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17/03/2007

Pourquoi les Français ont-ils peur?

Une réflexion passionnante d'Alain Besançon parue dans commentaire (COMMENTAIRE, N° 112, HIVER 2005-2006), et rapportée par rogémi, lecteur érudit de ce blog.

"On dit que les francais ont peur devant l’Europe et devant les grandes réformes, que tous déclarent indispensables. Je veux essayer de présenter quelques remarques historiques très générales qui expliquent peut-être pourquoi les francais sont rarement rassurés. Mon exposé , hautement subjectif, n’aura rien de systématique.

Parcourons au Louvre la galerie des portraits francais. Au XVI° siècle, ils sont galants et belliqueux. Au XVII°, graves, empesés, solennels. Au XVIII° , le sourire et la détente reviennent. C’est le temps où le visage francais retrouve ses traits propres, l’œil gris, le teint clair, un air de malice ou de gentillesse. Il a l’air tranquille, paisible comme le sont les visages américains des photographies d’aujourd’hui qui reflètent l’allure d’un peuple bien traité. Dans les portraits de David, les traits se durcissent. Dans ceux de Géricault, Courbet, Millet, les expressions deviennent tristes, sombres, inquiétes. A la fin du siècle, on note une grande diversité entre les traits torturés de Lautrec et l’euphorie de Renoir. Tout ceci pour dire que même le Bon Dieu n’a pas toujours été heureux en France.

Les expulsions

La monarchie absolue, c’est à dire l’Etat rationnel, administratif, hiérarchique, centralisé, n’avait pas contribué à égayer les Français. Cet Etat était né de la guerre de religion et avait dû s’élever très haut au-dessus de ses sujets sous Henri IV, Louis XIV, pour les empêcher de s’égorger. La guerre de religion s’était quand même souterrainement poursuivie, jusqu’à la Révocation, où pour la première fois l’Etat rendit la vie impossible à une partie de ses sujets, pour finalement les exproprier et les expulser. Cent ans après, l’Etat révolutionnaire réemploya le même systéme de droit pour rendre la vie impossible, exproprier et expulser à peu près le même nombre de citoyens, 200 000. Il recommenca un siècle plus tard, et fit sortir de France, après avoir confisqué leurs biens, 50 000 religieux et religieuses. Vichy rendit la vie impossible, spolia, abandonna 200 000 juifs, et trouva des juges pour mettre ca en forme et des fonctionnaires pour l’exécuter. Cette séquence est remarquable et on ne la trouve qu’en France. On peut se demander si, dans le même esprit, nos gouvernements ne travaillent pas aujourd’hui à expulser les riches.
La détente que l’on constate au XVIII siècle ne vient pas d’un adoucissement, mais du démantèlement progressif de l’Etat monarchique. Les Français, sauf ordre ecclésiastique, n’avaient toujours droit à aucune représentation, à aucun système de consultation. Cet Etat fut rétabli, sous la forme républicaine et impériale, avec une brutalité et des moyens d’action dont Louis XIV n’avait jamais disposé. Le grand événement de la Revolution me paraît avoir marqué le caractère francais à cause des circonstances suivantes.

La Révolution

Dans une société aimable, policée, sensible, au point qu’elle était à peu près dépourvue de forces de l’ordre, ce fut soudain une explosion parfaitement inattendue de violence. Dès 1789 on promena des têtes sur des piques, on brûla des châteaux, on pilla les églises, on fit donner l’artillerie contre les paysans. Deux ans plus tard commenca un épisode tel qu’il se compare localement à la Révolution russe. Sur les trois départements touchés par l’affaire vendéenne, un tiers de la population fut exterminé. Lyon est condamné à disparaître. La guillotine est élevée dans tous les départements. Au 9 thermidor, 300 000 Français se trouvaient enfermés dans des conditions carcérales les plus épouvantables. Ils étaient promis à la mort, si l’accident du 9 thermidor n’était pas intervenu. Cette date où pour la premiére fois depuis 1789 la France avait connu un jour de chance, dans la mesure où un complot d’assassins contre d’autres assassins avait mis fin miraculeusement à l’extermination, ne cesse d’être considérée dans la plupart de nos manuels scolaires comme un jour malheureux. La fin de l’utopie et du massacre idéologique n’est pas fêtée, bien au contraire, au lieu que son début, le 14 juillet, est devenue notre fête nationale.

