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16/03/2010

Geheime Staatspolizei et brebis

« C'est le rôle de l'anarque que de rester libre de tout engagement, mais capable de se tourner de n'importe quel côté. »

« Le trait propre qui fait de moi un anarque, c'est que je vis dans un monde que, "en dernière analyse", je ne prends pas au sérieux. »

« Le libéral est mécontent de tout régime; l'anarque en traverse la série, si possible sans jamais se cogner, comme il ferait d'une colonnade. C'est la  bonne recette pour qui s'intéresse à l'essence du monde plutôt qu'à ses apparences - le philosophe, l'artiste, le croyant. »

« L'anarque pense de manière plus primitive; il ne se laisse rien prendre de son bonheur. "Rends-toi toi-même heureux", c'est son principe fondamental, et sa réplique au "Connais-toi toi-même" du temple d'Apollon, à Delphes. Les deux maximes se complètent; il nous faut connaître, et notre bonheur, et notre mesure. »

« Qu'on lui impose le port d'une arme, il n'en sera pas plus digne de confiance, mais, tout au contraire, plus dangereux. La collectivité ne peut tirer que dans une direction, l'anarque dans tous les azimuts. »

« Etant anarque, ne respectant, par conséquent, ni loi ni moeurs, je suis obligé envers moi-même de prendre les choses par leur racine. J'ai alors coutume de les scruter dans leurs contradictions, comme l'image et son reflet. L'un et l'autre sont imparfaits -en tentant de les faire coïncider, comme je m'y exerce chaque matin, j'attrape au vol un coin de réalité. »

Ernst JÜNGER, Eumeswill (1977)

relire Jünger...encore et toujours.

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Rencontré tantôt un jardinier stalinien, adepte de Badiou, chez des amis. Ai d'emblée traité Badiou d'ordure Stalinienne et ethnomasochiste après deux verres de rouge, histoire de briser la glace. Comment mieux cerner cet esprit dérangé ? Me suis donc aliéné dans la seconde mon interlocuteur, juste revenu d'une manif de défense de clandestins promis à quelque rafle organisée par la Geheime Staatspolizei locale et prompt à casser -dans son jardin- du faf.

Lui faire entrevoir la contradiction radicale entre la défense de cette nouvelle armée du capitalisme et sa posture anti-capitaliste a pris un peu de temps, grâce à mes amis Michéa et Castoriadis, qu'il n'avait pas lu, le biquet. Le mieux, dans ce genre de situation, est de flinguer de l'intérieur ! C'est redoutable et dévastateur. La preuve, on s'est quittés potes.

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Lu une petite leçon de Finkielkraut aux polytechniciens (les chanceux), à propos de philosophie et de modernité. Dans un chapitre éclairant, Fink explore la pensée de Carl Schmitt au travers de l'œuvre de Freund et montre de façon convaincante (à mon avis) combien cette distinction fondamentale ami-ennemi échappe à nos modernes convaincus, notamment depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l'extermination des Juifs d'Europe, que les européens ne sauraient plus avoir d'ennemis : la figure de l'Autre, de l'étranger, ne pouvant plus être considérée - a priori- comme inamicale ou hostile. Nos modernes (partisans de l'humanité en marche), pacifistes par nature, étant convaincus que l'on ne saurait avoir des ennemis en étant accueillant et amical. Julien Freund, confronté au scepticisme de son maître de thèse, Jean Hyppolite, qui lui reprochait cette posture pessimiste et pensait qu' « alors, il n'y a plus qu'à aller bêcher son jardin », lui rétorqua que c'est toujours l'ennemi qui vous désigne et que s'il lui en prend l'envie, il viendra jusque chez vous vous empêcher de travailler votre jardin...hmmm, qu'il est doux de voir éclater les ballons roses du vivre ensemble !

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Sinon, voter ! Il faut voter ! et mal si possible, jouer les "trouble-fête", comme disent nos lemmings favoris...ne serait-ce que parce que le rêve sucré de nos élites moderneuses reste bien de substituer au débat démocratique un Spectacle impolitique indigne, caricature de démocratie à laquelle ne participent plus une grande majorité de français éveillés...Charge à quelques figures tutélaires -donc haïssables- de cette modernité plurielleTM, progressisteTM et anti fascisteTM, tels l'ignoble Dray, le bandit Cohn, la guenon Mandroux ou l'immonde Xavier Bertrand de jouer la pièce pour les brebis.

