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06/02/2010

Auschwitz 105- Ukraine zéro

J'écoutais ce matin d'une oreille distraite (Gros plan ou Muscadet bordel ?) la fin de Répliques, au moment où Finkielkraut s'interroge avec ses invités sur l'asymétrie dans la mémoire des deux totalitarisme du XXième siècle. Discussion éminemment intéressante mais trop courte..

Alain Besançon avait eu la curiosité, il y a quelques années de consulter le service de documentation du journal de révérence « Le Monde » et de calculer le nombre de références aux crimes Nazis et communistes entre 1990 et 1997 ; le thème du nazisme revint 480 fois, celui du « stalinisme », sept fois...Auschwitz faisait l'objet de 105 références, le génocide par la famine organisée en Ukraine (environ 6 millions de morts en 1933) zéro référence.

« Le nazisme, bien que disparu complètement depuis plus d'un demi-siècle, est à juste titre l'objet d'une exécration que le temps n'affaiblit nullement. Le communisme, en revanche, bien que tout frais et tout récemment déchu, bénéficie d'une amnésie et d'une amnistie qui recueille le consentement presque unanime, non seulement de ses partisans, mais de ses ennemis les plus déterminés et même de ses victimes. Ni les uns ni les autres ne trouvent séant de la tirer de l'oubli. » (1)

Relu récemment, et successivement, « Le malheur du siècle », « Le livre noir du communisme » (2), puis « Du passé, faisons table rase » (3).

Ce qui frappe le plus, comme le souligne Besançon, au delà de l'horreur des crimes commis au nom de cette idéologie totalitaire, c'est ce "contraste entre l'amnésie du communisme et l'hypermnésie du nazisme"(6), cette organisation de la non repentance, après celle de la dissimulation des crimes commis par tous les régimes communistes durant le XX ème siècle. Ce négationnisme communiste.

famineposter1.jpgIl faut se rappeler, lors de la sortie du « Livre noir du communisme », les injures et les menaces de la presse communiste en France, le travail de sape du Monde (des commissaires politiques Colombani et Plenel) pour discréditer les auteurs de cette somme inédite et pour atténuer l'onde de choc auprès d'un public encore largement ignorant de l'horreur collectiviste, la sortie pitoyable de Jospin à l'assemblée tentant de sauver le soldat communiste et dissociant (à dessein ?) stalinisme et communisme afin d'épargner ses amis trotskystes. Il faut revoir ce « bouillon de culture » historique ou Stéphane Courtois fut confronté à deux apparatchiks communistes (Roger Martelli et Roland Leroy).

La première synthèse historique de la dimension criminelle du communisme ne devait pas être connue ; Outre la recension des crimes de masses commis, les auteurs détaillaient également les méthodes utilisées pour assassiner des millions de personnes, notamment la famine organisée. La question de la nature totalitaire du communisme et sa comparaison avec le nazisme était également reprise par les auteurs, à la suite d' Ernst Nolte, François Furet ou Renzo de Felice.

Si le monstre est mort comme phénomène politique, il demeure bien vivant comme phénomène culturel : il faut admettre que décrire le communisme dans sa réalité (sa praxis), reste un délit d'opinion. Le négationnisme, définit comme un délit quand il porte sur le nazisme, ne l'est pas quand il dissimule les crimes communistes.

Soulignant la motivation idéologique des crimes nazis, le procureur général Français à Nuremberg, François de Menthon, disait : « Nous ne nous trouvons pas devant une criminalité accidentelle, occasionnelle, nous trouvons devant une criminalité systématique découlant directement et nécessairement d'une doctrine. » (4)

Cette description du totalitarisme brun s'applique mot pour mot au totalitarisme rouge...

Et pour s'en convaincre, il faut relire les premiers écrits de Lénine (Le Programme Militaire de la Révolution Prolétarienne, notamment (1916)) appellant à l'élimination physique, à grande échelle, de tous les ennemis du peuple, « poux », « insectes nuisibles », tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont censés constituer un obstacle à l'érection de la dictature du prolétariat.