En effet, depuis 1792, l’idée utopique, révolutionnaire, terroriste, continue d’attirer une portion de la population francaise et d’exprimer 10 à 20 % du corps électoral. Bien mieux, elle s'est manifestée dans des explosions de violence qui ont rythmé notre vie politique. Entre 1830 et 1832, l'émeute a été presque quotidienne à Paris. Les barricades se sont dressées en 1848 et pour les démolir il fallut faire 10000 morts. 20 000 en 1871. On sait que la Commune, en brûlant l'hôtel de Ville, détruisit presque la moitié des archives de la France. Que le pétrole avait été répandu dans le musée du Louvre et que le pompier qui avait empêché l'incendie fut fusillé. Que si les internes de l'Hôtel-Dieu n'avaient pas dispersé le bûcher entassé dans Notre-Dame, nous aurions eu à construire une autre cathédrale. Ce qui fait que la Commune est enseignée à nos enfants comme un des plus glorieux épisodes de notre histoire et que, dans Paris, des plaques récemment posées par le président Poncelet la célèbrent. 1936 fut débonnaire, mais point la Libération, puisque environ 10000 Français furent mis a mort hors des tribunaux réguliers en quelques mois, ce qui se compare aux 20000 fusillés par l'armée allemande pendant les quatre ans d'occupation. La ligne rouge, en 1968, miraculeusement ne fut pas franchie. Mais le langage soixante-huitard était fidèle à la rhétorique révolutionnaire la plus violente. 1995 menaça de tourner au recommencement. Depuis, tous nos gouvernements marchent sur des œufs. Ceux de gauche parce qu'ils doivent s'appuyer sur leur base sectionnaire. Même s'ils appartiennent aux éléments les plus thermidoriens du Parti socialiste, ils paient tribut à la même rhétorique. Ceux de droite, parce qu'ils ne se sentent pas sûrs de leur légitimité, intériorisent en partie la sacralisation de nos récurrences révolutionnaires telle qu'ils l'ont apprise à l'école.

Le déclassement

Depuis l'écroulement de l'URSS, le noyau révolutionnaire français s'est débarrassé du lourd handicap d'être associé au mouvement communiste mondial et d'être piloté par des équipes soviétiques. Du coup, l'esprit révolutionnaire a été rapatrié sur et dans l'histoire de France, et il peut plus facilement se mélanger au nationalisme, comme d'ailleurs il avait toujours fait. Maintenant, on ne peut plus le taxer, comme fit Léon Blum, de nationalisme étranger. Le communisme, comme l'a fort bien écrit Marc lazar, reste une passion française.
Après le traumatisme de la Terreur, après l'incrustation d'un noyau révolutionnaire de tradition jacobine ou hébertiste, un troisième héritage nous vient de la Révolution française : le déclassement, ou le sentiment du déclassement, de la nation française. En une vingtaine d'années, la guerre, par nous déclarée en 1792, a coûté environ 1 500 000 morts. Le choc démographique est comparable à celui de la guerre de 14. Au sortir de laquelle guerre la France fut reléguée à la seconde place, puis bientôt à la troisième, après l'Allemagne, à la quatrième, après la Russie. Depuis 1815, la France dans son existence nationale est virtuellement en danger au milieu de voisins plus puissants qu'elle. Nouveau motif de peur.
On ne pouvait pas ne pas faire la Révolution française. Dans toute l'Europe, le passage de l'Ancien au nouveau régime a été une énorme affaire qui s'est étalée chaque fois sur une centaine d'années. Le malheur français fut que cette inévitable transition fut particulièrement coûteuse et laissa des séquelles qui ne passent pas. Comparons avec nos voisins.
En Angleterre, la révolution a duré environ de 1640 à 1715. Mais elle s'est effectuée dans une période pré-idéologique et elle se donnait pour but non la révolution à partir d'une table rase mais la restauration d'un État de droit prétendument violé par la monarchie. L’Angleterre a fait sa révolution en lui tournant le dos. Une révolution suppose le renversement de l'Église catholique, le renversement de la monarchie, le renversement de la noblesse. Le premier point de ce programme a été effectué au XVI° siècle par Henri VIII et Elisabeth, le second au XVII° siècle par Cromwell et le troisième n'est toujours pas accompli. La France a tout liquidé en quelques semaines. Enfin, la révolution a coïncidé avec la montée prodigieuse de la puissance anglaise, et en France, avec son déclin. Si bien que, outre les blessures laissées par la persécution religieuse et l'effacement de la noblesse, la France contre-révolutionnaire eut encore à pleurer sur sa décadence.
En Allemagne, le même processus a duré de 1848 à 1945. L’épisode hitlérien qui le couronne a été le plus catastrophique de tous. Mais le désastre a été si grand, le déshonneur si profond que la mémoire allemande en a été comme effacée. Elle n'est pas divisée ni déchirée comme est la nôtre. Sur la table rase, ou plutôt rasée, la démocratie voulue dès 1848 s'est installée en 1945 dans la plus calme unanimité.
La révolution espagnole commence 1875 et se résout à la mort de Franco en 1975. Les buts révolutionnaires ont été atteints. Le nouveau régime démocratique marche comme une horloge. C'est qu'il n'a pas été implanté par les révolutionnaires, mais par leurs adversaires, les conservateurs plus ou moins libéraux qui avaient gagné la guerre civile. Comme tout le monde profite désormais de la liberté et de la démocratie, tout le monde est content. Franco avait encore sa statue équestre à Madrid. On vient seulement de l'ôter.
Dans les trois exemples, l'issue de la révolution a été la stabilisation de la vie politique, la solution de son problème. La révolution Française n'a pas résolu le problème politique français.
II faut maintenant regarder pourquoi le Français des XIX° et XX siècles a peur en dehors même des turbulences déjà signalées.