Ne pas abdiquer.

"Nous sommes nés à ce temps et devons poursuivre avec vaillance, jusqu'au terme fatal, le chemin qui nous est tracé. Il n'y a pas d'alternative. Notre devoir est de nous incruster dans cette position intenable, sans espoir, sans possibilité de renfort. Tenir, tenir à l'exemple de ce soldat romain dont le squelette a été retrouvé devant une porte de Pompéi et qui, durant l'éruption du Vésuve, mourut à son poste parce qu'on avait omis de venir le relever. Voilà qui est noble. Voilà qui est grand. Une fin honorable est la seule chose dont on ne puisse PAS frustrer un homme."


(Dernier paragraphe de l'essai L'homme et la technique. Oswald Spengler. Munich, 1931)

 

cool!

05/12/2008

Tous les matins du monde

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" Le libéral est mécontent de tout régime; l'anarque en traverse la série, si possible sans jamais se cogner, comme il ferait d'une colonnade. C'est la  bonne recette pour qui s'intéresse à l'essence du monde plutôt qu'à ses apparences - le philosophe, l'artiste, le croyant. E Jünger, Eumeswill."

Pas facile la posture de l’anarque. Au passage, la métaphore de l’homme libre traversant la colonnade est lumineuse…

Mon dernier post au sujet de certains matins de merde en est le reflet. Je ne suis pas progressiste, pas décliniste non plus donc, c’est important de le préciser. Ca n’était pas mieux avant, et demain ne sera pas radieux, pas forcément tout au moins…

Et il n’y a pas un matin où je ne sois pas saisi –le mot est faible, plutôt pétrifié, meurtri, écoeuré- par le Spectacle de ce monde moderne haïssable par bien des aspects.

C’est dire à quel point il me reste du chemin pour atteindre ce détachement, cette vision supérieure du monde, cette weltanschauung du philosophe de l’artiste ou du croyant, au delà des apparences. Toucher à l’essence, tourner le dos à l’homo laborans et à l’homo faber, à l'hubris démocratique

" L'anarque [...] a le temps d'attendre. Il a son èthos propre, mais pas de morale. Il reconnaît le droit et non la loi; méprise les règlements. Dès que l'èthos descend au niveau des règlements et des commandements, c'est qu'il est déjà corrompu."

Comment vivre au milieu des autres, et au milieu de ruines pour qui regarde la longue durée, en n’étant pas affecté par la veulerie et la médiocrité de ce monde ?

Comment ne pas se sentir concerné? Comment passer au travers de la colonnade ? Faut-il s’en battre les couilles ? Faut-il être nostalgique ?

L’anarque est pleinement conscient du monde qui l’entoure et réagit au besoin favorablement ou pas. Il n’est pas indifférent à son milieu, il est d’une autre nature, d’une autre essence. Intouchable, à la fois proche et lointain, parce qu’il en a décidé ainsi…

L’anarque a son èthos (état d'âme) propre, indifférent à la loi commune. Comme Antigone affrontant Créon pour donner une sépulture à son frère, arguant de l’existence de lois supérieures à celles des hommes. Et finir emmurée. Je mesure ma corruption…

« La vie est trop courte et trop belle pour qu'on la sacrifie à des idées, bien qu'on puisse toujours éviter d'en être contaminé

Sûrement.

01/12/2008

Anarque

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L'anarque peut vivre dans la solitude; l'anarchiste est un être social, et contraint de chercher des compagnons.

Etant anarque, je suis résolu à ne me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux, en dernière analyse... non, certes, à la manière des nihilistes, mais plutôt en enfant perdu, qui, dans le no man's land d'entre les lignes des marées, ouvre l'oeil et l'oreille.

C'est le rôle de l'anarque que de rester libre de tout engagement, mais capable de se tourner de n'importe quel côté.

Le trait propre qui fait de moi un anarque, c'est que je vis dans un monde que, "en dernière analyse", je ne prends pas au sérieux.

Pour l'anarque, les choses ne changent guère lorsqu'il se dépouille d'un uniforme qu'il considérait en partie comme une souquenille de fou, en partie comme un vêtement de camouflage. Il dissimule sa liberté intérieure, qu'il objectivera à l'occasion de tels passages. C'est ce qui le distingue de l'anarchiste qui, objectivement dépourvu de toute liberté, est pris d'une crise de folie furieuse, jusqu'au moment où on lui passe une camisole de force plus sérieuse.