De même que « lui convient parfaitement la définition du nouveau code pénal Français, adopté en 1992, selon laquelle, le crime contre l'humanité inclut la déportation, la réduction en esclavage, la pratique massive et systématique d'exactions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture, d'actes inhumains inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile. » (5)

Or, les massacres et déportations systématiques de groupes sociaux ou ethniques en raison de ce qu'ils sont et non de ce qu'ils font, jalonnent toute l'histoire du communisme.

Il est donc sans doute légitime de conclure à une nature intrinsèquement criminogène du communisme, tant il a produit de copies conformes dans les circonstances les plus diverses, sous toutes les latitudes et dans les sociétés culturellement les plus différentes (Cuba, Ethiopie, Angola, Afghanistan, Mozambique, Laos, Cambodge, Chine, Russie,...)

Devant pareil constat, pareille horreur, le front négationniste procommuniste, puissamment relayé par des média complaisants voire serviles et perdant une sérieuse occasion de faire un aggiornamento, ressasse l'éternel antienne : « le communisme se voulait dans son principe une doctrine de libération par la dictature du prolétariat, alors que le nazisme annonçait dés sa naissance un programme d'extermination... » ou bien « l'anéantissement de l'homme exprime non l'essence de cette doctrine de libération, mais sa perversion ..» (distinguo Léninisme/ Stalinisme).

Il est alors particulièrement étonnant que cette doctrine de libération n'ai jamais nulle part mis en œuvre autre chose que sa propre perversion.

Un aspect non moins important de ces ouvrages est d'établir le fait que Lénine et Trotky furent les initiateurs de ce système et aussi de la terreur organisée, et ce dés 1917 (premiers camps de concentration, premier rapport alarmant de la Ligue des Droits de l'Homme). Staline n'en fut que le continuateur appliqué et méthodique doublé d'un stratège militaire sans pareil, surclassant largement son alter ego Hitler, et les Churchill et Roosevelt.

Pourquoi, se demande alors Alain Besançon, une telle différence de traitement entre ces deux formes de totalitarisme (« ces deux jumeaux hétérozygotes » selon Pierre Chaunu) ?

Dans la plupart des pays sortis du communisme, il n'a pas été question de châtier les responsables qui avaient tué, privé de liberté, ruiné, abruti leurs sujets et cela pendant deux ou trois générations. Sauf en Allemagne de l'Est et en république Tchèque, les communistes ont été autorisés à rester dans le jeu politique, ce qui leur a permis de reprendre ça et la le pouvoir. En Russie et dans d'autres républiques, le personnel diplomatique et policier est resté en place. En Occident, cette amnistie de fait a été jugée favorablement. On a comparé la confirmation de la nomenklatura à l'évolution thermidorienne des anciens Jacobins. Depuis peu, nos média reparlent même de « l'épopée du communisme » et le passé kominternien du PCF ne l'empêche nullement, avec ses avatars alter mondialistes anti libéraux et autres, d'être accepté dans le sein de la démocratie Française (on peut même voir un ministre de l'intérieur ferrailler pour faire admettre dans le jeu politique une faction communiste ouvertement révolutionnaire et anti démocratique par nature...)

Besançon avance plusieurs explications :

- « le nazisme est mieux connu que le communisme, parce que le placard aux cadavres à été ouvert par les troupes alliées » et que plusieurs peuples européens en ont eu une expérience directe. Le crime nazi est repérable, flagrant, contrairement au goulag ou au laogaï qui restent enveloppés de brouillard et demeurent indirectement connus.

- « le peuple juif a pris en charge la mémoire de la shoah. C'était à la fois une obligation morale et religieuse. » Nul équivalent concernant les crimes communistes compte tenu, notamment , de la multitude de peuples victimes de l'idéologie communiste.

- « La guerre, en nouant une alliance militaire entre les démocraties et l'URSS, a affaibli les défenses immunitaires occidentales contre l'idée communiste, pourtant très fortes au moment du pacte Hitler Staline, et provoqué une sorte de blocage intellectuel. » L'héroïsme militaire soviétique prenait le pas sur l'idéologie communiste, mise en réserve. Plus encore, les soviétiques firent partie des vainqueurs et, à ce titre, figurèrent parmi les juges à Nuremberg. Et, à la différence de l'Europe orientale, l'Europe occidentale n'a pas eu l'expérience directe de l'arrivée de l'arrivée rouge, qui fut considérée comme libératrice au même titre que les autres armées alliées, ce que ne ressentaient bien sur ni les Baltes, ni les Polonais...

