12/01/2014
J'écris et mes larmes coulent à flots
"Les troupes sont en marche. L'humeur est plus gaie. « Eh, si seulement on allait jusqu'à Kiev. » Un autre : « Eh, j'irais bien jusqu'à Berlin. » Pris sur le vif : un point d'appui défensif mis sens dessus dessous par un char. Un Roumain sur lequel et passé un char, aplati. Son visage est comme un bas-relief. A côté de lui, deux Allemands écrasés. Au même endroit, l'un des nôtres gît dans la tranchée, à demi écrasé.
Des boites de conserve, des grenades, des « citrons » (grenades à main), une couverture tachée de sang, des pages de magazines allemands. Nos soldats sont assis là, au milieu des cadavres, ils font bouillir dans un chaudron des morceaux de viande découpés sur un cheval tué et tendent vers le feu leurs mains gelées.
Sur le champ de bataille, côte à côte, un Roumain tué et un des nôtres, également mort. Le Roumain a sur lui une feuille de papier et un dessin d'enfant : un petit lapin et un bateau. Le nôtre a une lettre : « Bonjour et peut-être bonsoir. Coucou petit papa... » Et la fin de la lettre : « Revenez mon petit papa, parce que sans vous on rentre à la maison comme si c'était une autre maison. Sans vous je m'ennuie ferme. Venez, que je puisse vous voir, ne serait-ce qu'une heure. J'écris et mes larmes coulent à flots. (...) Signé : votre fille, Nina. »"
(Vassili Grossman, Carnets de guerre, Stalingrad, novembre 1942)
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