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09/01/2010

se résigner à être démodé

J'évoque souvent un projet Babel sans le définir.

Il correspond dans mon esprit à ce terrorisme intellectuel promu par l'essentiel de nos élites, au moins en Occident, qui commande d'adouber de façon inconditionnelle le paradigme multiculturel selon lequel le sens de l'histoire serait la disparition des peuples, des nations, des frontières et des cultures différenciées au profit de la coexistence pacifique d'individus et de cultures différentes, voire antagonistes, sur le même territoire.

Il me semble que cette idéologie post-moderne coïncide avec l'avènement de la mondialisation, phénomène inédit au regard de l'histoire de l'humanité, et qui pourrait se définir par l'explosion des échanges humains, matériels, financiers et culturels au travers de la planète. Que ce processus soit fortuit ou pas, organisé ou pas (Théorie du complot ourdi par ces quelques organisations trans-nationales telles que Trilatérale, Bildeberg, Siècle, etc.), peu importe en fait. Force est de constater qu'il s'impose à tous, occidentaux et non-occidentaux.

C'est ce que je me disais in petto et tantôt en lisant les récentes déclarations de Besson, ci-devant « ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire » de notre conducator à talonnettes... Eric Besson, ministre de l'immigration et de l'identité nationale, hier en visite dans la cité des 4000 à La Courneuve : « la France n'est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c'est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n'y a pas de Français de souche, il n'y a qu'une France de métissage »

Que ce petit monsieur, évidement soucieux de se refaire une virginité politique après avoir « trahi » les siens (comme si quelque chose séparait réellement Sarkozy de Dray ou Strauss-Kahn, ceci illustrant parfaitement l'unité idéologique de notre sinistre classe politique...) ait accepté de jeter je ne sais quel hochet identitaire pré-électoral à un peuple exaspéré est évidement pitoyable. Et cette frénésie de déconstruction Derridienne tactique rappelle celle de l'ineffable ogresse Aubry qui déclarait il y a peu sur RTL : « Nous pensons que l'identité de la France n'est pas ethnique, pas culturelle, pas religieuse. »

Besson, comme Aubry, reprennent évidemment à leur compte la définition élargie de la nation selon Renan ou Fustel de Coulanges, i e la nation, au-delà de ses aspects ethniques, culturels, socio-historiques, religieux, linguistiques, géographique, est avant tout la conscience d'une histoire commune et la volonté de vivre ensemble. Ou l'optique purement contractuelle d'un Rousseau et son contrat social. Et pourquoi pas ? Ce qui me gène au fond est cette volonté farouche de faire l'impasse, tout au moins de minimiser, [sur] l'importance de facteurs hérités définissant l'enracinement de tout individu dans une culture, un groupe humain, une langue, une histoire et structurant son identité. Cette volonté de transcender (pour la déconstruire) cette appartenance héritée socio-historique, voire ethnique (Fichte),  au profit d'une appartenance volontaire, civique, hors-sol.

« Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. «Consulter les populations, fi donc ! quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d'une simplicité enfantine». - Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. » (Renan Ernest (1823-1892) : Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882)

En admettant le bien-fondé de l'acception identitaire volontariste de Renan, il me semble, comme Renan le dit lui-même, que la cohérence de ce bel assemblage idéologique (et le sophisme de nos modernes) réside précisément dans la volonté d'« avoir des gloires communes dans le passé », dans la conscience « d'avoir fait de grandes choses ensemble » et dans la volonté de se projeter ensemble dans l'avenir en tant que peuple. Or ce sont précisément ces conditions qui définissent le projet identitaire national a minima de nos modernes qui me paraissent faire défaut, en ces temps de concurrence mémorielle et victimaire, de communautarisme exacerbé, de discrimination positive (reconnaissance du fait communautaire) et de Balkanisation de notre continent.

Au fond, j'ai l'impression que nos modernes zélotes, dépassés (ou inconscients de) par l'ampleur des transformations culturelles, démographiques, ethniques, induites par ce mouvement de globalisation planétaire et sans prise sur le cours des choses, en sont réduits à vendre à qui veut bien cette vulgate multiculturelle qu'ils savent dangereuse et caduque, faute de meilleur moyen d'exister. Sorte d'emplâtre idéologique dérisoire destiné à apaiser les outrances répétées faites aux peuples impuissants.

Mais, comme le dit  Renan, « Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. »

Exemple:

"Lu sur Respect Magazine : Lilian Thuram, François Durpaire, Rokhaya Diallo, Marc Cheb Sun et Pascal Blanchard vont lancer mercredi 20 janvier L'Appel pour une République multiculturelle et postraciale.