- « un des grands succès du régime soviétique est d'avoir diffusé et imposé sa propre classification idéologique des régimes politiques modernes : Lénine les ramenait à l'opposition entre socialisme et capitalisme. Encore actuellement dans les livres d'histoire scolaire, on trouve le classement suivant : régime soviétique, démocraties libérales, fascismes (nazisme, fascisme italien stricto sensu  et franquisme), distinct du classement correct développé par Anna Arendt dés 1951, c'est à dire : ensembles, les deux seuls régimes totalitaires (communisme et nazisme), les régimes libéraux, les régimes autoritaires (Italie, Espagne, Hongrie, Amérique latine) qui relèvent des catégories classiques de la dictature et de la tyrannie, répertoriées depuis Aristote. »

- "la faiblesse des groupes capables de conserver la mémoire du communisme : le nazisme à duré douze ans, le communisme européen, selon les pays entre 50 et 70 ans. La durée ayant un effet auto amnistiant. Durant ce temps immense, la société civile a été atomisée, les élites ont été successivement détruites en profondeur, remplacées, rééduquées. La plupart de ceux qui auraient été en mesure de penser, et donc de dresser le bilan de cette expérience tragique, ont été privés de connaître leur histoire et ont perdu leurs capacités d'analyse. « Rien n'est si problématique, après la dissolution d'un régime totalitaire, que la reconstitution dans le peuple d'une conscience morale et d'une capacité intellectuelle normale. » (7)

(1)   Alain Besançon, Le malheur du siècle, Fayard 1998, p.10.

(2)   Stéphane courtois, Robert Laffont, 1997.

(3)   Stéphane Courtois, Robert Laffont, 2002.

(4)   François de Fontette, Le procès de Nuremberg, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1996, p.48

(5)  Jean François Revel, Le siècle des ombres, Fayard 199, p.602.

(6) Alain Besançon, Le malheur du siècle, p.9.

(7) ibid.

17/03/2007

Pourquoi les Français ont-ils peur?

Une réflexion passionnante d'Alain Besançon parue dans commentaire (COMMENTAIRE, N° 112, HIVER 2005-2006), et rapportée par rogémi, lecteur érudit de ce blog.

"On dit que les francais ont peur devant l’Europe et devant les grandes réformes, que tous déclarent indispensables. Je veux essayer de présenter quelques remarques historiques très générales qui expliquent peut-être pourquoi les francais sont rarement rassurés. Mon exposé , hautement subjectif, n’aura rien de systématique.

Parcourons au Louvre la galerie des portraits francais. Au XVI° siècle, ils sont galants et belliqueux. Au XVII°, graves, empesés, solennels. Au XVIII° , le sourire et la détente reviennent. C’est le temps où le visage francais retrouve ses traits propres, l’œil gris, le teint clair, un air de malice ou de gentillesse. Il a l’air tranquille, paisible comme le sont les visages américains des photographies d’aujourd’hui qui reflètent l’allure d’un peuple bien traité. Dans les portraits de David, les traits se durcissent. Dans ceux de Géricault, Courbet, Millet, les expressions deviennent tristes, sombres, inquiétes. A la fin du siècle, on note une grande diversité entre les traits torturés de Lautrec et l’euphorie de Renoir. Tout ceci pour dire que même le Bon Dieu n’a pas toujours été heureux en France.