La propriété et le droit

La pacification des Français ne fut obtenue, ainsi qu'après les guerres de religion, que par l'érection d'un Etat relativement indépendant des citoyens et muni d'une considérable capacité de coercition. L’Etat napoléonien renouvela ce type de pouvoir. Il assurait l'ordre, l'égalité devant la loi, une administration rationnelle. Il ne considérait pas que la liberté fût son premier souci, en conformité d'ailleurs avec les passions françaises qui n'étaient pas tournées de ce côté mais vers l'égalité. La protection des droits fit des progrès avec des hauts et des bas, surtout dans les années bénies de la république orléaniste et opportuniste. Mais des progrès lents, en général en retard sur le rythme de l'Europe du Nord.
La propriété en France a été peu respectée. J'ai parlé de la spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations, des Juifs. Il faut aussi se souvenir que la Révolution s'est établie et consolidée sur un colossal et en grande partie illégal transfert de propriété. L’intangibilité des biens nationaux plus ou moins volés s'est imposée à tous les régimes et une mesure de simple justice, comme le milliard des émigrés, a été violemment contestée par toute la gauche comme un abus monstrueux. Les Tchèques, les Polonais ont montré plus de respect pour la propriété, après cinquante ans d'expropriation communiste. La propriété de mainmorte, c'est à-dire le droit de créer des fondations, des trusts à la manière anglaise et américaine, n'a jamais été acceptée par l'Etat français. Notre État n'admet que la propriété individuelle et la propriété d'État, il ne veut pas que ses sujets établissent des noyaux de propriété stable et donc de liberté parce qu'ils échappent à son contrôle. Que mon ancien collège d'Oxford vive encore largement sur les biens que lui a légués l'archevêque Chichely, au lendemain de la bataille d'Azincourt, n'est pas une chose concevable dans mon pays où les biens de l'Université de Paris ont été nationalisés même temps que tous les biens des corporations et ceux de l'Eglise.
L'influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens de la délégitimation de la propriété individuelle. Le droit de propriété n'est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au travail, à l’emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété sont manifestes, reçoit en revanche une garantie. «Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.» Ce passage du préambule sonne assez «démocratie populaire». La passion de l'égalité qui est au fond de l'humeur politique française rend très difficile à l'homme riche de jouir publiquement de sa richesse, comme le font les Italiens et les Anglais fortunés. Il sait que s'il n'appartient pas au monde du show business ou du sport, il lui est conseillé de rouler en Peugeot plutôt qu'en Rolls ou en Jaguar. En France, si j'ose paraphraser Baudelaire, les riches, les pauvres riches ont de grandes douleurs.
Comme la propriété est le fondement du droit, la faiblesse de la première fait aussi l'incertitude du second. Les Français n'ont jamais été convaincus de l’ indépendance de leur justice. Et puisque dans leur histoire récente ils ont observé que les juges sanctionnaient des mesures iniques, ou bien que l'État épurait de temps en temps la magistrature, comme il l'a fait en grand dans les débuts de la République radicale, ils ont tendance à penser qu'il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice. Et encore moins à la police, qui jusqu'à une date récente manquait souvent de douceur, soit pour contenir les manifestations, soit derrière les grilles des commissariats de police.


