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15/12/2010

journée des tuiles à Athènes

à quand la grève des impôts?

pendant ce temps, au château, Sarkozy "réfléchit" à 2012...

17/07/2008

Bourgeoisie, révolution et globalisation

« La bourgeoisie…partout ou elle a conquis le pouvoir, a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité naïve dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substituée aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. La bourgeoisie a dépouillée de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque là pour vénérables et qu’on considérait avec un sain respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré un voile de sentimentalité qui recouvrait les situations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent…

 

[…] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les conditions de la production, c’est-à-dire tous les rapports sociaux ; Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations ; Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale, Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore tous les jours.

Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production : elle les force à introduire chez elles ce qu’elle appelle civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. La bourgeoisie supprime de plus en plus l’émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé la production, et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence fatale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, tout justes fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier… »

 

Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.

 

"La suite du livre vous plairait moins", me dit @cadichon en commentaire. Suis bien d’accord. Je me suis dit qu’une mise au point n’est peut-être pas inutile.

Non, hoplite n’est pas marxiste...

Je n’ai pas de sympathie particulière pour la lutte des classes, la dictature du prolétariat, celle-là même qui devait amener cette société sans classe ou le prolétaire, débarrassé de l’oppression des classes possédantes –du capital, recevrait une juste rémunération pour son travail…

Et l’expérience, la praxis, communiste ne m’inspire que de l’horreur, comme à tout être sain d’esprit. A cet égard la survivance d’une gauche radicale communiste qui ne dit plus son nom, notamment en France avec différentes mouvances trotskystes, ne laisse pas de m’étonner. Je repense toujours avec bonheur à la façon dont Castoriadis avait réglé son compte aux thuriféraires de la IV ème internationale : « la fraction en exil de la bureaucratie soviétique » Oh, oh, oh.

 Deux choses m’intéressent particulièrement dans ce court extrait :

-         d’abord son caractère visionnaire : Marx a anticipé le triomphe de l’économie de marché sous forme d’une globalisation planétaire, sorte d’internationalisme du capital. Peut-être l’internationalisme prolétaire de la lutte des classes répondait-il à sa pré science de la montée en puissance irrésistible de l’économie de marché ?

-         ensuite, la façon dont Marx a compris le caractère profondément révolutionnaire sinon d’une classe bourgeoise, tout au moins des valeurs bourgeoises. Marx a saisi combien bourgeoisie, modernité et capitalisme sont consubstantiels…Combien, depuis l’essor, dans le Moyen-Âge, de cette classe industrieuse de commerçants, de marchands, acquise à la rationalité, à l’économie, au culte de l’argent puis aux idéaux des Lumières, va mettre à bas le vieil ordre féodal pour prendre définitivement le pouvoir en s’affranchissant de toutes sortes de tutelles et contraintes et en imposant, partout, ses valeurs individualistes et sa conception anthropologique utilitariste.

 

09/10/2007

Guevara, l'enfer du mythe.

 

Chacun pourra le constater, les vingts ans de la mort du révolutionnaire Guevara sont l'occasion d'un nouvel éloge panégyrique de ce personnage sombre et torturé aux mains rouges du sang des Cubains (entre autres).

Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).

C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..

J'ai écrit ce post il y a quelques mois, il est toujours d'actualité; c'est donc mon hommage personnel au criminel Guevara.

La jeunesse et les voyages.. qui la forment.

Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. Les témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros ; Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie.

Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse chaotique.

Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).

Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.

La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)

Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.

Guérilla et révolution

Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prés à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).

Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. Nommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes au combat exceptionnelles, à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous/ et les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.

A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Il est surnommé "carnicerito" (le petit boucher) pour son implication drecte dans la torture et le meurtres de nombreux cubains, le cigare au bec.

Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir

Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.

Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers !

Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.

 

Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.

Fin d’un révolutionnaire

Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la  Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans continue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) ! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa bonté et sa générosité…

Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.

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(1)   La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.

(2)   Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.

(3)   Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.

(4)   Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.

(5)   Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.

(6)   E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.

(7)   E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.

17/03/2007

Pourquoi les Français ont-ils peur?

Une réflexion passionnante d'Alain Besançon parue dans commentaire (COMMENTAIRE, N° 112, HIVER 2005-2006), et rapportée par rogémi, lecteur érudit de ce blog.

"On dit que les francais ont peur devant l’Europe et devant les grandes réformes, que tous déclarent indispensables. Je veux essayer de présenter quelques remarques historiques très générales qui expliquent peut-être pourquoi les francais sont rarement rassurés. Mon exposé , hautement subjectif, n’aura rien de systématique.

Parcourons au Louvre la galerie des portraits francais. Au XVI° siècle, ils sont galants et belliqueux. Au XVII°, graves, empesés, solennels. Au XVIII° , le sourire et la détente reviennent. C’est le temps où le visage francais retrouve ses traits propres, l’œil gris, le teint clair, un air de malice ou de gentillesse. Il a l’air tranquille, paisible comme le sont les visages américains des photographies d’aujourd’hui qui reflètent l’allure d’un peuple bien traité. Dans les portraits de David, les traits se durcissent. Dans ceux de Géricault, Courbet, Millet, les expressions deviennent tristes, sombres, inquiétes. A la fin du siècle, on note une grande diversité entre les traits torturés de Lautrec et l’euphorie de Renoir. Tout ceci pour dire que même le Bon Dieu n’a pas toujours été heureux en France.

Les expulsions

La monarchie absolue, c’est à dire l’Etat rationnel, administratif, hiérarchique, centralisé, n’avait pas contribué à égayer les Français. Cet Etat était né de la guerre de religion et avait dû s’élever très haut au-dessus de ses sujets sous Henri IV, Louis XIV, pour les empêcher de s’égorger. La guerre de religion s’était quand même souterrainement poursuivie, jusqu’à la Révocation, où pour la première fois l’Etat rendit la vie impossible à une partie de ses sujets, pour finalement les exproprier et les expulser. Cent ans après, l’Etat révolutionnaire réemploya le même systéme de droit pour rendre la vie impossible, exproprier et expulser à peu près le même nombre de citoyens, 200 000. Il recommenca un siècle plus tard, et fit sortir de France, après avoir confisqué leurs biens, 50 000 religieux et religieuses. Vichy rendit la vie impossible, spolia, abandonna 200 000 juifs, et trouva des juges pour mettre ca en forme et des fonctionnaires pour l’exécuter. Cette séquence est remarquable et on ne la trouve qu’en France. On peut se demander si, dans le même esprit, nos gouvernements ne travaillent pas aujourd’hui à expulser les riches.
La détente que l’on constate au XVIII siècle ne vient pas d’un adoucissement, mais du démantèlement progressif de l’Etat monarchique. Les Français, sauf ordre ecclésiastique, n’avaient toujours droit à aucune représentation, à aucun système de consultation. Cet Etat fut rétabli, sous la forme républicaine et impériale, avec une brutalité et des moyens d’action dont Louis XIV n’avait jamais disposé. Le grand événement de la Revolution me paraît avoir marqué le caractère francais à cause des circonstances suivantes.

La Révolution

Dans une société aimable, policée, sensible, au point qu’elle était à peu près dépourvue de forces de l’ordre, ce fut soudain une explosion parfaitement inattendue de violence. Dès 1789 on promena des têtes sur des piques, on brûla des châteaux, on pilla les églises, on fit donner l’artillerie contre les paysans. Deux ans plus tard commenca un épisode tel qu’il se compare localement à la Révolution russe. Sur les trois départements touchés par l’affaire vendéenne, un tiers de la population fut exterminé. Lyon est condamné à disparaître. La guillotine est élevée dans tous les départements. Au 9 thermidor, 300 000 Français se trouvaient enfermés dans des conditions carcérales les plus épouvantables. Ils étaient promis à la mort, si l’accident du 9 thermidor n’était pas intervenu. Cette date où pour la premiére fois depuis 1789 la France avait connu un jour de chance, dans la mesure où un complot d’assassins contre d’autres assassins avait mis fin miraculeusement à l’extermination, ne cesse d’être considérée dans la plupart de nos manuels scolaires comme un jour malheureux. La fin de l’utopie et du massacre idéologique n’est pas fêtée, bien au contraire, au lieu que son début, le 14 juillet, est devenue notre fête nationale.