Les expulsions

La monarchie absolue, c’est à dire l’Etat rationnel, administratif, hiérarchique, centralisé, n’avait pas contribué à égayer les Français. Cet Etat était né de la guerre de religion et avait dû s’élever très haut au-dessus de ses sujets sous Henri IV, Louis XIV, pour les empêcher de s’égorger. La guerre de religion s’était quand même souterrainement poursuivie, jusqu’à la Révocation, où pour la première fois l’Etat rendit la vie impossible à une partie de ses sujets, pour finalement les exproprier et les expulser. Cent ans après, l’Etat révolutionnaire réemploya le même systéme de droit pour rendre la vie impossible, exproprier et expulser à peu près le même nombre de citoyens, 200 000. Il recommenca un siècle plus tard, et fit sortir de France, après avoir confisqué leurs biens, 50 000 religieux et religieuses. Vichy rendit la vie impossible, spolia, abandonna 200 000 juifs, et trouva des juges pour mettre ca en forme et des fonctionnaires pour l’exécuter. Cette séquence est remarquable et on ne la trouve qu’en France. On peut se demander si, dans le même esprit, nos gouvernements ne travaillent pas aujourd’hui à expulser les riches.
La détente que l’on constate au XVIII siècle ne vient pas d’un adoucissement, mais du démantèlement progressif de l’Etat monarchique. Les Français, sauf ordre ecclésiastique, n’avaient toujours droit à aucune représentation, à aucun système de consultation. Cet Etat fut rétabli, sous la forme républicaine et impériale, avec une brutalité et des moyens d’action dont Louis XIV n’avait jamais disposé. Le grand événement de la Revolution me paraît avoir marqué le caractère francais à cause des circonstances suivantes.

La Révolution

Dans une société aimable, policée, sensible, au point qu’elle était à peu près dépourvue de forces de l’ordre, ce fut soudain une explosion parfaitement inattendue de violence. Dès 1789 on promena des têtes sur des piques, on brûla des châteaux, on pilla les églises, on fit donner l’artillerie contre les paysans. Deux ans plus tard commenca un épisode tel qu’il se compare localement à la Révolution russe. Sur les trois départements touchés par l’affaire vendéenne, un tiers de la population fut exterminé. Lyon est condamné à disparaître. La guillotine est élevée dans tous les départements. Au 9 thermidor, 300 000 Français se trouvaient enfermés dans des conditions carcérales les plus épouvantables. Ils étaient promis à la mort, si l’accident du 9 thermidor n’était pas intervenu. Cette date où pour la premiére fois depuis 1789 la France avait connu un jour de chance, dans la mesure où un complot d’assassins contre d’autres assassins avait mis fin miraculeusement à l’extermination, ne cesse d’être considérée dans la plupart de nos manuels scolaires comme un jour malheureux. La fin de l’utopie et du massacre idéologique n’est pas fêtée, bien au contraire, au lieu que son début, le 14 juillet, est devenue notre fête nationale.

En effet, depuis 1792, l’idée utopique, révolutionnaire, terroriste, continue d’attirer une portion de la population francaise et d’exprimer 10 à 20 % du corps électoral. Bien mieux, elle s'est manifestée dans des explosions de violence qui ont rythmé notre vie politique. Entre 1830 et 1832, l'émeute a été presque quotidienne à Paris. Les barricades se sont dressées en 1848 et pour les démolir il fallut faire 10000 morts. 20 000 en 1871. On sait que la Commune, en brûlant l'hôtel de Ville, détruisit presque la moitié des archives de la France. Que le pétrole avait été répandu dans le musée du Louvre et que le pompier qui avait empêché l'incendie fut fusillé. Que si les internes de l'Hôtel-Dieu n'avaient pas dispersé le bûcher entassé dans Notre-Dame, nous aurions eu à construire une autre cathédrale. Ce qui fait que la Commune est enseignée à nos enfants comme un des plus glorieux épisodes de notre histoire et que, dans Paris, des plaques récemment posées par le président Poncelet la célèbrent. 1936 fut débonnaire, mais point la Libération, puisque environ 10000 Français furent mis a mort hors des tribunaux réguliers en quelques mois, ce qui se compare aux 20000 fusillés par l'armée allemande pendant les quatre ans d'occupation. La ligne rouge, en 1968, miraculeusement ne fut pas franchie. Mais le langage soixante-huitard était fidèle à la rhétorique révolutionnaire la plus violente. 1995 menaça de tourner au recommencement. Depuis, tous nos gouvernements marchent sur des œufs. Ceux de gauche parce qu'ils doivent s'appuyer sur leur base sectionnaire. Même s'ils appartiennent aux éléments les plus thermidoriens du Parti socialiste, ils paient tribut à la même rhétorique. Ceux de droite, parce qu'ils ne se sentent pas sûrs de leur légitimité, intériorisent en partie la sacralisation de nos récurrences révolutionnaires telle qu'ils l'ont apprise à l'école.