L'armée et l'école


Pendant toute la fin du XIX° siècle et presque tout le XX° siècle, la grande majorité des jeunes Français ont subi l'épreuve du service militaire. Le code militaire, fait dire Anatole France à M. Bergerey n'est qu'une compilation des ordonnances concernant les armées de Louis XIV et de Louis XV. On sait ce qu’étaient ces armées, de racoleurs et de racolés, chiourme de terre, divisée en lots qu'achetaient les jeunes nobles, parfois des enfants. On maintenait l'obéissance de.ces troupes en perpétuelles menaces de mort. Tout est changé; les militaires de la monarchie et des deux Empires ont fait place à une énorme et placide garde nationale. II n'y a plus à craindre ni mutineries ni violences. Pourtant la mort à tout propos menace des doux troupeaux de paysans et d'artisans habillés en soldats. Le contraste de ces moeurs bénignes et de ces lois féroces est presque risible.»
Contrairement à opinion répandue, l'armée allemande était beaucoup plus communautaire que la française. Les officiers mangeaient avec la troupe et veillaient à maintenir certaine Gemeinschaft favorable à l'initiative individuelle. Voilà pour le temps de paix. Mais en temps de guerre, c'est la tradition de la Révolution et de l'Empire qui continue, à savoir l'extrême prodigalité du sang des soldats. Des petites guerres, comme celle de Crimée, ou quelques guerres coloniales ont été des boucheries. Dans les quatre premiers mois de la guerre de 1914, l'armée française, assez mal armée et équipée, mais conduite par la doctrine de l'offensive à outrance, a perdu 400 000 hommes. 100 000 hommes encore dans le seul mois des combats de 1940. C'est beaucoup plus que n'en perdaient les armées allemandes dans ces mémes conflits. Je ne compare pas avec les traditions de l'armée américaine. La France a été saignée irréparablement en particulier dans ses élites. Je prie le lecteur d'aller voir le monument aux morts de l'école normale supérieure. Marcel Déat est parti en 1914 avec soixante-dix camarades. Ils sont rentrés trente-cinq. Ce que je dis n'est pas pour excuser mais pour expliquer Marcel Déat.
Enfin, il faut remarquer le caractère particulièrement sévère de l'éducation française traditionnelle, tant de l'école primaire que de l'école secondaire. Il faut désormais en parler au passé, car ce type d'éducation a disparu au moins depuis 1968. II avait l'immense mérite de former des jeunes gens instruits, habitués au travail, à la compétition. Mais il était assez rude et sombre. Comparons l'architecture de nos lycées et écoles, comparons l'emploi du temps, comparons les méthodes : je ne vois que le Gymnasium allemand qui lui soit égal quant à l'effort et à la discipline exigés de l’enfant. La crainte disciplinaire, l'angoisse devant le rendu des compositions et des devoirs ont marqué plusieurs générations de Français et jusqu'à la mienne. Les apprentis n'étaient pas mieux traités dans les ateliers où les anciens en le leur faisant rentrer dans le corps, leur apprenaient le métier.
Le fait que la Révolution française ait laissé une mémoire déchirée à la France et une légitimité fragile à tout gouvernement postérieur a donné quelque chose de hobbesien à la société française. Tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Aux peurs déjà recensées se joint donc la peur du prochain. Elle est assez forte pour expliquer ce trait qui étonne l'étranger : les Français évitent à tout prix le face à face et le dialogue direct. Ils ont peur de leur propre haine, ils craignent de ne pouvoir contrôler leur agressivité. Ils préfèrent s'en remettre à une instance tierce plus haute et finalement à l'État. La centralisation fameuse de notre pays tient en partie à cette conduite qui veut chercher au sommet un arbitre pour calmer les conflits de voisinage. Cet arbitre étant lointain, la triche demeure possible. Au contrat, qui lie loyalement deux partenaires, les Français préférent la loi, qui n'oblige pas à cette loyauté.

Quand l'Etat prend peur


Cela ne marche bien qu'à condition que l'État soit faible. C'est ce qui a fait le bonheur impressionniste dans la France de la IIIe République. Comme l'explique, dans Anatole France, le préfet républicain Worms Clavelin : « Nous avons plus de liberté, nous en avons même trop. Nous avons plus de sécurité. Nous jouissons d'un régime conforme aux aspirations populaires. Toutes les forces sociales se font équilibre. Montre-moi ce qu'on pourrait bien changer. La couleur des timbres postes, peut-être. Non mon ami, à moins de changer les Français, il n'y a rien à changer en France. Sans doute je suis progressiste. Il faut dire qu'on marche, ne fût-ce que pour se dispen¬ser de marcher.»
Mais cela ne marche plus quand on veut mettre en place partout un exécutif fort, comme il est de bonne doctrine aux Sciences Po depuis la guerre. Alors, pour lui résister, les Français s'agglutinent par catégories, communautés, groupement variés et descendent dans la rue. Cette fois, c'est l'État qui prend peur."