En effet, depuis 1792, l’idée utopique, révolutionnaire, terroriste, continue d’attirer une portion de la population francaise et d’exprimer 10 à 20 % du corps électoral. Bien mieux, elle s'est manifestée dans des explosions de violence qui ont rythmé notre vie politique. Entre 1830 et 1832, l'émeute a été presque quotidienne à Paris. Les barricades se sont dressées en 1848 et pour les démolir il fallut faire 10000 morts. 20 000 en 1871. On sait que la Commune, en brûlant l'hôtel de Ville, détruisit presque la moitié des archives de la France. Que le pétrole avait été répandu dans le musée du Louvre et que le pompier qui avait empêché l'incendie fut fusillé. Que si les internes de l'Hôtel-Dieu n'avaient pas dispersé le bûcher entassé dans Notre-Dame, nous aurions eu à construire une autre cathédrale. Ce qui fait que la Commune est enseignée à nos enfants comme un des plus glorieux épisodes de notre histoire et que, dans Paris, des plaques récemment posées par le président Poncelet la célèbrent. 1936 fut débonnaire, mais point la Libération, puisque environ 10000 Français furent mis a mort hors des tribunaux réguliers en quelques mois, ce qui se compare aux 20000 fusillés par l'armée allemande pendant les quatre ans d'occupation. La ligne rouge, en 1968, miraculeusement ne fut pas franchie. Mais le langage soixante-huitard était fidèle à la rhétorique révolutionnaire la plus violente. 1995 menaça de tourner au recommencement. Depuis, tous nos gouvernements marchent sur des œufs. Ceux de gauche parce qu'ils doivent s'appuyer sur leur base sectionnaire. Même s'ils appartiennent aux éléments les plus thermidoriens du Parti socialiste, ils paient tribut à la même rhétorique. Ceux de droite, parce qu'ils ne se sentent pas sûrs de leur légitimité, intériorisent en partie la sacralisation de nos récurrences révolutionnaires telle qu'ils l'ont apprise à l'école.

Le déclassement

Depuis l'écroulement de l'URSS, le noyau révolutionnaire français s'est débarrassé du lourd handicap d'être associé au mouvement communiste mondial et d'être piloté par des équipes soviétiques. Du coup, l'esprit révolutionnaire a été rapatrié sur et dans l'histoire de France, et il peut plus facilement se mélanger au nationalisme, comme d'ailleurs il avait toujours fait. Maintenant, on ne peut plus le taxer, comme fit Léon Blum, de nationalisme étranger. Le communisme, comme l'a fort bien écrit Marc lazar, reste une passion française.
Après le traumatisme de la Terreur, après l'incrustation d'un noyau révolutionnaire de tradition jacobine ou hébertiste, un troisième héritage nous vient de la Révolution française : le déclassement, ou le sentiment du déclassement, de la nation française. En une vingtaine d'années, la guerre, par nous déclarée en 1792, a coûté environ 1 500 000 morts. Le choc démographique est comparable à celui de la guerre de 14. Au sortir de laquelle guerre la France fut reléguée à la seconde place, puis bientôt à la troisième, après l'Allemagne, à la quatrième, après la Russie. Depuis 1815, la France dans son existence nationale est virtuellement en danger au milieu de voisins plus puissants qu'elle. Nouveau motif de peur.
On ne pouvait pas ne pas faire la Révolution française. Dans toute l'Europe, le passage de l'Ancien au nouveau régime a été une énorme affaire qui s'est étalée chaque fois sur une centaine d'années. Le malheur français fut que cette inévitable transition fut particulièrement coûteuse et laissa des séquelles qui ne passent pas. Comparons avec nos voisins.
En Angleterre, la révolution a duré environ de 1640 à 1715. Mais elle s'est effectuée dans une période pré-idéologique et elle se donnait pour but non la révolution à partir d'une table rase mais la restauration d'un État de droit prétendument violé par la monarchie. L’Angleterre a fait sa révolution en lui tournant le dos. Une révolution suppose le renversement de l'Église catholique, le renversement de la monarchie, le renversement de la noblesse. Le premier point de ce programme a été effectué au XVI° siècle par Henri VIII et Elisabeth, le second au XVII° siècle par Cromwell et le troisième n'est toujours pas accompli. La France a tout liquidé en quelques semaines. Enfin, la révolution a coïncidé avec la montée prodigieuse de la puissance anglaise, et en France, avec son déclin. Si bien que, outre les blessures laissées par la persécution religieuse et l'effacement de la noblesse, la France contre-révolutionnaire eut encore à pleurer sur sa décadence.
En Allemagne, le même processus a duré de 1848 à 1945. L’épisode hitlérien qui le couronne a été le plus catastrophique de tous. Mais le désastre a été si grand, le déshonneur si profond que la mémoire allemande en a été comme effacée. Elle n'est pas divisée ni déchirée comme est la nôtre. Sur la table rase, ou plutôt rasée, la démocratie voulue dès 1848 s'est installée en 1945 dans la plus calme unanimité.
La révolution espagnole commence 1875 et se résout à la mort de Franco en 1975. Les buts révolutionnaires ont été atteints. Le nouveau régime démocratique marche comme une horloge. C'est qu'il n'a pas été implanté par les révolutionnaires, mais par leurs adversaires, les conservateurs plus ou moins libéraux qui avaient gagné la guerre civile. Comme tout le monde profite désormais de la liberté et de la démocratie, tout le monde est content. Franco avait encore sa statue équestre à Madrid. On vient seulement de l'ôter.
Dans les trois exemples, l'issue de la révolution a été la stabilisation de la vie politique, la solution de son problème. La révolution Française n'a pas résolu le problème politique français.
II faut maintenant regarder pourquoi le Français des XIX° et XX siècles a peur en dehors même des turbulences déjà signalées.

La propriété et le droit

La pacification des Français ne fut obtenue, ainsi qu'après les guerres de religion, que par l'érection d'un Etat relativement indépendant des citoyens et muni d'une considérable capacité de coercition. L’Etat napoléonien renouvela ce type de pouvoir. Il assurait l'ordre, l'égalité devant la loi, une administration rationnelle. Il ne considérait pas que la liberté fût son premier souci, en conformité d'ailleurs avec les passions françaises qui n'étaient pas tournées de ce côté mais vers l'égalité. La protection des droits fit des progrès avec des hauts et des bas, surtout dans les années bénies de la république orléaniste et opportuniste. Mais des progrès lents, en général en retard sur le rythme de l'Europe du Nord.
La propriété en France a été peu respectée. J'ai parlé de la spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations, des Juifs. Il faut aussi se souvenir que la Révolution s'est établie et consolidée sur un colossal et en grande partie illégal transfert de propriété. L’intangibilité des biens nationaux plus ou moins volés s'est imposée à tous les régimes et une mesure de simple justice, comme le milliard des émigrés, a été violemment contestée par toute la gauche comme un abus monstrueux. Les Tchèques, les Polonais ont montré plus de respect pour la propriété, après cinquante ans d'expropriation communiste. La propriété de mainmorte, c'est à-dire le droit de créer des fondations, des trusts à la manière anglaise et américaine, n'a jamais été acceptée par l'Etat français. Notre État n'admet que la propriété individuelle et la propriété d'État, il ne veut pas que ses sujets établissent des noyaux de propriété stable et donc de liberté parce qu'ils échappent à son contrôle. Que mon ancien collège d'Oxford vive encore largement sur les biens que lui a légués l'archevêque Chichely, au lendemain de la bataille d'Azincourt, n'est pas une chose concevable dans mon pays où les biens de l'Université de Paris ont été nationalisés même temps que tous les biens des corporations et ceux de l'Eglise.
L'influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens de la délégitimation de la propriété individuelle. Le droit de propriété n'est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au travail, à l’emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété sont manifestes, reçoit en revanche une garantie. «Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.» Ce passage du préambule sonne assez «démocratie populaire». La passion de l'égalité qui est au fond de l'humeur politique française rend très difficile à l'homme riche de jouir publiquement de sa richesse, comme le font les Italiens et les Anglais fortunés. Il sait que s'il n'appartient pas au monde du show business ou du sport, il lui est conseillé de rouler en Peugeot plutôt qu'en Rolls ou en Jaguar. En France, si j'ose paraphraser Baudelaire, les riches, les pauvres riches ont de grandes douleurs.
Comme la propriété est le fondement du droit, la faiblesse de la première fait aussi l'incertitude du second. Les Français n'ont jamais été convaincus de l’ indépendance de leur justice. Et puisque dans leur histoire récente ils ont observé que les juges sanctionnaient des mesures iniques, ou bien que l'État épurait de temps en temps la magistrature, comme il l'a fait en grand dans les débuts de la République radicale, ils ont tendance à penser qu'il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice. Et encore moins à la police, qui jusqu'à une date récente manquait souvent de douceur, soit pour contenir les manifestations, soit derrière les grilles des commissariats de police.