Le déclassement

Depuis l'écroulement de l'URSS, le noyau révolutionnaire français s'est débarrassé du lourd handicap d'être associé au mouvement communiste mondial et d'être piloté par des équipes soviétiques. Du coup, l'esprit révolutionnaire a été rapatrié sur et dans l'histoire de France, et il peut plus facilement se mélanger au nationalisme, comme d'ailleurs il avait toujours fait. Maintenant, on ne peut plus le taxer, comme fit Léon Blum, de nationalisme étranger. Le communisme, comme l'a fort bien écrit Marc lazar, reste une passion française.
Après le traumatisme de la Terreur, après l'incrustation d'un noyau révolutionnaire de tradition jacobine ou hébertiste, un troisième héritage nous vient de la Révolution française : le déclassement, ou le sentiment du déclassement, de la nation française. En une vingtaine d'années, la guerre, par nous déclarée en 1792, a coûté environ 1 500 000 morts. Le choc démographique est comparable à celui de la guerre de 14. Au sortir de laquelle guerre la France fut reléguée à la seconde place, puis bientôt à la troisième, après l'Allemagne, à la quatrième, après la Russie. Depuis 1815, la France dans son existence nationale est virtuellement en danger au milieu de voisins plus puissants qu'elle. Nouveau motif de peur.
On ne pouvait pas ne pas faire la Révolution française. Dans toute l'Europe, le passage de l'Ancien au nouveau régime a été une énorme affaire qui s'est étalée chaque fois sur une centaine d'années. Le malheur français fut que cette inévitable transition fut particulièrement coûteuse et laissa des séquelles qui ne passent pas. Comparons avec nos voisins.
En Angleterre, la révolution a duré environ de 1640 à 1715. Mais elle s'est effectuée dans une période pré-idéologique et elle se donnait pour but non la révolution à partir d'une table rase mais la restauration d'un État de droit prétendument violé par la monarchie. L’Angleterre a fait sa révolution en lui tournant le dos. Une révolution suppose le renversement de l'Église catholique, le renversement de la monarchie, le renversement de la noblesse. Le premier point de ce programme a été effectué au XVI° siècle par Henri VIII et Elisabeth, le second au XVII° siècle par Cromwell et le troisième n'est toujours pas accompli. La France a tout liquidé en quelques semaines. Enfin, la révolution a coïncidé avec la montée prodigieuse de la puissance anglaise, et en France, avec son déclin. Si bien que, outre les blessures laissées par la persécution religieuse et l'effacement de la noblesse, la France contre-révolutionnaire eut encore à pleurer sur sa décadence.
En Allemagne, le même processus a duré de 1848 à 1945. L’épisode hitlérien qui le couronne a été le plus catastrophique de tous. Mais le désastre a été si grand, le déshonneur si profond que la mémoire allemande en a été comme effacée. Elle n'est pas divisée ni déchirée comme est la nôtre. Sur la table rase, ou plutôt rasée, la démocratie voulue dès 1848 s'est installée en 1945 dans la plus calme unanimité.
La révolution espagnole commence 1875 et se résout à la mort de Franco en 1975. Les buts révolutionnaires ont été atteints. Le nouveau régime démocratique marche comme une horloge. C'est qu'il n'a pas été implanté par les révolutionnaires, mais par leurs adversaires, les conservateurs plus ou moins libéraux qui avaient gagné la guerre civile. Comme tout le monde profite désormais de la liberté et de la démocratie, tout le monde est content. Franco avait encore sa statue équestre à Madrid. On vient seulement de l'ôter.
Dans les trois exemples, l'issue de la révolution a été la stabilisation de la vie politique, la solution de son problème. La révolution Française n'a pas résolu le problème politique français.
II faut maintenant regarder pourquoi le Français des XIX° et XX siècles a peur en dehors même des turbulences déjà signalées.

