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30/11/2008

Nostalgie

J’ai relu récemment Pays perdu de Pierre Jourde, ou l’auteur originaire d’un petit village du Cantal décrit avec amour et nostalgie mais aussi dureté un monde paysan en voie de disparition. Dans la même veine on lira avec bonheur Ma vie parmi les ombres de Richard Millet ou celui-ci évoque son enfance au milieu du plateau de Millevaches (qui en fait évoque mille sources...) et ce monde traditionnel appelé à disparaître.

 

Nostalgie, ce « mal du retour ». La faute d'inukshuk.


Vendanges. Les voisins, d’abord. Tout le monde est là, personne ne manque. Tout le monde se connaît. Moi, personne, mais ça ne dure pas. Café pour ceux qui veulent puis on y va. La vigne, toujours en pente, chacun une rangée, chacun son sécateur, son seau, on coupe les grappes, on remplit les seaux qu’on vide dans la benne. Une autre rangée, ça cause, ça rigole. Un coup de rouge pour les plus vieux, de l’eau pour les autres ou les gamins. La benne est pleine, hop, à la cave, et on revient. Faut aller vite, parler d’accord mais si on travaille comme les autres. L’odeur du raisin, les doigts qui collent, la chaleur et la fatigue. Onze heures et demi, on rentre et on mange. Comme il faut, du solide, pas des sushis...Du lourd. Les femmes servent. Soupe, jambon, pâté, saucisson, daube, fromage, pain, vin, café pousse café, cigarette. Tout le monde se connaît maintenant. On repart, une autre vigne, une autre parcelle, un autre raisin, les mêmes, le même entrain, la même efficacité dans le travail. Voila c’est fini, on range les outils, dernière benne à la cave, ivre de fatigue et heureux. Presque adulte.

 

Hiver. Tous les soirs on allait à la ferme de mon grand-père, à pieds, pour chercher le lait pour le lendemain matin. On savait que c’était l’heure en entendant les vaches rentrer à l’étable, leurs cloches, parfois un bruit de galop quand les chiens étaient pressants, parfois les appels du fermier, rarement en fait. L’odeur de l’étable, cette odeur de merde partout, de fumier, que j’aime retrouver et que déteste mon fils aîné. Ces vaches brunes alignées pour la traite, cette chaleur animale, cette odeur de lait frais dans le pot en alu, la proximité de ces animaux énormes pour lesquels on faisait descendre quelques bottes de paille. Souvent quand on arrivait pour les vacances ou que l’on repartait, on picolait. Scénario immuable : après la traite, cuisine de la ferme, pièce assombrie par la fumée sur les murs, un feu qui couve, été comme hiver, l’horloge, le vieux entre la fenêtre et le radiateur en salopette bleue et charentaises qui te donne du monsieur alors que tu as douze ans, la toile cirée unique élimée, les bancs en bois qu’on tire, les verres duralex, la boite de biscuit, la bouteille de ratafia (alcool de prune peu alcoolisé, mais à jeun ça change la vie), les chiens qui suivent leur maître et se couchent sous la table. On parle parce qu’il faut parler –on vient de la ville- mais on sent bien que c’est pas leur habitude. On ne serait pas là, ils ne diraient pas trois mots. Puis avec la deuxième bouteille (hop hop, pas plus haut que le verre !), on parle de tout. Du temps, des travaux, des ruches, du cochon, des voisins, des derniers potins. Parfois les parents venaient et c’était moins bien parce que guindé. Ca rigolait moins. Puis on rentrait, il faisait nuit et froid, même bourrés.


Eté. Je faisais la récolte du miel avec mon grand père. Fallait s’habiller, se couvrir, pas trop se faire piquer. Pour moi des gants, mon grand-père, non, pas très sensible, des mains de paysan. Un masque sur le visage, une brouette pour mettre les cadres et les hausses, une sorte de fumigène artisanal avec des vieux chiffons pour étourdir les abeilles. Fallait choisir le jour, c’est-à-dire le temps. Pas orageux, les abeilles sont énervées et attaquent, pas pluvieux, elles sont à l’intérieur… Fumée, dépose du couvercle, refumée, les abeilles disparaissent dans les profondeurs de la ruche. Faut aller vite, mais pas trop, pas de mouvement brutal, pas de peur. On enlève les cadres un à un pour les ranger sur des hausses vides, en balayant les abeilles à la surface. Puis on referme et on passe à la ruche suivante. Parfois il n’y a rien ou pas grand-chose. Puis direction la cave et l’extracteur. Un couteau d’égorgeur qui trempe dans l’eau chaude, pour enlever la pellicule de cire à la surface des alvéoles. Chaque cadre est rangé dans la machine. Odeur extraordinaire de miel frais. Orgie. Puis ça tourne une heure, on ouvre le robinet à la base et on remplit des pots en filtrant le miel blond. La routine.