L'armée et l'école


Pendant toute la fin du XIX° siècle et presque tout le XX° siècle, la grande majorité des jeunes Français ont subi l'épreuve du service militaire. Le code militaire, fait dire Anatole France à M. Bergerey n'est qu'une compilation des ordonnances concernant les armées de Louis XIV et de Louis XV. On sait ce qu’étaient ces armées, de racoleurs et de racolés, chiourme de terre, divisée en lots qu'achetaient les jeunes nobles, parfois des enfants. On maintenait l'obéissance de.ces troupes en perpétuelles menaces de mort. Tout est changé; les militaires de la monarchie et des deux Empires ont fait place à une énorme et placide garde nationale. II n'y a plus à craindre ni mutineries ni violences. Pourtant la mort à tout propos menace des doux troupeaux de paysans et d'artisans habillés en soldats. Le contraste de ces moeurs bénignes et de ces lois féroces est presque risible.»
Contrairement à opinion répandue, l'armée allemande était beaucoup plus communautaire que la française. Les officiers mangeaient avec la troupe et veillaient à maintenir certaine Gemeinschaft favorable à l'initiative individuelle. Voilà pour le temps de paix. Mais en temps de guerre, c'est la tradition de la Révolution et de l'Empire qui continue, à savoir l'extrême prodigalité du sang des soldats. Des petites guerres, comme celle de Crimée, ou quelques guerres coloniales ont été des boucheries. Dans les quatre premiers mois de la guerre de 1914, l'armée française, assez mal armée et équipée, mais conduite par la doctrine de l'offensive à outrance, a perdu 400 000 hommes. 100 000 hommes encore dans le seul mois des combats de 1940. C'est beaucoup plus que n'en perdaient les armées allemandes dans ces mémes conflits. Je ne compare pas avec les traditions de l'armée américaine. La France a été saignée irréparablement en particulier dans ses élites. Je prie le lecteur d'aller voir le monument aux morts de l'école normale supérieure. Marcel Déat est parti en 1914 avec soixante-dix camarades. Ils sont rentrés trente-cinq. Ce que je dis n'est pas pour excuser mais pour expliquer Marcel Déat.
Enfin, il faut remarquer le caractère particulièrement sévère de l'éducation française traditionnelle, tant de l'école primaire que de l'école secondaire. Il faut désormais en parler au passé, car ce type d'éducation a disparu au moins depuis 1968. II avait l'immense mérite de former des jeunes gens instruits, habitués au travail, à la compétition. Mais il était assez rude et sombre. Comparons l'architecture de nos lycées et écoles, comparons l'emploi du temps, comparons les méthodes : je ne vois que le Gymnasium allemand qui lui soit égal quant à l'effort et à la discipline exigés de l’enfant. La crainte disciplinaire, l'angoisse devant le rendu des compositions et des devoirs ont marqué plusieurs générations de Français et jusqu'à la mienne. Les apprentis n'étaient pas mieux traités dans les ateliers où les anciens en le leur faisant rentrer dans le corps, leur apprenaient le métier.
Le fait que la Révolution française ait laissé une mémoire déchirée à la France et une légitimité fragile à tout gouvernement postérieur a donné quelque chose de hobbesien à la société française. Tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Aux peurs déjà recensées se joint donc la peur du prochain. Elle est assez forte pour expliquer ce trait qui étonne l'étranger : les Français évitent à tout prix le face à face et le dialogue direct. Ils ont peur de leur propre haine, ils craignent de ne pouvoir contrôler leur agressivité. Ils préfèrent s'en remettre à une instance tierce plus haute et finalement à l'État. La centralisation fameuse de notre pays tient en partie à cette conduite qui veut chercher au sommet un arbitre pour calmer les conflits de voisinage. Cet arbitre étant lointain, la triche demeure possible. Au contrat, qui lie loyalement deux partenaires, les Français préférent la loi, qui n'oblige pas à cette loyauté.

Quand l'Etat prend peur


Cela ne marche bien qu'à condition que l'État soit faible. C'est ce qui a fait le bonheur impressionniste dans la France de la IIIe République. Comme l'explique, dans Anatole France, le préfet républicain Worms Clavelin : « Nous avons plus de liberté, nous en avons même trop. Nous avons plus de sécurité. Nous jouissons d'un régime conforme aux aspirations populaires. Toutes les forces sociales se font équilibre. Montre-moi ce qu'on pourrait bien changer. La couleur des timbres postes, peut-être. Non mon ami, à moins de changer les Français, il n'y a rien à changer en France. Sans doute je suis progressiste. Il faut dire qu'on marche, ne fût-ce que pour se dispen¬ser de marcher.»
Mais cela ne marche plus quand on veut mettre en place partout un exécutif fort, comme il est de bonne doctrine aux Sciences Po depuis la guerre. Alors, pour lui résister, les Français s'agglutinent par catégories, communautés, groupement variés et descendent dans la rue. Cette fois, c'est l'État qui prend peur."

05/01/2007

Lumières et totalitarisme.

Récemment , à l'occasion d'un post sur l'état culturel, titre du livre de Marc Fumaroli et prétexte de ma part à une digression sur la politique culturelle Française, un lecteur érudit de ce blog réfuta l'opposition entre les idéaux des lumières et la geste totalitaire, arguant au contraire d'une filiation entre l'esprit des Lumières et les différentes formes de totalitarisme.

Ma première réaction fut, tout en admettant l'idée d'une filiation entre ces idéaux et le radicalisme jacobin durant la Révolution Française par exemple, de refuser pareille proximité idéologique, arguant à mon tour que le mouvement totalitaire, par essence négation de l'individu, était contraire à l'idéal individualiste des Lumières.

Mais le ver était dans le fruit et le simple fait d'admettre sans peine la parenté entre la radicalité jacobine (de 1793) et cette philosophie du XVIIIeme siècle, m'amena à reconsidérer la possibilité d'une telle filiation, en apparence iconoclaste.

Les Lumières furent un mouvement de renouveau intellectuel, culturel construit sur des idées de liberté (de penser, d'agir, de croire), d'égalité, de rationalisme scientifique, d'individualisme, de scepticisme, de tolérance et porté par des hommes d'horizons très divers comme Voltaire, Diderot, Rousseau, Condorcet, David Hume, Spinoza ou Montesquieu. Tous les secteurs de la société ont alors tendance à se débarrasser des anciennes tutelles. Pour autant elles ne forment pas une école de pensée unique; sur le plan politique, de fortes différences distinguent Montesquieu et son libéralisme démocratique, Voltaire et son despotisme éclairé ou Rousseau et son contrat démocratique. Les philosophes vantent la capacité de l'individu à se servir de sa raison. Au moment ou règne Louis XV, la pensée des philosophes aboutit à remettre en cause tous les principes religieux et politiques qui constituaient les fondements de la société: contre la croyance, le doute; contre l'autorité, le libre arbitre; contre la communauté, l'individu. Les Lumières imposent l'idée que la religion ne constitue qu'une opinion, dissociant ainsi société et foi.

Cet esprit dit "des Lumières" exerce aujourd’hui et depuis cette époque une influence déterminante au moins en occident et se veut universel. Or c'est bien au nom de cet esprit que des hommes ont commis les pires atrocités. Pourquoi?

1- Philosophie des Lumières et dignité de l'homme.

Contrairement à l'historiquement correct, il semble que les philosophes des Lumières ne croient pas en l'existence d'une nature humaine. Dénué de tout caractère spirituel, l'homme n'est que pure matière, totalement déterminé par les corps extérieurs. Ainsi, selon le baron d'Holbach, l'homme "est dans chaque instant de sa vie un instrument passif entre les mains de la nécessité".(1) Pour l'ensemble des philosophes, l'homme n'est qu'une "machine", une "horloge", un "clavecin sensible et animé" (2), subissant les mouvements imposés de l'extérieur.

L'homme étant déterminé, il s'ensuit que le libre arbitre n'existe pas. Ainsi dit Spinoza, les hommes "se trompent en ce qu'ils pensent être libres; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscient de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés" (3). "La liberté, telle que plusieurs scolastiques l'entendent, écrit Voltaire, est en effet une chimère absolue" (4).