La propriété et le droit

La pacification des Français ne fut obtenue, ainsi qu'après les guerres de religion, que par l'érection d'un Etat relativement indépendant des citoyens et muni d'une considérable capacité de coercition. L’Etat napoléonien renouvela ce type de pouvoir. Il assurait l'ordre, l'égalité devant la loi, une administration rationnelle. Il ne considérait pas que la liberté fût son premier souci, en conformité d'ailleurs avec les passions françaises qui n'étaient pas tournées de ce côté mais vers l'égalité. La protection des droits fit des progrès avec des hauts et des bas, surtout dans les années bénies de la république orléaniste et opportuniste. Mais des progrès lents, en général en retard sur le rythme de l'Europe du Nord.
La propriété en France a été peu respectée. J'ai parlé de la spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations, des Juifs. Il faut aussi se souvenir que la Révolution s'est établie et consolidée sur un colossal et en grande partie illégal transfert de propriété. L’intangibilité des biens nationaux plus ou moins volés s'est imposée à tous les régimes et une mesure de simple justice, comme le milliard des émigrés, a été violemment contestée par toute la gauche comme un abus monstrueux. Les Tchèques, les Polonais ont montré plus de respect pour la propriété, après cinquante ans d'expropriation communiste. La propriété de mainmorte, c'est à-dire le droit de créer des fondations, des trusts à la manière anglaise et américaine, n'a jamais été acceptée par l'Etat français. Notre État n'admet que la propriété individuelle et la propriété d'État, il ne veut pas que ses sujets établissent des noyaux de propriété stable et donc de liberté parce qu'ils échappent à son contrôle. Que mon ancien collège d'Oxford vive encore largement sur les biens que lui a légués l'archevêque Chichely, au lendemain de la bataille d'Azincourt, n'est pas une chose concevable dans mon pays où les biens de l'Université de Paris ont été nationalisés même temps que tous les biens des corporations et ceux de l'Eglise.
L'influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens de la délégitimation de la propriété individuelle. Le droit de propriété n'est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de 1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au travail, à l’emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété sont manifestes, reçoit en revanche une garantie. «Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.» Ce passage du préambule sonne assez «démocratie populaire». La passion de l'égalité qui est au fond de l'humeur politique française rend très difficile à l'homme riche de jouir publiquement de sa richesse, comme le font les Italiens et les Anglais fortunés. Il sait que s'il n'appartient pas au monde du show business ou du sport, il lui est conseillé de rouler en Peugeot plutôt qu'en Rolls ou en Jaguar. En France, si j'ose paraphraser Baudelaire, les riches, les pauvres riches ont de grandes douleurs.
Comme la propriété est le fondement du droit, la faiblesse de la première fait aussi l'incertitude du second. Les Français n'ont jamais été convaincus de l’ indépendance de leur justice. Et puisque dans leur histoire récente ils ont observé que les juges sanctionnaient des mesures iniques, ou bien que l'État épurait de temps en temps la magistrature, comme il l'a fait en grand dans les débuts de la République radicale, ils ont tendance à penser qu'il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice. Et encore moins à la police, qui jusqu'à une date récente manquait souvent de douceur, soit pour contenir les manifestations, soit derrière les grilles des commissariats de police.