 

Printemps. On savait comment faire pour les choper, les salopes. Un bout de tissu rouge au bout d’une ligne, une mare si possible avec nénuphars, on lance, on attend le plouf, on tire. Une grenouille verte qui gigote. Hop dans le panier. En fallait une bonne trentaine pour bien faire. Puis c’était mon oncle qui officiait. J’aime pas peler les grenouilles à vif. Suis à peu prés persuadé qu’elles ont mal. Mais bon. On prépare les nasses, on met les infortunés batraciens au fond et direction la rivière, à la nuit. Faut connaître les coins, savoir ou accrocher les nasses. On se répartissait la rivière. Moi en amont, lui en aval (fatigué). Puis on rentre. Lendemain matin, avant le jour, au bord de la rivière. Faut, sinon tu peux te faire gauler tes nasses par un salaud, c’est pas ce qui manque à la campagne. Des nasses pleines qui bruissent et grouillent d’écrevisses noires. Mais rouges dans l’assiette. Un coup de blanc. Que du bonheur, comme dit l’autre con.

Voila.

18/03/2008

Bistrots perdus

"De l’autre coté de la route, les pentes dégringolent, la forêt se déploie. On traverse la salle de bar où circulent les tournées de pastis. Des visages allumés se tournent vers les nouveaux venus. On serre quelques mains, on passe dans la salle de restaurant, on s’assoit, et ça commence, les crudités et le jambon servent d’amusement. On passe aux choses sérieuses avec la terrine de sanglier que Levert dépose sur la table. Il en cuit régulièrement des kilos. On s’en sert de vastes tranches, on y revient, on renonce à se raisonner. Après quoi, le principal, du roboratif, côtes de veau aux trompettes de la mort, bœuf aux morilles, coq au vin, lapin. Ce sont des bêtes que l’on a parfois bien connues, qu’on appelait par leur petit nom. Ou bien on connaît l’ex-propriétaire du lapin ou du veau, il est au bar, on le félicite. Le plat de truffade qui accompagne, il est rare que l’on puisse en venir à bout ; Chacun fait son devoir, les fromages circulent, le clafoutis, l’alcool, Levert a l’air content.

Il donne la version moderne de ces bistrots d’antan tenus par des dames austères. On arrivait à l’improviste. Du fond de la salle noire, elles vous regardaient d’un air farouche. On en trouvait un parfait exemplaire dans un gros village, à dix-sept kilomètres dans la vallée. Sur la place de l’église, une devanture en bois peint, des vitrines agrémentées de rideau au crochet et de plantes vertes : le bar-hôtel-restaurant de Marie Croze. Il a du rester en activité jusqu’à la mort de la patronne, au début des années quatre-vingt-dix. L’hôtel n’accueillait guère de voyageurs. Il logeait plutôt, plusieurs mois de l’année, en meublé, les bergers et les valets de ferme. Marie Croze faisait à manger à midi pour les ouvriers de la minoterie, les maçons et les cantonniers. Guère plus d’une table ou deux de travailleurs silencieux, s’appliquant à grands coups de fourchettes à leur ouvrage. On entrait dans la grande salle au parquet clair impeccablement récuré. De l’ombre, de la fraîcheur. Une atmosphère recueillie. L’horloge recomptait les mouches. Deux ou trois visages se levaient un instant au dessus l’assiette, se retournaient, par acquit de conscience, vers les nouveaux venus, sans leur accorder sourire ni salut, pour se pencher à nouveau très vite sur la besogne. Le pain faisait peu de bruit qui épongeait les sauces. Quelques tables de bois, anciennes, recouvertes de toile cirée vichy, des cendriers Cinzano. Au fond, le bar, au coin duquel un étroit passage donnait sur la cuisine. Là, sans hâte, la patronne faisait son apparition.

Marie Croze était une petite femme trapue à l’allure sévère. Pâle, les yeux clairs, les cheveux blancs, toujours dans la même blouse noire. Elle avait dû être assez belle. Elle ne souriait jamais au client, le considérait d’abord de loin, sans indulgence apparente, comme un supérieur de Chartreux accueillerait le candidat à la retraite. Un temps se passait avant qu’elle parle, ou réponde à la demande, comme si la présence de l’impétrant avait quelque chose d’incongru. Déjeuner ? Il était bien tard. Enfin, on pouvait encore. Pas grand-chose d’extraordinaire, il fallait le savoir. Ca irait quand même ? Qu’on s’installe là-bas, dans le coin, par exemple. Presque aussitôt, la table se chargeait d’un pichet d’eau, d’un panier de pain, d’un litre de vin à capsule plastique, dont on pouvait, cela allait sans dire, redemander à volonté, et d’un plat de crudités diverses, carottes râpées, chou rouge, œuf dur, tomates. On avait à peine eu le temps de s’en apercevoir. Une petite servante basanée, toute habillée de noir, trapue, sans âge déterminable, à peu prés muette, avait glissé le tout avec promptitude, sans plus sourire que la patronne, qui la surveillait du fond de la salle, l’œil grave. Pas de choix, pas d’ordres à donner, le repas tenait dans son déroulement des agapes merveilleuses des légendes médiévales. La suite se déroulait inexorablement. Entraient en scène, dans l’ordre, le plat de charcuterie (jambon, saucissons divers), le plat de poisson, le rôti de veau accompagné de sa purée, la salade, un bout de fromage, une corbeille de fruits. Dans le mouvement, on se laissait parfois aller à reprendre un litre étoilé."

Pays perdu, Pierre Jourde, 2003.