Les rares êtres éclairés, c'est à dire les philosophes, se voient chargés d'établir les meilleures règles sociales et politiques pour l'ensemble du genre humain, qui lui, doit rester dans l'ignorance. "Le vulgaire ne mérite pas qu'on songe à s'éclairer" écrit Voltaire (5). "La vérité, dit-il encore, n'est pas faite pour tout le monde. Le gros du genre humain en est indigne" (6). Les historiens se montrent d'une étonnate discrétion quant à l'immense mépris des classes populaires exprimé par certaines figures du XVIIème siècle: dans ses "Vues patriotiques sur l'éducation du peuple", Philipon de la Madeleine, autre philosophe, exprime le voeu que l'usage de l'écriture soit interdit aux enfants du peuple...(19) Le peuple des Lumières, le peuple idéal, c'est le peuple sans le peuple.

Plus encore, la diversité des individus que les philosophes et les naturalistes observent les conduit à douter de l'unité du genre humain. "Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains ne soient des races entièrement différentes", écrit Voltaire (7).

Racisme et antisémitisme abondent dans la prose de nos philosophes éclairés. "Comment se peut-il, écrit Voltaire, qu' Adam qui était roux et qui avait des cheveux, soit le père des nègres qui sont noirs comme de l'encreet qui ont de la laine noire sur la tête ? " (8). Voltaire poursuit: "leur yeux ronds, leur nez épaté, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. " (7) Les juifs ne sont pas mieux lotis, toujours chez Voltaire : "Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent". (7)

L'abbé Grégoire, illustre révolutionnaire, dresse lui aussi en portrait peu flatteur du peuple juif: "La plupart des physionomies juives sont rarement ornées des coloris de la santé et des traits de la beauté (...). Ils ont le visage blafard, le nez crochu, les yeux enfoncés, le menton proéminent; Ils sont cacochymes, et très sujets aux maladies, et exhalent constamment une mauvaise odeur". (9) Pour Léon Poliakov, le rationalisme scientifique des Lumières constitue une des sources du racisme nazi (20).

En tout état de cause, cette détermination de l’homme se fait toujours, au plus profond de lui même, à son insu. Nos pensées, écrit le baron d’Holbach, «  se sont à notre insu et malgré nous, arrangées dans notre cerveau, lequel n’est que l’esclave de causes qui malgré lui et à son insu agissent continuellement sur lui. » (1)

L’homme n’étant que pure matière, une machine que l’on peut régler, sans que son consentement intervienne, l’intention des « Lumières », réalisée par la révolution de 1789, est de former des citoyens nouveaux qu’il s’agit d’éduquer conformément aux souhaits des philosophes ; Pour G ; Gusdorf (10), «  ce remodelage procédant du dehors au dedans suscitera l’homme nouveau selon les voies et les moyens d’une pédagogie totalitaire, dont on retrouve les linéaments dans les traités de Condorcet, d’Holbach, et dans l’œuvre réformatrice des législateurs révolutionnaires ».

Il s’agit donc bien pour l’état de régénérer l’homme, et partant, la société, en formant en série des citoyens coulés dans le même moule.

2- La réalisation politique de cette philosophie sous la Révolution.

Pour régénérer l’homme, il convient donc d’agir sur la société, et tout spécialement sur l’organisation politique. La République, investie d’une mission éducative, exclura de son sein les réfractaires à l’ordre nouveau. La République a pour but de changer l’homme. C’est le but avoué des révolutionnaires : « Le peuple Français, écrit Fouché, ne veut pas plus d’une demi-instruction que d’une demi-liberté ; il veut être régénéré tout entier, comme un nouvel être sorti des mains de la nature ». (11)

Le conventionnel Rabaut Saint-Etienne est tout aussi explicite : « il faut faire des Français un peuple nouveau, lui donner des mœurs en harmonie avec ses lois ». (12)

Il faut comprendre ici que pour ces hommes, imprégnés de l’esprit des Lumières, l’état n’a plus pour but d’assurer le bien commun, mais d’éduquer les Français à la République !

Ainsi crée-t-on en 1794 l’Ecole Normale qui, comme son nom l’indique, est destinée à dicter la norme. Selon les propres termes des créateurs de cette école, son but est de former « un très grand nombre d’instituteurs capables d’être les exécuteurs d’un plan qui a pour but de régénérer l’entendement humain dans une république de 25 millions d’hommes que la démocratie rend tous égaux. » (13) Restructurer l’intelligence à des fins exprimées d’uniformisation et de conditionnement…

De multiples fêtes laïques sont ainsi crées pour déshabituer les Français aux fêtes religieuses. La culture devient aussi l’enjeu de la conquête de l’esprit public :un arrêté du Directoire précise ainsi que « tous les directeurs et propriétaires de spectacles seront tenus sous leur responsabilité individuelle de faire jouer chaque jour, par leur orchestre, avant la levée de la toile et dans l’intervalle entre deux pièces, les airs chéris des républicains ou quelque autre chant patriotique. » (13)

Or cette « éducation » républicaine n’est pas facultative ; Elle doit pénétrer jusqu’au plus profond de l’être. Aucune intériorité individuelle ne doit résister à l’empreinte des idées nouvelles, comme le dit JJ Rousseau : « S’il est bon de savoir employer les hommes tels qu’ils sont, il vaut mieux encore les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient, l’autorité la plus absolue est celle qui pénêtre  jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur les actions. » (14)

Plus encore, afin de ne pas gêner cette endoctrinement citoyen la famille doit être écartée ; L’abbé Grégoire expose ainsi à la veille de la révolution , que  « les enfants si l’on sait les soustraire à l’éducation parentale recueilleront, même sans le vouloir, des idées saines qui seront le contrepoison des absurdités dont on voudrait les repaître au sein de leur famille. » (15)

 

3- Tous égaux ?

 

Si la république peut façonner à sa guise les jeunes générations, que faire des adultes marqués par les habitudes de l’ancien régime, c’est çà dire corrompus ? Rabaut Saint Etienne à la solution : « Nous ferons de la France un cimetière plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. » (15) Seuls les véritables républicains ont droit à la protection des lois et bénéficie des droits de l’homme et du citoyen. Les Vendéens, cet « ennemi intérieur » dont le caractère populaire de la révolte mettait à mal la légitimité « populaire » du nouveau régime est une bonne illustration de cette distinction. L’animalisation du Vendéen, sa déshumanisation, (« race abominable », « monstres fanatiques affamés de sang », « tigres affamés du sang des Français », « horde d’esclaves », etc..) vise à faire perdre à ces hommes refusant la citoyenneté républicaine, leur dignité d’hommes, et partant légitime leur éradication. Ce qui fut fait et bien fait. (cf un de mes posts précédents).

« Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort » dit Robespierre. (16) Cette phrase est symptomatique : les ennemis du peuple, c’est à dire de la révolution, ne sont pas des citoyens (Guevara, Kieu sanpan, Pol Pot, Mao, Lénine ou Trotski auraient pu prononcer cette phrase, mot pour mot).

Ou l’on comprend que la qualité de citoyen ne découle plus de l’appartenance à une cité, mais de l’acceptation des principes philosophiques et moraux défendus par la République ; La république est par conséquent religieuse car elle veut conquérir l’intériorité humaine, par l’intermédiaire de fêtes païennes imposées aux Français, de l’enseignement public obligatoire,  et de la pratique des institutions républicaines qui créeront des habitudes de vie façonnant l’être nouveau (ce constat n’est il pas toujours d’actualité ?).

« Si donc lors du contrat social il s’y trouve des opposants, leur opposition n’invalide pas le contrat, elle empêche seulement qu’ils y soient compris ; ce sont des étrangers parmi les citoyens.» dit JJ Rousseau ; (17)

Le régime démocratique, tels que l’entendent les républicains n’a plus rien de commun avec l’acception classique c’est à dire antique ou chrétienne. Il s’agit d’un système coercitif destiné à façonner l’homme nouveau, contre son gré si nécessaire (et pour son bien, à son insu).

4- Alors ?

Le contrôle de l’activité et de la pensée des hommes, la coercition physique et psychique, le mythe de l'"homme nouveau" et de la "régénération" de la société, l’endoctrinement systématique et à grande échelle, la destruction des structures sociales existantes, la négation de l’homme en tant qu’individu, la valorisation des masses ou du groupe, l’animalisation de l’ennemi, le meurtre de masse sont les caractéristiques habituelles d’un régime totalitaire.

