13/09/2013
un autre destin européen
« Mise au tombeau de notre destinée ? En dépit d’apparences sinistres, mon intime conviction me conduit à rectifier aussitôt cette pensée. Tout ce que l’étude historique m’a appris, ce que je sais aussi des trésors d’énergie masqués, m’incitent à penser que l’Europe, en tant que communauté millénaire de peuples, de culture et de civilisation, n’est pas morte, bien qu’elle ait semblé se suicider. Blessée au coeur entre 1914 et 1945 par les dévastations d’une nouvelle guerre de Trente Ans, puis par sa soumission aux utopies et aux systèmes des vainqueurs, elle est entrée en dormition.
Bien des fois dans ses écrits, Jünger a fait allusion au destin comme à une évidence se passant d’explication, ainsi que d’autres évoquent Allah, Dieu, la Providence ou l’Histoire. (…)
Dans l’Iliade, Homère dit que les Dieux, eux-mêmes, sont soumis au Destin. L’épisode est conté au chant XXII lorsqu’il s’agit de trancher du sort d’Hector face au glaive d’Achille. Le Destin figure ici les forces mystérieuses qui s’imposent aux hommes et même aux dieux, sans que la raison humaine puisse les expliquer. Ce n’est pas la Providence des chrétiens, puisque celle-ci résulte d’un plan divin qui se veut intelligible, au moins pour l’Eglise. C’est en revanche, un autre nom pour la fatalité. Pour répondre à cette dernière, les stoïciens et, de façon différente Nietzsche, parlent d’amor fati, l’amour du destin, l’approbation de ce qui est, parce qu’on a pas le choix, rien d’autre en dehors du réel. Approbation contestée par toute une part de la tradition Européenne qui, depuis l’Iliade, a magnifié le refus de la fatalité. Citons le fragment du chant XXII qui suit la décision des Dieux. Poursuivi par Achille, Hector se sent soudain abandonné : « Hélas, point de doute, les Dieux m’appellent à la mort. Et voici maintenant le Destin qui me tient. Eh bien non, je n’entends pas mourir sans lutte ni gloire. Il dit et il tire le glaive aigu pendu à son flanc, le glaive grand et fort ; puis, se ramassant, il prend son élan tel l’aigle de haut vol qui s’en va vers la plaine. Tel s’élance Hector. »
L’essentiel est dit. Hector est l’incarnation du courage tragique, d’une insurrection contre l’arrêt du Destin qu’il sait pourtant inexorable. Tout est perdu mais au moins peut-il combattre et mourir en beauté.
(…) Et le lecteur méditatif songera que la tentation est forte, pour l’Européen lucide de se réfugier dans la posture de l’anarque. Ayant été privé de son rôle d’acteur historique, il s’est replié sur la position du spectateur froid et distancié. L’allégorie est limpide. L’immense catastrophe des deux guerres mondiales a rejeté les Européens hors de l’histoire pour plusieurs générations. Les excès de la brutalité les ont brisés pour longtemps. Comme les Achéens après la guerre de Troie, un certain nihilisme de la volonté, grandeur et malédiction des Européens, les a fait entrer en dormition. A la façon d’Ulysse, il leur faudra longtemps naviguer, souffrir et beaucoup apprendre avant de reconquérir leur patrie perdue, celle de leur âme et de leur tradition. »
Dominique Venner, Ernst Jünger, Un autre destin européen, 2009.
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07/03/2010
Homère
L'Iliade s'ouvre par une invocation du poète à la Muse, c'est-à-dire à la déesse du souvenir poétique et de l'inspiration. Dés ces premiers vers, le sujet de l'Iliade (la colère d'Achille et ses conséquences) est indiqué en quelques traits :
« Chante, déesse, la colère d'Achille, fils de Pélée ; colère funeste qui causa tant de malheurs aux Grecs, précipita chez Pluton les âmes fortes d'une foule de héros, et les livra eux-mêmes en proie aux chiens et aux oiseaux de toutes espèces (ainsi s'accomplissait la volonté de Zeus), depuis le jour où, pour la première fois, une querelle désunit le fils d'Atrée, roi des guerriers, et le divin Achille. »
L'Histoire, celle de l'Occident, s'ouvre donc sur une querelle, une dispute.
Puis vint l'Aurore :
« Lorsque parut l'Aurore matineuse aux doigts roses, alors ils gagnèrent le large, en quête de la vaste armée des Achéens. » (L'Iliade I, 452-497)
« Les chevaux, paissant l'orge blanche et l'avoine, debout prés des chars, attendaient que l'Aurore montât sur son trône superbe. » (L'Iliade, XII, 278-289)
« Mais lorsque enfin, l'Aurore aux belles tresses, eut amené le troisième jour, le vent tomba aussitôt et un calme plat régna sur la mer. » (L'Odyssée, VI, 33-393)
« L'Aurore aux voiles de safran se répandait sur toute la terre, quand Zeus que réjouit la foudre assembla les dieux sur la plus haute cime de l'Olympe aux gorges sans nombre. » (L'Iliade VIII, 1-38)
« L'Aurore sortait de son lit. Quittant la compagnie du glorieux Tithon [frère aîné de Priam, enlevé par l'Aurore qui l'épousât], elle se levait pour apporter la lumière aux Immortels et aux humains. » (L'Iliade, XI, 1-36)
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