Ce qui d'ailleurs me frappe, chez nos professeurs, c'est qu'ils pérorent d'abondance contre l'Etat et l'ordre, pour briller devant les étudiants, tout en attendant du même Etat qu'il leur verse ponctuellement leur traitement, leur pension et leurs allocations familiales, et qu'à cet égard du moins ils sont encore amis de l'ordre.

Le libéral est mécontent de tout régime; l'anarque en traverse la série, si possible sans jamais se cogner, comme il ferait d'une colonnade. C'est la  bonne recette pour qui s'intéresse à l'essence du monde plutôt qu'à ses apparences - le philosophe, l'artiste, le croyant.

Quand la société oblige l'anarque à entrer dans un conflit auquel il est intérieurement indifférent, elle provoque ses contre-mesures. Il tentera de retourner le levier au moyen duquel elle le meut.

Si j'aime la liberté "par dessus tout", chaque engagement devient image, symbole. Ce qui touche à la différence entre le rebelle et le combattant pour la liberté; elle est de nature, non qualitative, mais essentielle. L'anarque est plus proche de l'être. Le partisan se meut à l'intérieur des fronts sociaux et nationaux, l'anarque se tient au-dehors. Il est vrai qu'il ne saurait se soustraire aux divisions entre partis, puisqu'il vit en société.

Je disais qu'il ne faut pas confondre rebelles et partisans; le partisan se bat en compagnie, le rebelle tout seul. D'autre part, il faut bien distinguer le rebelle de l'anarque, bien que l'un et l'autre soient parfois très semblables et à peine différents, d'un point de vue existentiel.
La distinction réside en ce que le rebelle a été banni de la société, tandis que l'anarque a banni la société de lui-même. Il est et reste son propre maître dans toutes circonstances.

Pour l'anarque [...] S'il prend ses distances à l'égard du pouvoir, celui d'un prince ou de la société, cela ne veut pas dire qu'il refuse de servir, quoiqu'il advienne. D'une manière générale, il ne sert pas plus mal que tous les autres, et parfois mieux encore, quand le jeu l'amuse. C'est seulement du serment, du sacrifice, du don suprême de soi qu'il s'abstient.

L'anarque est [...] le pendant du monarque : souverain, comme celui-ci, et plus libre, n'étant pas contraint au règne.

Le libéralisme est à la liberté ce que l'anarchisme est à l'anarchie.

L'illusion égalitaire des démagogues est encore plus dangereuse que la brutalité des traîneurs de sabres... pour l'anarque, constatation théorique,  puisqu'il les évite les uns et les autres.

L'anarque, ne reconnaissant aucun gouvernement, mais refusant aussi de se bercer, comme l'anarchiste, de songeries paradisiaques, possède, pour cette seule raison, un poste d'observateur neutre.

L'anarque pense de manière plus primitive; il ne se laisse rien prendre de son bonheur. "Rends-toi toi-même heureux", c'est son principe fondamental, et sa réplique au "Connais-toi toi-même" du temple d'Apollon, à Delphes. Les deux maximes se complètent; il nous faut connaître, et notre bonheur, et notre mesure.

Le monde est plus merveilleux que ne le représentent sciences et religions. L'art est seul à le soupçonner.

L'obligation scolaire est, en gros, un moyen de châtrer la force de la nature et d'amorcer l'exploitation. C'est tout aussi vrai du service militaire obligatoire, qui est apparu dans le même contexte. L'anarque le rejette, tout comme la vaccination obligatoire et les assurances, quelles qu'elles soient. Il prête serment, mais avec des restrictions mentales. Il n'est pas déserteur, mais réfractaire.

Qu'on lui impose le port d'une arme, il n'en sera pas plus digne de confiance, mais, tout au contraire, plus dangereux. La collectivité ne peut tirer que dans une direction, l'anarque dans tous les azimuts.

L'anarque [...] a le temps d'attendre. Il a son éthos propre, mais pas de morale. Il reconnaît le droit et non la loi; méprise les règlements. Dès que l'éthos descend au niveau des règlements et des commandements, c'est qu'il est déjà corrompu.

L'anarque n'en [la société] discerne pas seulement de prime abord l'imperfection : il en reconnaît la valeur, même avec cette réserve. L'Etat et la société lui répugnent plus ou moins, mais il peut se présenter des temps et des lieux où l'harmonie invisible transparaît dans l'harmonie visible. Ce qui se révèle avant tout dans l'oeuvre d'art. En pareil cas, on sert joyeusement.