L'armée et l'école


Pendant toute la fin du XIX° siècle et presque tout le XX° siècle, la grande majorité des jeunes Français ont subi l'épreuve du service militaire. Le code militaire, fait dire Anatole France à M. Bergerey n'est qu'une compilation des ordonnances concernant les armées de Louis XIV et de Louis XV. On sait ce qu’étaient ces armées, de racoleurs et de racolés, chiourme de terre, divisée en lots qu'achetaient les jeunes nobles, parfois des enfants. On maintenait l'obéissance de.ces troupes en perpétuelles menaces de mort. Tout est changé; les militaires de la monarchie et des deux Empires ont fait place à une énorme et placide garde nationale. II n'y a plus à craindre ni mutineries ni violences. Pourtant la mort à tout propos menace des doux troupeaux de paysans et d'artisans habillés en soldats. Le contraste de ces moeurs bénignes et de ces lois féroces est presque risible.»
Contrairement à opinion répandue, l'armée allemande était beaucoup plus communautaire que la française. Les officiers mangeaient avec la troupe et veillaient à maintenir certaine Gemeinschaft favorable à l'initiative individuelle. Voilà pour le temps de paix. Mais en temps de guerre, c'est la tradition de la Révolution et de l'Empire qui continue, à savoir l'extrême prodigalité du sang des soldats. Des petites guerres, comme celle de Crimée, ou quelques guerres coloniales ont été des boucheries. Dans les quatre premiers mois de la guerre de 1914, l'armée française, assez mal armée et équipée, mais conduite par la doctrine de l'offensive à outrance, a perdu 400 000 hommes. 100 000 hommes encore dans le seul mois des combats de 1940. C'est beaucoup plus que n'en perdaient les armées allemandes dans ces mémes conflits. Je ne compare pas avec les traditions de l'armée américaine. La France a été saignée irréparablement en particulier dans ses élites. Je prie le lecteur d'aller voir le monument aux morts de l'école normale supérieure. Marcel Déat est parti en 1914 avec soixante-dix camarades. Ils sont rentrés trente-cinq. Ce que je dis n'est pas pour excuser mais pour expliquer Marcel Déat.
Enfin, il faut remarquer le caractère particulièrement sévère de l'éducation française traditionnelle, tant de l'école primaire que de l'école secondaire. Il faut désormais en parler au passé, car ce type d'éducation a disparu au moins depuis 1968. II avait l'immense mérite de former des jeunes gens instruits, habitués au travail, à la compétition. Mais il était assez rude et sombre. Comparons l'architecture de nos lycées et écoles, comparons l'emploi du temps, comparons les méthodes : je ne vois que le Gymnasium allemand qui lui soit égal quant à l'effort et à la discipline exigés de l’enfant. La crainte disciplinaire, l'angoisse devant le rendu des compositions et des devoirs ont marqué plusieurs générations de Français et jusqu'à la mienne. Les apprentis n'étaient pas mieux traités dans les ateliers où les anciens en le leur faisant rentrer dans le corps, leur apprenaient le métier.
Le fait que la Révolution française ait laissé une mémoire déchirée à la France et une légitimité fragile à tout gouvernement postérieur a donné quelque chose de hobbesien à la société française. Tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Aux peurs déjà recensées se joint donc la peur du prochain. Elle est assez forte pour expliquer ce trait qui étonne l'étranger : les Français évitent à tout prix le face à face et le dialogue direct. Ils ont peur de leur propre haine, ils craignent de ne pouvoir contrôler leur agressivité. Ils préfèrent s'en remettre à une instance tierce plus haute et finalement à l'État. La centralisation fameuse de notre pays tient en partie à cette conduite qui veut chercher au sommet un arbitre pour calmer les conflits de voisinage. Cet arbitre étant lointain, la triche demeure possible. Au contrat, qui lie loyalement deux partenaires, les Français préférent la loi, qui n'oblige pas à cette loyauté.

Quand l'Etat prend peur


Cela ne marche bien qu'à condition que l'État soit faible. C'est ce qui a fait le bonheur impressionniste dans la France de la IIIe République. Comme l'explique, dans Anatole France, le préfet républicain Worms Clavelin : « Nous avons plus de liberté, nous en avons même trop. Nous avons plus de sécurité. Nous jouissons d'un régime conforme aux aspirations populaires. Toutes les forces sociales se font équilibre. Montre-moi ce qu'on pourrait bien changer. La couleur des timbres postes, peut-être. Non mon ami, à moins de changer les Français, il n'y a rien à changer en France. Sans doute je suis progressiste. Il faut dire qu'on marche, ne fût-ce que pour se dispen¬ser de marcher.»
Mais cela ne marche plus quand on veut mettre en place partout un exécutif fort, comme il est de bonne doctrine aux Sciences Po depuis la guerre. Alors, pour lui résister, les Français s'agglutinent par catégories, communautés, groupement variés et descendent dans la rue. Cette fois, c'est l'État qui prend peur."

02/01/2007

Communisme et lassitude.

Par hasard, j’ai écouté ce jour la fin d’une émission de France Culture, « Du grain à moudre », souvent intéressante d’ailleurs, et consacrée –oh miracle- à JF Revel récemment disparu, à travers le livre hommage qu’ a écrit Pierre Boncenne (Pour JF Revel, Plon. 2006).

J’ai suivi avec plaisir la discussion entre Besançon, Sirinelli et Boncenne, malheureusement parasitée par les péroraisons de Julliard. Revel, présenté à tort par la clique gauchiste médiatico-intellectuelle comme anticommuniste primaire, était un érudit et un intellectuel de premier plan dont la constance de l’engagement antitotalitaire, dans la lignée de Raymond Aron, mérite le respect.

