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13/03/2012

festivus contre l'ordre moral

 

« De nombreux militants de gauche s’insurgent encore contre la famille autoritaire, le moralisme anti sexuel, la censure littéraire, la morale du travail et autres piliers de l’ordre bourgeois, alors que ceux-ci ont déjà été sapés ou détruits par le capitalisme avancé. Ces radicaux ne voient pas que la personnalité autoritaire n’est plus le prototype de l’homme économique. Ce dernier a lui-même cédé la place à l’homme psychologique de notre temps -dernier avatar de l’individualisme bourgeois. » (C. Lasch, La culture du narcissisme, éd climats, 2000, p 24)

Suis souvent surpris par le grand écart idéologique (qu'incarne à merveille ce pauvre Hazan et ses clônes modernes) que font les plus fervents promoteurs des théories pédagogistes et novatrices au sein de l’Education Nationale –nos amis du désastre scolaire que Brighelli dans son blog épingle si bien, en patient entomologiste du monde scolaire qu’il est.

Je dis grand écart idéologique car, sur le fond, il me semble que la plupart des bonnes consciences progressistes –de gauche comme de droite- ne voient pas la contradiction fondamentale qu’il y a à vomir quotidiennement le libéralisme économique d’un côté tout en adoubant, de l’autre, des théories éducatives et des principes anthropologiques qui ressortent directement de l’individualisme le plus libéral ("leulibéralisme culturel" pour notre ami Marchenoir)

Je m’explique. Le contraste entre les moyens énormes mis au service de l’institution scolaire et les résultats dramatiques de la même institution montent assez bien à quel point –et contrairement à la rhétorique pavlovienne des syndicats d’enseignants ("de gauche" c'est-à-dire les plus acharnés à saper les piliers de l'institution au nom du Progrès et de la célèbre "lutte contre toutes les formes de discriminations") sur le manque de postes et de moyens- il s’agit plus d’une crise civilisationnelle que d’une simple histoire de budget.

Au sens ou si l’école a changé, en mal, sous les coups des Lang, Meirieu, Langevin, Freinet, Bayrou et autres Bourdieu, adeptes de l’élitisme pour tous et de la massification de la culture, la société aussi.

La famille moyenne qui envoyait ses gamins les yeux fermés à l’école publique du quartier dans les années 50 ou 60 pour y acquérir, non pas une éducation qui était assurée par les parents, mais une instruction, n’est plus la famille d’aujourd’hui qui se décharge largement de son rôle éducatif sur l’institution qui, parallèlement, est de moins en moins à même d’assurer son devoir d’instruction.

Quels parents envoient aujourd’hui les yeux fermés leurs gamins à l’école du quartier ? Une minorité sans doute par aveuglement ou culte du métissage social…La majorité des parents n’ont plus confiance dans l’institution. Perte de légitimité et contestation du bien fondé de principes éducatifs impersonnels qui, jusqu’alors, paraissaient évidents à presque tous. Remise en cause du contenu et des méthodes. Pourquoi apprendre ? Quels savoirs ? Pour qui ? Les mêmes pour tous ? Ne faut il pas individualiser l’enseignement, mettre l’enfant au cœur du système ? L’aider à construire lui-même son savoir ? Respecter ses droits ? Rendre le savoir attractif ? Aller vers l’enfant ? Cesser de demander aux enfants de faire l’effort d’acquérir ce savoir ?

A bien considérer les choses, ce primat de l’individu –de l’élève- par rapport à la communauté, cette survalorisation de droits individuels ( apprendre, à construire son savoir, à bénéficier d’un enseignement individualisé et attractif, récusation de l’autorité, etc.) au détriment des devoirs de l'enfant (respect de l’autorité, de la figure du professeur, du savoir, humilité et reconnaissance devant ce travail d’individuation et de civilisation nécessaire voulu et organisé par la communauté), cette auto régulation des comportements (qui rappelle l'auto-régulation des marchés, la célèbre main invisible d'Adam Smith), ne sont que les manifestations les plus évidentes de cet individualisme libéral qui est aujourd’hui le credo de nos sociétés occidentales. Pour le meilleur, comme pour le pire.