Force est de reconnaître qu’ils sont constitutifs, consubstantiels, non seulement d' une partie de la geste révolutionnaire (et non pas seulement d' un certain Jacobinisme), mais aussi de la pensée d’un grand nombre de ces « philosophes des  Lumières » et donc de l’esprit des Lumières.

Est-ce à dire que la philosophie des Lumières se réduit à cette "tentation totalitaire"? Non , bien sûr, c'était un parti pris de ma part d'explorer ce coté obscur de cette période de notre histoire révolutionnaire. Parce qu'il existe et qu'il est systématiquement occulté pour ne pas faire d'ombre à la légende dorée des manuels d'histoire..

"Les idées et les valeurs des Lumières interviennent comme référence permanente dans les conflits idéologiques et politiques de la période révolutionnaire. Mais sur les chemins, combien sinueux, de la révolution s'opère aussi leur transmutation: le cosmopolitisme se transmue en nationalisme conquérant, le pacifisme en militarisme, la tolérance en fanatisme, la liberté en Terreur. Les idées héritées, la révolution les soumet à ses propres contraintes, les amalgame avec ses propres mythes, les moule sur ses propres formes." (18)

(1) Nature humaine et Révolution Française, Xavier Martin, Editions DMM, p. 16.

(2) idem, p. 17

(3) idem, p. 18

(4) Correspondance, tome 1, p. 251.

(5) Correspondance, tome 3, p. 710.

(6) Correspondance tome 7, P. 877.

(7) Essai sur les moeurs ed 1878, p. 5, cité par Jean de Viguerie dans un article intitulé "Les lumières et les peuples"; Revue historique, juillet-septembre 1993.

(8) Dictionnaire philosophique, article Adam, cité par Jean de Viguerie, op cit.

(9) Cité par Jean de Viguerie, dans "Essai sur la régénération physique morale et politique des juifs", op cit.

(10) G Gusdorf, « L’homme romantique », Les sciences humaines et la pensée occidentale , tome 11, p.27, 1984 Paris.

(11) Réflexions sur l’instruction publique » mai 1793, cité par X Martin, p. 117.

(12) Archives parlementaires, 1/55/346/2 cité par X Martin, p112.

(13) Arrêtés des 18 et 27 nivôse an IV, cité par X Martin.

(14) Discours sur l’économie politique, Œuvres complètes, tome 3, p. 251.

(15) Archives parlementaires, 1/55/346/2, cité par X Martin, p.110-111.

(16) Discours de Robespierre du 25 décembre 1793.

(17) Contrat social, livre 4, chapitre 2, p. 440, Pléiade, tome 11

(18) Bronislaw Brackzo, chapitre "Lumières", dictionnaire critique de la révolution Française. Furet Ozouf, Flammarion, p. 290.

(19) cité par J Sévillia dans "Historiquement correct", Perrin, p. 162.

(20) Le mythe aryen, Complexe, 1987.

20/12/2006

De la révolution Française.

"En dix ans , la Révolution avait trompé tous les calculs et déçu tous les espoirs. On en attendait un gouvernement réglé et stable, de bonnes finances, des lois sages, la paix au dehors et la tranquillité au dedans. On avait eu l'anarchie, la guerre, le communisme, la Terreur, la faillite, la famine et deux ou trois banqueroutes. La dictature Napoléonienne concilia le besoin d'autorité et l'idéologie démocratique. Ce fut un expédient de théoriciens aux abois. Les doctrinaires de 1789 avaient voulu régénérer l'humanité et reconstruire le monde. Pour échapper aux Bourbons, les doctrinaires de 1789 en étaient réduits à se donner à un sabre."

Pierre Gaxotte, in "La Révolution Française", Fayard 1974.

18/12/2006

Che Guevara, l’envers du mythe. (1)

Fidel Castro se referait sans cesse à la révolution Française : le Paris Jacobin avait eu son Saint Just, La Havane des guérilleros avait son Che Guevara, version latino-américaine de Netchaïev (nihiliste et révolutionnaire Russe qui soutenait la thèse selon laquelle le révolutionnaire doit accentuer les souffrances du peuple, afin que celui-ci trouve le courage de se révolter…).

Etant donné l’état de santé précaire du Leader Maximo, il fait peu de doute que nous allons devoir subir à court terme une avalanche de commentaires sinon bienveillants du moins complaisants ou indulgents à l’égard du dictateur Stalinien tropical.

C’est donc l’occasion de revenir sur cet autre personnage mythique de la révolution Cubaine, dont l’effigie orne encore bon nombre de chambres d’étudiants..

La jeunesse et les voyages.. qui la forment.

Fils de bonne famille né à Buenos Aires en 1928, Ernesto Guevara sillonne très jeune le sous-continent américain. Ce jeune bourgeois fragilisé par un asthme chronique termine ses études de médecine après un périple à mobylette entre la Pampa et la jungle d’Amérique centrale. La jeunesse de Guevara fut tourmentée, instable et indécise : un père lointain, indulgent mais peu sécurisant, une mère fantasque, cultivée et politisée. medium_child-young-2.jpgLes témoignages directs sur l’enfance du Che sont rares, souvent de peu de valeurs et rédigés à posteriori dans le culte du héros. Des récits sur sa jeunesse, il suffit de retenir comme élément décisif pour l’adulte, l’asthme et le rapport qu’il entretint avec cette maladie, les longs voyages en Amérique Latine et ce qu’il y cherchait. Dans son « Journal de Bolivie » (Paris, Maspero, 1968), il écrit : « pendant vingt-neuf ans , j’ai eu une compagne : l’asthme » : l’homme inflexible des années soixante s’est partiellement forgé à travers la lutte contre cette maladie. Le tourment essentiel de sa jeunesse ne fut cependant pas sa maladie mais l’anxiété qui s’exprimait à travers ses longs voyages. L’univers de Guevara fut ordonné dés la jeunesse autour de deux pôles extrêmes : le riche, arrogant, brutal criminel…et le misérable¸humilié, exploité, dépossédé ; Curieusement, alors que sa famille n’était pas pauvre, il avait dés la jeunesse fait de son monde, un monde de pauvreté, de désordre et de brutalité, négligeant volontiers son hygiène et son apparence physique. On retrouve ce penchant à la morbidité dans son journal de Bolivie, ou il consigne scrupuleusement ses mauvaises odeurs, ses troubles intestinaux.. Globalement c’est un sentiment de détresse qui ressort de cette jeunesse rude et chaotique.

Au début des années cinquante, il rencontre la misère au Guatemala à l’époque du régime progressiste de Jacobo Arbenz qui est renversé par les Américains ; Guevara apprend à haïr les Etats-Unis. « J’appartiens, de par ma formation idéologique à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer », écrit-il à un ami, René Ramos Latour, en 1957 (1).

Il se marie une première fois durant l’été 1954 avec Hildéa Gadéa, militante marxiste, censée avoir jouée un rôle déterminant dans sa culture politique. « Quand on est révolutionnaire, l’important c’est de rencontrer une bonne camarade, la beauté n’a pas d’importance », dit-il au journaliste J P LLada. Guevara quitta sa première femme et sa fille en 1956 pour s’embarquer sur le Granma, puis il quitta la seconde et ses quatre enfants en disparaissant en 1965 : cela ne prouve pas forcément qu’il ne tenait pas à eux, cela illustre l’absolutisation de la Révolution par le révolutionnaire.

La jeunesse de Guevara apparaît donc austère; elle n’a rien de séduisant ni d’exceptionnel, rien non plus qui annonce une grande destinée ; Ce qui manque, c’est la source de la violence, du fanatisme, de cette exaltation de la haine qu’on trouve chez le personnage public surtout à la fin de sa vie : « Nous devons dire ici ce qui est une vérité connue que nous avons toujours dite au monde : oui nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra » (2)

Cette capacité de violence et cette audace à la justifier ne furent pas sans attrait pour une certaine jeunesse des années soixante.