Les 5 auteurs ont réuni 100 personnalités pour 100 propositions «pluricitoyennes» parmi lesquelles Esther Benbassa, Richard Descoings, Valérie Pécresse, Christiane Taubira, Michel Wieviorka, Rama Yade ..."

(pépite trouvé chez Chute finale)

En passant.

04/05/2009

on ne sert pas deux maîtres

ConstantineVision.jpg« Le triomphe du christianisme fut l’anéantissement de la vie civile pour mille ans. L’islamisme ne fit qu’appliquer le même principe. La mosquée, comme la synagogue et l’église, est le centre de toute vie. Le Moyen Age, règne du christianisme, de l’islamisme et du bouddhisme, est bien l’ère de la théocratie. Le coup de génie de la Renaissance a été de revenir au droit romain, qui est essentiellement le droit laïc, de revenir à la philosophie, à la science, à l’art vrai, à la raison, en dehors de toute révélation.

Ainsi, à mesure que l’Empire baisse, le christianisme s’élève. Durant le IIIème siècle, le christianisme suce comme un vampire la société antique, soutire toutes ses forces et amène cet énervement général contre lequel luttent vainement les empereurs patriotes. Le christianisme n’a pas besoin d’attaquer de vive force, il n’a qu’à se refermer dans ses églises. Il se venge en ne servant pas l’Etat, car il détient presque à lui seul, des principes sans lesquels l’Etat ne saurait prospérer. La cité et l’Etat ne s’accommoderont plus tard avec le christianisme qu’en faisant subir à celui-ci les plus profondes modifications.

Le chrétien des origines est embarrassé, incapable quant aux affaires du monde ; l’Evangile forme des fidèles, non des citoyens. Il en fut de même pour l’islamisme et le bouddhisme. L’avènement de ces grandes religions universelles mit fin à la vieille idée de patrie ; on ne fut plus Romain, Athénien ; on fut chrétien, musulman, bouddhiste ; Les hommes, désormais, vont être rangés d’après leur culte, non d’après leur patrie, ils se diviseront sur des hérésies, non sur des questions de nationalité.

Voila ce que vit parfaitement Marc Aurèle, et ce qui le rendit si peu favorable au christianisme. L’Eglise lui parut un état dans l’état. « Le camp de la piété », ce nouveau « système de patrie fondée sur le Logos divin », n’a rien à voir avec le camp romain, lequel ne prétend nullement former des sujets pour le ciel. L’Eglise, en effet, s’avoue une société complète, bien supérieure à la société civile ; le pasteur vaut mieux que le magistrat. L’Eglise est la patrie du chrétien, comme la synagogue est la patrie du juif ; le chrétien et le juif vivent dans le pays où ils se trouvent comme des étrangers. A peine, même, le chrétien a-t-il un père et une mère. Il ne doit rien à l’empire et l’empire lui doit tout.

Le plus important des devoirs civiques, le service militaire, les chrétiens ne pouvaient le remplir. Ce service impliquait, outre la nécessité de verser le sang, qui paraissait criminelle aux exaltés, des actes que les consciences timorées trouvaient idolâtriques. Il y eut sans doute plusieurs soldats chrétiens au IIème siècle ; mais bien vite l’incompatibilité des deux professions se révélait, et le soldat quittait le ceinturon ou devenait martyr. L’antipathie était absolue ; en se faisant chrétien, on quittait l’armée. « On ne sert pas deux maîtres », était le principe sans cesse répété. La représentation d’une épée ou d’un arc sur une bague était défendue. «C’est assez combattre pour l’empereur que de prier pour lui. » Le grand affaiblissement qui se remarque dans l’armée romaine à la fin du IIème siècle, et qui éclate surtout au IIIème siècle, a sa cause dans le christianisme. Celse aperçut ici le vrai avec une merveilleuse sagacité. Le courage militaire qui, selon le Germain, ouvre seul le Walhalla, n’est point par lui-même une vertu aux yeux du chrétien. S’il est employé pour une bonne cause, à la bonne heure ; sinon, il n’est que barbarie. Certes, un homme très brave à la guerre peut être un homme de médiocre moralité ; mais une société de parfaits serait si faible !

Pour avoir été trop conséquent, l’Orient chrétien a perdu toute valeur militaire. L’islam en a profité, et a donné au monde le triste spectacle de cet éternel chrétien d’Orient, partout le même malgré la différence des races, toujours battu, toujours massacré, incapable de regarder en face un homme de guerre, offrant perpétuellement son cou au sabre, victime peu intéressante car elle ne se révolte pas et ne sait pas tenir une arme, même quand on la lui met dans les mains. »

 

Ernest Renan, Histoire des origines du christianisme.