29/11/2006

les guerres de Vendée. Origines.

Rapport du général Francois-Joseph Westermann à la Convention le 21 décembre 1793 : 

« Citoyens républicains, il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles la n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher ; les routes sont semées de cadavres. On fusille sans cesse à Savenay, car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire ! »

Le ton est donné et cela illustre assez bien la haine absolue qu’ont pu concevoir à l’égard de cette région et de ses habitants une grande part des autorités Conventionnelles.

Durant l’été 1790 se déclenche une réaction presque unanime contre la prétention des autorités révolutionnaires de réglementer le culte catholique (Constitution civile du clergé). Elle est suivie trois ans plus tard par le refus de la conscription au service d’une armée jugée impie. En réponse à cette insurrection populaire, qui n’est pas comme on le verra, d’essence nobiliaire ou cléricale, la Convention a organisé l’extermination des Vendéens, à commencer par les femmes, ces « sillons reproducteurs », et les enfants, « de futurs brigands » et l’anéantissement de la Vendée. 770 communes deviennent hors-la-loi, et comme tels, condamnées à la « vindicte nationale » ; le nom même de Vendée cède la place au mot « Vengé »... Les bilans tant humains que matériels sont impressionnants, dramatiques. L’impensable y a été fait : tanneries de peaux humaines, fonte et récupération de graisse humaine, massacre de vieillards, de malades, d’enfants, de femmes enceintes, noyades collectives, fours crématoires, essai de mines anti personnels, etc. La Vendée a été un laboratoire grandeur nature du meurtre de masse et de l’horreur.

Ces guerres de Vendée figurent encore en 2006 parmi les tabous de notre histoire : en 1985 , un jeune historien chercheur d’origine Vendéenne, Reynald Secher, va jeter un énorme pavé dans la mare politiquement correcte de l’historiographie républicaine, et ce à la veille du bicentenaire de la révolution, en publiant un travail d’historien (thèse dont le directeur était Pierre Chaunu) nommé « Le génocide Franco-français ». Tout sera essayé pour le faire taire ou pour amoindrir la portée de ses travaux et l’atteinte faite au culte révolutionnaire  (proposition d’argent, d’honneurs, de poste à l’université, puis calomnies et rumeurs devant sa détermination !). Son obstination lui coûtera sa carrière universitaire.

Reynald Secher est une voix d’historien, crédible, parmi d’autres historiens qui présentèrent souvent (Michelet en tête) ces événements tragiques en simple massacre ou bavure, ou même légitimèrent la terreur.

En 1789, la société Vendéenne accueille globalement favorablement les débuts de la révolution, qui représente alors, comme partout, un grand espoir. La constitution civile du clergé, faisant obligation aux prêtres de jurer fidélité à la Constitution, est rejetée par toute une partie du clergé et de la population, qualifiée d’« hérétique et de schismatique » par le Pape; Elle divise profondément les Vendéens. Nombre de prêtres non jureurs doivent se cacher pour éviter l’emprisonnement ou la déportation au bagne de Guyane. Par ailleurs, en de nombreux endroits, le nouveau clergé constitutionnel n’arrive pas à s’imposer. Le mécontentement est latent. Il se transforme en insurrection en mars 1793 quand la Convention ordonne une levée de 300000 hommes pour les guerres Républicaines.

Sans sous estimer l’attachement à la royauté et le refus de la condamnation de Louis XVI dans certaines couches de la population, le refus des nouveaux pouvoirs (l’administration Républicaines et ses impôts), et plus particulièrement le rejet de la bourgeoisie locale qui à bénéficié largement de la vente des biens Nationaux et qui lève les impôts, est sans doute une cause déterminante. Ou l’on perçoit que l’hypothèse d’un complot de la noblesse et du clergé ne tient guère du point de vue historique.