L'égalisation et le culte des idées collectives n'excluent point le pouvoir de l'individu. Bien au contraire : c'est en lui que se concentrent les aspirations des multitudes comme au foyer d'un miroir concave.

Etant anarque, ne respectant, par conséquent, ni loi ni moeurs, je suis obligé envers moi-même de prendre les choses par leur racine. J'ai alors coutume de les scruter dans leurs contradictions, comme l'image et son reflet. L'un et l'autre sont imparfaits -en tentant de les faire coïncider, comme je m'y exerce chaque matin, j'attrape au vol un coin de réalité.

Non qu'en tant qu'anarque, je rejette à tout prix l'autorité. Bien au contraire : je suis en quête d'elle et me réserve, pour cette raison précise, le droit d'examen.
Je mentionne cette indifférence parce qu'elle éclaire la distance entre les positions : l'anarchiste, ennemi-né de l'autorité, s'y fracassera après l'avoir plus ou moins endommagée. L'anarque, au contraire, s'est approprié l'autorité; il est souverain. De ce fait, il se comporte, envers l'Etat et la société, comme une puissance neutre. Ce qui s'y passe peut lui plaire, lui déplaire, lui être indifférent. C'est là ce qui décide de sa conduite; il se garde d'investir des valeurs de sentiment. Chacun est au centre du monde, et c'est sa liberté absolue qui crée la distance où s'équilibrent le respect d'autrui et celui de soi-même.

Le bannissement se rattache à la société comme l'un des symptômes de son imperfection, dont l'anarque s'accommode tandis que l'anarchiste tente d'en venir à bout.

Nous frôlons ici une autre des dissemblances entre [l'anarque] et l'anarchiste : la relation à l'autorité, au pouvoir législateur.
L'anarchiste en est l'ennemi mortel, tandis que l'anarque n'en reconnaît pas la légitimité. Il ne cherche, ni à s'en emparer, ni à la renverser, ni à la  modifier - ses coups de butoir passent à côté de lui. C'est seulement des tourbillons provoqués par elle qu'il lui faut s'accommoder.


L'anarque n'est pas non plus un individualiste. Il ne veut s'exhiber, ni sous les oripeaux du "grand homme", ni sous ceux de l'esprit libre. Sa mesure lui suffit; la liberté n'est pas son but; elle est sa propriété. Il n'intervient ni en ennemi, ni en réformateur; dans les chaumières comme dans  les palais, on pourra s'entendre avec lui. La vie est trop courte et trop belle pour qu'on la sacrifie à des idées, bien qu'on puisse toujours éviter d'en être contaminé. Mais salut aux martyrs !

A première vue, l'anarque apparaît identique à l'anarchiste en ce qu'ils admettent, l'un comme l'autre, que l'homme est bon. La différence consiste en ceci : l'anarchiste le croit, l'anarque le concède. Donc, pour lui, c'est une hypothèse, pour l'anarchiste un axiome. Une hypothèse a besoin d'être vérifiée en chaque cas particulier; un axiome est inébranlable. Suivent alors les déceptions personnelles. C'est pourquoi l'histoire de l'anarchie est faite d'une série de scissions. Pour finir, l'individu reste seul, en désespéré.

Il n'y a pas plus à espérer de la société que de l'Etat. Le salut est dans l'individu.

L'idée fondamentale de Fourier est excellente : c'est que la création est mal fondue. Son erreur consiste à croire que ce défaut dans la coulée est réparable. Avant tout, l'anarque doit se garder de penser en progressiste. C'est la faute de l'anarchiste, en vertu de laquelle il lâche les rênes.

L'anarque peut rencontrer le monarque sans contrainte; il se sent l'égal de tous, même parmi les rois. Cette humeur fondamentale se communique au souverain; il sent qu'on le regarde sans préjugés. C'est ainsi que naît une bienveillance réciproque, favorable à l'entretien.

Le capitalisme d'Etat est plus dangereux encore que le capitalisme privé, parce qu'il est directement lié avec le pouvoir politique. Seul, l'individu peut réussir à lui échapper, mais non l'association. C'est l'une des raisons qui font échouer l'anarchiste.

Ernst JÜNGER, Eumeswill (1977)