Au delà de cette contradiction –féconde pour ceux qui veulent bien s’y arrêter- entre la lecture d’Alternatives économiques et le devoir de vigilance citoyen à l’égard des droits de l’élève dans l’institution scolaire, tout cela me semble traduire une confusion générale sur la nature de l’école et sur les rapports entre l’individu –enfant- et la société en tant que communauté.

Christopher Lasch dans les années soixante dix, se posant la question de la compatibilité d’une éducation de masse et du maintien d’un enseignement de qualité, avait démystifié ce chaos moderne en montrant la convergence de vue entre conservateurs partisans d’un enseignement élitiste et jugeant préjudiciable au maintien d’une excellence scolaire l’ouverture de l’école au plus grand nombre et radicaux qui justifient l’abaissement du niveau d’enseignement au nom de l’émancipation culturelle des opprimés.

Pour autant, Lasch faisait le constat d’un abaissement du niveau éducatif dans les lieux mêmes d’excellence (Yale, Princeton, Harvard), assez réfractaires par nature, au dogmes égalitaristes. Et faisait l’hypothèse que cette évolution inquiétante était propre aux sociétés industrielles avancées, celle-ci n’ayant plus nécessairement besoin d’individus brillants autonomes et critiques, mais plutôt de sujets moyens, relativement abrutis, capables d’effectuer un travail moyennement qualifié et de se comporter en bons consommateurs…Connivence des acteurs économiques et politiques pour laisser filer l’enseignement de la littérature, de l’histoire, des sciences politiques et da philosophie, peu nécessaires à l’accomplissement consumériste et festif de l’homme moderne.

Avec pour résultat que l’éducation de masse, qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, avait fini par abrutir les privilégiés eux mêmes. On retrouve ce type d’analyse chez Renaud Camus lorsqu’il parle de la prolétarisation des classes moyennes et du corps professoral.

Ainsi, contrairement à l’esprit de l’institution qui était de former des citoyens éclairés capables de se diriger eux-mêmes, il semble que le système ne soit plus capable –hors quelques filières d’excellence soigneusement épargnées à dessein- que de produire des générations d’abrutis incultes et pour beaucoup analphabètes, tout juste aptes à obéir servilement aux campagnes promotionnelles, à opiner aux sommations d'une expertocratie auto proclamée et omni présente, et à célébrer comme il se doit l’avènement de cette société du Spectacle de masse dont parlait Debord.

Pourquoi, en effet, dans la perspective utilitariste d’efficacité et de rendement ou de retour sur investissement de nos modernes élites, perdre du temps et de l’argent à enseigner l’histoire ou la littérature à des individus massivement destinés à des emplois peu qualifiés et peu exigeants intellectuellement ? Pourquoi former de bons citoyens éclairés et autonomes lorsque des abrutis grégaires et festifs feront tourner la machine aussi bien –sinon mieux- et ferons de bons consommateurs ?

Et à cette prolétarisation globale des sociétés industrielles, la bureaucratie éducative progressiste à front de taureau répond en produisant à jet continu de nouveaux programmes scolaires revus à la baisse, peu exigeants, axés sur la socialisation des enfants, les activités transversales ou extra scolaires destinées, non plus à les instruire, mais à les occuper.

« Il fut un temps où ce qui était supposé menacer l'ordre social et les traditions civilisatrices de la culture occidentale, c'était la révolte des masses. De nos jours, cependant, il semble bien que la principale menace provienne non des masses, mais de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie. Dans une mesure inquiétante, les classes privilégiées -les 20% les plus riches de la population, pour prendre une définition large- ont su se rendre indépendantes non seulement des grandes villes industrielles en pleine déconfiture mais des services publics en général. Elles envoient leurs enfants dans des écoles privées, elles s'assurent contre les problèmes de santé en adhérant à des plans financés par les entreprises où elles travaillent et elles embauchent des vigiles privés pour se protéger contre la violence croissante qui s'en prend à elles. Elles se sont effectivement sorties de la vie commune.Les mêmes tendances sont à l'oeuvre dans le monde entier. En europe, les référendums qui se sont tenus sur la question de l'unification ont révélé une faille profonde et qui va en s'élargissant entre le monde politique et les membres plus humbles de la société qui redoutent que la CEE ne soit dominée par des bureaucrates et des techniciens dépourvus de tout sentiment d'identité ou d'appartenance nationale. Une Europe gouvernée de Bruxelles sera de leur point de vue de moins en moins sensible au contrôle des peuples. Le langage international de l'argent parlera plus fort que les dialectes locaux. Ce sont ces peurs qui sont sous-jacentes à la résurgence des particularités ethniques en Europe, tandis que le déclin de l'Etat-nation affaiblit la seule autorité capable de maintenir le couvercle sur les rivalités ethniques. Par réaction, la renaissance du tribalisme renforce le cosmopolitisme chez les élites. » (Cristopher Lasch, La révolte des élites, 1996)

