles peuvent aussi dégénérer respectivement en tyrannie, oligarchie et démagogie. La meilleure constitution doit mélanger ce qu’il y a de meilleur dans la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. Après Aristote, toute l’antiquité rêvera de trouver la formule magique d’une idéale constitution mixte.
L’Occident a longtemps vécu sur cet idéal antique d’une constitution mixte. C’est aussi ce que souhaite Montesquieu, et certains pensent encore aujourd’hui qu’il faut tempérer les excès, toujours possibles, de la démocratie. C’est pourquoi ont si longtemps subsisté en France les dispositions de la constitution de 1875, fixant à sept ans le mandat du président de la république et à neuf ans celui des sénateurs.
C’est aussi pourquoi beaucoup se sont opposés à l’élection du président de la république au suffrage universel. C’est encore pourquoi le général de Gaulle voulait que le sénat, cette aristocratie, fasse place à des syndicalistes et à d’autres forces vives de la nation, à coté des élus du peuple. Sa tentative de tempérer la démocratie fut, on le sait, désavouée par le référendum populaire de 1969.
Plus tard, Saint Augustin, partageant le pessimisme et la méfiance envers la politique des Grecs et des Romains va bouleverser cette quête du régime politique idéal en imposant l’idée –révolutionnaire- que l’histoire est faite de deux cités qui coexistent, celle du Diable et celle de Dieu. Sans le Christ, l’histoire n’est que vol et rapine. Il en donne pour exemple l’anecdote ou Alexandre le Grand demande à un pirate prisonnier pourquoi il estime avoir le droit de s’approprier le bien d’autrui. Ce dernier lui répond : « Pourquoi donc t’empares-tu de toute la terre ? Parce que je vole au moyen d’un petit bateau, on m’appelle pirate ; mais toi qui a une grande flotte, on t’appelle empereur ! » (2) Pour Saint Augustin, seule la grâce divine peut libérer l’homme des horreurs de l’histoire car, même quand le monde est gouverné par des princes chrétiens, selon des lois chrétiennes, rien ne peut être mené à bien sans la grâce. Hors du Christ, il n’y a pas de société civile…
Cette recherche d’équilibre entre pouvoir spirituel et temporel, l’un modérant l’autre, est l’invention originale et capitale de la chrétienté latine.
Voilà qui complique la recherche d’un régime politique tempéré…Ou bien qui la simplifie …
(1) Périclès, Brulé, Gallimard 1994, p155.
(2) Saint Augustin, Oeuvres, Lucien Jerphagnon, Gallimard, p.72.
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