Guérilla et révolution

Une nuit de 1955 au Mexique, il rencontre un jeune avocat cubain exilé, qui prépare son retour à Cuba : Fidel Castro. Cette rencontre est cruciale : désormais Guevara a un but, il est prét à « mourir en pays étranger pour un idéal si élevé » (5).Guevara décide de suivre ces Cubains qui débarqueront sur l’île en décembre 1956. medium_che_guevara1.jpgNommé dans les maquis commandant d’une colonne, il se fait très vite remarquer par ses aptitudes exceptionnelles au combat et à la guérilla mais aussi par sa dureté (à son égard et à celui des autres) et son ascétisme. Ce partisan de l’ « autoritarisme à tous crins », selon son ancien compagnon de Bolivie Régis Debray (4), qui veut déjà imposer une révolution communiste, se heurte à plusieurs commandants cubains authentiquement démocrates. Le choix en faveur de la lutte armée, le rejet des voies démocratiques, électorales est désormais clair : tout ce qui n’était pas lutte violente n’était pour lui que « trahison » (5). Roger Marsant diplomate à la Havane et proche du Che l’a décrit ainsi : « Cet homme n’aimait que la mort (…) Sa passion ne pouvait s’assouvir que dans le combat dans l’ombre, dans la guerre d’embuscade (...) En se rapprochant du pouvoir, il avait laissé se développer en lui une sorte de psychose de la destruction qui le poussait à écraser ceux qu’il dominait et à abattre ceux qui le dominaient ». Le monde de Guevara fut toujours d’une simplicité radicale: nous vs  les autres ; cette rigidité jointe à une violence latente, en fit un personnage redoutable, d’autant plus redoutable que bientôt il eut un immense pouvoir.

Il fit partie des 82 hommes qui partirent avec Castro en novembre 1956 pour Cuba, sur un petit yacht appelé "Granma". Ils furent attaqués et défaits juste aprés leur débarquement par les troupes de Batista, informées de leur expédition. Les survivants (une vingtaine seulement) fuirent et trouvèrent refuge dans les montagnes de la Sierra Maestra, d'ou ils lancèrent une guerilla contre le régime en place. Ces années-là sont exceptionnellement heureuses et exaltées: "je n'oublierais jamais le moment ou me fut remis le fusil-mitrailleur, ces instruments de mort étales comme dans une exposition, mettaient de l'avidité aux yeux de tous les combattants" (5) dit Guevara  fasciné par la lutte et les armes. Il avait un but clair, les paysans pauvres qu'il rencontrait dans la sierra confirmaient sa conception d'une lutte pour les dépossédés, enfin tout le mode de vie lui convenait: ce mélange de discipline rigide et de licence, l'abandon des conventions socialmes qu'il détestait, la fratenité des hommes, la solitude quand il le voulait et les pulsions agressives légitimées.

A l’automne 1958, il ouvre un second front dans la plaine de Las Vilas, au centre de l’île et remporte un succès éclatant en attaquant à Santa Clara un train de renfort militaire envoyé par Batista : les militaires s’enfuient, refusant le combat. Une fois la victoire acquise, Guevara occupe la charge de « procureur » et décide des recours en grâce. La prison de la Cabana, ou il officie est le théâtre de nombreuses exécutions, notamment d’anciens compagnons d’armes demeurés démocrates. Les tribunaux révolutionnaires siègent sans discontinuer dans toutes les casernes, depuis la Moncad à Santiago de Cuba (sous les ordres de Raul Castro), jusqu' à la Cabana, à la Havane. Il est rare que quelqu'un soit acquitté: c'est soit la peine de mort, soit dix, vingt, trente ans de prison. Les juges improvisée, ne font que suivrent les demandes des procureurs -eux mêmes improvisés-, elles mêmes dictées par Castro, qui ne s'embarasse pas d'arguties légales. La révolution n'est-elle pas source de droit? Au cours des premiers mois de 1959, pendant lesquels il officie à la Cabana, prés de deux cent exécutions documentées sont à mettre à son compte, ce qui lui vaudra à l'époque le gentil surnom de "carnicerito" (le petit boucher) de la Cabana.

Nommé ministre de l’industrie et directeur de la banque centrale à 31 ans, il trouve l’occasion d’appliquer sa doctrine politique collectiviste, imposant à Cuba le modèle « soviétique ». Méprisant l’argent, mais vivant dans les quartiers privés de La Havane, ministre de l’économie mais dépourvu des plus élémentaires notions d’économie, il finit par ruiner la banque centrale. Il est plus à l’aise pour instituer les « dimanches de travail volontaire », fruit de son admiration pour l’URSS et la Chine, dont il saluera la « révolution culturelle » (Simon Leys montra bien que cette dernière ne fut qu’une vaste purge sanglante, prélude à une reprise ne main du pouvoir). En 1952, Cuba occupait le troisième rang sur les 20 pays latino-américains pour le produit national brut par habitant; trente ans plus tard, aprés plus de vingt ans de castrisme, Cuba n'occupait plus que le 15eme rang, juste devant le Nicaragua et Haiti...(1)

Dogmatique, froid et intolérant, Guevara est en complet décalage avec le naturel ouvert et chaleureux des Cubains.Assez paradoxalement (dut penser Guevara), l’obstacle principal à sa révolution collectiviste, ce furent les ouvriers ! Brusquement placé en situation de pouvoir face aux ouvriers, il leur proposa un modèle qu’il croyait évident mais qui était inquiétant : il fallait que les ouvriers soient prêts à se sacrifier pour la révolution, qu’ils la servent sans demander d’avantages pour eux-mêmes !, tout en les dépouillant des maigres avantages et garanties qu’ils avaient acquis au cours des deux décennies précédentes sous Batista. Guevara, qui croyait en la violence dans la paix comme dans la guerre, conçut alors des solutions coercitives ou rééducatives ; Régis Debray fait remarquer (4) : « C’est lui et non Fidel qui a inventé en 1960, dans la péninsule de Guanaha, le premier camp de travail « correctif » » et cite Guevara: « Je ne peux pas être ami avec quelqu’un s’il ne partage pas mes idées » (4), dit ce disciple de l’école de la Terreur qui baptise son fils Vladimir en hommage à Lénine. Par ailleurs, en invitant les ouvriers à s’organiser, Guevara excluait toute idée de défense ou de revendication de la classe ouvrière : la fonction des syndicats était à l’avenir d’expliquer les nouveaux sacrifices (toujours temporaires) présentés comme les devoirs révolutionnaires de chacun : « Nous devons être prêts à sacrifier tout avantage personnel au bien collectif » (6). Guevara avait retrouvé naturellement, dés son accession au pouvoir, le syndicalisme officiel des régimes socialistes, le syndicat comme courroie de transmission.

Il est possible de dresser un bilan de la répression des années soixante: de sept à dix mille personnes ont été fusillées, et on estimait le nombre de prisonniers politiques à plus de trent mille (7). De nombreux camps de concentration, de travail, de rééducation furent construits, ou étaient jetés pèle-mèle, des religieux, des homosexuels, des sympathisants de l'ancien régime (les rares non fusillés) et tout "individu considéré comme potentiellement dangereux pour la société", ce qui est assez peu restrictif on en conviendra...Globalement, depuis 1959, plus de cent mille Cubains ont connus les camps ou la prison. De 15000 à 17000 personnes ont été fusillées, sans compter les centaines de milliers de "balseros" qui ont fui Cuba sur des embarcations de fortune et dont on sait que prés de la moitié n'a pas survécu. (7) (au passage on pourra faire la "comparaison" avec les 2 à 3000 victimes de la dictature de Pinochet justement condamnée et la complaisance malsaine de la Gauche à l'égard des révolutionnaires Cubains, notamment en France).medium_che-pistol-big.jpg

Désireux d’exporter la révolution dans sa version Cubaine et aveuglé par un anti-américanisme sommaire, il s’emploie à propager les guérillas à travers le monde, selon le slogan (mai 1967): « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam », ou bien « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies… » (1). En 1963, il est en Algérie puis à Dar es salam, avant de gagner le Congo ou il croise le chemin d’un certain désiré Kabila, un autre marxiste, devenu aujourd’hui maître du Zaïre qui ne répugne pas au massacre de populations civiles.