« En septembre 1995, 500 hommes politiques et dirigeants économiques de premier plan s’étaient réunis à San Francisco sous l’égide de la Fondation Gorbatchev pour confronter leurs vues sur le monde futur. La plupart tombèrent d’accord pour affirmer que les sociétés occidentales étaient en passe de devenir ingérables et qu’il fallait trouver un moyen de maintenir par des procédés nouveaux leur sujétion à la domination du Capital. La solution retenue fut celle proposée par Zbigniew Brzezinski sous le nom de tittytainment. Par ce terme plaisant, il fallait entendre un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » (Alain de Benoist (6 juillet 2009)

"Johnny a dit à Adeline: "Ah que c'est chouette!""

 

Commentaires

Je pense que l'education nationale est un peu moins "gauchiste" (Ils sont confrontés a certains problèmes qui peuvent engendrer le doute...), et que le syndicalisme s'y apparente de plus en plus a du corporatisme.

Le feodalisme de retour au grand galop sinon, comme d'habitude...

Écrit par : JÖ | 13/03/2012

Tiens, le prof barbu me fait penser à mon prof d'histoire de Première qui nous déroulait son refrain sur la supériorité morale de la gôche en toute occase. C'était l'année où le gros menhir breton avait dit que l'ocupation allemande avait pas été si dure que ça, le camarade professeur s'était emporté en disant "faudrait vraiment qu'il se taise, l'aligner contre un mur, chais pas...". Le F-Haine comme nazi no pasaràn, j'veux dire quoi.

http://www.youtube.com/watch?v=k_lmzCde5NE

Écrit par : ClockworkBlack | 14/03/2012

" On n'apprend rien à un enfant qu'il ne sache déjà !".(Meyrieu)
Et on meurt guéri.

Écrit par : Boutros | 14/03/2012

"la famille d’aujourd’hui qui se décharge largement de son rôle éducatif sur l’institution qui, parallèlement, est de moins en moins à même d’assurer son devoir d’instruction."
C'est vrai, mais faut voir pourquoi. D'un coté, dans la plupart des cas, les 2 parents travaillent donc il leur est impossible de suivre l'education de leur enfant qu'ils ne voient que tard le soir, le matin pour leur dire de se depecher et le mercredi apres-midi pour leur servir de chauffeur entre les diverses activités. Le week-end sert, 1 cas sur 2 maintenant, à balotter les gosses entre les 2 parents separés...qui en profitent pour jouer au grand-parent gateux ou à la nounou, mais surtout pas à une education suivie.
D'un autre coté, on a aussi la baisse de niveau des parents eux-memes qui sont incapables de suivre leur gamin passé la 6eme. Aujourd'hui les parents sont des enfants de mai 68, des produits de la methode globale, des purs produits du desastre.

"Connivence des acteurs économiques et politiques pour laisser filer l’enseignement de la littérature, de l’histoire, des sciences politiques et da philosophie, peu nécessaires à l’accomplissement consumériste et festif de l’homme moderne"

C'est tellement juste!
regardez comme le bac scientifique est monté au pinacle au detriment du bac litteraire, reservé aux eleves moyens...dire que mon grand-pere a fait sa medecine avec du latin et du grec, et si peu de math...mais on veut reellement empecher les enfants de reflechir, d'autant plus que meme le niveau des math a baissé et le programme a changé pour oter toute logique. C'est surtout la logique qui ennuie nos dirigeants, elle permet aux gens de comprendre trop de choses, d'analyser, c'est pourquoi on supprime les monstres seances d'analyse logique, grammaticale et les problemes casse-tete qu'on faisait autrefois dès la classe de CE1. On essaye bien de les faire lire le plus possible pour acquerir un peu d'orthographe, on cache la misere derriere d'autres leçons nouvelles donnant l'illusion d'une grande culture, mais l'architecture etant rognée à l'extreme, les murs de tiennent pas: les enfants ne retiennent pas grand chose.