J’ai repensé à ce petit livre indispensable retraçant la correspondance entre Furet et Nolte (Fascisme et communisme, Plon. 1997) au sujet de la proximité idéologique des deux phénomènes totalitaires. Cette proximité, défendue par Revel dans nombre de ses ouvrages, mais aussi par Alain Besançon (Le malheur du siècle, Fayard) constitue toujours un tabou en France et explique sans doute en partie la haine tenace et l’ostracisme dont il fut l’objet, sa vie durant et même après sa mort.

Et c’est sans doute parce qu’il existe un négationnisme procommuniste beaucoup plus hypocrite, plus efficace et plus diffus que le négationnisme pronazi, sommaire et groupusculaire, mais dont le comité de vigilance citoyen anti fasciste nous rebat les oreilles à longueur de journée, la danger étant bien sur majeur.

L’organisation de la non repentance à l’égard du communisme aura été la principale activité politique de l’ultime décennie du siècle, comme l’organisation de sa non connaissance aura été celle des sept décennies antérieures.

Le succès périodique du négationnisme procommuniste donne à tout nouveau livre rétablissant certaines vérités, et en particulier esquissant le parallèle sacrilège entre communisme et nazisme, l’apparence de la découverte (Qu’on se rappelle le tollé de la gauche, y compris la gauche non communiste, après la sortie du « Livre noir du Communisme » et la sortie grotesque de Jospin à l’Assemblée...). Or on n’en finirait pas d’aligner les citations dés 1918 pour l’appréciation exacte du bolchevisme, et dés 1933 pour la comparaison entre les totalitarismes, ou figurent déjà des constats et des arguments sans appels, mais aussi sans grands résultats sur la reconnaissance des crimes communistes.

Dans son « Passé d’une illusion » (Robert Laffon, 1995), François Furet (ancien communiste lui même) consacre un long passage à l’historien Allemand Ernst Nolte, qui avait fait l’objet avant lui d’une condamnation sommaire en Allemagne et en Occident pour avoir théorisé cette comparaison interdite.

On se rappelle pourtant d’André Gide, écrivant dans son retentissant « Retour de l’URSS » : « Je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fut-ce l’Allemagne de Hitler, l’esprit sois moins libre, plus courbé, plus craintif, terrorisé qu ‘en URSS». Et le doyen respecté des historiens du fascisme, Renzo de Felice (plutôt de sensibilité socialiste d’ailleurs), déclarant en 1988 comparant Hitlérisme et communisme : « La vérité en conclusion est qu’il s’agit de phénomènes identiques ; Le totalitarisme caractérise et définit le Nazisme comme le communisme, sans aucune différence réelle ; peut-être l’ais-je dis avec brutalité, mais j’estime que le moment est venu de s’en tenir aux faits et de briser les mythes faux et inutiles. » (Actes du colloque « Le stalinisme dans la gauche Italienne », mars 1988)

Furet et Nolte évoquaient à la fin de leur correspondance la thèse de « l’inutilité du vrai », dont s’était déjà emparé Revel dans « La connaissance inutile » (Grasset, 1988). Alain Besançon dans son « Malheur du siècle », en s’interrogeant à son tour sur les raisons de « l’amnésie du communisme et de l’hypermnésie du nazisme », et s’il reconnaissait le caractère unique et incomparable de la Shoah, concluait que les différences entre les deux totalitarismes sont dans la nature des motivations et non dans le degré du mal.

Pour Revel, « Ce qui distingue le communisme du Nazisme, ce n’est pas le système du pouvoir, il est identique dans les deux cas. C’est que le premier est une utopie et non le second ; Lorsqu’ Hitler supprime la démocratie et crée des camps d’extermination, il réalise ses idées et tient ses promesses. Lorsque c’est Lénine qui le fait, il réalise le contraire de ses idées et trahit ses promesses. Mais il le nie au nom de l’avenir qu’il prétend radieux. L’utopie rend légitime la déconnexion entre les intentions et les actes » (Fin du siècle des ombres, Fayard)

C’est la le paradoxe de l’après communisme : pourquoi y a-t-il encore tant de « compagnons de route », alors qu’il n’y a plus de route ?