Fin d’un révolutionnaire

Il semble que Castro ait utilisé Guevara à des fins tactiques. Une fois leur rupture consommée, Guevara gagne la Bolivie. Tentant d’appliquer la théorie du « foco » (foyer) de guérilla, dédaignant la politique du PC Bolivien, ne rencontrant aucun soutien de la part des paysans dont pas un ne rejoindra son maquis itinérant : « De toutes les chose prévues, la plus longue a été l’incorporation de combattants Boliviens » (7 ). Alors que dans la  Guerre de guérilla , Guevara avait affirmé le rôle fondamental de la paysannerie et de l’appui de la majorité de la population locale à l’avant garde combattante, comme condition sine qua non, il constatait l’indifférence totale, la peur et parfois l’opposition des paysans. « La peur reste ancrée dans la population », 7 juillet 1967 (7) ou bien « Le manque de contact est toujours total (…), le manque d’engagement de la part des paysans medium_225px-Felix_Ismael_Rodriguez.2.jpgcontinue à se faire sentir » 6 juin 1967 (7). Plus encore : « « La base paysanne ne se développe toujours pas, bien qu’il semble que nous finissions par obtenir la neutralisation du plus grand nombre au moyen de la terreur organisée ; le soutien viendra ensuite » 19 juin 1967 (7) !!! Cette annonce claire du recours à la terreur organisée contre les paysans n’empêcha jamais une partie de ses admirateurs de vanter sa « bonté »…Isolé et traqué, Guevara est capturé le 8 octobre 1967 et exécuté le lendemain, par l’armée Bolivienne.

(1)   La lune et le caudillo, Jeannine Verdès-Leroux, Gallimard 1989.

(2)   Discours 19eme assemblée des Nation Unies, 11 décembre 1964.

(3)   Les habits neufs du président Mao ; Simon Leys, 1975. Champ libre.

(4)   Loués soient nos seigneurs, Gallimard, 1996.

(5)   Guevara, Souvenirs de la guerre révolutionnaire, 1967 ; Maspero.

(6)   E C Guevara « La classe ouvrière et l’industrialisation de Cuba » ; Bohemia 17 jan 1964.

(7)   E C Guevara. Journal de Bolivie. Paris Maspero, 1968.

(8) Le livre noir du communisme, Robert Laffon 1998.

 

29/11/2006

les guerres de Vendée. Origines.

Rapport du général Francois-Joseph Westermann à la Convention le 21 décembre 1793 : 

« Citoyens républicains, il n’y a plus de Vendée ! Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les bois et les marais de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles la n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher ; les routes sont semées de cadavres. On fusille sans cesse à Savenay, car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n’est pas révolutionnaire ! »

Le ton est donné et cela illustre assez bien la haine absolue qu’ont pu concevoir à l’égard de cette région et de ses habitants une grande part des autorités Conventionnelles.

Durant l’été 1790 se déclenche une réaction presque unanime contre la prétention des autorités révolutionnaires de réglementer le culte catholique (Constitution civile du clergé). Elle est suivie trois ans plus tard par le refus de la conscription au service d’une armée jugée impie. En réponse à cette insurrection populaire, qui n’est pas comme on le verra, d’essence nobiliaire ou cléricale, la Convention a organisé l’extermination des Vendéens, à commencer par les femmes, ces « sillons reproducteurs », et les enfants, « de futurs brigands » et l’anéantissement de la Vendée. 770 communes deviennent hors-la-loi, et comme tels, condamnées à la « vindicte nationale » ; le nom même de Vendée cède la place au mot « Vengé »... Les bilans tant humains que matériels sont impressionnants, dramatiques. L’impensable y a été fait : tanneries de peaux humaines, fonte et récupération de graisse humaine, massacre de vieillards, de malades, d’enfants, de femmes enceintes, noyades collectives, fours crématoires, essai de mines anti personnels, etc. La Vendée a été un laboratoire grandeur nature du meurtre de masse et de l’horreur.

Ces guerres de Vendée figurent encore en 2006 parmi les tabous de notre histoire : en 1985 , un jeune historien chercheur d’origine Vendéenne, Reynald Secher, va jeter un énorme pavé dans la mare politiquement correcte de l’historiographie républicaine, et ce à la veille du bicentenaire de la révolution, en publiant un travail d’historien (thèse dont le directeur était Pierre Chaunu) nommé « Le génocide Franco-français ». Tout sera essayé pour le faire taire ou pour amoindrir la portée de ses travaux et l’atteinte faite au culte révolutionnaire  (proposition d’argent, d’honneurs, de poste à l’université, puis calomnies et rumeurs devant sa détermination !). Son obstination lui coûtera sa carrière universitaire.

Reynald Secher est une voix d’historien, crédible, parmi d’autres historiens qui présentèrent souvent (Michelet en tête) ces événements tragiques en simple massacre ou bavure, ou même légitimèrent la terreur.

En 1789, la société Vendéenne accueille globalement favorablement les débuts de la révolution, qui représente alors, comme partout, un grand espoir. La constitution civile du clergé, faisant obligation aux prêtres de jurer fidélité à la Constitution, est rejetée par toute une partie du clergé et de la population, qualifiée d’« hérétique et de schismatique » par le Pape; Elle divise profondément les Vendéens. Nombre de prêtres non jureurs doivent se cacher pour éviter l’emprisonnement ou la déportation au bagne de Guyane. Par ailleurs, en de nombreux endroits, le nouveau clergé constitutionnel n’arrive pas à s’imposer. Le mécontentement est latent. Il se transforme en insurrection en mars 1793 quand la Convention ordonne une levée de 300000 hommes pour les guerres Républicaines.

Sans sous estimer l’attachement à la royauté et le refus de la condamnation de Louis XVI dans certaines couches de la population, le refus des nouveaux pouvoirs (l’administration Républicaines et ses impôts), et plus particulièrement le rejet de la bourgeoisie locale qui à bénéficié largement de la vente des biens Nationaux et qui lève les impôts, est sans doute une cause déterminante. Ou l’on perçoit que l’hypothèse d’un complot de la noblesse et du clergé ne tient guère du point de vue historique.

La Vendée n’est d’ailleurs pas un cas isolé : nombre de provinces s’insurgent alors contre le nouvel ordre Républicain : la vallée du Rhône en particulier mais aussi Bordeaux, Toulouse, Nîmes, Lyon, etc. La France Révolutionnaire en 1793, alors en guerre contre de nombreux pays, et en proie donc à de nombreux soulèvements, paraît inventer un bouc émissaire intérieur qui sera la Vendée, avec une conjuration clérico nobiliaire  contre-révolutionnaire. Cette conception, initiée par les Conventionnels puis reprise par les historiens républicains, est encore dominante actuellement, notamment dans les manuels scolaires. La répression  fut à la mesure du danger encouru par le nouveau régime. Face à une révolte populaire, c’était toute sa légitimité « populaire » qui se trouvait mise en cause.

In fine, l’insurrection Vendéenne ne naît pas d’une cause unique, mais de multiples facteurs, tous liés à un mécontentement populaire grandissant, et non pas seulement d'une quelconque nostalgie de l’Ancien Régime. La conscription n’étant que l’étincelle finale mettant le feu aux poudres.

Le 18 brumaire an I, les conventionnels proposent même et votent l’effacement de la Vendée du tableau des départements et son remplacement par « département Vengé » ; par la suite certains lieux sont débaptisées (l’île Bouin devient l’île Marat, Noirmoutier, l’île de la Montagne, etc.) !

La pacification du pays et sa reconstruction sont l’œuvre quasi-exclusive de Hoche et de Bonaparte.

Le bilan humain est lourd : entre 120 000 (Bernet, Seycher) et 600 000 (Hoche, Chaunu) morts dans les deux camps.

Si la réalité des massacres Vendéens n’est contestée par personne, c’est le terme de génocide qui divise les historiens. Au delà de la question sémantique, c’est bien l’intention génocidaire supposée des Républicains qui fait débat.

En 1794, Gracchus Babeuf, sous la convention thermidorienne, publie un pamphlet dénonçant la terreur intitulé « Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier » évoquant un « populicide », néologisme permettant de désigner une forme de meurtre de masse manifestement inédite à l’époque. Babeuf attaque Montagnards et Jacobins et affirme que les membres du comité de salut public, autour de Robespierre, et au nom d’un idéal égalitaire auraient planifié la mort d’un grand nombre de Français (référence aux philosophes politiques du XVIII eme siècle comme Rousseau qui considéraient que l’établissement de l’égalité nécessitait une population moindre que celle de la France de l’époque).

Ecoutons Turreau : « On ferait beaucoup de chemin dans ces contrées avant de rencontrer un homme ou une chaumière. Nous n’avons laissé derrière nous que des cadavres ou des ruines », ou la Convention à l’armée de l’Ouest le premier octobre 1793 : « Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés ; le soldat de la patrie l’exige, l’impatience du peuple Français le commande, son courage doit l’accomplir », ou Francastel : « La Vendée sera dépeuplée, mais la république sera vengée et tranquille… Mes frères, que la terreur ne cesse d’être à l’ordre du jour et tout ira bien. Salut et fraternité. »

Pour autant, un décret de la convention nationale  du 1er août 1793 stipule que : « Les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et leur sûreté avec tous les égards dus à l’humanité. »

Pour certains historiens comme Michel Ragon, Carrier et Turreau ne sont que des exécutants zélés des ordres de la Convention.