Et vous comment gerez-vous l'instruction de vos 4 enfants, Hoplite?
moi je n'ai pas trouvé mieux que l'ecole à la maison, par correspondance, mais quelle ascese!! 6 niveaux du ce2 à la 3eme...s'il y a de bonnes idées, je suis preneuse.

Écrit par : sonia | 16/03/2012

@ sonia
il est vrai que le niveau des parents ne cesse de baisser
enfin...pas pour tous, pas partout...
et que les études littéraires sont le parent pauvre de l'éduc nat'
quoique ce soit pas forcement vrai non plus
mais les humanités dérangent
fortement
le problème réside dans la phrase de début "une massification de l'élitisme"
contradiction dans les termes, oxymore qui fait mal
en fait , ce qui tue l'enseignement c'est la massification
qu'il y aie autant de cons parmi les gosses
ou de semi débiles
bref vous l'aurez pigé , je reste élitiste , la seule façon de se préserver
vous parlez de votre papi , médecin avec du grec et du latin? le mien tout pareil ( du moins je crois , mais c'était quasi obligé à l'époque...il y avait deux bacs , philo et math'élèm , sciences ex' n'est apparu que dans l'après guerre -d'ailleurs mon père et ma mère ont tous deux eu le bac philo, mon père juste avant guerre , ma mère , un peu après)
concevez tout de même que ce serait cocasse de sélectionner un médecin à l'heure actuelle sur ce genre de critères
je sais car j'ai participé à la sélection de mes futurs chose-frères ( et oui, j'ai enseigné, brièvement, l'anatomie , bref)
non, le problème majeur de l'enseignement ,c'est à la fois sa massification qui exclue de facto sa diversification et d'autre part sa volonté affichée d'être à la carte pour tous
contradiction ontologique
d'un coté une éducation pour tous , républicaine et démocratique , donc
d'un autre , une éducation de petit prince, avec Habsolument TOUTES les matières enseignées
du français ( moindre de choses, je sais , mais de moins en moins)au flec , c'est à dire le...cinéclub !
des maths aux ....tpe ( travaux personnels encadrés , plébiscités par les profs , rien à préparer , que des foutaises à relire, ça fait pas bobo à tête)
de l'angliche ( après tout...la langue de l'occupant , donc...)à ....l'espéranto
et encore, ma marmaille ayant traîné dans l'enseignement confessionnel ( quoique je sois athée jusqu'à la moëlle des os) et en étant sortie depuis un moment , je suis peut être plus à jour
enfin, il est vrai qu'une éduc nat' qui fabrique tant de diplômés par an qui se retrouvent au chômage...ça veut dire quelque chose sur à la fois le chômage, les diplômes , les diplômés et les diplômeurs , non ?

Écrit par : kobus van cleef | 16/03/2012

Bernard Lugan considère que l'université est aussi fichue pour l'essentiel aujourd'hui, a cause des tares que vous evoquez, il a ce mot:

"Voilà ce qui se passe quand on laisse le "bas clergé" gerer ce qu'il est incapable de gerer par essence..."

Écrit par : JÖ | 16/03/2012

Alors là !

C'est exactement ça :

http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2012/03/05/mettre-les-profs-au-travail-disent-ils.html#more

Les commentaires sont intéressants aussi (lire celui sur les heures sup)

Écrit par : Carine | 16/03/2012

oui, j'aime bien Brighelli: une bonne dose de bon sens. ça fait tâche au milieu des pitres et amis du désastre éducatif..

quand au fond des réformes proposées, c'est toujours la même erreur: vouloir régler des problèmes avec des outils inadaptés; l'instruction et l'éducation appartiennent à un champ d'action humain qui n'a que peu à voir avec l'imaginaire de rentabilité et de retour sur investissement de nos modernes VRP..

Écrit par : hoplite | 17/03/2012

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