La Vendée n’est d’ailleurs pas un cas isolé : nombre de provinces s’insurgent alors contre le nouvel ordre Républicain : la vallée du Rhône en particulier mais aussi Bordeaux, Toulouse, Nîmes, Lyon, etc. La France Révolutionnaire en 1793, alors en guerre contre de nombreux pays, et en proie donc à de nombreux soulèvements, paraît inventer un bouc émissaire intérieur qui sera la Vendée, avec une conjuration clérico nobiliaire  contre-révolutionnaire. Cette conception, initiée par les Conventionnels puis reprise par les historiens républicains, est encore dominante actuellement, notamment dans les manuels scolaires. La répression  fut à la mesure du danger encouru par le nouveau régime. Face à une révolte populaire, c’était toute sa légitimité « populaire » qui se trouvait mise en cause.

In fine, l’insurrection Vendéenne ne naît pas d’une cause unique, mais de multiples facteurs, tous liés à un mécontentement populaire grandissant, et non pas seulement d'une quelconque nostalgie de l’Ancien Régime. La conscription n’étant que l’étincelle finale mettant le feu aux poudres.

Le 18 brumaire an I, les conventionnels proposent même et votent l’effacement de la Vendée du tableau des départements et son remplacement par « département Vengé » ; par la suite certains lieux sont débaptisées (l’île Bouin devient l’île Marat, Noirmoutier, l’île de la Montagne, etc.) !

La pacification du pays et sa reconstruction sont l’œuvre quasi-exclusive de Hoche et de Bonaparte.

Le bilan humain est lourd : entre 120 000 (Bernet, Seycher) et 600 000 (Hoche, Chaunu) morts dans les deux camps.

Si la réalité des massacres Vendéens n’est contestée par personne, c’est le terme de génocide qui divise les historiens. Au delà de la question sémantique, c’est bien l’intention génocidaire supposée des Républicains qui fait débat.

En 1794, Gracchus Babeuf, sous la convention thermidorienne, publie un pamphlet dénonçant la terreur intitulé « Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier » évoquant un « populicide », néologisme permettant de désigner une forme de meurtre de masse manifestement inédite à l’époque. Babeuf attaque Montagnards et Jacobins et affirme que les membres du comité de salut public, autour de Robespierre, et au nom d’un idéal égalitaire auraient planifié la mort d’un grand nombre de Français (référence aux philosophes politiques du XVIII eme siècle comme Rousseau qui considéraient que l’établissement de l’égalité nécessitait une population moindre que celle de la France de l’époque).

Ecoutons Turreau : « On ferait beaucoup de chemin dans ces contrées avant de rencontrer un homme ou une chaumière. Nous n’avons laissé derrière nous que des cadavres ou des ruines », ou la Convention à l’armée de l’Ouest le premier octobre 1793 : « Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés ; le soldat de la patrie l’exige, l’impatience du peuple Français le commande, son courage doit l’accomplir », ou Francastel : « La Vendée sera dépeuplée, mais la république sera vengée et tranquille… Mes frères, que la terreur ne cesse d’être à l’ordre du jour et tout ira bien. Salut et fraternité. »

Pour autant, un décret de la convention nationale  du 1er août 1793 stipule que : « Les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et leur sûreté avec tous les égards dus à l’humanité. »

Pour certains historiens comme Michel Ragon, Carrier et Turreau ne sont que des exécutants zélés des ordres de la Convention.

Pour Alain Besançon (Le malheur du siècle, Tempus, p.126), " je propose d'accepter par convention qu'un génocide au sens propre, relativement au simple massacre, réclame le critére suivant: il faut que la tuerie ait été préméditée dans le cadre d'une idéologie se donnant pour but d'anéantir une partie de l'humanité afin de faire advenir sa conception du bien. Le plan de destruction doit englober la totalité du groupe visé, même s'il n'est pas conduit jusqu'au bout pour des raisons d'impossibilité matérielle ou de revirement politique. Le seul précédent connu pourrait bien être la Vendée, qui selon les ordres donnés par la Convention devait être "détruite" dans sa totalité. Carrier écrivait: "c'est par principe d'humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres." De fait, dans la zone de destruction, on purgea un bon quart de la population, ce qui est proche des performances du XXème siècle."

 

Au fond la question reste : comment un pays, une région, un peuple, satisfait en 1789 de voir s’écrouler l'ordre ancien, est-il si vite passé de l’autre bord ?

Quelques livres indispensables :

-         JC MARTIN ; La Vendée et la France 189-1799 Seuil 1987.

-         GERARD ; La Vendée 1789-1793 Champs vallon 1992

-         R SECHER ; le génocide franco-français, Perrin 2006.