Pour Alain Besançon (Le malheur du siècle, Tempus, p.126), " je propose d'accepter par convention qu'un génocide au sens propre, relativement au simple massacre, réclame le critére suivant: il faut que la tuerie ait été préméditée dans le cadre d'une idéologie se donnant pour but d'anéantir une partie de l'humanité afin de faire advenir sa conception du bien. Le plan de destruction doit englober la totalité du groupe visé, même s'il n'est pas conduit jusqu'au bout pour des raisons d'impossibilité matérielle ou de revirement politique. Le seul précédent connu pourrait bien être la Vendée, qui selon les ordres donnés par la Convention devait être "détruite" dans sa totalité. Carrier écrivait: "c'est par principe d'humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres." De fait, dans la zone de destruction, on purgea un bon quart de la population, ce qui est proche des performances du XXème siècle."

 

Au fond la question reste : comment un pays, une région, un peuple, satisfait en 1789 de voir s’écrouler l'ordre ancien, est-il si vite passé de l’autre bord ?

Quelques livres indispensables :

-         JC MARTIN ; La Vendée et la France 189-1799 Seuil 1987.

-         GERARD ; La Vendée 1789-1793 Champs vallon 1992

-         R SECHER ; le génocide franco-français, Perrin 2006.

25/11/2006

Retour sur la guerre civile Espagnole

En complément et à l ‘appui de mon dernier post sur les origines de la guerre civile Espagnole, voici un interview de Pio Moa (PM), communiste repenti aujourd’hui démocrate libéral, historien Espagnol de renom et reconnu par ses pairs (Stanley Peyne, Bartolomé Bénassar ou Seco Serrano), paru dans la NRH de mars avril 2005.

NRH : Selon la thèse la plus rependue, la guerre civile espagnole serait la conséquence de l’agression unilatérale de l’armée et d’une minorité de fascistes appuyés par l’église catholique contre le peuple , la démocratie et la république. Qu’en pensez-vous ?

PM : La guerre civile à pour origine l’effondrement de la légalité républicaine. Mais ce sont les principaux partis de gauche qui en sont responsables, en ayant planifie la guerre civile, la révolution et la liquidation de la république bourgeoise. Apres une première tentative d’insurrection armée contre le gouvernement légitime en 1934, ils sont arrivés au pouvoir en février 1936 en raison de la loi électorale, mais avec un nombre de voix sensiblement égal. Ils déclenchèrent alors un nouveau processus révolutionnaire que le gouvernement républicain ne pu ni ne voulu enrayer. Dans cette situation, les partis de droite n’eurent que deux solutions : se rebeller ou accepter leur liquidation politique et physique.

NRH : Qui sont les principaux responsables du conflit ? Franco est-il le premier coupable ?

PM : Les responsables les plus directs furent les socialistes (PSOE, le principal parti de gauche) et les nationalistes catalans d’Esquerra Catalana ; Lorsqu’en novembre 1933, la droite gagna les élections avec une large majorité, ces deux partis commencèrent à organiser littéralement la guerre civile. En octobre 1934, lors du soulèvement des Asturies, Franco et la droite défendirent la légalité républicaine, en dépit de leur peu de sympathie pour une république anti-cléricale. Franco fut un des derniers a se soulever, pour s’oppose a un processus révolutionnaire. La guerre civile ne fut pas une guerre entre démocrates et fascistes. Pendant toute la durée de la république, les droites furent modérées et légalistes, a l’exception de la minorité monarchiste et a partir de 1935 du petit groupe de la Phalange. En Espagne, la lutte opposa l’Espagne catholique, et par conséquent fort peu fasciste, à la révolution dans sa double version communiste et anarchiste.

NRH : Vous avez consacré une grande partie de vos travaux a la tentative de révolution socialiste de 1934.Pourquoi considérez vous que cet épisode est si important pour comprendre le soulèvement national de 1936 ?

PM : Le soulèvement de la gauche en 1934 fut le véritable début de la guerre civile. Il dura deux semaines et causa 1400 morts dans 26 provinces sur les 50 que compte l’Espagne. Si l’échec avait conduit les gauches a changer leur orientation en profondeur, la guerre civile n’aurait pas eclate en 1936. Or en 1936, elles s’empressèrent de créer une situation pré révolutionnaire.

NRH : Une fois la guerre civile déclenchée, l’attitude de la droite fut elle plus violente que celle de la gauche ? Y eut il par ailleurs une persécution religieuse ?

PM : La terreur fut analogue de part et d’autre. Cela se produit toujours ainsi lorsque la légalité s’effondre, et ce fut le cas dans beaucoup de pays d’Europe. Mais j’insiste, les responsables de cet effondrement furent indiscutablement les partis de gauche. En ce qui concerne la persécution religieuse, ce fut sans doute la plus sanglante de l’histoire, plus terrible que celle de la révolution Française ou même de la révolution soviétique.

NRH : Les brigades internationales sont souvent considérées comme le symbole de la liberté dans la lutte contre le fascisme. Que furent elles exactement, quel rôle jouèrent elles ?

PM : On sait très bien aujourd’hui qu’elles furent une armée du Komintern, c’est a dire de Staline. Leur principale contribution a la guerre fut celle de novembre 36 lorsqu’elles aidèrent a défendre Madrid qui était sur le point de tomber devant les troupes Franquistes . Ensuite, elles furent utilisées comme troupes de choc et subirent de lourdes pertes au combat mais aussi en raison des purges internes ordonnées par Staline. Elles contribuèrent a prolonger une guerre qui aurait pu être terminée en cinq mois.

NRH : Quelle fut la position des principales personnalités intellectuelles Espagnoles ?

PM : La guerre divisa l’Espagne en deux ; il en fut de même du monde intellectuel. La propagande de gauche prétend que presque tous les intellectuels appuyèrent le « peuple », c’est a dire les partis de gauche. Mais il n’en fut rien, il faut lire les opinions d’écrivains comme Ortega y Gasset, Maranon ou Perez de Ayala, qui étaient alors connus comme les pères spirituels de la république. Pendant la guerre civile, ils maudirent les partis de gauche en des termes que l’on ne retrouve même pas chez les Franquistes.

NRH : Pourquoi la perception du conflit a l’étranger est elle toujours aussi favorable au front populaire ?

PM : Parce que les Franquistes perdirent la bataille de la propagande et parce qu’a la fin de la seconde guerre mondiale on identifia plus ou moins Franco à Hitler ou Mussolini, alors qu’il avait maintenu l’Espagne neutre et que cette neutralité avait beaucoup plus bénéficié aux Allies qu'a l’Axe. Hors d’Espagne, et même en partie en Espagne, bien que cela soit de moins en moins vrai, l’interprétation la plus connue de la guerre civile est encore celle de la propagande communiste avec quelques variantes mineures.

NRH : Quelle est votre plus importante contribution à l’historiographie de la guerre civile Espagnole ?

PM : Je crois que c’est la démonstration que la guerre commença en 1934 et qu’elle fut décidée consciemment et délibérement par les principaux partis de gauche ; Cette décision ne fut pas prise pour affronter un danger fasciste qui n’existait pas, et dont les partis de gauche savaient qu’il n’existait pas, mais parce qu’ils étaient surs de gagner et de pouvoir enfin réaliser leurs objectifs maximalistes. Cette thèse peut être considérée aujourd’hui comme définitive.

NRH : Vous qui étés un ancien militant anti Franquiste, comment jugez vous aujourd’hui la dictature de Franco ?

PM : Malgré sa dureté au cours des années 40, le Franquisme a libéré l’Espagne de la révolution, de la guerre mondiale et de la pauvreté. Il a en outre légué une société modérée ; Ce n’est pas un mauvais bilan. Grâce a cela depuis un quart de siècle, nous vivons en démocratie.

NRH :Quel jugement portez vous sur votre militantisme communiste d’hier ?

PM : J’ai consacré beaucoup de mon temps à l’analyser. Nous luttions durement mais pour une cause néfaste. C’est une expérience vitale qui me permet de mieux comprendre aujourd’hui l’histoire, du moins je l’espère.